Archive dans août 2023

Arrêts maladie : le gouvernement tente de freiner les dépenses, les médecins contestent la méthode

Un bâtiment de l’Assurance-maladie, le 16 juin 2017, à Arras, dans le nord de la France.

Y a-t-il de plus en plus d’arrêts maladie prescrits ? Bon nombre de médecins répondent par l’affirmative. Mais y en a-t-il « trop » ? La question leur semble mal posée, quand bien même elle renvoie au constat chiffré avancé, récemment encore, par l’Assurance-maladie : les dépenses d’indemnités journalières, hors Covid-19, ont bondi de 8,2 % en 2022 pour atteindre 13,5 milliards d’euros (hors maternité) ; une hausse « au-dessus de la dynamique » d’avant la pandémie, a averti l’instance dans son rapport « Charges et produits » divulgué à la fin du mois de juin et qui, comme tous les ans, fixe certaines des tendances qui se retrouveront dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, débattu à l’Assemblée nationale à l’automne.

Cette année, peu de suspense : tailler dans les dépenses de santé, notamment en luttant contre l’augmentation des arrêts maladie, figure parmi les leviers d’économies identifiés pour redresser les comptes publics. Un levier – parmi d’autres – qui, selon les autorités, permettrait de réduire de 250 millions d’euros, en 2024, le déficit de l’Assurance-maladie.

Sauf que l’équation ne convainc pas les médecins libéraux, priés de lutter, à leur échelle, contre la « surprescription » des arrêts maladie : « Se contenter d’un tableau chiffré, c’est passer à côté de l’enjeu véritable », fait valoir Agnès Giannotti, présidente de MG France, premier syndicat de généralistes, en rappelant que trois années de crise sanitaire, suivies d’une relance de l’activité professionnelle ont eu un fort impact sur la santé des Français. « En demandant aux collègues supposés “trop” prescripteurs d’en faire “moins”, on veut casser le thermomètre, dit-elle, mais ça ne fera pas disparaître le mal. Si les statistiques s’emballent, c’est qu’il y a des raisons ! »

« Je n’ai pas de baguette magique »

Un discours qui résonne fort sur le terrain. « Les autorités invoquent des chiffres, des dépenses, le budget, alors que l’on parle, nous, de patients, de souffrance, de soins… On frise le dialogue de sourds », souligne le docteur D., récemment installé dans la métropole lyonnaise – il a requis l’anonymat, comme tous les médecins ayant accepté de témoigner.

Ce jeune généraliste est, depuis peu, concerné par une procédure dite de « mise sous objectif » : sa caisse primaire l’a contacté, en juin, pour lui notifier un objectif de diminution de ses prescriptions d’arrêt maladie, dont le nombre a été jugé supérieur à celui de médecins exerçant dans des conditions comparables. Un « correctif » à concrétiser sur six mois – entre septembre 2023 et février 2024 –, sauf à s’exposer à une amende. Une « douche froide », dit-il.

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Le gouvernement à l’offensive contre les arrêts de travail « de complaisance »

Voilà un thème rêvé pour communiquer à la fois sur le sérieux budgétaire et la lutte contre les fraudes. Alors que les dépenses liées aux arrêts de travail s’envolent à un rythme de plus en plus soutenu, le gouvernement cherche à contrer cette évolution, qui pèse sur les comptes de la Caisse nationale de l’assurance-maladie (CNAM). A plusieurs reprises, depuis la fin du mois de mai, les ministres représentant Bercy ont exprimé leur volonté d’agir, à travers des mesures qui, depuis, ont commencé à être mises en œuvre, tandis que d’autres sont envisagées dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale de 2024, dont l’examen au Parlement est prévu à l’automne.

Les chiffres donnent un aperçu du phénomène. En 2022, les indemnités journalières versées à des individus ayant interrompu leur activité pour une raison de santé ou du fait d’une maternité se sont accrues de 8,2 % en un an, atteignant un peu plus de 14 milliards d’euros, selon un rapport publié fin juin par la CNAM. Si l’on tient compte des coûts liés à la prise en charge des femmes et des hommes atteints par le Covid-19, la facture atteint près de 15,8 milliards d’euros (+ 13,9 % par rapport à 2021).

Comme le relève l’Assurance-maladie, cette situation n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans des « tendances de fond » observées « au cours de la dernière décennie ». Mais la « dynamique » s’avère plus puissante depuis la fin de la crise sanitaire : les montants indemnisés ont progressé de 5,5 % par an en moyenne entre 2019 et 2022 contre 2,3 % de 2010 à 2019.

Lire aussi la chronique : Article réservé à nos abonnés Un salarié sur deux a été en arrêt maladie en 2022

Quelle est l’origine d’un tel emballement ? L’exécutif a beaucoup insisté sur les abus qui sont commis. « Ce qui est totalement anormal et même révoltant, c’est qu’il y a des gens (…) qui sont en arrêt maladie alors qu’ils ne sont pas malades », a déclaré Bruno Le Maire, le 20 juin sur France 2. Pour le ministre de l’économie, ces pratiques « pénalisent » les personnes qui cessent momentanément de travailler pour « de bonnes raisons » mais aussi notre système de protection sociale et « la nation tout entière ».

« Un système trop laxiste »

Auditionné le 14 juin au Sénat, alors qu’il était encore ministre délégué aux comptes publics, Gabriel Attal a, de son côté, souligné combien « il est facile de se procurer un arrêt maladie » en quelques minutes, sur les réseaux sociaux ou « par téléphone », moyennant une dizaine d’euros. Il a aussi soutenu que les congés de ce type tombent en « majorité le lundi ou le vendredi ». Sous-entendu : certains en profitent peut-être pour allonger leur week-end aux frais de la collectivité.

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