Archive dans 2022

« C’est pas beaucoup mieux que chez Deliveroo » : dans les « dark stores », les petites mains de la livraison à domicile

Interieur du magasin Flink, à Paris, en 2021. Un panier se remplit dès qu’une commande est enregistrée. Un opérateur de commandes réunit les produits en rayon en suivant la commande sur son terminal Zebra et en scannant les produits un à un. L’opérateur va très vite pour mettre les produits dans son panier et les amener au livreur, le tout doit se dérouler en moins de 10 minutes. Herve Lequeux / Hans Lucas pour « Le Monde »

Après avoir terminé son travail à minuit et quart, Hichem (à la demande du salarié, le prénom a été modifié) s’est couché à 2 heures du matin. Ce qui n’a pas empêché ce coursier à vélo chez Flink, une entreprise de livraison à domicile, d’accepter notre demande d’interview à 10 heures le même jour. Il faut dire que les horaires décalés, Hichem connaît : c’est un ancien coursier à vélo de chez Deliveroo et Uber Eats, dont le modèle a inspiré celui des acteurs du « quick commerce ».

Comme Cajoo, Getir ou Gorillas, Flink est une de ces jeunes pousses à la croissance fulgurante qui promettent aux particuliers de faire livrer leurs courses en une poignée de minutes par des livreurs à deux-roues, partant de magasins n’accueillant pas de public, les « dark stores ». Avec une différence de taille par rapport à Deliveroo et consorts : chez l’allemand Flink, comme chez ses concurrents, tous les livreurs sont employés en tant que salariés.

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Ce n’est pas tellement le statut protecteur du CDI qui a incité Hichem à intégrer la start-up, mais plutôt la rémunération : « Quand je travaillais pour Deliveroo et Uber Eats, une fois les charges payées en tant qu’autoentrepreneur, il ne me restait presque plus rien. » Pourtant, les salaires ne sont pas bien lourds chez Flink et les autres entreprises de livraison à domicile : autour du smic, avec des majorations pour le travail en soirée et le dimanche.

Livraison en dix minutes

Chez Cajoo, la rémunération tourne autour de 10 euros brut de l’heure, auxquels s’ajoutent une prime conventionnelle et une majoration de 20 % pour le travail en horaires décalés. Pour 35 heures, Hichem gagne 1 200 et quelques euros. Autre différence majeure avec Deliveroo et cie : les livreurs attendent au chaud dans les entrepôts, pas sur un bout de trottoir. Et ils sont payés à l’heure, quel que soit le nombre de clients qui passent commande.

Mais les conditions de travail restent difficiles, est d’avis Ludovic Rioux, secrétaire général du syndicat CGT de la livraison de Lyon : « Même si les employés signent en CDI, c’est pas beaucoup mieux que chez Deliveroo. Il y a beaucoup de travail en soirée et sur le week-end, car c’est là où il y a le plus de commandes. »

Surtout, la promesse de livraison en dix minutes, premier argument de vente de la plupart de ces plates-formes, soumet les livreurs et préparateurs de commandes à un haut niveau de stress. « Comme il n’y a pas encore assez d’entrepôts, on peut se retrouver à faire des trajets de 5 ou 6 kilomètres », soupire Hichem. Le tout avec des sacs dont le poids varie entre sept et douze kilos.

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« Le Starbucks Workers United s’implante progressivement aux Etats-Unis »

Manifestation pro-syndicatde salariés de Starbucks à Seattle (Etats-Unis), le 25 janvier 2022.

Imaginerait-on un salarié qui, spontanément, rendrait une partie de son argent à son employeur dans l’espoir qu’il soit content de lui et ne le mette pas dehors ? C’est un peu le principe du rachat d’actions en Bourse. Une entreprise achète ses propres actions pour les détruire ensuite, faisant grimper automatiquement le bénéfice par action. En théorie, cette pratique est équivalente au dividende pour rémunérer l’actionnaire. En théorie, cela devrait être réservé aux entreprises qui gagnent tellement d’argent qu’elles trouvent plus judicieux de le rendre aux actionnaires que de l’investir elles-mêmes, pas juste pour soutenir le cours de Bourse.

« Patron intérimaire »

Ce lundi 4 avril, Howard Schultz, le patron de Starbucks, a décidé de suspendre l’énorme programme de rachat d’actions de 20 milliards de dollars (environ 18,2 millliards d’euros) lancé par son prédécesseur en décembre 2021. « Je ne suis pas dans les affaires comme actionnaire de Starbucks pour que chacune de mes décisions soit basée sur le cours de Bourse du trimestre », a-t-il affirmé, en précisant qu’il allait désormais investir cet argent « dans [ses] magasins et [ses] employés ». En voilà une bonne idée ! Elle a ravit les baristas et autres serveurs des cafés de la chaîne, même s’ils ont appris à se méfier de ce diable d’Howard, qui navigue si bien entre le paternalisme social et l’antisyndicalisme primaire.

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A 68 ans, le fondateur de la première chaîne de cafés au monde, avec ses 388 000 employés dans plus de 33 000 bars à travers le monde, est un homme actif qui pratique la retraite à durée déterminée. Après avoir développé son entreprise dans les proportions géantes que l’on sait, il s’est retiré une première fois en 2000, avant de revenir en 2008 pour redresser la société, puis repartir en 2016, avant de revenir comme « patron intérimaire » cette semaine. Catalogué patron social, il aime échanger avec le personnel, paye mieux que la moyenne du secteur, 17 dollars aux Etats-Unis avec la couverture santé, et a même envisagé à plusieurs reprises de se présenter à l’investiture démocrate pour les élections présidentielles.

Mobilisation progressive

Mais ce progressiste considère que la réussite de son entreprise, démarrée avec un bistro de quartier, n’aurait pas été possible avec des syndicats rigides et revendicatifs dans des structures souvent de moins de dix employés. Ce même lundi, une syndicaliste de Phoenix était mise à la porte. Mais les temps ont changé et la pénurie de personnel, associée à la mobilisation progressive du personnel des cafés, a fini par payer. Le Starbucks Workers United s’implante progressivement aux Etats-Unis.

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L’emploi cadre retrouve presque son niveau d’avant-crise

« Malgré la persistance de la crise sanitaire, 2021 aura été une bonne année pour l’emploi cadre », résume Gilles Gateau, directeur général de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), dans un communiqué : 269 100 cadres ont été recrutés en CDI ou CDD d’un an et plus en France, selon un bilan de l’organisme. C’est seulement 4 % de moins que le chiffre record de 2019 (281 300), et surtout 18 % de plus qu’en 2020 (228 700).

Le solde de créations net de postes cadres – l’addition des recrutements et des promotions internes, moins les démissions, licenciements et départs à la retraite – atteint 63 500 en 2021, contre 37 100 en 2020. Cependant, des disparités persistent selon les filières : la banque-assurance (+ 15 %) ou la santé-action sociale (+ 13 %) ont dépassé leur niveau de 2019, tandis que le secteur hôtellerie-restauration-loisirs (− 20 %), l’industrie automobile-aéronautique (− 24 %) ou encore la communication-médias (− 20 %) peinent à relever la tête.

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A eux seuls, les informaticiens représentent près d’un quart des recrutements cadres effectués en 2021. « Côté salaire aussi on retrouve une dynamique plus favorable, assure Gilles Gateau, mais loin des niveaux de l’inflation et sans progrès, une fois encore, dans la réduction des inégalités femmes-hommes. »

Explosion de l’apprentissage

En effet, en 2021, les femmes cadres gagnent encore 15 % de moins que les hommes et sont pourtant, en proportion, toujours moins augmentées que les hommes, révèle le bilan. Quant au salaire médian pour tous les cadres, il s’élève à 51 000 euros brut annuels, contre 50 000 en 2019 et 2020. Le taux d’emploi des jeunes diplômés se rapproche aussi de son niveau d’avant-crise : 82 % des bac + 5 de la promotion 2020 sont en emploi douze mois après leur sortie d’études, contre 69 % pour les diplômés en 2019.

Cette embellie est due aux difficultés de recrutement de cadres rencontrées par beaucoup d’entreprises, qui rechignent donc moins à se tourner vers des profils peu expérimentés, mais surtout à l’explosion de l’apprentissage : les jeunes qui ont suivi un cursus en alternance ont un taux d’emploi à six mois de 80 % (contre 64 % pour les autres diplômés). A douze mois, ils sont près de neuf sur dix à être en emploi, dont les trois quarts en CDI.

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Le salaire à l’embauche de ces jeunes cadres apparaît toutefois comme un point noir : le salaire médian brut des bac + 5 est de 30 000 euros brut douze mois après l’obtention du diplôme, ce qui représente une chute de 6 % en deux ans. L’association s’inquiète aussi de la crise de sens que rencontrent les jeunes cadres : 20 % d’entre eux voient en leur emploi un « job alimentaire », et un tiers estiment que leur travail n’est pas en phase avec leurs aspirations.

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Fraude au travail détaché : Terra Fecundis et sept agriculteurs français condamnés

Pour la deuxième fois en moins d’un an, la justice pénale vient de sanctionner l’entreprise d’intérim espagnole Terra Fecundis – récemment renommée Work for All – dans une affaire de fraude au travail détaché. Vendredi 1er avril, le tribunal correctionnel de Nîmes lui a infligé une amende de 375 000 euros pour « travail dissimulé » et « emploi d’étrangers sans titre ». Cette société est, de surcroît, frappée d’une interdiction d’exercer son activité sur le sol français. En juillet 2021, elle avait déjà été condamnée pour des infractions similaires par le tribunal judiciaire de Marseille.

Cette fois-ci, Terra Fecundis-Work for All n’est pas la seule à être poursuivie. Le jugement prononcé vendredi concerne également sept agriculteurs français, qui avaient recouru aux services du prestataire espagnol tout en ayant été alertés par les services de l’Etat qu’ils étaient dans l’illégalité. Ils se sont vu infliger des amendes de 10 000 euros – assorties d’un sursis dont le montant varie selon les cas. Mis en cause pour avoir hébergé des salariés dans des « conditions indignes », l’un d’eux a, en outre, été condamné à six mois de prison avec sursis.

La procédure porte sur des faits qui ont été signalés entre 2017 et 2019 au parquet de Nîmes par l’inspection du travail et par la police aux frontières. Terra Fecundis avait mis à la disposition de maraîchers gardois des ouvriers pour la cueillette de fruits et de légumes. Une main-d’œuvre dont les droits furent foulés aux pieds : rémunérations inférieures au taux horaire du smic, congés passés à la trappe, bulletins de paye introuvables, etc.

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« Enquête de longue haleine »

De telles pratiques ont eu cours en dévoyant le régime dit du détachement. Celui-ci permet à un employeur d’envoyer du personnel à l’étranger, tout en s’acquittant des cotisations sociales dans l’Etat où il est installé. A une condition : les salariés « exportés » ne doivent effectuer que des missions relativement brèves dans le pays d’accueil. Une obligation que Terra Fecundis s’est dispensée de suivre, en laissant travailler ses intérimaires pendant des mois en France, sans les inscrire à l’Urssaf, tout en payant ses contributions en Espagne, où elles sont moins lourdes.

Le jugement rendu vendredi reconnaît « la détermination de nos services à poursuivre une enquête de longue haleine qui a permis de réunir les preuves de l’illégalité de l’activité de Terra Fecundis en France », confie Paul Ramackers, le responsable de l’inspection du travail du Gard qui a joué un rôle-clé dans ce dossier. « C’est évidemment une nouvelle décision très satisfaisante puisqu’elle “enfonce le clou” du jugement de Marseille, de juillet 2021 », renchérit MVincent Schneegans, l’avocat de la CFDT, l’un des syndicats qui s’étaient constitués parties civiles, avec la CFTC, la CGT et FO.

Stefana Broadbent : « A travers les notions d’espace professionnel et d’espace privé, c’est une question de pouvoir qui se joue »

Stefana Broadbent, anthropologue spécialiste du numérique et enseignante à l’University College de Londres, évalue les rapports entre la sphère privée et le monde du travail.

A l’ère du télétravail de masse, comment redéfinir l’intimité au travail ?

Le travail est traditionnellement un lieu d’exclusion de la sphère privée. On vend son attention ; toute distraction extérieure est considérée comme une source de perte de productivité. Mes recherches visaient à montrer comment, par le biais du téléphone mobile et des outils numériques, la sphère privée avait reconquis l’espace de travail. Avec le télétravail massif lors du premier confinement, c’est l’inverse qui s’est produit : le travail a été ramené dans l’espace privé. On a bien vu qu’il y avait une forte résistance des employeurs : il y a eu une énorme pression pour que les gens aillent quand même sur le lieu de travail. L’idée prévaut qu’il faut un contrôle direct de l’attention, sinon elle ne serait pas employée de manière productive. A travers les notions d’espace professionnel et d’espace privé, c’est une question de pouvoir qui se joue.

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Ces craintes sont-elles en partie justifiées ?

Il y a eu toute une rhétorique sur le fait que les personnes à la maison étaient interrompues dans leur travail par les enfants, qui a d’ailleurs mobilisé principalement l’image des femmes. C’est vrai que ça a été un problème : on a externalisé beaucoup d’activités, comme l’éducation, la cuisine… qui, avec le confinement, sont revenues à la maison. Mais il faudrait aussi quantifier le nombre de fois où un salarié est interrompu sur un open space. L’argument des employeurs, c’est que ces interruptions sur le lieu de travail sont enrichissantes pour le salarié. Le problème, c’est la valeur à donner à cette interruption. Est-ce que la discussion du bureau à côté du mien a plus de valeur que l’interruption de mon enfant qui me demande quelque chose ?

Comment ce renversement est-il vécu par les salariés ?

Cette inversion a été vécue de manière très différente selon les salariés, selon leur situation personnelle, mais aussi, il me semble, selon leur degré d’autonomie : plus les gens sont autonomes dans l’organisation de leur télétravail, plus ils l’apprécient. Le contrôle de l’attention s’applique de manière assez différenciée selon les salariés. Les postes de cadre sont moins sujets à cette norme. Ils fonctionnent en mode projet, peuvent organiser leurs journées comme ils l’entendent, alors que les personnes qui exécutent des tâches répétitives sont davantage contrôlées.

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Télétravail : la pause-café virtuelle laisse froid les employés

Le « petit noir » en mode pixel, Cédric Watine l’a tenté. « Un café, c’est plus sympa de le boire en vrai avec quelqu’un », reconnaît le dirigeant de Fogepack, une entreprise d’une trentaine de salariés. Alors que la moitié de son équipe se retrouve en télétravail lors du premier confinement, au printemps 2020, Cédric Watine tente une idée calquée sur les Web-apéros : mettre en place un rendez-vous informel en visio tous les jours vers 9 h 30 pour parler de tout et de rien. « Au début, il y avait un vrai engouement, raconte Cédric Watine. Mais avec le temps, ça s’est un peu étiolé. » Des membres de son équipe déclinent son invitation, faisant valoir un manque de temps ou la nécessité de s’occuper de leurs enfants.

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A l’instar de Cédric Watine, nombreux sont les employeurs qui ont mis en place des espaces de réunion, ouverts toute la journée, ou des groupes de bavardage sur les messageries en ligne, avec des succès divers. Afin de lutter contre l’isolement et maintenir le collectif en travail à distance, des prestataires, comme Powell Software ou Wazo, ont mis au point des « machines à café virtuelles ». Dans une de ces versions, des personnes sont tirées au sort par le logiciel pour discuter via écrans interposés. Une tentative de recréer en ligne les rencontres fortuites qui ont lieu devant la machine à café de l’entreprise.

Manque de spontanéité

Mais les moments de convivialité instaurés par l’employeur ne sont pas toujours bien perçus par les salariés. Cédric Watine, qui est aussi l’auteur du podcast « Les Outils du manager », a ouvert un sujet sur son site pour parler de sa tentative. De nombreux internautes ont réagi, faisant des retours contrastés sur leur propre expérience. « Après quelques semaines consécutives de télétravail et de café virtuel qui marche bien, je me suis rendu compte qu’on voyait toujours les mêmes membres de l’équipe », réagit cette internaute. « Au début, c’était très bien. Mais ça s’est transformé petit à petit, plus sérieux, plus cadré », raconte cet autre participant.

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« En soi, c’est une bonne chose, mais il n’y a pas la même qualité de confidentialité, la même spontanéité en digital que lors d’un échange physique », est d’avis Loïc Le Morlec. Du point de vue de cet ancien cadre supérieur de grands groupes, auteur de Fake Management (éd. Ems), à paraître en mai 2022, la machine à café du bureau ne sert pas seulement à créer du lien social : « C’est aussi le moment où l’on engrange des informations importantes sur l’entreprise : ses travers, ses failles… toutes ces choses qu’on ne dit pas en ligne. »

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Télétravail : superviser sans fliquer, le nouveau casse-tête des manageurs

Par

Publié aujourd’hui à 00h47

« De base, on était déjà fliqués, mais le télétravail n’a pas arrangé les choses », se désole Sybile (à la demande de la salariée, le prénom a été changé). Lorsque cette téléconseillère à la Macif a l’occasion de travailler à la maison, son manageur n’est plus derrière son dos. Mais il surgit sur son écran. « On se prend un chat ou un mail dès que l’on dépasse trois ou quatre minutes d’attente entre deux appels. Parfois, il y a tellement de fenêtres qui s’ouvrent pour nous demander “tu fais quoi ?” qu’on n’arrive même plus à voir l’écran. J’ai une collègue qui s’est vu reprocher le fait de s’être loguée à 8 h 02 au lieu de 8 heures. »

A cette surveillance continue par écrans interposés s’ajoutent des tableaux de performance à remplir régulièrement, vitupère Sybile. Aux yeux de la salariée, ce contrôle « infantilisant » a des conséquences néfastes sur la motivation des équipes : « Certains de mes collègues vivent cela comme du harcèlement. » De son côté, la Macif nous a déclaré qu’elle ne souhaitait pas s’exprimer sur ce sujet.

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Combien de salariés, comme Sybile, ont vu le télétravail aller de pair avec une surveillance un peu trop poussée ? Avec le premier confinement, en mars 2020, cette organisation du travail à distance s’est imposée de force aux employeurs. Un choc culturel dans un pays qui comptait 7 % de salariés en télétravail en 2017, selon les estimations du service des statistiques du ministère du travail. Les entreprises ont longtemps freiné des quatre fers à l’idée de transposer le bureau à la maison. En novembre 2021, le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, rappelait l’image de « glande » qui lui était rattachée. « Le télétravail a été source de perturbation pour beaucoup de manageurs, confirme Florent Frontela, directeur capital humain chez Deloitte. Ne plus avoir les collaborateurs sous les yeux, ça les inquiète. »

A en croire une étude de Vanson Bourne pour l’éditeur de logiciels VMware parue en 2021, 63 % des entreprises françaises prévoient ou ont déjà adopté des outils visant à renforcer leur supervision. Selon Régis Chatellier, chargé d’études innovation et prospectives à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), certains employeurs ont pu être tentés de franchir la ligne jaune : « Dès le premier confinement, on avait eu pas mal d’appels qui laissaient craindre qu’il pourrait y avoir des tentatives de surveiller plus que nécessaire des personnes en télétravail. »

Chez IBM, Yannick Edouard, le délégué syndical central CFE-CGC, relate quelques excès de zèle de la part de certains manageurs : « Au tout début du confinement, quelques-uns organisaient une visioconférence en début de matinée et demandaient aux salariés de rester connectés le reste de la journée. » Cette pratique a été marginale, relativise le délégué syndical, et la direction y a très vite mis fin.

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« Notre combat a un sens, il est juste et légitime » : dans l’Aveyron, les ex-salariés de la SAM refusent de quitter l’usine

Des ex-salariés de la SAM (Société aveyronnaise de métallurgie) manifestent devant leur usine, à Viviez, le 22 janvier 2022.

« Je n’ai effectué aucune recherche d’emploi, car je ne veux pas aller ailleurs », avertit, décidée, Fabienne, qui a travaillé trente-trois ans à la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), une fonderie automobile entrée en service en 1973 à Viviez, au cœur du bassin houiller de Decazeville (Aveyron).

Au terme de vingt-trois mois d’un feuilleton à rebondissements, du redressement judiciaire en décembre 2019 à la liquidation prononcée en novembre 2021, laissant 330 personnes sans emploi, cette ancienne salariée y croit encore et agit comme si de rien n’était. « Tous les jours, je me rends au boulot. Je vais à l’usine », affirme cette femme proche de la soixantaine, très attachée à la SAM. « C’est ici que j’ai rencontré mon mari Bernard. Ici, on a tout vécu ensemble, les mariages et les naissances des collègues. »

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Même si les machines ont cessé de fonctionner depuis quatre mois, les anciens salariés n’ont jamais abandonné leur usine. Depuis 133 jours, ils veillent en continu, nuit et jour, sur les outils industriels. L’enjeu est clair : afin de trouver un repreneur, la SAM ne doit pas être ​dépouillée de ses équipements pour être en capacité de redémarrer rapidement. Mais, dans sa décision du mardi 29 mars, le tribunal judiciaire de Rodez a ordonné ​l’évacuation ​des locaux​. Toutefois, la juridiction leur a accordé un délai de grâce, qui se terminera mardi 5 avril, à 14 heures précises.

Deux garanties

« Les mandataires ont une mission encadrée par la loi : a​chever la mise en sécurité du site et procéder à la cession des actifs. Pour y parvenir, il faut que les lieux soient vidés », justifie ​Jérôme Carles, ​l’avocat des comandataires liquidateurs qui ont assigné, le 28 février, les ​ex-​​employés pour « occupation illicite » et « danger imminent du maintien en service sur le site de fours contenant de l’aluminium en fusion ». « Or, l’occupation nous interdisait d’assurer le site » , argumente ​le conseil. « Et la facture de gaz et d’électricité pour faire fonctionner les fours s’élève à près d’un million d’euros sur les trois derniers mois. »

MH Industries, un fabricant de pièces métalliques du Lot, étudie une relance de l’activité de la SAM, avec le soutien de la région Occitanie

Les salariés, eux, ont décidé de ne pas​ obtempérer. Lors de la dernière assemblée générale, mardi 29 mars, ils ont voté en faveur de la poursuite de l’occupation des lieux, le temps d’obtenir deux garanties : un document signé par les mandataires qui s’engagent à ne pas vendre ou découper l’outil industriel et la mise en place d’un service de sécurité à l’entrée de l’usine. « Collectivement, on dit qu’on ne doit pas toucher à la SAM. ​Notre combat a un sens, il est juste et légitime. Renault et les autres ne nous feront pas passer pour des victimes coupables », s’étrangle, en colère, David Gistau, membre CGT du comité social et économique (CSE). « Coupables de quoi ? De conserver notre dignité pour avoir un frigo plein ? De permettre à nos enfants de faire des études ? De permettre l’émergence d’un projet industriel ? »

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« Rock stars » du marché de l’emploi, les développeurs Web craignent de devenir les « ouvriers d’hier »

Sur les réseaux sociaux, « Dave le développeur » est un personnage culte. Un jeune travailleur libre, heureux, intouchable, courtisé par toutes les entreprises qui se battent pour le recruter. Devenu un mème d’Internet, « Dave le dev », peut même se permettre de se moquer des dizaines d’offres d’emploi qui pleuvent sur lui tout au long de la journée. « C’est pas moi j’postule à ton offre, c’est ton offre elle postule à moi », dit-il ainsi en ouvrant le réseau social professionnel LinkedIn le matin, sur l’une des centaines d’images allégoriques qui circulent sur Facebook, Twitter, Instagram, LinkedIn, YouTube, Twitch et même le service de discussion Discord. Une référence au couplet culte de la chanson DKR du rappeur Booba (« C’est pas le quartier qui me quitte/C’est moi j’quitte le quartier »).

Un dessin satirique, pas si loin de la réalité. Une pluie de messages de recruteurs, c’est aussi ce que reçoit Wilfried Evieux chaque semaine sur LinkedIn. Avec trois à quatre demandes par jour, ce développeur Web de 26 ans diplômé de l’école Supinfo Paris travaille aujourd’hui en free-lance. Alors qu’il était encore en formation, il a rapidement compris l’attrait que son profil avait pour les entreprises. Avec quelques années d’expérience à son compteur, les demandes affluent toujours plus. Même en spécifiant qu’il n’est pas en recherche d’emploi, les entreprises essaient constamment de le débaucher, à l’image de « Dave le dev ». Et pour cause, ce métier mal connu est aujourd’hui un pilier du Web.

A partir d’un cahier des charges, le développeur analyse les besoins, choisit la solution technique la mieux adaptée et développe les fonctionnalités du site ou de l’application Web, en les codant. Un développeur débutant gagne un salaire annuel d’environ 32 000 à 48 000 euros annuels. Avec deux à cinq années d’expérience, la rémunération oscille entre 38 000 et 55 000 euros pour les profils confirmés.

Des difficultés à recruter

Si les développeurs ont des profils et des compétences qui attirent autant c’est que le numérique représente aujourd’hui 5,5 % du PIB français, chiffre qui pourrait doubler d’ici quelques années, selon une étude du cabinet McKinsey reprise par Bpifrance. D’après une étude commandée par l’école 42 (dont le fondateur Xavier Niel est également, à titre personnel, actionnaire à titre individuel du Monde), menée auprès de 200 entreprises (de la très petite entreprise aux grands groupes), 8 entreprises interrogées sur 10 déclarent qu’il leur est difficile de recruter des profils Tech.

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La victoire inattendue d’un mouvement syndical parti de la base chez Amazon, à New York

Des membres de l’Amazon Labor Union célèbrent la création du premier syndicat au sein de l’entreprise, à New York, le 1er avril 2022.

C’était au début de la crise liée au Covid-19, en mars 2020, à l’entrepôt JFK8 d’Amazon, un gigantesque centre de tri situé sur Staten Island et destiné à desservir l’immense métropole new-yorkaise. A l’époque, Big Apple s’était transformée en ville fantôme, épicentre mondial de la pandémie, et Amazon était essentiel à la survie de la cité.

Les salariés vivent alors dans la peur du coronavirus. Apprenant qu’un de ses collègues a été testé positif, Chris Smalls, un Afro-Américain du New Jersey, demande l’arrêt de l’entrepôt pour sa désinfection. La direction refuse et le met en quarantaine payée. Dans la foulée, le 30 mars, M. Smalls organise une petite manifestation qui lui vaut d’être licencié, sous prétexte qu’il a brisé son confinement. « Agir m’a coûté mon job », déplore-t-il alors.

Amazon, deuxième employeur du pays derrière Walmart

Le jeune homme, âgé à l’époque de 29 ans, a continué d’agir, et deux ans plus tard, il a sabré le champagne, vendredi 1er avril, à New York : les salariés de l’entrepôt JFK8 ont voté par une large majorité – soit 2 654 votes pour et 2 131 contre – pour la syndicalisation de leur site, qui emploie plus de 8 300 salariés. « Au premier syndicat de l’histoire américaine chez Amazon », a trinqué M. Smalls, à l’issue du dépouillement. Une première dans ce groupe, deuxième employeur du pays derrière Walmart, avec plus de 1,1 million de salariés.

L’entreprise fondée par Jeff Bezos, qui a toujours réussi à éviter les syndicats depuis sa création, en 1995, essuie une défaite politique cuisante. « Nous sommes déçus du résultat de l’élection à Staten Island, car nous pensons qu’il est mieux pour nos salariés d’avoir une relation directe avec l’entreprise », a déploré Amazon, dans un communiqué laconique.

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Bernie Sanders, le sénateur du Vermont, s’est réjoui sur Twitter : « Je pense que ce sera un coup de fouet pour le mouvement ouvrier de ce pays. » La porte-parole de Joe Biden, Jen Psaki, a rappelé pour sa part que « le président [était] un partisan de longue date du droit pour les travailleurs de s’organiser afin d’avoir de meilleurs emplois et une vie meilleure ».

Deux ans après le début de la pandémie, et dix-huit mois après la victoire de Joe Biden, qui a promis d’être le président le plus « prosyndicats » jamais élu, il existe une dynamique politique forte. Ce phénomène survient dans un contexte de déclin syndical : selon le département du travail, le taux de salariés du privé syndiqués aux Etats-Unis est tombé, en 2021, à 6,1 %, son plus bas niveau historique. La syndicalisation atteignant 33,9 % dans le secteur public, le taux global du pays est désormais de 10,3 %, deux fois moins qu’en 1983.

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