Archive dans 2024

Mutations de l’emploi : besoin de transparence

Carnet de bureau. Y voir plus clair sur l’emploi. Ce pourrait être le mot d’ordre communiqué en ce début d’année 2024 à l’ensemble des administrations et institutions chargées d’observer ou d’analyser les politiques publiques. Chacun s’efforce en effet d’apporter plus de transparence sur le marché de l’emploi, face aux défis des transitions technologique et environnementale en marche.

Il s’agit d’« assurer la disponibilité des compétences » pour Réseau Action Climat, qui vient ainsi, le 13 mars, de publier une étude réalisée en partenariat avec l’Agence de la transition écologique (Ademe) et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, sur le contexte économique dans lequel s’exercent ces transitions. Elle y rappelle la nécessité d’anticiper, de se fixer un cap « suffisamment explicite » pour avancer, et énumère les dispositifs existants pour le faire.

Tout le monde est censé être mobilisé pour ce « chantier du siècle » : les entreprises, les salariés, les territoires. Pour quoi faire ? C’est déjà moins clair. Le rapport recense les initiatives prises par les territoires concernant les mutations de l’emploi liées à la transition écologique et souligne l’importance de la gouvernance locale de l’emploi en transition.

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Les reconversions sont complexes à mettre en œuvre, en témoigne le succès confidentiel des transitions collectives, malgré l’intelligence du dispositif qui permet le passage en douceur de salariés d’un métier où les emplois disparaissent vers un autre où les emplois se multiplient.

Brouillard d’incertitudes

Si les enjeux sont à peu près identifiés, ils diffèrent selon les territoires, vu le poids des filières locales. En Franche-Comté, citée en exemple, « la région a déployé une feuille de route pour accompagner les mutations de la filière [automobile]. L’industrie automobile emploie plus de 20 000 personnes dans la région, avec des effectifs en diminution de 30 % de 2007 à 2018 ». L’Urssaf Franche-Comté, qui tente aussi de son côté d’éclairer l’évolution du marché du travail, vient d’annoncer avoir lancé, fin 2023, un projet expérimental de « cartographie interactive des emplois » pour « mieux appréhender les mutations ».

Les estimations du nombre d’emplois bousculés par la transition écologique varient de 200 000 à plus de 1 million de créations et 800 000 destructions, indique Réseau Action Climat. Mais ce chiffrage « ne vaut pas prévision », précise le rapport. Un commentaire qui, à lui seul, donne une idée de l’épaisseur du brouillard d’incertitudes qui vont bien au-delà de l’aspect quantitatif de l’emploi.

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Intelligence artificielle : « Comment conjuguer conservatisme, nationalisme, voire xénophobie, et technophilie ? »

Il aura fallu deux trimestres d’affilée de boom de la productivité aux Etats-Unis pour que des analystes y voient le signal d’un nouveau cycle. Trente ans après celles de la vague Internet, les promesses de l’intelligence artificielle (IA) se réaliseraient enfin. Si ce regain se confirme dans les mois à venir, les inquiétudes que soulève l’IA seront balayées par un discours sur l’impératif d’embrasser ces technologies.

Sur le plan politique français, le macronisme technophile et probusiness s’en trouverait légitimé. Pourtant, sur ce sujet aussi, il se trouvera concurrencé par l’extrême droite. Certes, le Rassemblement national a d’abord agité l’épouvantail d’un autre « grand remplacement », celui du travailleur français par l’IA. Mais depuis moins d’un an, le changement de ton est radical. Ainsi, Jordan Bardella s’est mué en technophile « pragmatique », dénonçant les « sombres prophéties » et le risque du « néoluddisme » de ceux qui refuseraient le déploiement de l’IA.

Comment conjuguer conservatisme, nationalisme, voire xénophobie, et technophilie ? Le Japon en offre une illustration décortiquée par les sciences sociales (Robo sapiens japanicus. Robots, Gender, Family, and the Japanese Nation, Jennifer Robertson, University of California Press, 2017 ; Robots Won’t Save Japan, James Wright, Cornell University Press, 2023).

Le pouvoir conservateur soutient massivement l’innovation et la diffusion des robots physiques comme algorithmiques, et surtout la fusion des deux, des robots dopés à l’IA. Trois arguments viennent justifier cette stratégie. Le premier est la souveraineté et la puissance : la nation doit développer ses propres capacités, passant par un soutien fort de l’Etat ; les entreprises nationales pourront alors s’imposer à l’étranger. Le deuxième argument concerne les femmes : IA et robots vont offrir un nouvel allégement des tâches domestiques, et ainsi leur redonner goût à procréer !

Robots et main-d’œuvre

En attendant ce réarmement démographique, le troisième argument, central, est qu’IA et robots pourvoient au manque croissant de main-d’œuvre. La machine permet d’éviter le recours à une main-d’œuvre immigrée qui menacerait l’identité nationale. A l’inverse, les technologies conçues au Japon renforcent l’identité de « nation innovante ». Mieux, l’IA va converser en japonais, être imprégnée de culture nippone. On retrouve parmi certains défenseurs des robots nativement japonais des opposants à l’immigration.

Cette stratégie fonctionne-t-elle ? Le nombre de naissance au Japon est à son plus bas depuis la seconde guerre mondiale. Les pénuries de main-d’œuvre s’accentuent. L’anthropologue James Wright a analysé l’impact pratique des robots intelligents dans les Ehpad, un segment prioritaire de la politique publique. Les besoins en personnels y sont déjà massifs et deviendront exponentiels. La surcharge de travail génère des troubles musculo-squelettiques qui érodent encore plus l’offre de travail. Des robots ont donc été déployés dans de nombreuses structures. Les robots de manipulation des personnes âgées ont été rejetés par les familles, car trop déshumanisants.

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Etats-Unis : la délicate cohabitation de trois générations de salariés dans un même bureau

Une fois par mois, Kaye Monk, présidente du Kansas Leadership Center, s’installe dans un bureau ouvert et se met à l’écoute de ses quarante salariés. Une diversité de profils sur trois générations, du trentenaire aux baby-boomeurs. « On parle des enfants, des rêves et envies de chacun, on crée des relations entre collègues. Il faut garder le doigt sur le pouls de ses employés », dit-elle, et tenter de resserrer les liens entre les uns et les autres.

En tant que nouvelle patronne de cette entreprise qui promeut le leadership civique, Mme Monk a délibérément multiplié les occasions de rencontre, tels ces repas mensuels intergénérationnels où se nouent de drôles d’alliances. La présidente a ainsi vu des seniors partager le même point de vue que des jeunes recrues sur les sans-abri, ou encore de vieux employés complices de jeunes Latinos, désireux de célébrer ensemble et au bureau la fête du Cinco de Mayo, qui commémore la victoire des Mexicains sur les Français, le 5 mai 1862.

La communication entre générations ne va pas de soi : « 74 % des manageurs disent qu’il est difficile de travailler avec la génération Z [autour de la trentaine], raconte la coach Ashley Stahl, citant un sondage réalisé par Resume Builder auprès de 1 344 cadres ; 12 % des employeurs ont même renvoyé de jeunes recrues dès la première semaine d’embauche. »

Les frictions entre générations entraînent une baisse de productivité, explique-t-on chez Protiviti. Les chercheurs du groupe consultant et de la London School of Economics ont étudié durant trois ans les différentes classes d’âge de salariés pour en chiffrer l’ampleur. Leur conclusion : 25 % d’entre eux annoncent une faible productivité. Dans le détail, 37 % pour la génération Z, 14 % pour les baby-boomeurs. Et quand l’écart d’âge avec le manageur est de plus de douze ans, la chute de productivité est encore plus importante.

Lire l’analyse de la chercheuse pour le projet du Liepp : Article réservé à nos abonnés « Le travail et les conditions de travail en dernière partie de vie professionnelle »

« C’est une question de diversité, dit Heidi Brooks, professeure de l’école de management de l’université Yale. On doit faire face à des collisions de perspectives entre des jeunes qui s’expriment et des personnes plus âgées qui ne parlent que quand on s’adresse à elles. » Même quand l’entreprise croit bien faire, il lui arrive de se tromper. Mme Brooks prend l’exemple de la méditation au bureau. « La génération Z s’en méfie. Pourquoi devrait-elle passer plus de temps au travail pour méditer ? », demande-t-elle. « Il faut être plus inclusif, former les manageurs, qu’ils apprennent à mélanger les équipes et donnent aux jeunes voix au chapitre » explique Matt Duncan, directeur de Protiviti.

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Aéronautique : la Chine, nouvel eldorado de la formation des pilotes

Le centre de formation de Simaero en Chine.

Lors des vingt prochaines années, il va falloir former des pilotes à tour de bras. L’Association du transport aérien international a en effet évalué les besoins des compagnies aériennes du monde entier à 600 000 pilotes d’ici à 2042. Un chiffre corroboré par les dernières prévisions d’Airbus, publiées à l’été 2023 : la flotte mondiale va doubler en l’espace de deux décennies, pour atteindre 46 560 appareils.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les compagnies aériennes déjà confrontées à un manque de pilotes

Cela représente une aubaine pour le français Simaero. Le spécialiste de la formation des navigants, né en 2002 à Dinard (Ille-et-Vilaine), devait inaugurer, mardi 12 mars, son premier centre à proximité de l’aéroport international de Changsha-Huanghua, dans le Hunan, une province du sud de la Chine. Montant de l’investissement : plus de 70 millions d’euros.

« Jusqu’ici le marché numéro un, c’était les Etats-Unis, mais la Chine va passer devant au cours des vingt prochaines années », prédit Nicolas Mouté, le PDG de l’entreprise, qui réalise environ 30 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le trafic aérien « va tripler [dans le pays] », estime-t-il. Pour accompagner cette croissance, l’industrie aura besoin de 140 000 pilotes de ligne supplémentaires.

Externalisation

Au niveau mondial, le marché de la formation des pilotes est estimé à plus de 5 milliards d’euros. Il faut dire que cela coûte cher. Selon Air France, la formation dite « ab initio » d’un cadet revient à près de 100 000 euros à la compagnie. Outre l’obtention du brevet, les navigants doivent aussi apprendre à piloter chaque appareil. Une qualification qui revient « en moyenne à 20 000 euros », explique M. Mouté, et qui « doit être renouvelée à chaque fois que l’on change de type d’appareil », précise Philippe Evain, ancien président du Syndicat national des pilotes de ligne d’Air France, aujourd’hui commandant de bord et instructeur sur Boeing 777.

Les pilotes sont aussi tenus, d’un point de vue réglementaire, d’effectuer « seize heures de simulateur tous les ans », souligne le patron de Simaero. Ce qui coûte 10 000 euros par équipage. Trop dispendieux pour certaines compagnies comme Air France, qui ont externalisé cette activité. « Chez Air France, la moitié de ces formations sont effectuées à l’étranger, à Singapour ou à Vilnius », signale M. Evain. Seules 90 compagnies aériennes sur près de 1 600 dans le monde possèdent leur centre de formation avec simulateur.

Dans le Hunan, Simaero installe des machines pour A320, le moyen-courrier le plus vendu, avec 70 % de part de marché. Le centre devrait être « profitable d’ici trois ans », anticipe Nicolas Mouté. Une première étape, ajoute le dirigeant, qui dit « [regarder] avec intérêt le C919 », le tout nouveau moyen-courrier chinois, présenté au Salon de l’aéronautique de Singapour, à la fin du mois de février. « Le gros défi de la Chine sera de vendre le C919 à l’étranger », prévient-il, avant d’expliquer être déjà en discussion « pour avoir, à terme, des simulateurs pour C919 hors de Chine ».

« L’irruption des droits du vivant au centre de nos décisions est équivalente à l’irruption des droits politiques au XIXe siècle ou des droits sociaux au XXe siècle »

L’issue du mouvement récent des agriculteurs nous livre un enseignement-clé pour nos entreprises. Si l’écologie reste un sujet « en plus » du « business as usual », elle connaîtra le même sort : incomprise, caricaturée, puis rejetée.

Les agriculteurs sont exsangues et les aléas climatiques de plus en plus extrêmes. Leur imposer en plus des normes environnementales sans redéfinir avec eux leur rôle futur, cela ne passera pas.

Les agriculteurs sont-ils uniquement là pour produire notre nourriture ? Dans le monde qui s’annonce, nous avons besoin d’eux pour conserver le carbone dans le sol, former les nouvelles générations et protéger la biodiversité.

Les dirigeants d’entreprises s’emparent (enfin !) de l’enjeu de décarbonation. Leur demander en plus de s’occuper de biodiversité et des autres limites planétaires sans repenser le rôle des entreprises, cela ne passera pas.

Les entreprises sont-elles uniquement vouées à produire du profit ? Dans le monde qui s’annonce, nous avons besoin d’elles pour protéger le vivant, revitaliser les territoires et faire du travail une source d’épanouissement.

Cela ne passera pas

Les équipes chargées, au sein des entreprises, du « reporting » social et environnemental (RSE) sont déjà épuisées sous des milliers de pages de documents et de chiffres à produire. Leur rajouter, avec la directive européenne sur le devoir de vigilance (Corporate Sustainability Reporting Directive, CSRD), la notion de double matérialité, leur demander de mesurer non seulement l’impact du changement climatique sur leur modèle économique, mais aussi l’effet de leurs activités sur la planète et l’humain sans repenser le rôle de la comptabilité, cela ne passera pas.

La comptabilité ne sert-elle qu’à valoriser les indicateurs financiers ? Dans le monde qui s’annonce, nous avons besoin d’elle pour (ré) intégrer les externalités négatives et positives au cœur des valorisations d’entreprises.

Les départements achat ont déjà comprimé tous les coûts, partout. Exiger d’eux qu’ils rajoutent à leurs fournisseurs des exigences sur le carbone, sans repenser le rôle de la coopération à long terme, cela ne passera pas.

La relation avec des fournisseurs se résume-t-elle à une négociation tarifaire ? Dans le monde qui s’annonce, nous avons besoin d’une coopération sous forme de cocréation, pour trouver des solutions sur des chaînes de valeur trop fragmentées.

Les opérationnels, sur le terrain, sont fatigués d’exécuter des décisions qui tombent (trop souvent !) d’en haut. Leur suggérer de prendre en plus des initiatives locales pour la planète sans repenser le rôle des territoires, cela ne passera pas.

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Dans l’intérim, une baisse significative des discriminations à nuancer

C’est ce que l’association SOS-Racisme appelle un « testing inversé ». L’objectif : déterminer si les agences d’intérim acceptent ou non de discriminer en raison de l’origine des candidats à la demande du client. La méthode : appeler les sociétés spécialisées dans le travail temporaire en se faisant passer pour l’employé d’une entreprise fictive à la recherche de travailleurs intérimaires dans les secteurs du bâtiment et de l’hôtellerie. Cette opération a été menée auprès de 152 agences appartenant aux dix principales enseignes réparties sur le territoire métropolitain, entre octobre et décembre 2023. Publiée mardi 12 mars, elle révèle que 14 % des agences acceptent de discriminer. Elles étaient 39 % en 2021. Un net recul en seulement deux ans. Du moins à première vue.

Une analyse détaillée des résultats modère en partie cette conclusion. En effet, le pourcentage double, et atteint 28 % lorsqu’il y a « complicité de discrimination ». L’agence refuse alors de pratiquer elle-même une sélection discriminatoire, mais indique spontanément au client qu’il pourra procéder à cette sélection à la réception des CV. Elles étaient 6 %, en 2021, lors de l’étude menée sur le même principe auprès de 69 agences franciliennes appartenant à neuf enseignes. L’acceptation directe diminue, mais les comportements « complices », eux, augmentent. « Cela indique qu’il y a une meilleure connaissance de ces problématiques, les gens savent que c’est mal, et surtout, que c’est illégal, analyse le président de SOS-Racisme, Dominique Sopo. Ils se montrent plus prudents. »

En 2021, 45 % des agences acceptaient de discriminer, ou le suggéraient spontanément à ses potentiels clients (respectivement 39 et 6 %). En 2023, elles sont 28 % (14 et 14 %). Une baisse globale dont M. Sopo se félicite, mais qu’il tempère : « Si le refus de participer soi-même, directement et ouvertement, à une action discriminatoire est plus marqué, en revanche, la complaisance envers des pratiques discriminatoires reste préoccupante. » Les comportements jugés « complaisants » sont un nouveau critère introduit dans l’étude publiée mardi : le client indique qu’il pratiquera une discrimination, mais l’agence ne refuse pas de travailler avec lui.

C’est le cas de cette employée d’une agence du Bas-Rhin (Alsace). Face à la demande persistante de la cliente potentielle fictive de présenter à ses patrons exclusivement des candidats dits « européens », la jeune femme refuse sans détour, mais elle n’écarte pas une future collaboration. « On ne recrute pas de profils, on recrute des compétences. (…) Que la personne soit étrangère ou non. (…) On va transmettre des CV en fonction des compétences. (…) A eux [les supérieurs hiérarchiques de la personne qui appelle] de voir de quelles compétences ils ont besoin (…) », élude-t-elle. L’employée ne s’en sort pas si mal, mais SOS-Racisme espère des réponses plus engagées.

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Penser la transition comme un bien commun

Gouvernance. La protestation des agriculteurs contre la dégradation de leurs conditions de vie ralentira-t-elle la transition écologique que beaucoup considèrent, par ailleurs, comme indispensable pour assurer l’avenir de nos sociétés ? Après des années d’une image largement positive, l’écologie est soudain apparue aux yeux du public non plus comme un incontestable « camp du bien », mais parfois aussi comme un système dogmatique, imposant des obligations de conduite confuses ou contradictoires.

En dénonçant la politique qui encadre la production agricole par des normes toujours plus nombreuses et pointilleuses, les agriculteurs ont voulu montrer du doigt ce qu’ils considèrent comme une dérive bureaucratique étranglant leur activité par ignorance de sa réalité. A l’opposé, ceux qui s’inquiètent de la lenteur avec laquelle la transition écologique se déploie malgré l’urgence désespèrent du nouveau retard qu’elle prendrait si les normes de production agricole qu’ils estiment indispensables ne sont pas maintenues.

Il serait faux de croire que l’apparition d’un tel clivage est une conséquence de la crise actuelle. En fait, il en est l’origine.

Dès lors qu’on oppose ceux qui sont impliqués dans la production au quotidien à ceux qui anticipent une autre façon de produire, on rate ce qui est le propre d’une transition, qu’elle soit écologique ou autre : accompagner la convergence, dans un horizon raisonnable, entre les impératifs du présent et leurs nécessaires transformations à venir.

Plus la polarisation des acteurs, selon l’une ou l’autre de ces temporalités, est forte, plus l’incompréhension et le refus de coopération s’installent, chacun considérant l’autre partie comme incapable de comprendre « les enjeux réels ».

La scission s’autoalimente entre, d’un côté, ceux qui produisent et considèrent que, dans le court terme, on ne peut pas faire différemment, toute régulation étant vue comme une contrainte irresponsable ; et, de l’autre, ceux qui rabattent brutalement le moyen terme sur le présent en prétextant qu’il est urgent de forcer la résistance au changement quitte à imposer des règles décorrélées de la réalité actuelle.

Les trois conditions d’une transition réussie

Quand ces positions sont campées, aucune transition n’est plus possible. A contrario, trois conditions sont favorables pour la mener à bien.

Première condition : penser la transition comme un bien commun. Entre ceux qui produisent aujourd’hui et ceux qui préparent l’avenir, une convergence de vue a priori doit émerger sur la nécessité et l’ampleur de la transition à opérer. Cela permet de clarifier en quoi la nouvelle manière de produire sera meilleure pour tous.

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Télétravail : plus de la moitié des cadres ne veulent pas de retour en arrière

Le télétravail s’est désormais imposé dans la vie des cadres. Dans sa dernière enquête, publiée mardi 12 mars, l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) révèle en effet que les deux tiers d’entre eux ont pris l’habitude de travailler régulièrement depuis leur domicile, soit au moins un jour par semaine et plus de deux jours pour un quart d’entre eux.

« On aurait pu penser qu’au fil du temps nous assisterions à un mouvement de reflux, et bien pas du tout, c’est le contraire qui se produit », souligne Gilles Gateau, directeur général de l’APEC. A ce jour, 67 % des cadres déclarent désormais travailler à distance contre 63 % en 2021. « La pratique continue à se diffuser, pas tant dans les grandes entreprises, où elle est déjà très élevée, mais dans les TPE et les PME », ajoute-t-il.

Au-delà de cet ancrage, l’étude valide une autre tendance : pour plus de la moitié des cadres, le télétravail n’est plus une simple option mais un « acquis ». Ainsi, 7 télétravailleurs cadres sur 10 seraient mécontents si leur entreprise supprimait l’accès à ce mode d’organisation ou diminuait le nombre de jours auxquels ils y ont recours.

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Pour 45 % d’entre eux, une telle décision les encouragerait même à changer de société. « Pour les entreprises, c’est un élément d’attractivité qu’elles doivent sérieusement prendre en compte », poursuit M. Gateau. Une telle adhésion se justifie en premier lieu par le gain de temps qu’il permet sur les trajets, par la possibilité de travailler au calme, d’avoir plus de flexibilité dans la gestion des horaires et des imprévus.

Un intérêt pour les salariés et les entreprises

« Les femmes sont également plus nombreuses à vouloir télétravailler davantage », relève Gabrielle Schütz, maîtresse de conférences à l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle avance deux raisons majeures : « D’une part, la charge domestique repose plus sur elles et elles ont besoin de plus de flexibilité dans leurs horaires, d’autre part, et on le dit moins mais c’est très important, elles ont en général moins de liberté sur leur lieu de travail que les hommes, elles peuvent moins s’absenter et modifier leurs horaires, y compris parmi les cadres », insiste-t-elle.

Présenter le télétravail comme le seul fait des salariés reviendrait cependant à donner une vision partielle de la situation. « Beaucoup d’entreprises ont utilisé le télétravail pour déménager plus loin ou réduire leur surface immobilière en misant sur le flex office », insiste la chercheuse, de sorte que, bien souvent, « les salariés s’ils veulent venir sur site ne voient plus leurs collègues ».

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Les Européens trouvent un accord pour mieux protéger les travailleurs des plates-formes

Laborieusement, les Européens sont enfin parvenus, lundi 11 mars, à s’entendre sur le sort des travailleurs des plates-formes numériques, comme Uber ou Deliveroo. Il aura fallu plus de deux ans de négociations pour qu’une majorité qualifiée de quinze Etats membres, représentant 65 % de la population du Vieux Continent, soutienne un texte qui oblige désormais les Vingt-sept à créer une présomption légale et réfutable de salariat dans leurs droits respectifs, en les laissant libres d’en définir les conditions.

Le vote formel aura lieu dans quelques jours mais les ministres des affaires sociales, qui se réunissaient lundi à Bruxelles, ont, à cette occasion, exprimé leur position, et son issue ne fait plus de doute.

Avec l’essor des plates-formes, les Européens souhaitaient harmoniser et améliorer les conditions de travail d’un secteur peu régulé qui emploie aujourd’hui 28 millions de personnes – en 2025, ils devraient être 43 millions – et les fait travailler, dans 90 % des cas, avec le statut d’indépendant sans que celui-ci soit toujours justifié.

Passage au salariat

Selon la Commission, aujourd’hui, 5,5 millions de chauffeurs et autres livreurs répertoriés non salariés devraient en réalité l’être, au vu de la relation de subordination qui les attache à leur employeur, et accéder ainsi aux droits afférents en termes de salaire, de congés, d’assurance-maladie ou encore de droits à la retraite et au chômage.

En décembre 2021, la Commission avait proposé de créer une présomption de salariat dès lors que certains des critères qu’elle avait retenus (niveau de rémunération, supervision à distance des prestations, horaires imposés, obligation d’accepter une mission, port d’un uniforme ou encore interdiction de travailler pour une autre entreprise) étaient remplis.

Lire aussi la chronique du juriste Francis Kessler Article réservé à nos abonnés « L’Union européenne se penche sur le statut des travailleurs des plates-formes »

Mais les deux colégislateurs – le Parlement européen et les Etats membres – ne sont pas parvenus à s’entendre sur cette logique. Les eurodéputés souhaitaient assouplir les conditions de la présomption de salariat par rapport à ce que prévoyait l’exécutif communautaire quand les Vingt-sept voulaient les durcir.

La Belgique, l’Espagne ou les Pays Bas, où les indépendants sont nombreux et où les contentieux en justice sur ce sujet ont bondi, étaient favorables à la proposition de la Commission. L’Allemagne, faute d’un accord entre les partenaires de la coalition d’Olaf Scholz, avait prévenu qu’elle s’abstiendrait, rendant plus difficile l’obtention d’une majorité qualifiée parmi les Etats membres.

Paris, isolé

Quant à la France, qui est le pays européen où il y a le plus de plates-formes, elle défendait un dispositif sur le modèle de ce qu’elle fait à domicile : la revalorisation des droits des indépendants plus que la requalification de leur contrat de travail, alors que le statut de salarié dans l’Hexagone est relativement rigide. Paris a finalement accepté la logique d’une présomption de salariat, mais a, en contrepartie, exigé des critères plus stricts que ceux de la Commission.

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