Archive dans 2024

Souveraineté économique : « Il faut passer du changement de langage au changement de comportement »

Pierre-Marie de Berny est le fondateur et dirigeant du cabinet d’intelligence économique Vélite, qui publie pour la quatrième année d’affilée un palmarès de la souveraineté économique, classant les 40 entreprises françaises cotées au CAC 40 en fonction de leur participation à « l’augmentation et à la protection de la puissance économique de la France au bénéfice de l’ensemble de sa population et de ses territoires ». Au-delà du classement lui-même et de ses variations d’une année sur l’autre, les critères retenus et la mise en avant du thème de la souveraineté sont révélateurs du tournant qui pourrait affecter les stratégies des multinationales confrontées à la montée des tensions géopolitiques et à l’« arsenalisation » des outils de la puissance économique dans la confrontation entre blocs politiques rivaux.

A partir de quels critères peut-on « classer » les entreprises sur le sujet de la souveraineté économique ?

Nous avons utilisé 2 000 données regroupées en 62 indicateurs de troisième rang, eux-mêmes classés en 18 indicateurs de second rang, à leur tour classés en 5 indicateurs majeurs. Trois d’entre eux sont « offensifs » – ils mesurent la contribution de l’entreprise à l’augmentation de la puissance économique française : ce sont la force d’innovation technologique (moyens affectés à la R&D, dépôts de brevets, préservation et développement des savoir-faire), la capacité à améliorer ses positions dans les chaînes de valeur stratégiques (conquêtes de marché, acquisitions d’entreprises étrangères, rang mondial sur une activité critique, capacité d’investissement) et, enfin, le rayonnement de la France (réputation à l’international, promotion de la langue française, sponsoring et partenariats).

Lire aussi la tribune | Article réservé à nos abonnés « La France a une relation particulière avec le concept de souveraineté »

Un quatrième est « défensif » – il mesure la capacité de l’entreprise à protéger son indépendance vis-à-vis de l’étranger (géographie de la détention du capital, nationalité du top management, capacité de résistance aux OPA, localisation des activités critiques et des solutions d’hébergement des données).

Le cinquième est « contributif » – il mesure la contribution à la vitalité économique des territoires en France et à la solidarité nationale (création d’emplois, rapports avec les sous-traitants, action sociale). Ainsi, une entreprise sera pénalisée dans le classement si elle diminue ou délocalise ses dépenses de R&D, cède une activité critique à un acheteur étranger, voit sa réputation ternie, augmente la part des dirigeants étrangers à son conseil d’administration ou à son comité exécutif, laisse croître la part de son capital flottant, confie ses données à un hébergeur étranger, diminue la part de ses effectifs en France…

Il vous reste 60.62% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

En Creuse, département le plus âgé de France, le pari du repeuplement

Sur les rives de l’étang des Landes, à Lussat (Creuse), le 20 juillet 2019.

Loin des métropoles et des littoraux surpeuplés, la Creuse se vide petit à petit. Elle compte aujourd’hui 115 700 habitants, dont 30 % affichent plus de 65 printemps, ce qui lui confère le titre peu envié de département le plus âgé de France. Les moins de 25 ans ne forment que 20 % de la population. Beaucoup partent pour faire leurs études, mais peu reviennent ensuite, malgré une qualité de vie vantée par les locaux : des forêts à perte de vue, des lacs, un riche patrimoine historique, et des prix de l’immobilier très attractifs.

La Creuse est le département le moins cher de France, devant l’Indre, selon le courtier Meilleurs Agents. On peut s’y offrir une maison pour 856 euros le mètre carré − à condition d’apprécier le « dans son jus » et de ne pas être trop regardant sur l’isolation, se murmure-t-il. « Le Covid a eu un petit effet, beaucoup de gens sont venus s’installer dans leurs résidences secondaires, note la préfète, Anne Frackowiak-Jacobs. Mais peu sont restés… » Et les prévisions ne sont guère optimistes : en 2040, le département ne comptera plus que 104 000 habitants, selon les projections de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

C’est qu’attirer une population nouvelle sur un territoire, capable de relancer la natalité et d’inverser la courbe démographique, n’est pas qu’une question de prix de l’immobilier. Il faut aussi des emplois, des écoles, des transports rapides et fiables, une offre de loisirs… Or, en matière de transport, la Creuse n’a pas bénéficié de l’« effet TGV » qui a boosté d’autres départements. La ligne POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse), qui dessert seulement La Souterraine, est même réputée pour ses retards dus à un matériel roulant vétuste. La SNCF a promis une amélioration, mais pas avant 2026…

Le recrutement, un exercice de haute voltige

Côté emploi, le tableau n’est guère plus reluisant. Entre 2009 et 2019, le département a perdu 2 700 postes (− 0,6 %), à rebours de la tendance de la région Nouvelle-Aquitaine (+ 0,7 % par an), selon les données de l’Insee. A La Souterraine, le sous-traitant automobile GM&S, longtemps l’un des principaux employeurs du département, a été repris par le groupe GMD, avec moitié moins de salariés. Plus loin dans le temps, l’usine Philips Eclairage à Aubusson a fermé ses portes en 1988, alors qu’elle faisait vivre une bonne partie de la ville, avec ses 570 salariés. Moyennant quoi le secteur public au sens large (administrations, hôpitaux, médico-social…) est devenu le premier employeur local. « Les métiers liés à la formation, à l’éducation sont en baisse, alors que ce qui relève du social et de la santé progresse, décrypte Arnaud Brennetot, professeur de géographie politique à l’université Rouen-Normandie. Le vieillissement génère une activité économique en soi. »

Il vous reste 54.08% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Sciences Po cherche désespérément la bonne direction

Depuis le décès de Richard Descoings, en 2012, l’école traverse une crise de gouvernance. Les deux derniers dirigeants ont été emportés par des scandales et l’établissement est accusé d’être le terreau d’une prétendue culture « woke » après les mobilisations en faveur de la Palestine. Des troubles qui ont dissuadé plusieurs candidats au poste de directeur, dont la désignation doit être officialisée le 20 septembre.

« Le Recrutement ne s’improvise pas » : placer le candidat au centre du jeu

Lorsque l’ancien patron d’Apple, Steve Jobs, présente l’iPod, en 2001, il ne dit pas : « Voici un baladeur muni d’un disque dur de 1,8 pouce offrant une capacité de 5 gigaoctets. » Il explique, en revanche : « Vous allez pouvoir transporter 1 000 chansons dans votre poche. » « D’un côté, une formulation tournée vers le produit, de l’autre une formulation tournée vers le client », résume Nicolas Galita, formateur au sein de l’Ecole du recrutement. Parce que les recruteurs sont aussi des vendeurs, ils doivent, à ses yeux, mettre en valeur les bénéfices concrets d’un changement de poste.

Il vaut ainsi mieux décrire concrètement l’ambiance qui attend la future recrue que de lui expliquer que l’« entreprise est à taille humaine ». Placer les candidats au cœur de son discours : c’est l’une des clés d’un recrutement réussi pour M. Galita, qu’il expose dans son dernier ouvrage, Le Recrutement ne s’improvise pas (Eyrolles).

Au fil des pages, l’auteur décrypte de façon minutieuse les différentes étapes d’un processus de recrutement (prospection, évaluation…). Il insiste sur la nécessité d’une démarche structurée, portée par des connaissances scientifiques.

Pour ce faire, il propose nombre de méthodes. Comment préparer puis mener un entretien structuré comportemental ? Comment définir les critères de recrutement qui seront les plus importants ? Quelles sont les différentes approches de la négociation, lorsque la question de la rémunération et des avantages s’impose dans la discussion ?

Préserver la marque employeur

Des points très pratiques sont faits régulièrement, par exemple sur les techniques de sourcing et l’art d’effectuer les bonnes requêtes sur Internet (le bon usage des guillemets ou des astérisques peut s’avérer précieux). M. Galita détaille également les accroches et relances les plus efficaces pour susciter l’intérêt d’un professionnel que l’on « chasse », mais aussi les questions à éviter en entretien, comme : « Parlez-moi de vous » ou : « Si vous aviez un superpouvoir, lequel choisiriez-vous et pourquoi ? » « Tout ce que cette question mesure, c’est l’habitude d’y répondre », assure-t-il.

Placée au cœur de sa réflexion, la relation avec les candidats doit être soignée. Par respect pour eux, mais aussi dans l’intérêt de l’entreprise recruteuse. Une étape de préqualification téléphonique pourra, par exemple, être réalisée en amont des entretiens, afin de détecter au plus tôt d’éventuels « critères rédhibitoires » (périmètre du poste, salaire, lieu, conditions de travail…). Un gain de temps pour le postulant… et pour le recruteur.

Il vous reste 32.83% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Le dilemme » : est-il immoral de se mettre volontairement au chômage ?

« Je ne veux plus de passager clandestin dans notre système social : il est fait pour protéger les Français, pas pour permettre à certains de vivre à ses crochets », écrivait sur son site notre nouveau premier ministre, Michel Barnier, en 2021, dans un texte qui appelait à « retrouver l’honneur du travail ». Le refrain est familier : « Le choix de ne pas travailler n’est pas pénalisé en France », estimait le député (Renaissance) de Paris Sylvain Maillard sur Franceinfo, en avril. Avant eux, au sein parti Les Républicains (LR), Laurent Wauquiez, , dénonçait, en 2017, les agents de Pôle emploi, qui conseilleraient aux chômeurs de « profiter de la vie ».

Manipulée politiquement, la figure du « chômeur volontaire » est censée incarner un système qui « marche[rait] sur la tête », selon la formule de l’ex-député (Renaissance) de Seine-Maritime Damien Adam, qui s’en prenait pour sa part, en 2017, à « ces chômeurs qui partent en vacances aux Bahamas ». La centralité de ce fantasme dans le débat public demeure, bien qu’il soit largement démenti par la réalité du drame social que représente le chômage (rappelons que le montant de l’indemnité moyenne, en 2023, était de 1 265 euros brut).

Une fois admise sa marginalité réelle, établie par une multitude de recherches, prenons au mot l’idée du chômage volontaire : crée-t-il nécessairement des « passagers clandestins » du système ? Abuse-t-on de la solidarité nationale quand on décide de se mettre au chômage ?

Lire aussi (2021) : Article réservé à nos abonnés Les effets nocifs du chômage sur la santé remis en lumière par une étude

« Absolument pas, répond Yann Gaudin, ancien conseiller Pôle emploi devenu lanceur d’alerte. Parfois, il est urgent de ne pas rester à souffrir en emploi. Un long arrêt maladie qui se termine par un licenciement pour inaptitude est plus coûteux pour la société. »

Légalement, l’entrée au chômage n’est d’ailleurs pas forcément involontaire : une rupture conventionnelle y donne droit, comme une rupture de CDD d’un commun accord. Ce qui est exigé du demandeur d’emploi – le vocable est explicite – est qu’il recherche activement un travail. Mais même le chômeur, n’en déplaise à M. Adam, a le droit de partir en vacances, jusqu’à trente-cinq jours par année civile, l’équivalent des cinq semaines de congés payés d’un salarié. « Là où c’est immoral, c’est lorsqu’on se met au chômage pour prendre des vacances prolongées », estime encore M. Gaudin. Et par vacances, il n’entend pas « repeindre sa maison, par exemple, qui est une forme de travail, pour lequel d’autres peuvent être payés », mais oisiveté.

En France, le « devoir de travailler » est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946. Mais il n’est pas défini juridiquement. Et de quel travail s’agit-il ? Doit-il être nécessairement salarié ?

Il vous reste 64.58% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Santé au travail : « faire parler » les data pour améliorer la prévention

Dans le secteur aérien, certaines compagnies confient de manière épisodique des bracelets connectés à des membres d’équipage volontaires. Les capteurs qu’ils contiennent permettent de suivre avec précision l’enchaînement de leurs phases d’activité et de repos. Grâce aux données collectées, il sera également possible d’analyser leur sommeil durant les nuits suivant une rotation avec décalage horaire.

Avec ces campagnes d’actimétrie, les entreprises du secteur poursuivent un objectif : estimer le plus finement possible le niveau de fatigue des équipes et les risques qui peuvent lui être associés. « Si ce niveau est jugé trop important, nous pourrons faire évoluer la façon dont nous opérons le vol, explique un commandant de bord qui a souhaité garder l’anonymat. Il sera par exemple décidé d’augmenter le temps de repos en escale, de rajouter un pilote dans l’équipage ou encore de changer d’hôtel afin de diminuer le temps de trajet depuis l’aéroport. »

L’exploitation des « data » (données) au service de la santé et de la sécurité des salariés ? C’est déjà une réalité dans le secteur de l’aviation. L’heure est en revanche seulement aux expérimentations dans la plupart des autres secteurs d’activité. Elles laissent entrevoir des applications prometteuses grâce, en particulier, au développement exponentiel des capacités de l’intelligence artificielle (IA). « Dans des environnements dangereux, un système d’IA entraîné avec des données captées à l’occasion d’accidents peut permettre d’anticiper des situations à risque », indique Yann Ferguson, sociologue à l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique.

Autre voie explorée par la recherche : le développement d’équipements de protection individuelle connectés capables d’effectuer des mesures régulières de paramètres physiologiques des salariés (fréquence cardiaque, température corporelle…). Ces solutions permettent de donner l’alerte, en temps réel, en cas de fatigue ou de perte de vigilance du travailleur. De même, grâce à des capteurs, des données biométriques peuvent être analysées lors de certains mouvements ou ports de charge (avec la capacité de prendre en compte le cumul de poids porté) et prévenir l’apparition de troubles musculosquelettiques ou de lésions.

Avec prudence et attention

Autant d’applications qui pourraient s’implanter dans les entreprises dans les années qui viennent. Quelques étapes restent toutefois à franchir pour assurer leur déploiement optimal. « Il y a encore des problèmes de fiabilité », note M. Ferguson. Les systèmes d’aide à la décision vont souvent être paramétrés pour que l’utilisateur ne puisse pas passer à côté d’un risque. Résultat : ils vont parfois générer des “faux positifs”. » Des fausses alertes qui peuvent avoir un coût pour l’entreprise, la prédiction d’un risque d’accident pouvant entraîner l’arrêt de l’activité.

Il vous reste 50.47% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Salaires : légère avancée sur les inégalités femmes-hommes dans le monde

Carnet de bureau. Quand il s’agit de réduire les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, les progrès sont tellement rares qu’ils méritent d’être salués. Dans l’actualisation de son rapport annuel sur l’emploi et les questions sociales 2024 publiée mercredi 4 septembre, l’Organisation internationale du travail (OIT) a en effet annoncé une légère hausse du ratio global du salaire des femmes par rapport à celui des hommes dans le monde. Concrètement, lorsque en 2005 « un homme gagnait un dollar par son travail, une femme ne touchait que 47 cents. En 2024, elle en reçoit 51,8. Ce qui reflète un modeste progrès », commente l’OIT.

Mais c’est « insuffisant », soulignent les auteurs du rapport préparé par le département de statistiques de l’OIT sous la direction de Rafael Diez de Medina. Et cette amélioration n’est pas uniforme. Les avancées sont en effet plus « importantes » en Europe ou en Asie qu’en Afrique, par exemple. Les Européennes toucheraient désormais 61,9 cents (quand un Européen reçoit l’équivalent d’un dollar) contre 53,9 cents en 2005, tandis qu’en Afrique, la part versée aux femmes a reculé sur cette même période de 34,9 à 34,7 cents pour un dollar payé aux hommes.

Quelle que soit la région, on est évidemment encore très loin de l’égalité salariale. Un autre calcul nous rappelle chaque année à l’automne que le sujet avance extrêmement lentement en France. « A partir du 8 novembre à 16 h 48, les femmes travailleront encore gratuitement cette année. Et ce jusqu’à fin décembre », affirme Rebecca Amsellem.

Cette docteure en économie, fondatrice de la newsletter féministe « Les glorieuses », traduit chaque année depuis 2016 l’écart salarial publié par l’office de statistiques européen Eurostat en nombre de jours, puis d’heures pour afficher ce que représente le travail gratuit des femmes. En 2023, avec un écart de salaire de 15,4 %, rapporté aux 251 jours ouvrés, ce sont ainsi 38,6 jours de travail que les femmes ont offerts malgré elles. En 2024, c’est seulement deux jours de moins.

Ségrégations professionnelles

Le calcul des « Glorieuses » a parfois été critiqué car l’écart de 15,4 % est seulement mesuré en équivalent temps plein pour toutes les entreprises de plus de dix salariés, mais pas à postes comparables – le taux descendrait alors à 4 %. « C’est certes une moyenne intersectorielle, mais c’est un symbole fort des inégalités salariales », souligne Mme Amsellem.

De fait, il souligne en creux le rôle des ségrégations professionnelles dans la persistance des inégalités. En France, les secteurs très féminisés de la santé et de l’éducation présentent de bons exemples du lien entre faibles revenus des femmes et répartition genrée des professions.

Il vous reste 22.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Violence, manipulation, relation toxique… La dark romance fascine la jeune génération

L'écrivaine algérienne Sarah Rivens, lors de la 45ème édition du Livre sur la Place, à Nancy, le 9 septembre 2023.

Dans un immense manoir, Elea est retenue contre son gré par Aleksander, un homme d’affaires puissant à la tête d’un réseau de cybercriminels. Elle subit des tortures, dort dans une cage, est presque noyée dans un bain d’eau glacée et se fait poignarder la main. Le tout pour qu’elle révèle ses secrets à son tortionnaire. Pourtant, ces intrigues conduisent à une histoire d’amour passionnée entre les deux protagonistes. Un bon vieux syndrome de Stockholm.

Ce livre intitulé Games Tome 1. Le croque-mitaine (Chatterley), de l’autrice Okéanos S., appartient au genre littéraire de la dark romance. « Des histoires d’amour sombres qui flirtent avec les limites de la morale et de l’interdit, ici romance rime avec violence », peut-on lire sur le site des éditions BMR (Hachette), en guise de définition.

« L’idée est de pousser les curseurs de la passion plus loin avec une figure de masculinité toxique qu’on essaie de sauver malgré elle », décrypte Glenn Tavennec, directeur du label de romans populaires Verso (Seuil). Ces histoires violentes utilisent, selon lui, les « clichés » et la « fascination absolue de l’homme violent et de la femme soumise ». Un schéma qui se répète presque à l’identique dans chaque livre.

Succès commercial

Lectrice assidue, Angélina, 21 ans, parle plutôt d’une attirance pour l’« atmosphère pesante » et le « suspense » des histoires « de mafia et de gang ». Margaux, 21 ans, qui en a lu « une cinquantaine en deux ans », avoue, elle aussi, avoir succombé à « la tension persistante » présente dans les livres.

Et c’est un succès. La célèbre série de trois romans Captive (BMR), de Sarah Rivens, a dépassé le million d’exemplaires vendus en France. Le premier tome de Lakestone (BMR), de la même autrice, a, lui, été vendu plus de 200 000 fois. Ces livres sont relayés partout sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok sous le hashtag #booktok. Dans cette communauté virtuelle de lecteurs, les internautes, des jeunes femmes de 15 à 25 ans pour la grande majorité, partagent leurs avis sur leurs lectures. Et la dark romance n’y échappe pas.

Consciente que ces romans peuvent être lus par un public très jeune, Marie Legrand, directrice des éditions BMR, se défend : « On ne publie que de la dark romance psychologique, c’est-à-dire que le héros manipule et tourmente mentalement l’héroïne. Jamais on ne publiera un livre où il y a des viols ou de l’inceste, par exemple. »

Aucun problème, par contre, pour publier Captive, où l’héroïne, Ella, se fait brûler la main sur une plaque de cuisson par son « possesseur » John, dont elle finira par tomber amoureuse. « C’est gênant, mais ce n’est pas vraiment de la transgression d’interdits », justifie Mme Legrand. Dark romance ou romance sans violence, ces livres sont « forcément dans le rayon adulte », pour éviter que cela « tombe entre les mains d’un public non averti ». Les scènes de sexe, très explicites, « ne doivent pas construire la façon dont les plus jeunes envisagent leurs rapports amoureux », ajoute-t-elle.

Il vous reste 31.7% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

La new romance, ce genre populaire devenu un filon d’or pour l’édition

La romancière Colleen Hoover à la première du film « It Ends With Us » (« Jamais plus », en français), une adaptation de l’un de ses romans, à New York, le 6 août 2024.

Epicées par des scènes érotiques, les histoires fleur bleue entre une oie blanche envoûtée par un homme souvent dingue et parfois violent, mais qui finissent bien, ont pour qualité première de doper les chiffres de l’édition française. Selon la dernière étude de GFK NielsenIQ, ce genre littéraire – appelé la « new romance » – a représenté 1,8 % des livres vendus en 2023, soit 6 millions d’exemplaires. Et un chiffre d’affaires de 75 millions d’euros.

Après un déclin constaté entre 2015 et 2020, ce segment se porte à merveille, puisqu’il a plus que doublé par rapport à 2022. L’offre s’enrichit et trouve son public – aussi bien des adultes que des adolescentes. Une particularité est également à noter dans cette étude : l’extrême concentration de ce marché sur les cent titres les plus populaires.

Au point où cinq autrices, les Françaises C.S. Quill, Emma Green (pseudonyme d’un duo de romancières) et Morgane Moncomble, l’Algérienne Sarah Rivens et l’Américaine Colleen Hoover – qui bénéficient de fans absolues sur les réseaux sociaux – peuvent se targuer d’écouler de 200 000 à plus de 1 million d’exemplaires chacun de leurs ouvrages. Le film Jamais plus, adapté du livre éponyme de Colleen Hoover et sorti le 14 août en salles, devrait d’ailleurs encore relancer les ventes de ce best-seller.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Le marché français du livre sauvé par la romance

« La croissance sera durable », veut croire Arthur de Saint-Vincent, directeur général délégué du principal acteur du marché, Hugo Publishing, filiale extrêmement rentable (avec 10 millions d’euros de bénéfice net en 2023 pour un chiffre d’affaires de 42 millions, selon les comptes déposés au tribunal de commerce de Paris) de la maison d’édition Glénat. Le dirigeant est persuadé que « si l’édition n’édite que pour les catégories socioprofessionnelles les plus élevées et ne s’intéresse qu’à un microcosme, elle mourra dans quelques années ». Hugo Publishing cible, selon lui, « à 95 % un public féminin, qui démarre désormais à 15 ans et non plus à 18 ans, en raison de l’effet conjugué de l’engouement pour la romance sur TikTok et de l’utilisation du Pass culture [300 euros versés aux jeunes à partir de la 6e pour acquérir des biens culturels] ».

Enorme machine marketing

L’énorme machine marketing mise en œuvre par Hugo Publishing se révèle parfaitement huilée, entre le Festival New Romance, événement annuel qui réunit le gratin des autrices mondiales et leurs lectrices les plus assidues – dont la huitième édition se tiendra du 1er au 3 novembre à Lyon –, et surtout, la plate-forme d’écriture Fyctia, qui compte 200 000 adhérentes. C’est dans ce vivier que l’entreprise découvre ses jeunes autrices. Elles continuent d’écrire leur histoire dès qu’elles reçoivent suffisamment de « likes » à chaque fin de chapitre. Un moyen radical de tester les lectrices avant de publier une nouveauté…

Il vous reste 61.28% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Trop de normes tuent la norme

Gouvernance. Une alternative classique, en économie politique, oppose le « laisser-faire » à la réglementation. L’un promeut l’absolue liberté d’action individuelle, quand l’autre contraint les comportements par des standards communs.

C’est une fausse alternative, car, dans la pratique, aucune société, même la plus libérale, ne peut fonctionner sans des règles instaurant les droits et les devoirs, les conditions de fonctionnement des marchés ou des contrats. Le laisser-faire absolu est un mythe et, quand il se réalise, il n’instaure que le règne des mafias et des exactions.

Le véritable dilemme porte moins sur la nécessité des normes collectives que sur leur juste quantité. L’efficacité économique ou sociale liée aux réglementations suit, en effet, une courbe en forme de cloche : au début, grâce aux normes, les relations se fluidifient et deviennent plus efficaces. Les droits sont précisés, l’incertitude est réduite, la confiance s’établit entre les individus, car les règles qui président à l’échange, à l’innovation ou à une rivalité tolérable sont connues.

Application coûteuse

Mais il vient un point à partir duquel l’efficacité des réglementations ralentit, puis stagne : les règles toujours plus pointilleuses pour gérer une même situation se superposent et, inévitablement, se contredisent ; ce qui exige de nouvelles précisions réglementaires qui accroissent encore la complexité de la réglementation. Arrive enfin le moment où son efficacité décroît : plus on réglemente, moins les comportements vont dans le sens espéré.

Car non seulement les normes se contredisent, mais leur application est coûteuse en temps et en moyens. D’où une abstention prudente par peur d’enfreindre le droit. Pire, les contradictions entre les règles encouragent les combines pour y échapper. La lettre tue l’esprit des lois.

Cette courbe en cloche est bien connue par la recherche en gestion. L’absence de processus formalisés en entreprise autorise parfois des initiatives individuelles fécondes, mais elle mène aussi à des défaillances collectives. La standardisation de règles communes est essentielle tant à l’efficacité économique qu’à la justice organisationnelle. Mais trop de procédures détaillant d’innombrables « bonnes pratiques » étouffent la spontanéité et les innovations pour inspirer les désengagements et les opportunismes.

A l’échelle de la société, même courbe en cloche : ainsi, la réglementation écologique est nécessaire, mais son excès devient paralysant ; la protection des libertés civiques est inestimable, mais la prolifération de règles spécifiques les rend inopérantes et favorise, finalement, le non-droit.

Il vous reste 26.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.