Archive dans avril 2023

Réforme des retraites : la filière déchets de Paris appelle à une nouvelle grève à partir du 13 avril

Sur un trottoir à Paris, le 30 mars 2023.

La Confédération générale du travail (CGT) de la filière déchets et assainissement de Paris appelle à une nouvelle grève reconductible contre la réforme des retraites à partir de jeudi 13 avril, après un mouvement de trois semaines, en mars, qui a provoqué un amoncellement des poubelles dans les rues de la capitale.

Ce nouveau préavis de grève « reconductible et indéterminé » est déposé « pour le retrait de la réforme des retraites Macron-Borne et pour un retour à la retraite à 60 ans maximum, avec pour les personnels concernés un retour à 50 et 55 ans », explique dans un communiqué diffusé lundi soir le syndicat majoritaire du secteur à Paris, qui avait suspendu un premier mouvement le 29 mars faute de grévistes.

Ce nouveau préavis débutera la veille de l’annonce le 14 avril des décisions du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites. Les membres du Conseil constitutionnel se prononceront d’une part sur la constitutionnalité de la réforme des retraites, d’autre part sur la recevabilité de la demande de référendum d’initiative partagée (RIP) lancée par la gauche.

Espérance de vie de douze à dix-sept ans de moins

La CGT-FTDNEEA (pour Filière du traitement des déchets, du nettoiement, de l’eau, des égouts et de l’assainissement) appelle aussi « l’ensemble des personnels de la DPE [direction de la propreté et de l’eau] à participer activement et massivement aux journées d’action intersyndicale et interprofessionnelle des jours à venir et notamment celle » de jeudi, précise-t-elle dans son préavis de grève envoyé lundi à la maire de Paris, Anne Hidalgo.

La CGT assure à l’élue socialiste, opposante à Emmanuel Macron, que les éboueurs et conducteurs de bennes de Paris « passeraient à une retraite à 59 ans », contre 57 ans aujourd’hui, en cas d’adoption de la réforme, alors que « la grande majorité des personnels de la DPE a une espérance de vie de douze à dix-sept ans de moins que l’ensemble des salariés de France ».

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Cette annonce survient alors que les rues de Paris ont retrouvé en ce début de semaine une apparence quasi normale après trois semaines d’une grève symbolisée par un pic à plus de 10 000 tonnes d’ordures non ramassées, et des tas de poubelles atteignant plusieurs mètres de hauteur dans certains quartiers.

Lundi, cinq jours après la levée du mouvement, la collecte repartait « progressivement à la normale », avait déclaré la mairie. Depuis cette même levée, les trois incinérateurs d’Ivry-sur-Seine, d’Issy-les-Moulineaux et de Saint-Ouen, cruciaux pour l’évacuation des déchets de la capitale, font encore l’objet de blocages sporadiques par des personnes extérieures au secteur.

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Le Monde avec AFP

Emploi des cadres : après une année 2022 record, les recrutements devraient se stabiliser en 2023

Un ingénieur du Centre national d’études spatiales, à Toulouse, le 17 mars 2022.

Au fil des baromètres, l’emploi des cadres résiste toujours. Malgré une conjoncture économique défavorable et une croissance en berne, il s’offre même un record en 2022 : les entreprises ont recruté 308 300 cadres en 2022, soit une augmentation de 15 % en un an, et un niveau nettement supérieur à 2019, selon le bilan annuel de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), publié mardi 4 avril. « On ne peut plus dire qu’on est dans le rattrapage post-Covid, comme c’était le cas les années précédentes. Il y a une vraie dynamique, se réjouit le directeur général de l’association de conseil aux entreprises et aux cadres, Gilles Gateau. L’investissement est le paramètre qui tire l’emploi des cadres, or il continue de bien se porter. »

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L’année 2023 devrait afficher le même visage : 308 000 recrutements sont attendus cette année, soit exactement le même nombre qu’en 2022, selon cette même enquête, menée auprès d’un échantillon représentatif de 8 000 entreprises représentant 1,4 million de salariés. Gilles Gateau demeure prudent : « On ne voit toujours pas de ralentissement, mais ces bonnes prévisions peuvent être nuancées : peut-être que les entreprises interrogées aujourd’hui n’anticipent pas une crise ou un choc qui va ralentir les embauches. Et on arrive tout de même à un plateau. »

Cette apparente stabilité cache aussi une forte disparité selon les régions et les métiers. Si tous les secteurs ont bénéficié de l’excellente dynamique en 2022, les bonnes prévisions de 2023 sont presque exclusivement portées par la bonne santé des secteurs à « forte valeur ajoutée », très pourvoyeurs de cadres, que sont les activités informatiques, l’ingénierie-recherche et développement, ou le conseil. Les cadres informaticiens restent les profils les plus recherchés par les recruteurs.

Dynamique positive pour les jeunes

A l’inverse, un recul de 7 % est attendu dans la construction (ce qui ramènerait ce secteur au-dessous de son niveau d’avant-crise) et de 9 % dans le commerce. Touchés par une baisse d’activité, les services divers aux entreprises (intérim, sécurité, nettoyage…) ou le transport-logistique seraient également orientés à la baisse.

La présence géographique marquée des services à « forte valeur ajoutée » s’illustrerait par une disparité de la santé de l’emploi des cadres, aussi, selon les régions : l’Ile-de-France (qui représente, à elle seule, la moitié des recrutements prévus, avec 152 520 embauches), Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur seraient loin devant, alors que la région Hauts-de-France pourrait enregistrer une baisse de 6 % de ses embauches de cadres en 2023, du fait du recul de l’automobile ou de l’agroalimentaire.

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« L’usine conceptrice » : un horizon pour la réindustrialisation

Entreprises. La réindustrialisation est une priorité des pouvoirs publics. Mais alors que s’étend l’aspiration à un travail émancipateur, plus écologique et qui fasse sens, l’horizon de l’industrie 4.0 et celui de la numérisation intensive semblent ne laisser au travail d’usine qu’une place résiduelle et peu créative.

Cependant, une recherche récente montre que les usines soumises à un impératif d’innovation et de transition écologique doivent inventer certaines de leurs propres règles de travail (« L’usine conceptrice de son patrimoine de création : modèle, organisation et méthodes pour la régénération d’un système de règles industriel », par Honorine Harlé, thèse MinesParis, Université PSL, 2022).

L’entreprise moderne n’a pas inventé la production de masse et le travail répétitif. En revanche, elle a instauré les bureaux d’études (et de méthodes), chargés de prescrire les techniques de l’usine et le travail qui s’y effectue. Au XXe siècle, on a accusé ces bureaux d’avoir cantonné le travail dans des tâches étroites qui ont détérioré l’image de l’industrie. En réaction, les expériences scandinaves des années 1970, puis le « modèle Toyota » des années 1990, ont favorisé l’enrichissement des tâches et l’initiative des cols bleus, l’essentiel des règles de l’usine restant néanmoins fixées par les bureaux d’études.

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Or, avec les révolutions numériques, le renouvellement accéléré des techniques et l’extension des normes environnementales, l’usine doit aussi définir une partie des règles de son fonctionnement. C’est ainsi que l’usine d’Airbus à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) s’est dotée de groupes de travail et de méthodes leur permettant de reconcevoir une partie de leurs outillages ou de leurs équipements de sécurité. De même, chez ST Microelectronics, le flux constant de nouvelles améliorations techniques, a imposé la mise en place de groupes de gestion des risques associant techniciens de production et techniciens des études.

Explicitation et réinterprétation des règles

La question n’est donc plus celle de la marge d’autonomie et d’initiative octroyée par les concepteurs de l’usine. Face aux besoins d’évolution inédits et récurrents, l’usine doit se doter elle-même d’une capacité de conception pour trouver des solutions efficaces et robustes.

Mais les inventions de l’usine ne doivent pas perturber de façon inattendue et préjudiciable les schémas mis en place par les ingénieurs des études. Cela impose donc un travail commun d’explicitation et de réinterprétation des règles en vigueur, qui favorise l’efficacité collective et dont les conclusions peuvent parfois surprendre les bureaux d’études, alors qu’elles préservent les grandes prescriptions de ces derniers !

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Les couacs de la retraite progressive

La retraite progressive : vous connaissez ? Ce dispositif permet de lever le pied en douceur, en offrant à ceux qui le souhaitent la possibilité de terminer leur carrière à temps partiel et de commencer à percevoir – en plus de leur salaire – une partie de leurs pensions de retraite afin de compenser le manque à gagner. Lorsqu’ils arrêteront définitivement de travailler, le montant de leur retraite sera recalculé pour tenir compte des droits supplémentaires — trimestres et points — qu’ils ont acquis durant leur fin de carrière à temps partiel.

Les conditions d’accès à la retraite progressive sont peu contraignantes. Il suffit d’avoir au moins 60 ans, de justifier de 150 trimestres d’assurance et de travailler entre 40 % et 80 % d’un temps plein. Mais il n’est pas nécessaire de réduire effectivement son temps de travail. Les salariés « déjà » à temps partiel peuvent en profiter dans les mêmes conditions que les autres, sans être tenus de réduire davantage leur quotité de travail.

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Très séduisante, la retraite progressive peine pourtant à décoller. Au 31 décembre 2020, seulement 23 000 assurés du régime général profitaient de ce dispositif. Plusieurs explications sont avancées pour justifier ce peu d’engouement, parmi lesquelles un manque d’information, l’impossibilité d’avoir une évaluation du montant de sa retraite progressive avant de s’y engager, à moins de recourir à ses frais aux services d’un expert « retraite », …

Relèvement progressif

Pour tenir compte du relèvement de l’âge légal de la retraite à 64 ans, la loi de réforme des retraites prévoit de décaler de deux ans l’âge auquel il sera possible d’opter pour la retraite progressive. Pour les générations proches de l’âge de la retraite, ce relèvement devrait se faire de manière progressive, au même rythme que le relèvement de l’âge de la retraite à raison de trois mois de plus par génération : soit 60 ans et 3 mois pour les assurés nés entre le 1er septembre 1961 et le 31 décembre 1961 ; 60 ans et 6 mois pour ceux nés en 1962, 60 ans et 9 mois pour ceux nés en 1963 et ainsi de suite pour atteindre 62 ans pour les assurés nés à partir de 1968. Les autres conditions d’accès à la retraite progressive sont inchangées.

Cependant, il est prévu certains aménagements minimes, parmi lesquels « un effort particulier d’information », la possibilité de travailler moins de vingt-quatre heures par semaine et l’extension du dispositif aux régimes de la fonction publique et des professions libérales, régime des avocats compris.

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Emploi : comment trouver sa place, entre conviction et réalité ?

Faire du vélo pour aller au travail, manger bio, limiter les trajets en avion, boycotter les vêtements fabriqués de l’autre côté de la planète… Autant de gestes en adéquation avec un mode de vie plus respectueux de l’environnement qui contribue aux enjeux de la transition écologique. Mais lorsqu’on entre sur le marché du travail, comment trouver un emploi qui réponde à ses convictions ? Comment éviter les désillusions ? Tous les jeunes sont-ils concernés par cette quête de sens ? Comment les écoles et les entreprises s’adaptent-elles aux attentes de ces jeunes engagés ?

Plusieurs personnalités ont confronté leurs points de vue sur ces questions à l’occasion du festival Nos futurs, organisé du 22 au 26 mars à Rennes par Les Champs libres, Sciences Po Rennes, Rennes métropole et « Le Monde Campus ». Retrouvez l’intégralité des échanges dans le podcast « Nos Futurs, la parole à la relève ».

Avec la participation de :

  • Léa Falco, militante, membre du collectif Pour un réveil écologique,
  • Dominique Méda, professeure de sociologie et directrice de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en sciences sociales à l’Université Dauphine-PSL,
  • Lucie Pinson, militante écologiste engagée pour la justice sociale, fondatrice et directrice de Reclaim Finance, une structure affiliée aux Amis de la Terre France,
  • Yannick Servant, cofondateur de la Convention des entreprises pour le climat (CEC).

Climat, justice sociale, intimité, médias… Retrouvez tous les épisodes de la saison 2 du podcast « Nos futurs, la parole à la relève » ici.

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Ce qu’attendent les jeunes de leur travail

Dominique Méda On dit toujours que les jeunes sont paresseux, qu’ils sont matérialistes, pas engagés, etc. Tout ça est totalement faux. Ce que montrent les enquêtes, c’est au contraire que les jeunes ont des attentes immenses. Leurs attentes à l’endroit du travail sont à peu près les mêmes que celles des autres générations, mais beaucoup plus intenses. Ils veulent bien gagner leur vie, avoir un travail intéressant et ils accordent aussi beaucoup d’importance aux relations sociales et à l’ambiance de travail. Durant les vingt dernières années, j’ai vu monter l’importance de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. Or, ces attentes viennent se fracasser sur la réalité du travail. Il y a une énorme déception au moment de l’entrée dans le monde du travail. On les fait attendre très longtemps avec des contrats à durée déterminée, avec de l’intérim. Je crois finalement qu’ils sont assez maltraités, et cela explique le désenchantement. On a une avant-garde qui met ces questions en priorité, mais on a l’impression que ce sont des préoccupations qui sont partagées par l’ensemble des classes.

Léa Falco Le collectif Pour un réveil écologique dont je fais partie est constitué de jeunes de grandes écoles, donc des CSP +, pas forcément représentatifs de tous les « jeunes ». Mais sur 2 000 jeunes de 18 ans à 30 ans qu’on a interrogés – plus représentatifs de la population française –, deux tiers déclaraient qu’ils seraient prêts à ne pas prendre un boulot parce qu’il ne correspondait pas environnementalement ou socialement aux standards qu’ils attendaient d’un employeur.

Etre jeune actif et se faire entendre

Yannick Servant Il faut se poser la question : à qui parle-t-on ? Est-ce que je peux demander à des jeunes de Saint-Denis de s’investir pour le climat par le biais de leur entreprise ? Est-ce que je peux leur en vouloir s’ils se disent « Bah non, moi, je n’en ai rien à faire, je veux juste un job » ? Absolument pas. S’il y a une catégorie de personnes par laquelle commencer, ce sont les étudiants de HEC, par exemple. Parmi eux, il y en a peut-être 20 % qui sont hyperengagés, 10 % qui n’en ont rien à faire et qui, au contraire, veulent continuer d’aller travailler chez Goldman Sachs ou chez Glencore, et il y a un ventre mou. Et donc là, sur la question de « comment on choisit son job », on parle aux premiers 20 %, les plus engagés. Ceux-là ont un pouvoir. Ils doivent sonder, oser, mettre en concurrence les employeurs pendant les entretiens de recrutement. Quand on a ce genre de diplôme, on peut se le permettre.

Léa Falco Tout le monde ne peut pas se faire entendre. Seuls les CSP +, ceux qui vont occuper des postes de cadres, des postes d’ingénieurs, des postes de managers, peuvent influer réellement sur la structure de l’entreprise et sur l’orientation globale de l’entreprise. Si vous êtes caissière ou pompiste, malheureusement, vous n’avez pas les mêmes possibilités d’action.

Mais les privilèges s’accompagnent d’une responsabilité de prendre en compte ces réalités sociales, puis de se demander : comment utiliser ce pouvoir ? Comment monter un collectif de salariés ? Comment formuler clairement des revendications après de la direction ? On s’est rendu compte que les entreprises adorent les comités engagés de salariés parce que cela montre qu’il y a un lieu de socialisation à l’intérieur des entreprises.

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Lucie Pinson Le problème avec ces collectifs, c’est qu’ils ne remettent pas fondamentalement en question le modèle économique des entreprises. Sinon, ils ne seraient pas les bienvenus. De mon côté, j’ai l’impression qu’il y a vraiment un enjeu pour les entreprises d’attirer les meilleurs talents. Elles savent [si elles ne font pas d’effort de transition] qu’elles sont en train de réduire la part du gâteau dans lequel elles peuvent piocher leur recrutement. Moi qui travaille dans la finance, je le vois bien : pourquoi choisir entre les renouvelables et les énergies fossiles si on peut faire les deux ? Il y a un enjeu pour les acteurs économiques d’être si ce n’est pas totalement « verts », en tout cas moins sales que le camarade d’à côté, pour pouvoir séduire.

Dominique Méda J’ai un léger doute sur la capacité d’un groupe de jeunes, y compris des jeunes diplômés, à changer la stratégie de l’entreprise. Mais on pourrait imaginer une autre organisation de l’entreprise où les représentants des salariés auraient plus de place. C’est-à-dire qu’on laisserait s’exprimer les voix qui souhaitent produire selon d’autres modalités, et peut-être produire d’autres choses aussi. Ce qui oblige à une révision complète de la stratégie de l’entreprise. Cela vaut pour les jeunes mais pas seulement.

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Adopter un autre rythme

Léa Falco La réflexion sur l’engagement écologique et social et la question du temps sont fondamentalement liées. Aujourd’hui, en entreprise, comme dans la fonction publique, cette question émerge : quel rapport au temps veut-on ? Elle fait partie des axes stratégiques dont « l’écosystème écolo » doit s’emparer. Mais si ça a l’air évident de notre point de vue, il faut le faire entendre, le faire accepter, et enfin l’imposer par la législation, la régulation, à des gens qui ne pensent pas du tout comme nous.

Lucie Pinson Je suis assez convaincue que la semaine de quatre jours est nécessaire pour donner plus de temps à tout un chacun de participer à la vie politique, pour penser, innover et trouver des solutions et inventer d’autres manières de faire. Le temps de s’organiser et de mettre en place un rapport de force qui poussera les décideurs économiques et politiques à opérer de vrais changements. C’est ma conviction et en même temps, je vois que c’est extrêmement difficile de l’appliquer à moi-même d’abord et à Reclaim Finance, l’organisation que j’ai fondée et que je dirige. Quant à la santé mentale au travail, elle est extrêmement compliquée à gérer au quotidien. On a souvent un sentiment d’urgence face au travail et on est extrêmement angoissé devant la tâche à accomplir. On peut vivre très mal le moment où l’on dit : « C’est bon, là, j’ai fini ma journée. » Il faut savoir dire non, prioriser, mais aussi accepter que tout ne peut pas être fait tout de suite.

Yannick Servant A la Convention des entreprises pour le climat, notre point de départ est une invitation à prendre le temps pour comprendre les choses. Sur les modèles économiques, il faut comprendre qu’on ne vise pas la réduction d’impact, parce que faire moins mal, c’est toujours faire mal. Mais avec l’économie régénérative que nous prônons, nous essayons de réinventer les modèles à l’intérieur des limites planétaires, de sorte que les modèles économiques créent des répercussions nettes positives, que la biosphère régénère les ressources naturelles pour se mettre sur une trajectoire qui va dans le bon sens.

Changer de modèle

Léa Falco Il faut réussir à faire en sorte que les entreprises « vertueuses » deviennent la norme et que celles qui ne sont pas engagées soient pénalisées, et pas le contraire. Parce qu’aujourd’hui, quand vous voulez faire un effort sur quelque volet que ce soit − éthique, salarial, environnemental, l’égalité femmes-hommes −, le plus souvent vous rajoutez une règle. Alors que par défaut, l’entreprise devrait être écologique.

Yannick Servant Personne n’y arrivera dans son silo, isolé. Ça doit se faire en coconstruction avec l’Etat, les citoyens, les entreprises. Il faut réunir les bons collectifs de personnes pour que ça devienne une question de « transformation humaine » chez les personnes qui ont le pouvoir. S’attaquer à ce niveau-là pour ensuite créer un mouvement de main tendue pour coconstruire des choses.

Dominique Méda Il faut sans doute qu’on sorte aujourd’hui de ce que les chercheurs appellent « le consensus de Washington », c’est-à-dire cette espèce de vague de néolibéralisme arrivée dans les années 1980 avec l’idée que ce qui compte, c’est la maximisation de la valeur pour l’actionnaire. On a une vaste révolution à faire : révolution de l’entreprise, de la gouvernance en donnant beaucoup plus de place aux salariés et à leurs représentants, syndicats, mais aussi groupes de discussion, etc. Ma collègue Isabelle Ferreras propose le « bicaméralisme », c’est-à-dire une entreprise dirigée par des représentants des deux parties constituantes de l’entreprise que sont les apporteurs de capitaux et les apporteurs de travail. Cette démocratisation de l’entreprise serait aussi meilleure pour ce qu’on appelle la dépollution, car les salariés pourraient choisir des produits, des types de production meilleurs pour la planète.

Lucie Pinson J’abonde complètement. On a l’impression qu’on fait comme s’il suffisait d’être convaincu et qu’on allait avoir les solutions. Eh bien non ! C’est compliqué de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles et de transformer radicalement le modèle économique. Il va donc falloir des mesures qui soient réalistes mais ambitieuses, sans être cosmétiques. Ensuite, il faudra motiver les individus à agir, pas seulement parce qu’ils sont convaincus, mais aussi parce que leur action aura un impact sur leur vie, pas seulement sur la planète. Enfin, bien entendu, il va falloir opérer un rapport de force. Il va falloir qu’il y ait un coût à l’inaction, que ce soient ceux qui polluent qui paient. Et au lieu de penser aux incitations, il faudrait penser à des « désincitations ».

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Choisir son entreprise

Lucie Pinson Il vaut mieux faire le bon choix de vie très tôt. Des jeunes CSP + viennent chez nous et certains ont déjà des prêts à rembourser. Pour les jeunes, il est important de prendre de bonnes habitudes de vie dès le début, tant qu’on n’a pas touché le problème de la gouvernance d’entreprise et de la prise de décision. Si vous voulez avoir une influence dès maintenant sur l’entreprise, ce n’est pas en allant dans une grande multinationale parce que vous n’allez pas avoir les clés de décisions.

Dominique Méda C’est difficile de choisir une entreprise qui défende des valeurs. Mais on peut créer sa propre entreprise qui développera des biens et des services vertueux ! On peut aussi essayer de rentrer dans la fonction publique. En ayant conscience qu’on intègre un vaste mécanisme et qu’on ne pourra pas le changer facilement de l’intérieur. Enfin, je vous invite à créer un parti politique pour prendre le pouvoir !

« Nos futurs, la parole à la relève », un podcast réalisé par Le Monde, en partenariat avec les Champs libres, Sciences Po Rennes, la métropole de Rennes. Enregistrement : Jean-Paul Cupif. Montage et mixage : Joséfa Lopez et Eyeshot. Production éditoriale et animation : Joséfa Lopez et Alice Raybaud pour Le Monde. Identité graphique : Mélina Zerbib, Solène Reveney. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine, Morgane Pannetier.

Intimité, emploi, climat… comment imaginer un monde en transition ?

Du 21 au 26 mars, plus de 20 000 festivaliers ont participé au festival Nos futurs. L’occasion de donner la parole à la jeunesse, d’interroger des personnalités, de débattre. Retrouvez les cinq rencontres animées par « Le Monde Campus » autour du climat, de l’emploi, de la justice sociale, de l’intimité et des médias, en version podcast. Parmi les invités, des personnalités engagées – Lauren Bastide, Lucie Pinson, Léa Falco… –, des experts – Dominique Méda, Isabelle Clair, Claire Sécail… –, des journalistes – Fabien Namias, Bruno Patino, Paloma Moritz… Des échanges à découvrir dans la saison 2 du podcast « Nos futurs, la parole à la relève ».

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1. Urgence écologique : peut-on renouer le dialogue ?

De la soupe jetée sur des tableaux, des mains collées au bitume, des routes bloquées… A l’heure de la crise climatique, l’écoanxiété et la défiance vis-à-vis des institutions poussent jeunes et militants à agir, parfois radicalement, pour interpeller l’opinion et faire changer le système. Face à l’inertie des politiques et aux discours jugés trop théoriques, l’action est devenue, aux yeux de certains, la seule façon d’agir. Est-ce vraiment la seule solution pour faire prendre conscience de l’urgence ? Le temps de la pédagogie est-il révolu ? Dialogue et collaboration sont-ils encore possibles ?

Avec la participation de :

  • Anne-Iris Espinat Dief, citoyenne soutenant Dernière rénovation,
  • Paloma Moritz, journaliste-réalisatrice, responsable de la rubrique écologie du média Blast,
  • Vincent Dubreuil, géographe, spécialiste des interactions climat-activités humaines et coprésident du Haut Conseil breton pour le climat (HCBC),
  • Ludovic Brossard, élu de la ville de Rennes, délégué à l’alimentation durable et l’agriculture urbaine, vice-président du Comité syndical de la collectivité eau du bassin rennais, chargé de l’adaptation au changement climatique,

avec la participation à distance de Corinne Lepage, avocate et ancienne ministre de l’environnement.

2. Emploi : comment trouver sa place, entre conviction et réalité

Faire du vélo pour aller au travail, manger bio, limiter les déplacements en avion, boycotter les vêtements fabriqués de l’autre côté de la planète… Autant de gestes en adéquation avec un mode de vie qui contribue aux enjeux de la transition écologique. Mais lorsqu’on entre sur le marché du travail, comment trouver un emploi qui réponde à ses convictions ? Comment éviter les désillusions ? Tous les jeunes sont-ils concernés par cette quête de sens ? Comment les écoles et les entreprises s’adaptent-elles aux attentes de ces jeunes engagés ?

Avec la participation de :

3. Violences faites aux femmes : pourra-t-on un jour y mettre fin ?

Tous les trois jours, une femme meurt sous les coups d’un homme qu’elle connaissait. Les violences sexistes et sexuelles font partie du quotidien. Avec le mouvement #metoo, la parole s’est libérée, mais les actes continuent et sont peu condamnés. Pourquoi une telle impunité ? Pourquoi ces violences sont-elles si ancrées dans notre société ? Comment mieux prendre en charge les victimes ? Que faire des agresseurs ?

Avec la participation de :

  • Ghada Hatem-Gantzer, médecin-cheffe de la Maison des femmes à Saint-Denis (93),
  • Elisabeth Lusset, chargée de recherche au CNRS en histoire, autrice du Dictionnaire du fouet et de la fessée. Corriger et punir (PUF),
  • Mathieu Palain, journaliste, auteur de Nos pères, nos frères, nos amis (Les Arènes) et du podcast « Des hommes violents »,
  • Isabelle Steyer, avocate, spécialiste du droit des femmes et des enfants victimes de violences physiques.

4. Sexualité, amitié, couple : comment réinventer l’intimité dans notre société patriarcale

Remise en question du couple, des formes de domination, visibilisation d’autres types de relations…, des voix s’élèvent pour déconstruire les relations intimes que nous connaissons, avec, dans le viseur, la société patriarcale et la domination masculine.

Doit-on repenser l’intimité pour lutter contre les inégalités femmes-hommes ? Faut-il aller jusqu’à remettre en question l’hétérosexualité ? Le chassé-croisé amoureux permet-il d’être plus heureux ? Quels autres modèles sont possibles ?

Avec la participation de :

  • Camille Aumont Carnel, autrice de #Adosexo. Le guide d’éducation sexuelle de référence ! et créatrice du compte Instagram @jemenbatsleclito,
  • Lauren Bastide, journaliste, créatrice du podcast « La Poudre »,
  • Isabelle Clair, sociologue, directrice de recherche au CNRS au sein de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (à l’Ehess),
  • Thomas Messias, enseignant et journaliste, créateur du podcast « Mansplaining »,
  • Louise Morel, autrice de Comment devenir lesbienne en dix étapes (Hors d’atteinte).

5. Clashs, boulimie d’infos, sujets anxiogènes : comment la violence médiatique nous touche

Emissions clivantes, insultantes, informations déprimantes et qui tournent en boucle, images choquantes… les médias sont parfois considérés comme violents. Violents dans les paroles, les images et l’information qu’ils diffusent. Selon un sondage OpinionWay, 87 % des Français ont également le sentiment que les médias privilégient davantage la polémique que le débat constructif. Pourquoi un tel sentiment ? Quelles sont les conséquences de cette violence médiatique ? Côté public, comment la gérer ? Comment limiter cette fatigue informationnelle ? Les médias peuvent-ils proposer un autre modèle ?

Avec la participation de :

« Nos futurs, la parole à la relève », un podcast réalisé par Le Monde, en partenariat avec Les Champs Libres, Sciences Po Rennes, la métropole de Rennes. Enregistrement : Jean-Paul Cupif. Montage et mixage : Joséfa Lopez et Eyeshot. Production éditoriale et animation : Joséfa Lopez et Alice Raybaud pour Le Monde. Identité graphique : Mélina Zerbib, Solène Reveney. Partenariat : Sonia Jouneau, Victoire Bounine, Morgane Pannetier.

Le gouvernement prépare une loi sur le travail pour tenter de tourner la page des retraites

Lors d’une manifestation contre le projet de réforme des retraites, à Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine), le 28 mars 2023.

Renouer le fil du dialogue social et atteindre le plein-emploi, l’objectif du quinquennat. Voilà l’ambition de la nouvelle séquence que veut ouvrir l’exécutif alors que celle des retraites n’est pas encore terminée. Car si le gouvernement reste suspendu à la décision du Conseil constitutionnel, qui doit intervenir le 14 avril, il veut déjà passer à l’après.

Pour tourner la page tumultueuse de la réforme des retraites, l’exécutif compte mettre le sujet du travail sur la table. En discutant du sens qu’on lui donne, des conditions dans lesquelles on l’exerce et de la rémunération. Si les organisations syndicales, qui doivent être reçues à Matignon mercredi 5 avril, répètent toutes qu’il aurait été plus judicieux d’en faire un préalable à la question des retraites, le gouvernement veut leur envoyer des signaux positifs.

Le premier viendrait d’un texte retranscrivant fidèlement et rapidement l’accord national interprofessionnel conclu entre les organisations patronales et syndicales – la CGT ne l’a pas signé – en février sur le partage de la valeur. Le vecteur législatif n’est pas encore arrêté même si la tendance est à une proposition de loi présentée par le député Renaissance de Saône-et-Loire Louis Margueritte. « L’objectif est de montrer que le dialogue social fonctionne encore, mais c’est aussi de montrer ce que ça va apporter concrètement aux Français », explique celui qui est également corapporteur d’une mission d’information sur le partage de la valeur qui doit être rendue le 12 avril.

« L’objectif de plein-emploi »

La seconde étape, bien plus dense, est un nouveau projet de loi sur le travail pour remplir « l’objectif de plein-emploi » fixé par Emmanuel Macron, a annoncé le ministre du travail, Olivier Dussopt, sur Sud Radio, le 21 mars. C’est pour atteindre un taux de chômage autour de 5 % que l’exécutif veut réformer le revenu de solidarité active (RSA), dans le cadre de la création de France Travail, futur service public de l’emploi. La volonté du chef de l’Etat de conditionner le RSA à une quinzaine d’heures d’activité hebdomadaires risque de crisper les syndicats. Pour apaiser les tensions, l’exécutif compte sur des mesures susceptibles de faire consensus, telles que la mise en place d’un compte épargne-temps universel. Le salarié aurait ce compte tout au long de sa carrière afin de pouvoir faire des pauses professionnelles, partir plus tôt à la retraite ou se reconvertir.

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Concernant le travail des seniors, le gouvernement souhaite alourdir les indemnités en cas de rupture conventionnelle pour les plus de 55 ans afin de contraindre les entreprises à les garder. Une réflexion est également menée sur une prime de retour à l’emploi pour les seniors sans emploi. D’autres mesures concerneront l’amélioration des conditions de travail et la possibilité d’élargir le droit à l’assurance-chômage pour les démissionnaires est dans les cartons.

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Un immeuble de standing ne se débarrasse pas de sa concierge si facilement

Dans les copropriétés, la question de la suppression du poste du (ou de la) concierge suscite souvent des frictions, entre occupants âgés, qui tiennent à la présence permanente d’une personne dans l’immeuble, en considérant qu’elle contribue à la sécurité des lieux, et les nouveaux venus, souvent plus jeunes, qui préfèrent s’en passer pour faire des économies.

La loi Boutin, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, adoptée le 25 mars 2009, puis la loi ALUR (pour l’accès au logement et un urbanisme rénové), adoptée le 24 mars 2014, ont précisé les règles de vote, auparavant régies par la jurisprudence.

Elles imposent une majorité « qualifiée » (représentant au moins les deux tiers des voix) pour supprimer le poste de concierge, à condition que cette suppression ne porte atteinte ni au standing de l’immeuble – la « destination » en termes juridiques – ni « aux modalités de jouissance des parties privatives ». Dans le cas contraire, il faut toujours l’unanimité, comme le rappelle l’affaire suivante.

Le 29 novembre 2016, l’assemblée générale d’une copropriété située à Paris, place Adolphe-Max, dans le 9arrondissement, vote la suppression du poste de la gardienne – celle-ci devant partir à la retraite –, à la majorité des deux tiers des voix. Pour compenser la perte de ce poste, elle décide l’embauche d’un salarié à temps partiel, catégorie A, et annule une précédente résolution qui prévoyait la rénovation de la loge.

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Mme X, copropriétaire (non occupante), qui a voté contre ces deux résolutions, assigne aussitôt le syndicat des copropriétaires, ainsi que son syndic, la société Foncia Laporte, pour les faire annuler. Elle affirme que celle qui concerne la suppression du poste aurait dû être adoptée à l’unanimité.

En effet, fait valoir son avocat, le règlement de la copropriété, daté du 4 novembre 1957, prévoit que « les services communs de l’immeuble seront assurés par une concierge », qui aura « les attributions de la catégorie normale définie par l’accord de salaires du 30 mars 1951 et recevra la rémunération prévue par ledit accord ».

« Pierre de taille »

Or, lorsque l’existence d’un gardien est ainsi prévue par le règlement de copropriété, la suppression de son poste requiert l’unanimité, sauf si les solutions de substitution mises en place offrent des avantages « strictement équivalents ».

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Mme X soutient que ce n’est pas le cas : la gardienne assurait le portage à domicile du courrier et des colis – nul besoin de descendre à la boîte chercher ses lettres, ou d’aller à la poste récupérer ses colis. Comme elle gardait un double des clés, elle pouvait ouvrir aux ouvriers devant faire des travaux. Vu qu’elle logeait sur place, elle pouvait surveiller les allées et venues suspectes.

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Credit Suisse-UBS : « la fusion va accroître la saignée dans les effectifs, en faisant apparaître des redondances »

Le nouveau PDG d’UBS, Sergio Ermotti, lors d’une conférence de presse, à Zurich, le 29 mars 2023.

Cent vingt-deux mille salariés dans le monde, c’est trop, beaucoup trop. Revenu dans son ancienne maison, le nouveau PDG d’UBS, Sergio Ermotti, s’apprête à tailler dans le vif, après l’acquisition pour 3 milliards d’euros – sous la pression des autorités helvétiques – de Credit Suisse, au bord de la faillite. De 25 000 à 36 000 postes, soit de 20 % à 30 % des employés, du nouveau mastodonte bancaire pourraient être supprimés, a avancé, dimanche 2 avril, l’hebdomadaire zurichois SonntagsZeitung, citant des sources internes anonymes.

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Tous les licenciements ne sont pas imputables à l’opération, puisque la banque en faillite prévoyait déjà 9 000 suppressions de postes avant l’opération, résultat d’une mauvaise gestion depuis plusieurs années.

Mais la fusion va accroître la saignée, en faisant apparaître des redondances : leurs agences sont voisines au cœur de nombreuses villes, à l’image des sièges des deux banques situées côte à côte sur la Paradeplatz de Zurich. Les employés de Credit Suisse sont les plus menacés, selon les syndicats, qui réclament un plan de sauvetage. « L’enjeu est colossal pour ses 17 000 employés en Suisse », soulignait l’Union syndicale suisse, au lendemain de la fusion.

10 % du produit intérieur brut

Le choc social s’est doublé, dimanche, d’une secousse judiciaire. Le parquet fédéral a annoncé l’ouverture d’une enquête sur d’éventuelles irrégularités lors du mariage forcé. « Il s’agit d’analyser et d’identifier toute infraction pénale qui pourrait relever de [sa] compétence », a-t-il expliqué dans un courriel transmis à l’AFP. L’enjeu est, là aussi, très important pour la Confédération helvétique, dont l’industrie financière (banques, compagnies d’assurances et de réassurances…) pèse près de 10 % du produit intérieur brut. La justice veut s’assurer que la place financière suisse reste « propre ».

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Les choses se sont améliorées au « paradis » suisse, moins opaque depuis la fin annoncée du secret bancaire en 2009, exigée par le G20 et l’Organisation de coopération et de développement économiques, et l’entrée en vigueur de l’échange automatique de données en 2018. De multiples scandales, dont beaucoup remontent aux années 2000, ont trouvé un épilogue judiciaire en Europe et aux Etats-Unis. Ils impliquaient très souvent les deux géants de la gestion de fortune.

Le dernier remonte à décembre 2021 : UBS devra payer 1,8 milliard d’euros d’amendes, dont 800 millions à la France, pour démarchage bancaire illicite et blanchiment de fraude fiscale aggravé. Dans ces opérations mains propres, on a le désagréable sentiment que ce sont finalement les employés qui paient la facture.

Crise au « Canard enchaîné » : le lanceur d’alerte Christophe Nobili convoqué à un entretien préalable à un licenciement

A Paris, en février 2017.

Si Christophe Nobili s’avise de se présenter au Canard enchaîné, lundi matin, ce sera uniquement pour exercer ses mandats de délégué syndical (SNJ-CGT) et d’élu au comité social et économique (CSE). Le journaliste, lui, a été mis à pied à titre conservatoire, vendredi 31 mars, et s’est vu adresser une lettre de convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement, a appris Le Monde de source interne. Un CSE extraordinaire a été convoqué vendredi prochain, afin de soumettre ce projet à consultation, comme le veut la procédure quand un salarié est délégué syndical. Son salaire est suspendu.

Pour rappel, l’enquêteur a déposé plainte contre X, début mai 2022, pour abus de biens sociaux et recel d’abus de biens sociaux, après avoir découvert que sa direction avait rémunéré l’épouse du dessinateur André Escaro pendant plus de vingt ans, sans travail réel en échange. Il a fait le récit de sa découverte, et de sa démarche, dans un livre, Cher Canard. De l’affaire Fillon à celle du Canard enchaîné, paru aux éditions JC Lattès début mars.

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« Une mise à pied conservatoire ? Une suspension de salaire ? C’est le traitement que l’on réserve généralement à ceux qui ont piqué dans la caisse ou qui se sont rendus coupables de violences physiques ou de harcèlement !, s’insurge Christophe Nobili dimanche soir. Ce n’est pas le traitement qu’on attend d’un journal comme Le Canard vis-à-vis d’un lanceur d’alerte. »

« Une sanction totalement disproportionnée »

Avant de déclencher une action judiciaire en effet, M. Nobili s’était placé sous le statut de lanceur d’alerte, et s’était fait élire délégué syndical dans l’espoir de protéger son emploi. En vain, semble-t-il. Dimanche en fin d’après-midi, le comité d’administration du journal a envoyé un e-mail à tous les salariés, pour les informer d’une « décision difficile », prise « à l’unanimité ». Elle fait suite à « la parution de son livre, et ses multiples déclarations à la presse et dans les autres médias, en violation tant de la convention collective des journalistes que de la charte déontologique du Canard », annonce le courrier. Cette procédure vise à « installer la terreur et [à] intimider mes soutiens », assure encore M. Nobili.

Les membres de la cellule syndicale que le journaliste a montée au journal au cours de l’hiver 2021-2022 s’insurgent, dans un texte que Le Monde a consulté, contre ce qu’ils considèrent comme « une sanction totalement disproportionnée, qui témoigne d’une violence symbolique hors de propos, et qui fait courir le risque de commettre une grave injustice à son égard ». Regrettant que cette décision « risque de nuire encore davantage à l’image du journal, notamment auprès de son lectorat », le communiqué, déjà signé par dix-neuf personnes dimanche en début de soirée, ajoute : « En recourant ainsi à des méthodes patronales, pourtant dénoncées à longueur de colonnes, pour faire taire l’homme par qui le scandale arrive, la direction prend le risque de rester dans l’Histoire comme celle qui aura transformé Le Canard en une entreprise comme les autres. » Contacté, le directeur général délégué et directeur de la publication, Nicolas Brimo, s’est refusé à tout commentaire.