Archive dans 2022

Pas de mère… pas de congé « de paternité »

Droit social. Le système de protection sociale, dont la clé de voûte était, en 1945, une sécurité sociale qui assurait la couverture de la plupart des risques du travailleur salarié (très généralement un homme, le célèbre M. « Gagne-Pain ») et de ses ayants droit (dont l’épouse, « Mme Au-foyer », sans ressources propres, et leurs enfants légitimes) a évolué.

Il n’en reste pas moins des situations dans lesquelles le genre reste un critère d’attribution d’un droit. Comme le congé de paternité devenu, depuis 2013, également celui de « l’accueil de l’enfant », qui figure à l’article L. 1225-35 du code du travail. Ce texte permet de suspendre le contrat de travail à l’occasion d’une naissance ou d’une adoption. Il est complété par l’article L. 331-8 du code de la sécurité sociale, qui organise le revenu de remplacement durant ce congé, dont la durée a d’ailleurs été augmentée depuis juillet 2021.

Un cas non couvert

Le congé de paternité est notamment accordé au compagnon ou au partenaire de la mère qui n’est pas le père biologique de l’enfant dans le cadre d’un couple hétérosexuel et à la compagne ou à l’épouse de la mère dans le cadre d’un couple homosexuel.

Toutefois, huit ans après l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe, il reste un cas non couvert.

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Ainsi, en cas d’adoption d’un enfant par un couple d’hommes, les caisses primaires d’assurance-maladie, compétentes pour le versement de l’indemnisation par application du code de la sécurité sociale, accèdent à la demande d’un premier congé de paternité mais rejettent la demande de congé de paternité de l’époux ou du compagnon de l’adoptant ou du coadoptant : pas de mère, pas de congé d’accueil de l’enfant, selon le texte.

Le traitement est donc différent, selon que les adoptants sont un couple de femmes ou un couple d’hommes.

La Cour européenne des droits de l’homme considère de façon constante, par application de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, « qu’une différence de traitement est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».

« Responsabilité éducative »

Le but annoncé de ce congé, notamment par la réforme de 2021, était « de renforcer les pères dans leur responsabilité éducative à l’égard de leurs enfants par un investissement précoce auprès de ceux-ci » : il est dès lors paradoxal, et surtout non justifiable, d’accorder le congé de paternité à l’épouse ou à la compagne de la mère ou de l’adoptante et de refuser ce droit au mari, compagnon du père biologique ou du père adoptant.

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L’emploi des seniors, un des enjeux clés de la future réforme des retraites

Emmanuel Macron reçoit les partenaires sociaux, ici avec Laurent Berger (CFDT) et Geoffroy Roux de Bézieux (Medef), à l’Elysée, le 24 juin 2020.

En voulant porter à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite, Emmanuel Macron relève un redoutable défi : celui de l’emploi des seniors. La France représente un contre-exemple – ou un antimodèle – en la matière, avec un pourcentage de sexagénaires en activité qui s’avère parmi les plus faibles des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Une situation identifiée de longue date mais que les gouvernements successifs, malgré de vibrantes professions de foi, n’ont pas vraiment prise à bras-le-corps – y compris pendant le premier quinquennat du président réélu.

Les chiffres donnent un aperçu de l’ampleur de la tâche. Certes, la proportion de seniors en emploi s’est accrue au cours des deux décennies écoulées. Au quatrième trimestre de 2021, 56,1 % des personnes de 55 à 64 ans occupaient un poste, soit 18,4 points de plus par rapport aux trois premiers mois de 2003, selon une note de la Dares – la direction chargée des études au ministère du travail. Cette augmentation est imputable, en grande partie, aux mesures prises depuis deux à trois décennies pour retarder l’âge d’ouverture des droits à la retraite et pour restreindre les dispositifs de cessation anticipée d’activité (les préretraites, en particulier).

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Mais la situation est très disparate, si on examine plus finement les statistiques. Ainsi, seuls 35,5 % des femmes et des hommes de 60 à 64 ans exerçaient un métier en 2021, d’après la Dares. Ce pourcentage est en hausse depuis le début du XXIe siècle, mais les données les plus récentes permettant de faire des comparaisons internationales montrent que la France se trouve en queue de peloton : en 2019, le taux d’emploi pour cette tranche d’âge (les 60-64 ans, donc) était de 32,7 %, contre 70 % en Suède, 61,8 % en Allemagne et 52,4 %, en moyenne, à l’échelon des Etats membres de l’OCDE.

Autre gros point noir : bon nombre d’individus en fin de carrière passent par des périodes plus ou moins longues de chômage ou d’inactivité avant de pouvoir réclamer le versement de leur pension. Ainsi, sur la période 2018-2020, la part des femmes et des hommes de 61 ans qui ne sont ni en emploi ni à la retraite était de 27,67 % en moyenne, contre 15,2 % sur la période 2013-2015, d’après des statistiques fournies par le Conseil d’orientation des retraites (COR).

Une sorte de pacte tacite

« Il y a une déconnexion entre l’âge auquel les personnes quittent le marché de l’emploi et l’âge auquel elles demandent le versement – ou la liquidation – de leur pension : le premier dépasse à peine 60 ans en moyenne, tandis que le second est un peu supérieur à 62 ans », décrypte Anne-Marie Guillemard, professeure émérite de sociologie à l’université Paris-Descartes de la Sorbonne. Un tel hiatus, explique-t-elle, tient au fait que de nombreux salariés arrêtent définitivement de travailler, une fois franchi le cap de la soixantaine, mais doivent attendre un certain temps avant de faire valoir leur droit à la retraite, parce qu’ils ne remplissent pas les conditions requises. « Il ne faut, en effet, pas perdre de vue que 42 % des individus qui liquident leur pension ne sont déjà plus en activité, étant sortis du marché du travail pour diverses raisons », souligne Anne-Marie Guillemard. Dans certains cas, ils sont au chômage depuis une ou plusieurs années ; dans d’autres, ils sont en situation d’invalidité ou allocataires d’un minimum social…

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Augmenter le smic : le débat refait surface chez les économistes

La feuille de paye est-elle l’ennemie de l’emploi ? Alors que de plus en plus de ménages se serrent la ceinture face à l’emballement des prix de l’énergie et des produits alimentaires, cette question récurrente vient d’être relancée par Patrick Artus. Le conseiller économique de la banque Natixis, qui fait partie des experts dont la voix est particulièrement écoutée en France, a affirmé, le 28 avril, que la réflexion sur le pouvoir d’achat « se heurte [à un] tabou » : celui de la « croyance très profonde chez la très grande majorité des économistes » selon laquelle une augmentation des « plus bas salaires » détruit des postes « peu qualifié[s] ». « Est-ce que c’est vrai ? », s’est-il interrogé, sans trancher ni par l’affirmative ni par la négative.

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Le simple fait d’exprimer des doutes suscite des réactions contrastées chez ses pairs et est susceptible de fournir des arguments à tous ceux, notamment à gauche ainsi que parmi les syndicats, qui exhortent les pouvoirs publics à accroître plus généreusement le smic.

M. Artus a tenu ces propos lors du Club de l’économie, une rencontre-débat organisée par Le Monde. Le conseiller de Natixis a rappelé que depuis une décennie, le salaire minimum ne reçoit « pas de coup de pouce », ce qui signifie que l’Etat se borne à accorder les revalorisations obligatoires prévues par les textes (celles qui interviennent chaque 1er janvier et celles qui se produisent, le cas échéant, en cours d’année lorsque l’inflation flambe, à l’image de la hausse de 2,65 % entrée en vigueur le 1er mai). Une telle modération est conforme aux recommandations que le comité d’experts sur le smic présente, chaque année, dans un rapport remis au gouvernement : pour ce groupe de personnalités qualifiées, une augmentation trop soutenue du salaire minimum risquerait de nuire aux embauches de travailleurs rétribués à ce niveau-là.

« Plein de contre-exemples »

Cette certitude, qui s’appuie sur de nombreuses recherches, mériterait, toutefois, d’être réexaminé aux yeux de Patrick Artus, car il y a « plein de contre-exemples ». Le conseiller de Natixis se prévaut d’une célèbre étude réalisée au milieu des années 1990 par David Card et Alan Krueger : les deux économistes s’étaient intéressés à des établissements du secteur de la restauration rapide aux Etats-Unis, qui avaient relevé de façon substantielle la rémunération de leurs employés les moins bien payés. Résultat : « Ça n’a pas du tout détruit d’emplois », a relaté Patrick Artus. Au contraire, même : « Ils [en] ont créé. » Dès lors, « il faut creuser cette question » en conduisant de nouvelles enquêtes, voire des « expérimentations » qui pourraient se traduire par des majorations fortes et très localisées du smic afin d’en apprécier les incidences.

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La prime de départ de Stéphane Richard soulève des critiques

Pour sa dernière assemblée générale chez Orange, le 19 mai, Stéphane Richard ne partira pas sous des vivats unanimes. La prime de 475 000 euros que l’opérateur télécoms souhaite verser à son futur ex-président suscite l’incompréhension des « proxy advisors », ces agences de conseil en vote qui soufflent à l’oreille des grands actionnaires. Les américaines Glass Lewis et ISS, ainsi que la française Proxinvest, recommandent de voter contre le plan de rémunérations pour 2022 des dirigeants d’Orange, dont le salaire de M. Richard pour ses quatre mois et demi à la présidence et sa prime.

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Comparés à des dossiers qui avaient fait polémique dans le passé, comme les 13,7 millions d’euros touchés par Michel Combes au moment de son départ d’Alcatel-Lucent en 2015, les 475 000 promis à M. Richard ne sont pas extravagants. Mais les agences de conseil en vote jugent ce geste « injustifié ».

« Le conseil d’administration a décidé que ce n’était pas normal de laisser partir Stéphane Richard sans un minimum après toute son action à la tête du groupe pendant douze ans. Il n’a rien d’autre : pas de clause de non-concurrence, pas de retraite chapeau… », rétorque Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange, pour qui « ces critiques sont injustes et le montant n’est pas indécent ». L’opérateur insiste notamment sur le soutien de M. Richard tout au long du processus de recrutement de sa successeure à la direction générale, Christel Heydemann. Mais selon ISS, « l’établissement d’un plan de succession est considéré comme une mission ordinaire du conseil d’administration, en l’occurrence présidé par Stéphane Richard. En tant que tel, l’accomplissement de cette tâche serait donc récompensé deux fois, une fois par sa rémunération annuelle et une seconde fois par cette rémunération exceptionnelle ».

« Récompenser un départ forcé après une condamnation pour complicité de détournement de fonds publics peut paraître surprenant », lance l’agence ISS

Surtout, les agences rappellent que la démission de M. Richard de ses fonctions de directeur général résulte de sa condamnation en appel en novembre 2021 pour complicité de détournement de fonds publics dans l’affaire Tapie. « Récompenser un départ forcé après une condamnation pour complicité de détournement de fonds publics peut paraître surprenant », lance ISS. « Sa condamnation est de l’ordre du privé et cette affaire n’a jamais eu d’impact sur l’activité de Stéphane Richard comme PDG ni sur celle d’Orange », répond M. Guérin.

Autre sujet de fâcherie potentielle : l’arrivée de Jacques Aschenbroich à la présidence d’Orange. Glass Lewis, ISS et Proxinvest recommandent de voter contre sa nomination. En cause : son cumul de mandats. En plus de son futur poste chez Orange, M. Aschenbroich conservera la présidence de Valeo, potentiellement jusqu’à la fin de 2022, et occupera deux sièges d’administrateurs chez BNP Paribas et Total. Glass Lewis craint que « cette combinaison de postes empêche » M. Aschenbroich « de consacrer le temps nécessaire pour assumer les responsabilités requises d’un membre du conseil d’administration ».

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L’argot de bureau : le « smart working », un cocktail de transformations managériales

Portier dans un beau quartier alors que l’interphone a été inventé, secrétaire d’un petit patron ne recevant que trois appels par jour… Autant de métiers labellisés « bullshit jobs » par l’anthropologue américain David Graeber (1961-2020), car contre-productifs, continuant à exister alors qu’ils n’ont plus lieu d’être. Il en va de même de tous ces manageurs qui enjoignent les salariés à rester assis à leur bureau, alors qu’il n’y a plus de travail.

Face à ces inutilités et rigidités du monde de l’entreprise s’érigerait le « smart working », le travail intelligent : c’est l’un des derniers fleurons du jargon d’entreprise. En règle générale, on le traduit plutôt par « travail flexible » ou « travail hybride ». Dotée des nouveaux outils collaboratifs et tirée par un état d’esprit plus ouvert des dirigeants, c’est une manière de travailler qui se construit littéralement « en bonne intelligence » avec les salariés, puisqu’elle s’adapte à leurs besoins.

Il est difficile de situer la genèse du terme, mais le smart working s’est fortement développé en… Italie. En effet, le terme y est inscrit – en anglais –, dans une loi de 2017 : c’est une « modalité d’exécution de la relation de travail subordonnée, établie par accord entre les parties, également avec des formes d’organisation par phases, cycles et objectifs ».

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Tout d’abord, le smart working est indissociable du digital : il s’agit d’un travail « augmenté » par le numérique, au même titre qu’une Smart TV, qui possède des fonctionnalités supplémentaires, car elle est connectée. La technologie permet d’augmenter les salariés – du calme, pas financièrement – en les rendant plus efficaces.

Le plus beau des fourre-tout managériaux

Ces mêmes salariés sont au cœur du processus, a priori fondé sur la confiance et l’adaptation aux désirs de chacun. La flexibilité de ce travail est spatio-temporelle : elle touche tant l’organisation physique du management – salles de réunion, lieux de convivialité (salles de sport ou de sieste), bureaux flexibles, espaces de coworking ou pas de bureau du tout, si l’on télétravaille – que l’agencement des temps de travail (gestion des horaires, choix des jours de télétravail).

La souplesse et l’adaptation se traduisent d’ailleurs dans le mode de décision : le smart working se coconstruit à travers des projets à 360 degrés, où chacun peut donner son avis, et où tout le monde gagne… Mais dont la genèse revient tout de même à la direction.

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L’assureur Axa est l’un des pionniers de ce travail coconstruit par le biais d’accords d’équipe : l’entreprise a même annoncé que toutes ses entités auront adopté le smart working d’ici à fin 2023, chacune ayant une stratégie de déploiement adaptée à son activité et à ses réalités locales.

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Immobilier de bureau : « La manière de concevoir le siège social a profondément changé »

L’architecte Jean-Paul Viguier, grand spécialiste des sièges sociaux qui vient de livrer ceux de Vinci et d’Orange, explique comment l’immobilier de bureau est passé du « sur-mesure » au « prêt-à-porter ».

Quel impact la crise sanitaire a-t-elle sur le monde du bureau ?

La pandémie a changé beaucoup de choses, mais comme l’architecture est un exercice du temps long, le résultat s’appréciera véritablement dans plusieurs années. La principale nouveauté est qu’il n’y a plus un bureau unique mais des espaces de travail. On travaille depuis le train, chez soi, à la maison, sur son lieu de vacances. Cette nouvelle manière de faire transforme aussi le logement. La pièce en plus était un sujet, c’est devenu une urgence. Enfin, on ne dissocie plus l’immeuble de bureau de son quartier, et sa proximité avec les transports en commun et les lieux d’habitation est devenue essentielle.

Cette dispersion des lieux de travail signe-t-elle la fin du siège social ?

De mon point de vue, non. Les entreprises s’interrogent sur la manière dont leurs équipes peuvent se retrouver et échanger, lorsqu’elles ne sont pas en télétravail. Elles cherchent donc à les rassembler en un même lieu. Le siège social reste la vitrine de l’entreprise. La manière de le concevoir a, en revanche, profondément évolué.

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Il y a trente ans, les industriels étaient propriétaires de leurs locaux, lesquels devaient incarner l’esprit maison. Dans les années 1990, le groupe pharmaceutique Astra (qui fusionne avec le britannique Zeneca, en 1999) était dirigé par des médecins suédois, qui avaient la culture du dedans. Avec beaucoup de bois, un jardin, ils retrouvaient à l’intérieur ce que l’extérieur ne leur offrait pas. A la fin des années 1990, quand on m’a demandé de penser une maison commune à France 2, France 3 et France 5, il a fallu résoudre une question politique : comment ne pas donner le sentiment d’une grande et d’une petite chaîne alors que France 2 était trois fois plus grande que France 3. Elles occupent deux tiers et un tiers du bâtiment, mais la façade est commune, et l’étage de la direction coiffe les deux chaînes.

Avec les difficultés de l’économie, l’ouverture à la concurrence, les industriels européens ont investi massivement pour développer l’industrie et se sont détournés de l’immobilier. Ils se sont donc mis à louer les bâtiments qu’ils habitent et ont laissé le monde de l’immobilier se charger de construire les lieux de travail. Le bureau est devenu un produit financier, les promoteurs construisaient des bâtiments pour lesquels les investisseurs demandaient une rentabilité financière. Comme le promoteur ne connaissait pas le nom de l’utilisateur final, on dessinait des plateaux qui conviennent à tous. On est passé du sur-mesure au prêt-à-porter.

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Des bureaux partagés pour redynamiser les périphéries

Appelez-les tiers-lieux, espaces de coworking, ou encore « bureaux secondaires », comme le souffle le sociologue Jean Viard, en écho « à la culture de la résidence secondaire ». Ces espaces loués à l’heure, à la journée, ou au mois, pourraient être une solution pour tous les télétravailleurs dont le logement est trop petit, ou pour lesquels la présence d’enfants, d’un colocataire, ou d’un conjoint lui aussi en télétravail, rend la concentration difficile.

« Ce sont des espaces mis à disposition là où vous vous trouvez mais qui sont opérés par d’autres et que l’on paie comme des chambres d’hôtel. Quand je me déplace, je n’ai pas une chambre à l’année au Ritz ; je dors à Marseille, à Lyon, à Rennes. Pour le bureau, c’est pareil », explique Frédéric Goupil de Bouillé, le vice-président de l’ADI, l’Association des directeurs immobiliers.

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Développer des lieux pour que les salariés travaillent « en bas de chez eux plutôt que chez eux » était l’une des pistes qu’avait retenues la ministre du logement, Emmanuelle Wargon, lorsqu’elle a présenté, à l’automne 2021, sa vision sur la manière d’« habiter la France de demain » : davantage de confort, du temps en moins dans les transports, mais aussi insuffler de la vie dans certains territoires.

Des communes comme Orgères (Ille-et-Vilaine), une petite ville de 4 200 habitants près de Rennes, proposent des espaces avec tables à partager, salles de réunion connectées et machine à café, en centre-bourg. Les promoteurs en créent au bas de leurs résidences. Mais le créneau est surtout investi par les enseignes venues concurrencer IWG, ex-Regus, le roi du bureau sans bail fixe depuis trente ans. Le concept des WeWork, Morning ou Deskeo, arrivés sur le marché depuis une dizaine d’années, est le même, l’esthétique du pouf en plus.

Travailler au vert

Après une année 2020 atone, l’activité repart de plus belle. Jusqu’à présent, elle concernait surtout les métropoles. A Paris, Morning (groupe Nexity) doit ouvrir son plus grand site, 8 000 m2, rue Laffitte, dans le 9e arrondissement, à l’automne ; les trois luxueux étages de l’hôtel de la Marine, avec vue sur la Concorde, commercialisés depuis l’été 2021, sont occupés à 92 % et la Fédération internationale de football y a installé son siège parisien aux côtés de fonds d’investissement ou de l’éditeur de logiciels Yousign. Une maison du luxe y arrive début juin. Partout, les taux de remplissage sont bons. Même les grands groupes sont séduits. Swile, le spécialiste des titres-restaurant dématérialisés, ou encore L’Oréal, louent des immeubles entiers dans le centre de la capitale.

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L’immobilier de bureau bouleversé par le « flex office »

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Publié aujourd’hui à 01h40

La table de travail est plus petite et interchangeable, mais les salles de réunion, 4, 6, 12 places, sont plus engageantes et bien plus nombreuses. Dans les couloirs, des bulles colorées pour téléphoner, avec ou sans canapé, ont fait leur apparition. Les escaliers sont placés au centre pour que les salariés s’y croisent et que les idées fusent, dit-on. Le midi, les comptoirs « bistrot », « rôtisserie », « végan » remplacent les bacs à crudités. Un colis, un panier de légumes à récupérer ? « Capucine », un prénom, un sourire, s’occupe de tout, after work et cours de prise de parole en public compris…

Bienvenue au bureau dans le monde d’après, celui de l’ère post-Covid-19, que découvrent les salariés à mesure que leur direction d’entreprise décide de déménager. C’est ainsi qu’à l’automne prochain les 4 000 cadres parisiens de CGI, une société de services numériques, 11 000 salariés en France, occuperont 5 des 14 niveaux que compte le Carré Michelet, un immeuble entièrement rénové à la Défense, dans les Hauts-de-Seine. Au passage, le groupe aura réuni toutes ses équipes au même endroit, lesquelles travailleront pour beaucoup en flex office, c’est-à-dire sans bureau fixe, et aura sérieusement réduit ses mètres carrés. D’ici à 2025, lorsque Total occupera, en face, les deux tours dessinées par Philippe Chiambaretta, les employés du siège travailleront, eux aussi, dans des locaux immaculés, avec des espaces « ouverts sur la ville », un jardin paysager sur le toit, mais, là encore, dans un peu moins grand – 130 000 mètres carrés, tout de même.

Ces deux déménagements – on pourrait aussi citer celui de BNP Real Estate, qui vient de s’installer dans un ancien atelier Renault à Boulogne-Billancourt, dans les Hauts-de-Seine, sur des plateaux à 100 % en flex office – étaient prévus de longue date. Pour d’autres, la pandémie n’a fait qu’accélérer le temps. Dix-huit mois de télétravail plus ou moins forcé ont fait faire un bond de sept années au marché, estiment les professionnels de l’immobilier, qui voient nombre d’entreprises se rapprocher des centres-villes et des transports en commun, mais en réduisant les surfaces et en passant au flex office. Ainsi cet éditeur de logiciel qui a laissé 8 000 mètres carrés dans le 8e arrondissement de Paris pour des locaux plus à l’étroit sur un plateau de coworking dans le quartier d’Opéra, et dont les salariés ont désormais un abonnement pour réserver un bureau à partager plus près de chez eux.

Une source d’économies

Sous le couvert de la flexibilité, l’heure est donc à la réduction des surfaces, interrogeant ainsi l’avenir de l’immobilier de bureau. L’étude de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) sur l’impact du télétravail sur le parc de bureaux en Ile-de-France publiée après le premier confinement est encore dans toutes les têtes. Selon le scénario médian, si quatre entreprises sur dix passent à deux jours de télétravail par semaine, près d’un tiers des surfaces de bureaux pourrait être libéré. Soit 3,3 millions de mètres carrés en moins, en région parisienne. Quand on sait que le coût des locaux représente le deuxième poste de dépense après les salaires, les directions y ont vu une source substantielle d’économies. Mais quid, alors, de tous ces immeubles tout juste sortis de terre et des projets de quartiers de gares du Grand Paris, présentés en grande pompe dans les salons avant la pandémie ? Les investisseurs ont temporisé, attendant d’y voir plus clair.

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Pour les bistrots et les restaurants parisiens, une reprise encore incertaine, marquée par l’inflation et les difficultés de recrutement

Une terrasse de café à Paris, face au Centre Pompidou, le 23 avril.

A midi, fin avril, malgré un soleil éclatant, les terrasses collées les unes aux autres sur la fameuse place du Tertre, à Montmartre, dans le nord de Paris, sont loin d’afficher complet. Mais l’anglais, le néerlandais, l’espagnol ou l’allemand résonnent à nouveau au gré des tables. Un véritable soulagement pour les restaurateurs. « Nous n’avons pas retrouvé encore le niveau d’activité de 2019, avant la crise du coronavirus, mais les touristes européens sont de retour », observe le directeur du restaurant La Crémaillère 1900. Même constat Au clairon des chasseurs, une enseigne voisine, où l’on date cette arrivée de Pâques avec la coïncidence des vacances françaises et européennes. Les visiteurs chinois ou japonais manquent toutefois à l’appel.

A la butte Montmartre, ou dans tous les hauts lieux du tourisme parisien, bars et restaurants ont longtemps pâti du manque de clientèle étrangère. « En 2019, année exceptionnelle, l’Ile-de-France a reçu 51 millions de touristes, en 2020, 18 millions ; et en 2021, 23 millions », expose Frank Delvau, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie Paris-Ile-de-France, illustrant le fort impact de la crise sanitaire mondiale sur la fréquentation de la capitale. Une pandémie de Covid-19 qui a continué à pénaliser la restauration en début d’année 2022, avec les mesures prises pour tenter de l’endiguer, entre incitation au télétravail, passe sanitaire obligatoire et événements ou salons annulés.

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« Nous avons mal commencé l’année, avec des mois de janvier et de février très mauvais. En mars, l’activité a frémi, et elle est vraiment repartie en avril », estime M. Delvau. La tenue du Salon de l’agriculture, fin février et début mars, a donné le coup d’envoi du retour des grands événements. A l’exemple de la Foire de Paris, qui a ouvert ses portes fin avril et qui draine toujours un large public. Avec le flux des touristes d’affaires et celui des vacanciers qui s’écoule à nouveau dans les rues de la capitale depuis Pâques, le moteur de l’activité redémarre enfin en quasi régime de croisière. Même si la persistance du télétravail bouscule toujours les habitudes.

Bataille pour les terrasses

Mais tous les établissements ne bénéficient pas de cette reprise de manière identique. Avoir ou non une terrasse est déjà un discriminant fondamental. Après le premier confinement, au printemps 2020, la réouverture des établissements s’est faite avec une grande latitude sur l’installation des terrasses éphémères. Soucieuse de soutenir la profession, la Mairie de Paris avait opté pour une simple déclaration de ces espaces, sans demande d’autorisation préalable, assortie d’une gratuité. En outre, les tenanciers ont pu s’étaler sur l’espace public, conquérir places de stationnement, terre-pleins et placettes. Résultat, près de 12 000 terrasses avaient fleuri au printemps 2020. Rebelote en 2021.

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Les travailleurs des plates-formes vont élire pour la première fois leurs représentants du personnel

C’est l’heure de voter pour les travailleurs des plates-formes de mobilité, qui, pour la première fois, éliront leurs représentants, du 9 au 16 mai. Sept organisations et syndicats sont candidats pour le collège des voitures de transport avec chauffeur (VTC), neuf pour celui des livreurs à deux-roues. Les listes qui auront obtenu au moins 5 % des suffrages lors de ce scrutin (8 % lors des suivants) pourront désigner chacune trois membres qui siégeront lors des réunions de négociation. Ceux-ci disposeront d’une protection en cas de rupture de leur contrat commercial avec la plate-forme qui ne devra pas résulter de leur activité de représentants. Un dispositif calqué sur la protection des représentants des salariés.

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Cinq organisations se présentent à la fois dans les deux collèges : la CFTC, FO, l’UNSA, Union-Indépendants (dont la CFDT est membre fondateur) et la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE). En outre, dans le secteur des VTC sont aussi candidates l’Association des chauffeurs indépendants lyonnais (ACIL) et l’association des VTC de France.

La FNTR se présente chez les livreurs

Chez les livreurs se présentent également la CGT, SUD-Commerces et Services et la Confédération nationale des travailleurs-Solidarité ouvrière (CNT-SO), ainsi que la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). La présence de cette organisation patronale peut sembler curieuse. Erwan Poumeroulie, responsable des affaires juridiques et sociales, rappelle que la fédération « défend l’entreprise » et les travailleurs de plates-formes ont souvent le statut d’autoentrepreneur.

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« Notre secteur compte des entreprises qui emploient des coursiers à vélo ou à moto salariés, précise M. Poumeroulie. Si certains travailleurs des plates-formes ont une activité qui renvoie en pratique au salariat, on doit s’assurer que le principe du salariat soit appliqué pour éviter un phénomène de concurrence déloyale. Les services de l’Etat doivent assurer des contrôles. » Cette confusion des genres a été démontrée notamment lors du procès pénal de Deliveroo, qui a été condamné lourdement, le 19 avril, pour « travail illégal » sur la période 2015-2017.

La CNT-SO a décidé de déposer, lundi 9 mai, une requête en annulation au tribunal judiciaire de Paris pour plusieurs motif

Le démarrage des élections risque cependant d’être chaotique. La CNT-SO a décidé de déposer, lundi 9 mai, une requête en annulation au tribunal judiciaire de Paris pour plusieurs motifs, dont « le refus » de la part de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE), organisme public créé pour organiser ce scrutin, « de communiquer les listes électorales » aux organisations candidates. L’ARPE renvoie à une délibération de la Commission nationale de l’informatique et des libertés selon laquelle « les deux listes électorales ne peuvent pas faire l’objet d’une publication complète ». Or, « certains travailleurs n’ont pas reçu [l’]identifiant » que les plates-formes devaient leur adresser par e-mail et qui devait leur permettre de vérifier leur inscription, dénonce Ludovic Rioux, coordonnateur CGT des livreurs à vélo.

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