Archive dans mars 2023

« Les entreprises doivent renforcer la reconnaissance du travail en commun »

On a beaucoup dit et entendu que la critique suscitée par la réforme des retraites était révélatrice d’un nouveau rapport des Français au travail. Ce que l’on a moins dit est que ce nouveau rapport au travail fragilise en premier lieu les entreprises. Les mutations qui sont actuellement à l’œuvre dans le rapport au travail risquent de les déstabiliser à au moins trois niveaux.

D’abord, l’essor du télétravail semble coïncider avec une mise à distance affective à l’égard de l’entreprise. Comme si l’éloignement (et le retour sur soi et la solitude qu’il génère) entraînait une forme de désengagement qui ne peut pas rester durablement sans conséquences sur la motivation des travailleurs, et donc sur la performance des entreprises.

Ensuite, la montée de l’individualisme au travail commence à se traduire par un délitement de la dimension collective du travail et par un affaiblissement du sentiment d’appartenance des salariés à l’entreprise, ce qui rend de plus en plus complexe la tâche des responsables des ressources humaines qui peinent souvent à fidéliser les talents.

Une alternative crédible et désirable

Enfin, l’engouement pour le travail dit « indépendant » (travail de plate-forme, microentreprise, travail en freelance, etc.) pourrait finir par affaiblir la place centrale qu’occupent les entreprises aussi bien comme modèles d’organisation du travail, comme moteurs de l’activité économique et comme piliers du système de protection sociale.

Non pas que le salariat soit aujourd’hui directement menacé – il représente encore la modalité de travail de 80 % des actifs en France –, mais le statut d’indépendant, considéré comme plus libre, plus souple et moins contraignant, constitue pour un nombre grandissant de travailleurs une alternative crédible et désirable au travail en entreprise. La question qui se pose donc à ce jour est celle-ci : l’entreprise peut-elle redevenir le lieu d’un travail en commun efficace et motivant ?

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Réfléchir à cela suppose que les dirigeants et les manageurs d’entreprise reconnaissent qu’ils ont eux-mêmes contribué, depuis des décennies, à affaiblir leur modèle d’organisation en établissant des rapports de plus en plus individualisés au travail (parcours, carrières, relations, modes de reconnaissance, organisation du travail), et que les réponses qu’ils tentent d’apporter aux nouvelles exigences des employés depuis les bouleversements liés à la crise du Covid-19 pourraient renforcer ce mouvement au lieu d’y remédier.

Une approche clientéliste

En effet, en développant des réflexions autour des notions de bien-être ou de qualité de vie personnelle au travail, ils risquent de contribuer à instaurer une approche clientéliste de la part des salariés qui attendent de plus en plus de leurs employeurs qu’ils leur proposent des « services » adaptés à leurs « besoins » personnels.

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« Les Nouvelles calédoniennes », seul quotidien de l’archipel, vont disparaître

La décision est tombée vendredi 17 mars. Malgré les réquisitions du procureur, le tribunal de commerce de Nouméa a officialisé la liquidation judiciaire du groupe Melchior, auquel appartient le seul quotidien de Nouvelle-Calédonie, Les Nouvelles calédoniennes.

Le groupe Melchior, qui employait près de cent vingt personnes, avait racheté le quotidien en 2013 au groupe Hersant, sans jamais parvenir à trouver le bon équilibre. Les Nouvelles calédoniennes, fondées en 1971, sont parues pour la dernière fois jeudi, faute de repreneur.

Ce nouvel épisode judiciaire est le dernier d’un long naufrage pour Les Nouvelles calédoniennes, qui avait déjà vu son édition papier disparaître au début du mois de janvier au profit d’une version entièrement numérique. Une métamorphose qui avait entraîné la fermeture de l’imprimeur Pacifique Rotative, appartenant au groupe Melchior, et le licenciement de dix-sept personnes.

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« Un désastre social et une attaque contre le pluralisme »

« Le délibéré a confirmé l’arrêt du plan de sauvegarde et la mise en liquidation du groupe. Les salaires du mois de mars seront versés, mais à part ça, nous ne sommes sûrs de rien, nous n’avons aucune assurance pour la suite », a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) Baptiste Gouret, journaliste des Nouvelles calédoniennes et représentant du personnel pour le plan de sauvegarde et la liquidation. La trentaine de salariés présents au tribunal pour entendre la décision ont déploré l’absence de la direction à cette audience.

Jeudi, le procureur Yves Dupas avait demandé que soit privilégié un plan de redressement avec une poursuite d’activité. « C’est le seul quotidien de l’île. C’est important à une période de l’histoire très sensible et alors que les discussions sur l’avenir institutionnel sont ouvertes. Il y a un enjeu stratégique à préserver cet outil de la liberté d’expression, et je tenais à avoir une approche plus sage. Les actionnaires avaient obtenu un plan de sauvegarde il y a seulement quelques mois », avait expliqué Yves Dupas à l’AFP.

Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a déploré cette fermeture, y voyant « un désastre social et une attaque contre le pluralisme », et en a appelé à la ministre de la culture, Rima Abdul-Malak, vendredi, dans un communiqué.

Le Monde avec AFP

« La baisse du coût du travail est devenue la pierre angulaire des politiques économiques et sociales françaises »

Le sujet central de la réforme des retraites est en fait celui du travail. Les mobilisations et les sondages montrent que la très grande majorité des actifs est contre l’idée de devoir travailler deux ans de plus. Car le travail est devenu de plus en plus dur, intense, en perte de sens pour la plupart des salariés. Cette dégradation du rapport au travail est directement liée aux politiques économiques et aux stratégies des entreprises françaises visant à lutter contre le coût du travail.

L’ensemble de ces stratégies repose sur une idée martelée en France depuis les années 1980 : le chômage et la faible compétitivité des entreprises françaises sont dus à un coût du travail trop élevé, notamment du fait d’un Etat-providence lui-même trop coûteux, les cotisations sociales qui le financent représentant près de la moitié de la masse salariale. Pourtant, avec des coûts du travail équivalents ou supérieurs, les Allemands ou les Suédois, parce qu’ils ont su investir dans la qualification et la qualité des emplois, arrivent à produire et exporter des produits et services de meilleure qualité ou plus innovants, qu’ils vendent donc plus chers que les nôtres.

Le manque de compétitivité de l’économie française est surtout lié à son positionnement en milieu de gamme : nous sommes trop chers pour ce que nous produisons. Mais plutôt que chercher à améliorer la qualité de nos productions, à monter en gamme, la France a préféré produire la même chose avec moins de monde, en faisant la chasse aux coûts et en intensifiant le travail.

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Depuis le début des années 1980 fleurissent les articles d’économistes et les rapports soulignant le poids trop élevé du coût du travail. En 1987, le patronat lance « la bataille des charges », pour dénoncer le poids trop élevé des cotisations sociales, expliquant par là les réticences à embaucher et la faible compétitivité des entreprises françaises. C’est en 1993 que commencent à la fois la litanie des réformes des retraites, mais aussi des plans généraux de baisse des cotisations sociales.

Efficacité faible

Edouard Balladur, alors premier ministre, veut limiter l’augmentation prévisible des retraites avec sa réforme de juillet 1993, et réduire le coût du travail pour les entreprises avec, en décembre 1993, la « Loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle », dont la mesure principale est la réduction d’une partie des cotisations sociales patronales sur les bas salaires (entre 1 et 1,2 smic).

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés Pierre-Olivier Monteil, docteur en philosophie : « En même temps que la retraite, c’est le travail qui est à repenser »

Depuis lors, la baisse du coût du travail est devenue la pierre angulaire des politiques économiques françaises, aussi bien pour réduire le chômage que pour accroître la compétitivité des entreprises. Des mesures Juppé à celles liées aux 35 heures, des allègements Fillon au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, devenu en 2016 une baisse pérenne, les allègements ont été progressivement étendus à la fois à plus de cotisations sociales (quasiment toutes au niveau du smic, où il ne reste plus que les cotisations retraites complémentaires et chômage), et à plus de salariés, jusqu’à concerner désormais 3,5 smic. En 2021, le montant total des exonérations a atteint 73,8 milliards d’euros : la France est devenue la championne européenne des aides aux entreprises.

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« Si le travail a pu prendre un sens et une valeur autres que le simple fait de gagner sa vie, c’est aussi parce qu’il y a un après »

En 1910, l’une des premières lois visant à instaurer des retraites est qualifiée par la CGT de « mesure pour les morts » : à cette époque, 94 % des travailleurs n’atteignent pas 65 ans. Mieux vaut donc réclamer la journée de huit heures… C’est pourquoi, plutôt que de parler de retraite, Paul Lafargue, dès 1880, revendique Le Droit à la paresse, superbe boutade pour mieux promouvoir une baisse drastique de la durée quotidienne du labeur.

Si l’on associe souvent longueur des journées, pénibilité et continuité du labeur jusqu’à la mort avec l’industrialisation du XIXe siècle, les journées de travail sont très longues depuis bien plus longtemps, à la ville comme à la campagne. Les grandes manufactures textiles du XVIIe siècle se coulent dans des horaires déjà éprouvés deux à trois siècles plus tôt : de treize à quatorze heures de travail par jour ouvrable, avec des normes de productivité exigeantes. Quand les ouvriers ne peuvent plus y satisfaire, ils sont déclassés vers des besognes moins dures mais moins rétribuées. La famille et les institutions charitables sont les seuls recours quand leurs forces les abandonnent. Point de retraite, si ce n’est pour les vieux soldats ou certains serviteurs âgés de l’Etat.

L’industrialisation ne fait que grossir les effectifs de travailleurs soumis à de tels rythmes. C’est à 40 ans pour les hommes et 35 ans pour les femmes que l’on gagne le mieux sa vie dans les filatures de coton vers 1890. Ensuite, plus on vieillit, moins on est rémunéré. La durée quotidienne du travail reste de douze heures effectives dans les industries depuis le décret du 9 septembre 1848, et cela environ deux cent quatre-vingts à deux cent quatre-vingt-dix jours par an. Ce décret est un des premiers signes, timide, d’une intervention de l’Etat dans les questions sociales.

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Mais entre fraude, exceptions légales et secteurs ignorés par la loi, on trouve toujours vers 1880 des ouvriers qui atteignent des maxima analogues à ceux du début du siècle ou de l’Europe préindustrielle, soit 3 400 à 3 700 heures annuelles – contre 1 500 aujourd’hui ! Certes, beaucoup ne travaillent que par intermittence. Mais quand la besogne presse, ils ne comptent plus leurs heures. Le raisonnement par moyennes trouve ici ses limites.

Vision tripartite de la vie

D’autant que la définition des horaires n’est rien sans l’analyse des contenus du travail. L’intensification des gestes n’a pas attendu l’industrialisation : la machine dicte son rythme, les cadences croissent au fil des progrès techniques et obligent à des efforts accrus. Laboratoire de la modernité, la filature, par exemple, exige une mobilisation plus intense des corps et de l’attention. L’intensification concerne également des secteurs peu touchés par la révolution mécanicienne. A la mine, dans le bâtiment, dans les industries du feu, les modes de rémunération (tâcheronnage et marchandage) sont faits pour mettre les ouvriers en concurrence, tandis que la diffusion, à partir des années 1870-1880, du petit matériel (les machines à coudre, par exemple) fait du travail domestique à la tâche le pendant harassant de l’usine. La peine au labeur est ainsi parfois bien plus grande à la fin du XIXe siècle qu’à son début.

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Au Royaume-Uni, un budget pour remettre les Britanniques au travail

En septembre 2022, Kwasi Kwarteng, alors chancelier de l’Echiquier du Royaume-Uni, levait le voile sur un budget offrant de grandes baisses d’impôt, pensant relancer la croissance. Bien au contraire, cela déclenchait une tempête financière, un début de panique des fonds de pension et, pour finir, la démission de la première ministre conservatrice de l’époque, Liz Truss. Six mois plus tard, l’heure est à un retour à la normale : mercredi 15 mars, Jeremy Hunt, successeur de M. Kwarteng, a présenté le budget du gouvernement sans drame ni secousse.

Lire nos explications : Article réservé à nos abonnés Pourquoi l’économie du Royaume-Uni est saisie d’un vent de panique

Il pouvait même se targuer d’un certain rebond. Ses services de prévisions misent sur un recul de 0,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2023. En temps normal, une telle stagnation n’inciterait guère à la fierté, mais il s’agit là d’une nette amélioration par rapport aux prévisions établies en novembre 2022, lesquelles évoquaient une récession de 1,4 % pour 2023.

Ce regain n’est pas spécifique au Royaume-Uni – l’économie européenne, elle aussi, semble éviter la récession – et provient notamment du recul des prix de l’énergie. Cela permet d’entrevoir un fort reflux de l’inflation, de 10,1 % actuellement à 2,9 % à la fin de 2023, d’après les estimations des autorités britanniques. « Les Cassandre avaient tort », affirme M. Hunt.

Recul de la population active

Dans ce contexte apaisé, le gouvernement de Rishi Sunak peut commencer à s’occuper des problèmes de long terme, qui sont nombreux. Ces dernières années, le Royaume-Uni a connu l’une des pires croissances des pays développés. A la fin de 2022, son PIB demeurait légèrement en dessous de son niveau prépandémique, contrairement à l’immense majorité des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Il est, à son tour, « l’homme malade de l’Europe », selon l’expression de Keir Starmer, le leader de l’opposition travailliste. Le budget cherche donc à résoudre plusieurs problèmes de fond, en particulier un curieux phénomène qui s’est développé depuis le déclenchement de la crise sanitaire : le recul de la population active.

Le système britannique de santé craque de toutes parts : sept millions de personnes sont actuellement en attente de soins

Depuis 2019, le nombre d’inactifs (des adultes qui ne travaillent pas ni ne cherchent un emploi) a augmenté d’un demi-million de personnes. « Cela fait du Royaume-Uni une exception, note un rapport du Center for Policy studies, un groupe de réflexion. Presque tous les pays développés ont connu une hausse de l’inactivité économique pendant les ravages de la pandémie [de Covid-19], mais c’était généralement provisoire (…). Désormais, la plupart des pays des l’OCDE ont un taux d’inactivité inférieur à celui d’avant la pandémie. »

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« Comme l’impression d’avoir pris une revanche sur le passé », l’ascension sociale des techniciens devenus ingénieurs

Sur le réseau professionnel LinkedIn, Kevin Lapoule, 33 ans, s’est empressé de mettre à jour son profil. Depuis novembre 2022, il n’est plus technicien de maintenance agroalimentaire mais coordinateur maintenance préventive et fiabilité au sein du Groupe Nutriset. La raison de cette promotion ? Dix ans après être entré, avec un BTS en poche, dans cette entreprise spécialisée dans la lutte contre la malnutrition, il a obtenu, en octobre, son diplôme d’ingénieur généraliste par la voie de la formation continue. « Comme l’impression d’avoir pris une revanche sur le passé », se réjouit-il. Après son bac + 2, il avait fait le choix « d’arrêter les études pour entrer rapidement dans le monde du travail, quitte à limiter [ses] perspectives d’évolution professionnelle ensuite ».

Il a finalement, sur le tard, choisi de relever le « challenge » de décrocher le sésame grâce à la formation continue, avec l’appui de son entreprise, qui a financé intégralement son cursus à l’école d’ingénieurs du CESI. Ce type d’accélération professionnelle concerne quelque 1 000 personnes chaque année en France, selon les chiffres de la Commission des titres d’ingénieur (CTI). « Ils étaient quatre ou cinq fois plus il y a trente ans », commente Jean-Louis Allard, vice-président de la CTI et directeur de l’école d’ingénieurs du CESI. Cet établissement fut créé en 1958 par des entreprises pour permettre à des techniciens d’accéder au statut d’ingénieur, dans une France d’après-guerre où les secteurs industriels et du bâtiment en avaient bien besoin, face aux difficultés des écoles d’ingénieurs à fournir suffisamment de cadres.

Mais, au CESI comme ailleurs, la voie de la formation continue suivie par Kevin est aujourd’hui devenue minoritaire : une centaine d’ingénieurs diplômés par an, sur 1 500 au total. Les raisons de cette baisse ? L’allongement de la durée des études, « qui pousse aujourd’hui de nombreux jeunes à continuer vers une formation d’ingénieur après un bac + 2 », explique Fabrice Maerten, responsable des admissions au CESI. Mais aussi « l’explosion de l’apprentissage depuis les années 1990 dans les écoles d’ingénieurs », vers lequel les entreprises se tournent plus spontanément pour financer la formation des ingénieurs dont elles ont besoin, et ce, dès la formation initiale, là où elles préféraient, par le passé, accompagner leurs meilleurs techniciens vers le statut d’ingénieur, dans une logique de conservation des compétences et de fidélisation des collaborateurs.

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Aujourd’hui, si quelque 40 000 étudiants obtiennent le diplôme d’ingénieur chaque année en formation initiale, la formation continue d’« anciens », bien que ne représentant que 2 % des diplômés, constitue toujours « un levier de promotion sociale et professionnelle sans équivalent », selon Jean-Louis Allard. Mais, qu’ils suivent cette formation (1 200 heures en tout) en cours du soir, en alternant les périodes à l’école et en entreprise, par des cours en ligne ou des stages intensifs, le parcours de ceux qui veulent dépasser leur plafond de verre en passant par la formation continue n’a rien d’un long fleuve tranquille.

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Une retraitée autorisée pendant quinze ans à occuper son logement de fonction est soudain menacée d’expulsion

Le salarié qui dispose d’un logement de fonction n’est pas considéré comme un locataire qui bénéficierait d’un bail relevant de la loi du 6 juillet 1989.

Lorsqu’il perd son emploi, il doit rendre le logement, parce que celui-ci est « un avantage en nature accessoire au contrat de travail », selon la jurisprudence de la Cour de cassation. Si, à l’expiration de son préavis ou de son délai pour partir, il se maintient dans les lieux, il est considéré comme un « occupant sans droit ni titre », et l’ex-employeur peut demander au juge l’autorisation de l’expulser.

Mais peut-il attendre quinze ans avant de se prononcer ? Telle est la question que pose l’affaire suivante dans laquelle une retraitée se voit signifier son congé par l’employeur qu’elle avait quitté quinze ans auparavant.

En 1961, la Caisse centrale de crédit hôtelier, commercial et industriel embauche Mme X. En 1970, elle met à la disposition de celle-ci, moyennant un loyer modique, un appartement qu’elle possède, dans le 14arrondissement de Paris. Le 31 mai 2000, Mme X prend sa retraite. La Caisse centrale ne lui demandant pas de partir, elle se maintient dans les lieux, sans toutefois qu’un contrat de bail ait remplacé la convention d’occupation qui existait depuis 1970.

Lire aussi : La locataire âgée devait bénéficier d’une offre de relogement

Le 25 juillet 2014, la société BPIfrance financement, qui vient aux droits [intervenant pour le compte] de la Caisse centrale, fait savoir à Mme X, désormais âgée de 71 ans – ainsi qu’à d’autres personnes dans la même situation – qu’elle veut vendre le logement, libre de toute occupation. Elle lui donne un an pour partir. Mme X, qui ne peut pas se reloger à un prix équivalent (460 euros), se maintient dans les lieux. Le 21 août 2015, la société demande son expulsion.

Intention de « nover »

En première instance et en appel, les magistrats considèrent que son action est prescrite, donc irrecevable. Mais la Cour de cassation juge, le 30 juin 2021, que cette action, « fondée sur le droit de propriété », n’est « pas susceptible de prescription ». La cour d’appel de Paris, devant laquelle l’affaire est renvoyée, ordonne donc l’expulsion de Mme X, le 24 mars 2022.

Elle écarte l’argument de son avocate, selon lequel « les parties ont entendu nover », c’est-à-dire substituer un contrat de bail à l’ancienne convention de mise à disposition. La cour rappelle en effet que « la volonté de nover ne se présume pas ». Or, constate-t-elle, Mme X ne produit aucun « acte » juridique, prouvant qu’une volonté commune de modifier la substance du précédent contrat existait.

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La féminisation des instances dirigeantes va de pair avec la lutte contre le sexisme

« Le monde dans lequel on vit fait qu’on est biaisé en faveur des hommes en ce qui concerne les postes à responsabilités. Les femmes aussi intériorisent ce biais, en se disant par exemple qu’elles ne peuvent pas être bonnes en mathématiques. » Tel est le constat posé par Violetta Zujovic, chercheuse en neurosciences à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, en introduction des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management organisé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup et Malakoff Humanis. Lors de l’édition du 7 mars, une vingtaine de DRH ont échangé sur l’accès des femmes aux postes à responsabilités.

L’experte du jour, par ailleurs cheffe d’équipe à l’Institut du cerveau, a raconté l’expérience menée au sein de son centre de recherche. « Nous avons essayé de comprendre comment engager notre cerveau pour empêcher d’avoir des automatismes qui catégorisent les personnes dans un rôle spécifique, explique-t-elle. Il y avait 63 % de femmes à l’Institut du cerveau en 2015, et 5 % dans les comités décisionnels. Aujourd’hui, on a réussi, en collaboration avec la DRH, à atteindre 50 %. »

Sur le terrain de l’égalité femmes-hommes, la mesure est le nerf de la guerre. Le 1er mars, toutes les entreprises de plus de mille salariés ont dû rendre publics pour la première fois leurs écarts de représentation entre les femmes et les hommes parmi leurs cadres dirigeants et les membres de leurs instances dirigeantes, comme l’exige la loi Rixain du 24 décembre 2021 visant à accélérer l’égalité économique et professionnelle.

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés « Dans les instances dirigeantes des entreprises, les femmes se partagent les sièges mais pas le pouvoir »

Si quelques participants ont affiché avec fierté leurs excellents chiffres, la discussion s’est concentrée sur les progrès qui restent à accomplir. Dans la branche des institutions de retraites complémentaires et de prévoyance, par exemple, « il y a 70 % de femmes, 53 % dans l’encadrement. En 2015, elles étaient seulement 20 % chez les cadres supérieurs et dans les comités de direction, énumère Marc Landais, DRH de l’Agirc-Arrco. Depuis, nous avons réussi à gagner sept points [de pourcentage], mais il faut continuer à mener des actions volontaristes ». Même constat chez Korian, avec 82 % de femmes, 67 % de manageurs femmes et seulement 22 % au comité exécutif.

Sortir des stéréotypes

Pour ce faire, la mise en place de quotas, lors du recrutement ou des promotions internes, est indéniablement le meilleur moyen de faire progresser les chiffres. « S’il n’y avait pas eu la loi Copé-Zimmermann [qui, en 2011, a instauré les quotas dans les conseils d’administration] et [la loi] Rixain, est-ce qu’on aurait d’aussi bons chiffres ? », avance Rémi Boyer, DRH groupe de Korian.

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Les premiers impacts de l’inflation sur les politiques RH de 2023

Des budgets prudents en 2023, voire des gels de politique salariale pour certains : voici les premiers impacts de l’inflation sur les politiques RH, reconnus par les responsables des ressources humaines eux-mêmes. « L’enquête Deloitte parue début mars reflète les augmentations validées par accords d’entreprise, mais il y a aussi des constats de désaccords », a indiqué lundi 13 mars, Audrey Richard. La présidente de l’Association nationale des ressources humaines (ANDRH) a ainsi introduit la présentation de l’étude censée décrire un panorama plus précis des politiques salariales de 2023.

L’enquête Deloitte sur les prévisions des budgets d’augmentation 2023 de 160 entreprises de tout secteur parue le 2 mars annonçait des niveaux de budgets « historiques », bien qu’en deçà de l’inflation. « C’est plutôt une belle moisson, » , commente Franck Chéron, associé capital humain chez Deloitte.

Les budgets prévisionnels médians d’augmentation (hors promotion et ancienneté) alloués sont de plus de 4,4 % dans les secteurs de l’énergie, l’industrie, la grande consommation et l’industrie de la santé, et de 2,1 % (hors promotion et ancienneté) dans le secteur public et les sociétés à but non lucratif. « En cumulant les augmentations réelles de 2022 et les budgets envisagés, les augmentations médianes se porteraient respectivement à 7 % pour les non-cadres et 6,5 % pour les cadres sur deux ans », précise Franck Chéron.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Négociations salariales : on n’est pas tous égaux devant l’inflation

A ce bilan, l’ANDRH ajoute quelques nuages au-dessus des entreprises de moins de 1 000 salariés. Pour réaliser son enquête « Repenser l’organisation du travail », l’association a interrogé en février ses 5 600 adhérents sur les changements dans leur politique RH liés au contexte économique ; 513 responsables des ressources humaines, majoritairement d’entreprises de moins de 1 000 salariés, ont répondu. Les trois quarts d’entre eux affirment que l’augmentation du coût des matières premières et/ou de l’énergie n’a pas encore d’impact RH. Ces entreprises restent prudentes et évoquent pour l’instant des « reports d’investissements » et une interrogation sur « les primes de fin d’année ».

La carte de la diversification

Le quart restant a déjà dû modifier sa politique RH pour 2023. La moitié de ces entreprises affectées prévoient des gels des recrutements, et un tiers ont gelé leur politique salariale : 11 % de l’ensemble des entreprises qui ont répondu à l’ANDRH n’ont pas du tout augmenté le budget alloué aux augmentations salariales dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) ; 10 % sont au-dessous de 2 %, 13 % entre 2 % et 2,9 %, 42 % sont entre 3 % et 5 %, et seulement 24 % sont au-dessus de 5 %, tandis que l’inflation était à 6,3 % sur un an en février.

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Réforme des retraites : « Un fort taux d’emploi des seniors n’empêche en rien un faible taux de chômage des jeunes »

Depuis l’annonce du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, des voix s’élèvent pour souligner le risque de substitution entre emploi des seniors et emploi des jeunes. Autrement dit, les départs à la retraite plus tardifs des 55-64 ans risqueraient de restreindre l’entrée sur le marché du travail des moins de 25 ans.

Une mise en perspective européenne montre que les pays qui ont les plus hauts taux d’emploi des seniors sont aussi ceux qui ont les taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans les plus bas, comme l’Allemagne, la Norvège ou les Pays-Bas. A l’opposé, les pays caractérisés par un fort chômage des jeunes ont les taux d’emploi des seniors les plus faibles (Grèce, Italie, Roumanie).

Dans ce panorama, la France est moins bien positionnée que la moyenne de l’Union européenne (UE). Corrélation n’étant pas causalité, il est difficile d’en déduire que l’un a un impact positif sur l’autre ; il apparaît néanmoins qu’un fort taux d’emploi des seniors n’empêche en rien un faible taux de chômage des jeunes.

La réforme de 2010 qui a porté l’âge de la retraite de 60 ans à 62 en 2018 semble accréditer l’hypothèse. Elle s’est traduite par une hausse de l’emploi des seniors et une hausse marginale du chômage.

Lire aussi : Réforme des retraites : le report de l’âge légal a fait augmenter le chômage des seniors, confirme l’Unédic

Naturellement ces mutations ne se font pas sans heurts : selon une étude récente de l’Unedic de mars, le report de l’âge légal de 60 à 62 ans a entraîné une hausse de 100 000 allocataires de plus entre 2010 et 2022. Ce chiffre est à relativiser, au regard des tendances soulignées par la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, dans sa livraison de janvier 2023 sur « Les seniors sur le marché du travail », qui pointe qu’entre 2014 et 2021, le taux d’emploi des 60-64 ans s’est accru de 8,9 points et la part d’inactifs a reculé de 9,6 points.

Cela ne garantit pas que le décalage de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans aura les mêmes effets, mais que les données macroéconomiques ne suggèrent pas, ex post, un effet d’éviction durable des jeunes par les seniors.

Formation et orientation professionnelle

Le Conseil d’orientation des retraites considère du reste que « l’hypothèse d’une substitution entre emploi des seniors et emploi des jeunes est peu probable, en raison des différences de capital humain et de poste occupé ».

Sans s’aventurer sur le terrain théorique des liens entre éducation, économie et emploi, on peut avancer que l’apparente complémentarité qui se dégage entre emploi des jeunes et emploi des seniors est le reflet du niveau d’éducation et du degré d’efficacité des politiques « actives » caractérisées par les dépenses engagées au titre de la lutte contre le chômage.

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