Archive dans juin 2023

Dans les rues de San Francisco, les robots-taxis, sans humain au volant, sont arrivés… et ils ne font pas l’unanimité

Un véhicule Waymo, filiale de Google-Alphabet, à San Francisco, le 11  avril 2022.

Le taxi s’est garé devant la porte. Pas d’humain au volant. Pour monter dans la voiture, on déverrouille les portières d’un clic sur le portable. Pour démarrer, on presse « Start » sur l’écran de contrôle de la banquette arrière. Une musique cosmique accueille le passager, suivie d’une voix sortie de nulle part. « Cette expérience peut paraître futuriste, reconnaît la voix. Mais l’obligation d’attacher sa ceinture reste la même. » Bienvenue dans l’univers des robots-taxis, où le banal se mêle à la science-fiction.

Sans hésitation, la voiture se lance dans la circulation. C’est une Jaguar I-Pace de Waymo, la filiale de Google-Alphabet ; l’une des centaines de véhicules autonomes qui circulent désormais à San Francisco. L’ordinateur de bord indique la destination et l’heure d’arrivée prévue. Il est interdit de toucher le volant ou les pédales. « Le conducteur Waymo est en contrôle à tout moment, rassure la voix intergalactique. Détendez-vous. »

San Francisco est la ville natale des voitures sans conducteur. Le spectacle des prototypes n’étonne plus personne : les premières Waymo sillonnaient la voie publique dès 2014. Jusqu’en 2022, un conducteur dit « de sécurité » était obligatoirement présent : une doublure qui gardait officiellement les mains sur le volant.

Le centre-ville interdit

Depuis un an, l’expérience est passée au stade entièrement robotisé. Récemment, le nombre de véhicules s’est multiplié. Dans la rue, les passants se frottent les yeux au passage de la voiture qui glisse comme un fantôme. Personne sur le siège avant ? Un volant qui tourne tout seul ? Ont-ils rêvé ?

Deux constructeurs ont reçu l’autorisation de tester à San Francisco leur service de taxis sans chauffeur de sécurité : Waymo et Cruise, filiale de General Motors. Le cahier des charges établi par la California Public Utilities Commission (CPUC), qui supervise les véhicules autonomes, est précis : les zones et horaires d’opération sont limités ; le centre-ville interdit. Cruise, qui a déployé une soixantaine de voitures (des Chevrolet Bolt électriques), a obtenu le droit de faire payer les courses, mais seulement entre 22 heures et 6 heures du matin. Waymo, qui possède une centaine de véhicules, n’a pas encore le droit de facturer les trajets s’il n’y a pas de conducteur au volant. La vitesse est limitée à 45 km/h.

Les deux compagnies demandent maintenant à étendre leurs services. Elles estiment avoir fait leurs preuves en matière de sécurité. En mai, la CPUC a publié un projet de réglementation qui leur donne satisfaction. Il autoriserait Cruise et Waymo à offrir un service de transport de passagers dans toute la ville de San Francisco « de jour comme de nuit, sans la présence d’un conducteur de sécurité ».

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Le permis de conduire, plébiscité dans les campagnes, délaissé en ville, symbole de fractures territoriales et sociales

On n’est peut-être pas sérieux à 17 ans, mais on pourra bientôt passer son permis de conduire. Mercredi 21 juin, à Matignon, la première ministre, Elisabeth Borne, a confirmé que le gouvernement allait abaisser l’âge minimum pour le permis dès le 1er janvier 2024. Une mesure destinée notamment aux jeunes en apprentissage. Elle en ravira bien d’autres, puisque 86 % des 18-26 ans le jugent indispensable, selon une étude de l’Institut Montaigne, publiée en mai 2022.

Pour autant, le précieux sésame est plus important pour les populations éloignées des métropoles et des centres-villes. Les chiffres des rapports de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) révèlent une fracture territoriale et sociale sur les questions de mobilité en France : 85 % des jeunes de 18-24 ans résidant en milieu rural avaient le permis en 2019, contre 41 % en agglomération parisienne. En 2014, ils étaient 77 % dans la première catégorie et 50 % dans la seconde.

A Vinzieux, commune de 450 habitants en Ardèche, les distances se calculent en « minutes en voiture ». Là-bas, l’automobile est reine et Elisa Ribeiro l’a bien compris. Cette lycéenne a passé et obtenu son permis le 5 juin, à 18 ans, après avoir enchaîné les heures de conduite accompagnée. « C’est un passage obligé, on ne se pose même pas la question. Il me le faut pour être indépendante, aller où je veux », témoigne-t-elle.

« Gouffre financier »

À son côté, Emmy Berne, 17 ans et 2 100 kilomètres de conduite accompagnée à son actif depuis décembre 2022, attend avec impatience de souffler ses dix-huit bougies, en mai 2024. Elle aimerait déjà pouvoir conduire seule, pour éviter à ses parents de « faire le taxi », mais aussi pour ne pas passer son examen en même temps que le bac, l’année prochaine.

Ce serait un euphémisme de dire que les transports en commun sont rares ici. Seul le car scolaire passe le matin et le soir (et uniquement en période scolaire). Pour rejoindre Annonay, la ville la plus proche, il faut compter une heure de marche puis quinze minutes de bus. En voiture, vingt minutes suffisent.

Le maire de Vinzieux, Hugo Biolley, peut témoigner que la question de la mobilité est la première préoccupation des jeunes dans sa commune. Il le peut d’autant plus que, à 22 ans, il est le plus jeune édile de France et le premier concerné. L’étudiant à Sciences Po Grenoble, possesseur de la carte rose dès 17 ans et demi, mais qui a dû attendre ses 18 ans pour prendre le volant tout seul, parcourt en moyenne 10 000 kilomètres tous les trois mois depuis son début de mandat. Déplorant les frais d’essence et d’entretien qui vont avec. « La voiture nous permet de nous émanciper, nous donne accès à la formation et à l’emploi et, en même temps, c’est un gouffre financier et écologique, créateur d’inégalités », regrette l’élu.

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« L’état du management 2023 » : des systèmes de contrôle démultipliés dans le secteur public

Le livre. Les murs des entreprises sont poreux face aux bouleversements du monde. Paru aux éditions La Découverte, L’Etat du management 2023 nous confirme combien les préoccupations qui parcourent notre société trouvent un écho dans les organisations du travail. Et, par ricochet, dans les travaux de recherche en sciences de gestion.

L’ouvrage, réalisé sous la direction des universitaires Sébastien Damart, Sarah Lasri et Céline Marie Michaïlesco, nous donne un aperçu des thématiques sur lesquelles se penchent les chercheurs du laboratoire Dauphine recherches en management (DRM), dévoilant ainsi les transformations attendues dans les entreprises. La question du changement climatique y occupe une place importante.

Les auteurs s’interrogent notamment sur le rôle des normes de communication de données (reporting) en matière de développement durable et sur le poids qu’elles peuvent avoir pour influer sur les comportements des organisations. Parmi les sujets abordés, un focus est proposé sur l’impact des crises, multiples, qui ont touché le secteur public. Le regard de l’auteur de ce chapitre, Léonard Gourbier, se porte plus spécifiquement sur les changements à l’œuvre concernant le contrôle de gestion. Le maître de conférences en sciences de gestion montre combien chaque bouleversement observé a pu entraîner le recours à de nouveaux outils ou à de nouvelles pratiques.

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A partir de 2008, la crise économique a ainsi induit un contexte d’austérité qui « s’est traduit par le renforcement du contrôle de gestion, en particulier budgétaire, dans les collectivités territoriales ». Idem pour la « crise environnementale », avec « le déploiement de budgets verts » – permettant de mesurer l’impact environnemental des dépenses publiques – ou encore d’« indicateurs environnementaux ».

De multiples transformations

Le secteur public est aussi « confronté à une crise démocratique de plus en plus sensible », note M. Gourbier (le mouvement des « gilets jaunes » en a été l’une des expressions). Là encore, les organisations publiques ont dû s’adapter, « comme en témoigne l’explosion du nombre de budgets participatifs au cours des dernières années ». En parallèle, une succession de réformes impulsées par l’Etat depuis les années 1990 a « introduit dans le secteur public des outils et des pratiques issus du contrôle de gestion privé » (par exemple, les « projets de service » définissant les objectifs stratégiques), avec un souci d’optimisation budgétaire.

Face à ces multiples transformations, l’auteur s’interroge : ces adjonctions successives permettent-elles un pilotage cohérent des administrations ? M. Gourbier invite à repenser le déploiement de tels dispositifs. Leurs interconnexions doivent être, à ses yeux, davantage réfléchies. Par ailleurs, il importe que « les organisations publiques (…) pens[ent] leur performance de façon plus globale » – et non seulement en termes financiers –, en intégrant par exemple les impacts sociaux ou environnementaux au contrôle de gestion.

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L’enseigne de mode Don’t call me Jennyfer, nouvelle victime de la crise de l’habillement

Don’t call me Jennyfer a demandé son placement en redressement judiciaire au tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis), mercredi 21 juin. L’enseigne de mode féminine, créée en 1985 sous le nom de Jennyfer par David Tordjman et Gérard Depagnat, est à la tête de 220 magasins en France. Elle emploie 1 112 personnes.

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En dépit d’une restructuration et d’une relance menée tambour battant depuis 2019 par Sébastien Bismuth, président de l’enseigne de mode masculine Celio, avec l’appui d’un consortium d’actionnaires, Don’t Call me Jennyfer traverse une crise sévère de trésorerie. Son activité a dévissé de 8 % en 2022, pour atteindre un chiffre d’affaires annuel de 300 millions d’euros.

« Depuis le début de l’année 2023, l’activité est en repli de 6 % », précise son directeur général, Emmanuel Locati, qui refuse de révéler l’identité de ses actionnaires, ainsi que le montant de ses pertes et de son endettement, dû principalement à l’obtention d’un prêt garanti par l’Etat remboursable en 2025.

« Capacité à rebondir »

Ces contre-performances tombent mal alors que le commerce de l’habillement est confronté à une hausse de ses coûts de revient et d’exploitation. Chez Don’t call me Jennyfer, elle atteint « 10 % », estime M. Locati, lequel déplore un « effet ciseau ».

A en croire plusieurs observateurs du marché, l’enseigne, qui s’adresse aux jeunes filles de moins de 20 ans, fait partie des acteurs du marché sévèrement concurrencés par le site chinois Shein et ses prix plancher. D’ores et déjà, M. Locati vante les « solides atouts de la marque » et sa « capacité à rebondir » sur le marché français. Le tribunal de commerce devrait accorder sous peu une période d’observation de six mois à l’entreprise.

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Cette mise en redressement judiciaire intervient quelques jours avant le coup d’envoi des soldes d’été 2023, pour quatre semaines. Plusieurs enseignes, dont Pimkie, autre distributeur en difficultés, cédé à un consortium d’investisseurs, espèrent renflouer leur trésorerie à la faveur de cette période de vente à prix cassés. Selon l’Institut français de la mode, la consommation d’habillement a chuté de 7,3 % au mois de mai dans l’Hexagone.

Qualité de vie au travail : les entreprises s’attaquent à l’illectronisme

« Personne n’échappera à la transformation numérique : aucune profession, aucun niveau hiérarchique, aucun secteur d’activité, avertit Pascal Moulette, enseignant-chercheur en sciences de gestion à l’université Lyon-II. Il y a urgence. Les entreprises doivent anticiper et veiller à l’inclusion numérique de leurs salariés. » Car à l’heure du tout-numérique, « certains salariés se retrouvent en difficulté face, par exemple, à des bulletins de paie dématérialisés ou des votes électroniques pour les élections professionnelles, de même quand ils doivent poser leurs congés sur une plate-forme en ligne… », explique Hervé Fernandez, directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme.

Même constat pour Isabelle Cadin, responsable formation et développement chez Disneyland Paris : « Certains salariés ont des difficultés pour déclarer un arrêt de travail sur notre plate-forme ou encore pour consulter leur planning. » Avec à la clé, pour ces salariés qui se sentent marginalisés, de la souffrance et du mal-être. « Il s’agit, dans une démarche de qualité de vie au travail (QVT), d’offrir aux salariés un travail de qualité et confortable, car maîtriser le numérique permet de diminuer la peur de se tromper et le stress qui va avec, mais aussi d’augmenter l’autonomie, » poursuit Hervé Fernandez.

Pour Ilhem Alleaume, directrice développement et formation de L’Oréal, « c’est une question de dignité ». L’enjeu pour les entreprises va donc au-delà de la seule productivité. Alors que les transformations numériques s’accélèrent, une partie croissante des salariés risquent de décrocher.

« La fracture numérique tend à croître, car les exigences des entreprises augmentent en la matière, explique Pascal Moulette. Historiquement, il ne s’agissait pas d’une compétence attendue. Maintenant oui ». Chez Carrefour, par exemple, plus de 100 000 salariés sont amenés à utiliser de nouveaux outils pour gérer les commandes dans les drives, mettre à jour des prix sur les étiquettes électroniques en rayon ou encore gérer les stocks en magasin.

« Il faut beaucoup de sensibilisation en amont pour embarquer tout le monde », note Christopher Sullivan, directeur général d’ICDL, organisme spécialisé dans la certification des compétences numériques. Pas si simple, car l’illectronisme reste tabou, même s’« il est moins teinté de honte que l’illettrisme », reconnaît Hervé Fernandez. Cependant, la crainte du jugement de la hiérarchie ou des collègues ou encore la peur de ne pas être capable d’apprendre demeure.

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L’accéléromètre contre l’inertie au bureau

Carnet de bureau. L’accéléromètre est-il nécessaire à la santé des salariés ? Ce petit capteur sensible aux déplacements et à l’inertie est placé dans les véhicules pour déclencher les airbags, dans les téléphones pour stabiliser les écrans ou dans les jeux vidéo pour détecter les mouvements des joueurs. Au bureau, c’est l’instrument de référence pour protéger les salariés d’une posture assise trop longue. Il mesure en effet la sédentarité des travailleurs, mais n’alerte pas encore de ses dangers.

Pourtant, 95 % de la population française serait exposée à un risque de santé parce qu’elle reste trop longtemps assise, selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire. La sédentarité double les risques de maladies cardiovasculaires et augmente les risques de diabète, de cancer et de troubles mentaux (anxiété, dépression, etc.). « Rester assis tue davantage que le tabagisme dans le monde », assurait même le Summit Happytech, qui a réuni à la mi-mai une quarantaine d’entreprises pour échanger sur les bonnes pratiques de l’innovation au service de la qualité de vie au travail. C’est « entre 4 et 5 millions de décès [qui] pourraient être évités chaque année si la population mondiale était plus active physiquement », considère l’Organisation mondiale de la santé, contre 7 millions de décès dus au tabagisme sur la même période.

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Mais l’enjeu de santé publique est considérable et s’est déplacé dans les entreprises, car « le travail est devenu le vecteur principal des postures sédentaires, loin devant les activités de loisirs (regarder la télévision depuis le canapé, par exemple) ou les déplacements (être assis dans le bus, le train…) », indique l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (« Les postures sédentaires au travail », par Laurent Kerangueven et Kévin Desbrosses, INRS, octobre 2022). Un salarié à 35 heures passe ainsi en moyenne au moins 5 heures 15 par jour assis. Tandis que pour bien faire, il ne faudrait pas être à son siège plus de 3 heures, selon l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité.

Quelques astuces

Les auteurs de l’étude de l’INRS recommandent aux entreprises d’intégrer une démarche d’évaluation des risques par métier au formulaire ad hoc, afin de mesurer la durée journalière des postures sédentaires et la fréquence des périodes postées de plus de trente minutes.

L’Association interprofessionnelle des centres médicaux et sociaux de santé au travail de la région Ile-de-France (ACMS) délivre, de son côté, quelques astuces pour limiter la sédentarité au travail. L’ACMS invite les salariés à « téléphoner debout ou en marchant », « se déplacer pour échanger avec les collègues », « alterner les tâches assises et celles debout » et aux employeurs de « proposer des postes de travail et des lieux permettant d’alterner les positions » et de « promouvoir la culture du sport en entreprise », par exemple en mettant « à disposition des pédaliers ou des ballons dans les bureaux ».

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« Trop chaud pour travailler », sur Arte : la productivité à l’épreuve du réchauffement climatique

Image extraite du documentaire « Trop chaud pour travailler » (2023), de Mikaël Lefrançois et Camille Robert.

ARTE – MARDI 20 JUIN À 20 H 55 – DOCUMENTAIRE

Chaleur et travail n’ont jamais fait bon ménage. Et dans un monde en surchauffe, le changement climatique, avec ses épisodes caniculaires de plus en plus fréquents, devient une menace concrète pour des centaines de millions de travailleurs de « première ligne ».

Santé en danger, productivité en baisse : comment continuer à travailler comme avant dans un monde plus chaud ? Le modèle économique fondé sur une forte productivité peut-il perdurer ? Parce qu’elle nous fait travailler moins vite et moins bien, la chaleur fait perdre plus de 2 000 milliards de dollars (environ 1 830 milliards d’euros) à l’économie mondiale chaque année.

Avec ce documentaire qui, du Qatar à la France en passant par les Etats-Unis, l’Inde, l’Italie ou le Nicaragua, éclaire le redoutable phénomène de stress thermique en analysant les enjeux sanitaires, économiques et environnementaux, Mikaël Lefrançois et Camille Robert ont réalisé un remarquable travail. Ils ont interrogé des médecins, des architectes, des économistes, des responsables d’ONG et des dirigeants politiques dont les analyses, couplées aux récits d’hommes et de femmes décrivant leurs conditions de travail inadaptées aux fortes chaleurs, permettent de mieux saisir l’urgence de la situation.

Décès, graves maladies rénales, évanouissements, les effets du climat sont terribles pour des travailleurs qui subissent souvent des cadences infernales et ne sont pas protégés des températures caniculaires. Principales victimes : les ouvriers du bâtiment, dans les pays du Golfe mais aussi en Europe. En Inde, les ouvrières du textile entassées dans de gigantesques hangars mal climatisés, ou les très nombreuses couturières à domicile, travaillant dans des bidonvilles où tôle et ciment piègent la chaleur.

Accidents cardiaques et maladies rénales

Autres victimes : les ouvriers agricoles, comme ces coupeurs de canne à sucre en Amérique centrale qui travaillent dans des conditions archaïques. Les fortes chaleurs associées au travail musculaire intense et aux pauses trop peu nombreuses provoquent accidents cardiaques et maladies rénales.

Autre exemple frappant, celui des chauffeurs-livreurs de la compagnie UPS aux Etats-Unis : harcelés en temps réel par des manageurs qui traquent la moindre minute perdue, ils doivent effectuer entre cent trente et deux cents livraisons par jour dans un camion non climatisé où la température peut monter jusqu’à 50 degrés ! Accusée à de nombreuses reprises par l’inspection du travail américaine, la direction d’UPS affirme se soucier de la santé de ses salariés en équipant les camions de ventilateurs et les livreurs de nouveaux uniformes plus confortables. Des mesures évidemment insuffisantes dans un pays où, en soixante ans, le nombre de vagues de chaleur a triplé.

La situation est devenue tellement inquiétante que Joe Biden et sa vice-présidente, Kamala Harris, se sont emparés du sujet, demandant à l’agence gouvernementale OSHA de plancher sur une réglementation destinée à prévenir le stress thermique au travail.

Judy Chu, représentante démocrate de Californie, se bat depuis longtemps pour faire entrer la menace du climat dans le droit du travail américain. En 2006, une loi a été appliquée en Californie, imposant aux entreprises des pauses et la mise à disposition d’eau lorsque la température atteint 35 degrés. Suffisant ? Spécialiste du stress thermique, l’épidémiologiste Tord Kjellström estime qu’à la fin du siècle, au rythme actuel du réchauffement, « 15 % des heures de travail vont être perdues ».

Trop chaud pour travailler, de Mikaël Lefrançois et Camille Robert (Fr., 2023, 93 min).

Le plan social annoncé à la Mutualité marquerait la rupture des valeurs mutualistes pour les salariés

Les négociations amorcées avec la direction de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) n’ont pas cessé depuis l’annonce, le 14 février, d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), qui prévoit de supprimer un quart des effectifs : 85 postes dont 62 licenciements sur 240 salariés. « Une phase de dialogue social s’ouvre avec les organisations syndicales », avait déclaré Séverine Salgado, la directrice générale de la FNMF.

Mais, après la stupéfaction puis la colère exprimées par les salariés, hormis un accord de méthode signé le 26 avril sur le calendrier de la procédure et des négociations, le blocage reste entier sur le fond. La signature par les organisations syndicales « ne marque pas, de leur part, une quelconque acceptation du projet présenté », précise l’accord de méthode. « On milite toujours pour le retrait du PSE », a confié au Monde un représentant du personnel.

Syndicats et élus du comité social et économique (CSE), qui devaient présenter les conclusions du rapport d’expertise comptable en conférence de presse mardi 20 juin, contestent le fondement économique du PSE, ainsi que sa motivation, « redresser [l]a situation économique en vue de sauvegarder [l]a compétitivité » de la FNMF. La direction souligne que « les parts de marché des mutuelles santé se détériorent continuellement ».

Une suite de décisions de gouvernance

Depuis vingt ans, les cotisations en contrats de santé passent progressivement aux mains des assurances, et le nombre de mutuelles santé s’est effondré (elles ne sont plus que 300), réduisant d’autant les revenus de la fédération : 85 % des recettes de la FNMF sont basées sur les cotisations des mutuelles adhérentes. Les projections à l’horizon 2025 qualifiées de « prudentes » par la direction annoncent un résultat net en déficit de 11 millions d’euros, que le PSE ramènerait à 1,1 million.

L’expertise comptable du cabinet Ethix, désigné par le CSE, ne décrit pas la même réalité. Après avoir rappelé que « la FNMF exerce une activité qui ne rentre pas dans le champ concurrentiel », le rapport dénonce un scénario construit sur « des hypothèses pessimistes », qui ne tiendraient pas compte des revalorisations des tarifs des mutuelles liées à l’inflation (l’assiette de la cotisation fédérale est constituée à 80 % par le chiffre d’affaires des mutuelles adhérentes), tout en majorant les charges de fonctionnement et la masse salariale de la FNMF de l’impact de cette même inflation. Une inflation prise en compte (ou pas), selon qu’on évalue les recettes ou les dépenses.

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