Archive dans 2024

Durée du travail : les cadres lèvent le pied

Soixante-trois pour cent des cadres déclarent travailler plus de quarante heures par semaine en 2024, contre 71 % en 2023 ; et 25 % disent passer plus de quarante-cinq heures par semaine au bureau en 2024, contre 33 % l’année précédente. Tels sont les principaux résultats de l’édition 2024 du baromètre CGT-Ugict sur les cadres publié le 21 octobre, découlant du sondage Viavoice réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 1 000 salariés relevant de cette catégorie.

Secrétaire adjointe de l’Ugict (section des cadres et des techniciens de la CGT), Agathe Le Berder impute cette baisse du nombre d’heures travaillées à l’entrée dans la vie active d’une nouvelle génération de diplômés : « Leur aspiration à la réduction du temps de travail, à un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle est plus forte que chez leurs aînés. »

Question de génération sans doute, mais ce décalage peut aussi tenir au fait que « les cadres juniors ont par définition moins de responsabilités. Ce qui peut se répercuter sur la charge de travail qui leur est affectée », nuancent Lucie Goussard et Guillaume Tiffon, respectivement maîtresse de conférences et professeur de sociologie à l’université d’Evry Paris-Saclay et spécialistes du monde du travail.

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Par ailleurs, le baromètre 2024 relève que 82 % des cadres déclarent faire des heures supplémentaires, et 51 % le font régulièrement. Pour 58 % des répondants concernés, ces heures ne sont ni récupérées, ni rémunérées. Selon l’Ugict, ce manquement découlerait d’un recours croissant au forfait en jours, dans lequel les heures ne sont pas comptées. Ce système remplace en effet le décompte des heures de travail par une rémunération à la journée, sur la base d’un nombre de jours travaillés par an fixés dans un forfait.

Une réalité plus subtile

Les heures n’étant plus décomptées, dans une journée, les cadres peuvent ainsi être amenés à travailler sans limite ou presque. Seule la période de onze heures de repos fixée par le code du travail entre deux journées travaillées les protège en théorie. Autre garde-fou, « la jurisprudence, qui précise que le forfait en jours doit tenir compte de la charge de travail. Mais l’encadrement de ce dispositif demeure insuffisant, alors même qu’il favorise le surtravail des cadres », signale Agathe Le Berder.

Et de s’inquiéter que le forfait en jours, qui concerne 41 % de l’ensemble des cadres dans l’édition 2024 du baromètre, touche 45 % des 25-34 ans, ce qui laisse à penser qu’il s’étend. D’où un sentiment d’injustice relevé par le baromètre : parmi les cadres qui estiment que leur rémunération n’est pas en adéquation avec leur charge de travail, 58 % sont au forfait en jours. Reste à savoir si les salariés concernés subissent ou s’accommodent de cette surcharge. Pour la CGT-Ugict, ils n’ont guère le choix s’ils veulent être recrutés et progresser dans leur carrière.

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Les porteurs de la presse en région, une activité en voie de vieillissement

Stéphane Gaudin, porteur de journaux dans la région de Dinan (Côtes-d’Armor), lors de sa tournée, le 9 octobre.

Les tubes s’enchaînent sur les ondes de Radio Décibel dans le silence de la nuit. « J’aime mieux écouter ça que les gens qui parlent tout le temps », commente Stéphane Gaudin au volant de sa Peugeot 206 fatiguée. L’horloge a sonné 4 heures et dans les rues peu éclairées de Dinan (Côtes-d’Armor), le conducteur s’arrête. Il attrape un exemplaire d’Ouest-France sur le siège passager, saute de sa voiture et dépose le journal dans une boîte aux lettres. Il remonte, valide l’opération sur son téléphone et repart pour s’arrêter une dizaine de mètres plus loin. « Quand je peux, je me gare juste devant la boîte aux lettres, comme ça, je n’ai qu’à tendre le bras. Je suis un fainéant, moi », s’esclaffe le sexagénaire emmitouflé dans une veste jaune fluo. Ce mercredi matin, il a cent soixante-cinq exemplaires à distribuer.

Depuis dix-sept ans, Stéphane Gaudin répète toutes les nuits, entre ville et campagne, le même ballet qui lui prend de deux à cinq heures. Il travaille sept jours sur sept, pour un salaire calculé au nombre d’exemplaires distribués, mais également au poids de ceux-ci (les plus lourds sont payés plus cher), soit un peu moins que le smic. Après avoir abandonné en 2007 son métier de facteur, Stéphane Gaudin avait laissé ses coordonnées à l’­entreprise bretonne de distribution de presse Guillemer. Il a été rappelé le jour même, pour entamer une nouvelle carrière : apporter aux abonnés leur quotidien régional ou national, comme Le Monde, l’hebdo local ou les programmes télé, avant le petit déjeuner.

« On doit avoir tout terminé à 7 h 30 », ajoute ce fervent lecteur, par ailleurs bénévole dans la bibliothèque de sa commune. Au total, neuf mille exemplaires sortent chaque jour du site dinannais, pris en charge par vingt à vingt-cinq employés. « C’est assez difficile de recruter », reconnaît le responsable du dépôt, Erick Le Bourhis, en soulignant que porteur de presse est « avant tout un métier d’appoint ». Stéphane Gaudin a lui-même longtemps exercé comme veilleur de nuit en amont de ses tournées, pour pouvoir joindre les deux bouts.

Une faible rémunération

Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales, datant de 2014, dénombrait une dizaine de milliers de porteurs en France dont 48,2 % étaient âgés de plus de 50 ans et 18 % étaient des retraités. La rémunération moyenne plafonnait à 429 euros net mensuels, avec des conditions variant beaucoup d’un employeur à l’autre. Marie-Louise Schaguené ne gagne, elle, que 250 euros par mois. « Mais, avec ma retraite de 700 euros, je n’irais pas loin sans ce petit ­complément », témoigne la porteuse de 72 ans, dont dix-neuf à effectuer la livraison des journaux dans une commune alsacienne.

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Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, économistes : « Le projet de limiter le bénéfice des exonérations aux emplois rémunérés en dessous de trois fois le smic n’est ni juste ni efficace »

Dans les débats actuels autour de la réduction du déficit, la diminution des exonérations de cotisations sociales accordées aux employeurs occupe une place centrale, et pour une bonne raison : ce dispositif représentera en 2024 un effort de près de 80 milliards d’euros. C’est plus que le budget consacré à l’éducation nationale.

Bien que la réforme proposée dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) vise à atteindre un double objectif – réaliser des économies et améliorer la mobilité salariale –, la proposition actuelle est mal calibrée et présente un risque inutile pour l’emploi.

Dans les années 1990 et 2000, les exonérations de cotisations employeur ont atténué la hausse du coût du travail provoquée par les augmentations du smic et le passage à la semaine de 35 heures. Elles étaient fortement concentrées autour du niveau du smic, où le coût du travail avait le plus d’impact direct sur l’emploi, notamment pour les travailleurs peu qualifiés.

En 2012, avec l’introduction du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du pacte de responsabilité, les exonérations ont été étendues, réduisant les cotisations patronales à presque zéro pour les emplois au smic et étendant ses bénéfices aux salaires allant jusqu’à 3,5 fois le smic. En conséquence, le coût de ces exonérations a doublé en une décennie.

Plusieurs limites

Parallèlement, les gouvernements successifs ont introduit des aides financières pour les personnes qui travaillent au voisinage du smic afin que l’emploi paye plus que le non-emploi. Tout d’abord sous la forme de crédit d’impôt (la prime pour l’emploi), ensuite complétée à la fin des années 2008 par le RSA activité, et le tout remplacé en 2015 par la prime d’activité, renforcée en 2019.

Cette prime, qui dépend du niveau de revenu et de la situation familiale, permet de compenser en partie les pertes d’allocations diverses lorsque le salaire augmente. Elle représente désormais près de 250 euros pour une personne seule sans enfant travaillant à temps plein au smic. Mais au-delà du salaire minimum, elle décroît rapidement et s’annule autour de 1,4 fois le smic. Son coût avoisine désormais les 11 milliards.

Ce système massivement redistributif a permis la création de centaines de milliers d’emplois, contribuant ainsi au reflux du chômage, tout en réduisant la pauvreté laborieuse.

Mais il souffre de plusieurs limites. En plus d’être devenu extrêmement coûteux, les effets sur l’emploi sont probablement négligeables au-delà de deux fois le smic, niveau auquel le coût du travail n’est plus un frein à la création d’emploi. Ce système induit aussi des taux marginaux d’imposition très élevés au-delà du smic, susceptibles de freiner la mobilité salariale. Lorsque le salaire augmente, non seulement le taux de cotisation des employeurs augmente rapidement, mais la prime d’activité diminue en parallèle.

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Chômage : le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A quasiment stable au troisième trimestre

A l’intérieur d’une agence France Travail à Dammarie-lès-Lys, le 23 avril 2024.

Le nombre de chômeurs inscrits à France Travail en catégorie A (sans activité) est resté quasi stable (+ 0,2 %) au troisième trimestre en France (hors Mayotte) : 3,021 millions de personnes, soit 5 200 inscrits en plus, selon les chiffres publiés vendredi 25 octobre par le ministère du travail.

En incluant l’activité réduite (catégories B et C), le nombre de demandeurs d’emplois s’établit à 5,4 millions. Il augmente de 0,2 % au troisième trimestre par rapport au trimestre précédent et de 0,8 % sur un an, selon la direction des statistiques du ministère du travail (Dares). Au deuxième trimestre, le nombre de chômeurs en catégorie A avait reculé de 0,4 %. Il est stable sur un an au troisième trimestre.

Pour la seule France métropolitaine, le chômage progresse chez les hommes (+ 0,4 %) et reste stable chez les femmes. Ce nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A diminue de 0,9 % pour les moins de 25 ans (+ 0,9 % sur un an), augmente de 0,1 % pour ceux âgés de 25 à 49 ans (− 0,2 % sur un an) et de 0,8 % pour les 50 ans ou plus (+ 0,3 % sur un an).

Sur le front du chômage de longue durée, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits depuis un an ou plus (en catégorie A, B, C) augmente de 0,4 % au troisième trimestre (+ 1 % sur un an). Leur part est de 43,9 %. Les entrées à France Travail dans ces mêmes catégories pour cause de licenciement économique augmentent de 5,7 %.

Le Monde avec AFP

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« Un pas décisif vers une réparation plus juste des risques professionnels »

On n’en a jamais été aussi près ! Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2025, adressé au Parlement le 10 octobre après son adoption en conseil des ministres, comporte en son article 24 une amélioration notable des principes fondamentaux de l’antique loi de 1898 sur l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP).

Selon ce nouveau texte, leur réparation forfaitaire et automatique devrait désormais comprendre, outre la part traditionnelle du préjudice professionnel – perte de capacité de gains et incidence professionnelle – une part dite « fonctionnelle ». Celle-ci, appelée en droit commun « déficit fonctionnel permanent », ou DFP, comprend les atteintes physiologiques et psychologiques, les troubles dans les conditions de l’existence et les souffrances endurées. Si la part professionnelle est fonction du salaire, ce n’est pas le cas de la part fonctionnelle.

Dans le dispositif prévu par l’article 24 du PLFSS, la réparation forfaitaire et automatique, sans faute de l’employeur, reste le pivot du système. Mais le fait qu’une partie du DFP soit indemnisée en plus du préjudice professionnel constitue une réelle amélioration du sort des victimes.

Un moyen de contournement

Cette avancée significative est le résultat d’une jurisprudence obtenue de haute lutte par les victimes de l’amiante. Le 20 janvier 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a estimé que la rente AT-MP versée aux victimes en cas de faute inexcusable de l’employeur (FIE) ne comprenait que la part professionnelle des préjudices et que, par conséquent, la part fonctionnelle devait être indemnisée en plus.

L’application de cette décision a entraîné une augmentation conséquente du montant de l’indemnisation décidée par les pôles sociaux des tribunaux judiciaires. De son côté, le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) a dû augmenter son budget des près de 50 millions d’euros pour intégrer cette évolution.

Le 15 mai de la même année, un accord national interprofessionnel (ANI) signé à l’unanimité des organisations syndicales a souhaité faire bénéficier de cette avancée judiciaire l’ensemble des victimes, et pas seulement celles engageant une procédure en faute inexcusable contre leur employeur. Mais cet accord, à la rédaction très ambiguë, a été plutôt perçu par les professionnels du droit de la réparation et par les associations de victimes comme un moyen de contourner la jurisprudence du 20 janvier 2023.

L’affaire a pris un tour plus politique lorsque le gouvernement de l’époque a souhaité traduire cet accord dans la loi. L’article 39 du PLFSS 2024 a provoqué la colère des associations de victimes, car il était clair qu’il constituait un marché de dupes. Il n’améliorait qu’à la marge l’indemnisation forfaitaire et, pis, en cas de FIE, les victimes les plus gravement atteintes, comme le sont les malades de cancers professionnels en général et ceux dus à l’amiante en particulier, voyaient leur indemnisation notablement réduite par rapport à ce qu’elles étaient en droit d’obtenir après les arrêts du 20 janvier 2023. Inacceptable.

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« A l’instar de la productivité ou du taux d’épargne, l’indicateur de l’intérim est déréglé depuis 2019 »

Pour connaître le temps qu’il fera demain sur le marché du travail, l’intérim a longtemps fait figure de baromètre. Une hausse des embauches d’intérimaires annonçait grand soleil sur l’emploi, en général perceptible dès le trimestre suivant. A contrario, une décrue du travail temporaire augurait de lendemains plus difficiles.

A l’instar de la productivité ou du taux d’épargne, cet indicateur semble cependant connaître quelques dérèglements depuis 2019, avant les crises liées au Covid-19 et à l’inflation : en près de cinq ans, l’emploi intérimaire a globalement baissé alors que tous les grands secteurs économiques ont vu leurs effectifs augmenter.

Vladimir Passeron, chef du département de l’emploi et des revenus d’activité à l’Insee, estime même que cette décorrélation est en marche depuis plus d’une décennie. « Le lien entre les fluctuations de l’intérim et celles de l’emploi privé s’est affaibli au fil du temps et n’est plus significatif depuis les années 2010 », estime-t-il. Le cas de l’industrie, par exemple, est emblématique : alors que le secteur a vu ses effectifs augmenter de 85 000 emplois entre 2019 et 2024, les postes intérimaires sont en repli de 22 800 postes sur la même période.

Essor de l’apprentissage

L’intérim « ne profite jamais des crises », rappelle d’emblée Isabelle Eynaud-Chevalier, secrétaire générale de Prism’emploi, qui représente la branche du travail temporaire, soulignant que le phénomène s’est amplifié depuis l’épidémie de Covid. Et ce pour une excellente raison : une entreprise ne peut recourir au travail temporaire que si elle peut justifier une croissance ponctuelle de son activité. Et non pour parer à un éventuel risque de « coup de mou » en limitant le recrutement de personnel. Cela explique le recul de l’intérim dans trois secteurs qui en sont habituellement friands : l’automobile, le BTP et la logistique.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés L’emploi intérimaire en France traverse une mauvaise passe

L’inflation, qui a induit une forte hausse des coûts de production des entreprises, a aussi joué un rôle. Un salarié intérimaire coûte plus cher qu’un salarié en CDD ou CDI, en raison du coût de sa protection sociale et de l’indemnité compensatrice de congés payés de 10 % – au total, plus de 20 % qu’un salarié rémunéré au smic. Trop cher pour certains secteurs qui serrent les coûts au maximum, comme celui de la propreté. La faiblesse de la croissance économique et les perspectives incertaines plaident également en ce sens, incitant les employeurs à privilégier une main-d’œuvre moins chère.

Mais, observe Denis Ferrand, directeur général de l’institut Rexecode, le déclin de l’intérim est peut-être aussi lié à des changements plus structurels. L’essor sans précédent de l’apprentissage, notamment, qui concerne désormais un million de salariés, a bousculé l’ordre ancien. Depuis fin 2019, les emplois créés ont été d’abord des CDI, puis des contrats d’alternance, au détriment des CDD et des intérimaires.

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Stéphanie Roza, philosophe : « Les travailleurs font face à des formes d’aliénation renouvelées »

La philosophe Stéphanie Roza, autrice de Marx contre les Gafam. Le travail aliéné à l’heure du numérique (PUF, 256 pages, 19 euros), souligne que l’individu a une aspiration naturelle à l’épanouissement par le travail et qu’il a, par sa capacité d’action, la possibilité de sortir de l’aliénation.

Vous rappelez en début d’ouvrage la place centrale du travail pour l’homme en soulignant, avec Marx (1818-1883), qu’il permet de se réaliser en tant qu’humain…

Marx a développé une anthropologie du travail, portant l’idée que l’homme devient humain par le travail. C’est le cas tout d’abord sur le plan collectif : le philosophe allemand rappelle que l’humanité s’est détachée du règne animal par le travail, en adaptant son environnement à ses propres besoins. A partir de cette culture de production a pu s’édifier progressivement une culture idéologique, esthétique ou encore politique, constitutive d’un monde proprement humain.

L’anthropologie du travail se décline également sur le plan individuel. Ainsi, chaque humain s’« autoproduit » tout au long de sa vie, notamment en apprenant un métier. Pour ce faire, il s’approprie des caractéristiques culturelles propres à l’espèce – des techniques artisanales par exemple – et les restitue dans le travail.

Dans le même temps, il apporte une touche plus personnelle dans la réalisation de son ouvrage. Il laisse ainsi sa marque sur le monde à travers son travail. Marx estime donc qu’il y a là une forme d’autoréalisation essentielle dans une vie humaine. Elle implique, toutefois, une situation idéale de travail libre.

Les contraintes subies par les hommes dans l’exercice de leur travail les privent-elles de cette possibilité d’autoréalisation ?

La philosophie marxiste est une critique du travail aliéné, un travail qui ne permet pas en effet d’atteindre, pour les travailleurs, l’objectif que nous venons d’évoquer. Cette aliénation est toujours présente aujourd’hui, même si ses formes ont évolué. Au XIXe siècle, lorsque Marx développe sa pensée, le travail en usine détruit physiquement, les contraintes sont extrêmes, l’homme est dépossédé de son temps de travail et de ses capacités propres.

Aujourd’hui, les conditions physiques de travail se sont améliorées pour de nombreux travailleurs – même si elles restent très éprouvantes dans certains pays pour nombre d’entre eux. Mais des formes d’aliénation perdurent, sous une forme renouvelée, par exemple dans le lien étroit à la machine.

Les « microtravailleurs » indépendants effectuant des tâches à l’unité pour les plateformes numériques sont ainsi astreints au rythme de la machine et dépendent des commandes de la plateforme. De nouvelles formes d’aliénation, de nature psychique, sont aussi apparues à mesure que le capitalisme se développait, jusqu’à devenir, aujourd’hui, hégémoniques.

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Innover au plus près des salariés et avec leur participation

Qu’est devenue l’innovation dans les entreprises ? Les start-up y participent-elles toujours ? Une dizaine de responsables des ressources humaines se sont retrouvés le 15 octobre à Paris pour répondre à ces questions, dans le cadre des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité des ressources humaines organisé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup Talent Solutions et Malakoff Humanis.

Après un rappel des différentes missions de l’innovation au sein de la fonction RH par Jean-Marie Peretti, professeur titulaire de la chaire Essec Changement et de la chaire Innovation managériale et excellence opérationnelle, de l’Essec Business School, les invités ont constaté, à travers leurs échanges, un retour de l’innovation au plus près du terrain avec un effet d’entraînement pour l’ensemble de l’entreprise. Ces dernières années, « les incubateurs de start-up sont moins mis en avant par les grands groupes et les pratiques deviennent de plus en plus collaboratives », résume Jean-Marie Peretti.

Pour le professeur en sciences de gestion, la fonction RH est extrêmement innovante sur quatre piliers : dans sa partie administrative pour intégrer l’intelligence artificielle ; en termes de mesures, car pour progresser on doit mesurer ; dans son rôle stratégique pour décarboner ; et enfin dans sa mission de conduite du changement. Et « l’on constate que plus la fonction RH est innovante, plus les salariés sont engagés dans l’entreprise », précise Jean-Marie Peretti.

Simplifier l’accès à l’information

Les responsables RH présents ont expliqué comment la conviction que « les bonnes idées viennent du terrain » a guidé leurs innovations récentes pour répondre à des objectifs différents, par exemple pour organiser le développement de carrière des salariés du cabinet d’audit et de conseil Forvis Mazars.

Le mutualiste Malakoff Humanis devait répondre aux problèmes particuliers des salariés : « Le post-Covid avait amené beaucoup de nouvelles problématiques », décrit la directrice prospective RH Valérie Mussard. L’entreprise a préféré simplifier l’accès à l’information plutôt que de créer de nouveaux produits : « On a créé des parcours digitaux avec un accès par “élément de vie”, comme “je suis en télétravail” ou “je viens d’entrer en congé thérapeutique” pour répondre aux questions particulières, avec le niveau de détail choisi par le salarié. »

Pour améliorer l’efficacité opérationnelle, ManpowerGroup Talent Solutions mise sur le fait qu’avec l’intelligence artificielle (IA) la technologie est devenue très accessible à tous sans passer par les services informatiques, mais dans le respect des normes de sécurité. « L’idée est d’intégrer l’esprit start-up sur le terrain avec les salariés plutôt que de faire appel aux start-up », explique Sandrine Saraiva, directrice innovation digitale du cabinet de conseil en recrutement. L’entreprise y ajoute une once d’obligation de résultat ou tout du moins de contrôle : « Ce que chaque collaborateur a produit comme innovation dans l’année est devenu une des questions de l’entretien annuel », précise Sandrine Saraiva.

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