Archive dans 2022

Le personnel de la petite enfance en grève pour dénoncer la pénurie de professionnels

A Paris, le 6 octobre 2022.

Plusieurs milliers de personnes ont manifesté, jeudi 6 octobre à Paris, pour demander la revalorisation des salaires et dénoncer la pénurie de professionnels dans le secteur de la petite enfance, l’un des domaines qui souffrent le plus de manque de personnel.

L’appel à la grève a été lancé par le collectif Pas de bébés à la consigne, qui rassemble une cinquantaine d’associations et d’organisations syndicales. Environ 2 500 personnes ont manifesté à Paris selon la police, quelque 5 000 selon les organisateurs, en chantant « Les crèches surbookées et les pros surmenés, c’est les bébés qui sont sacrifiés ».

Les jouets pour enfants, instruments de musique, poupées et autres accessoires étaient portés par les manifestants, dont certains criaient à destination des passants : « C’est pour vos bébés qu’on fait grève ! ».

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Plusieurs manifestations dans toute la France

A Paris, le 6 octobre 2022.

Adèle Reboux, 22 ans, travaille dans une crèche au Pré-Saint-Gervais, au nord-est de Paris, et dénonce « des conditions de travail épuisantes ». « En plus de [nous] occuper des enfants, nous devons former ceux qui n’ont aucune qualification », dit-elle en référence à un arrêté paru en juillet 2022. Ce texte autorise à recruter plus facilement des salariés non diplômés et à les former en interne pour pallier la pénurie de personnel dans les crèches.

« Aujourd’hui, une auxiliaire de crèche gagne 1 300 euros net en début de carrière, c’est bien trop peu », regrette Sandrine Aragou, 50 ans, auxiliaire dans les Yvelines. Les crèches emploient entre autres des éducatrices, des auxiliaires de crèche, des puéricultrices.

Des manifestations ont également eu lieu en région, par exemple à Lille, à Marseille et à Bordeaux, selon le collectif Pas de bébés à la consigne. En France, le nombre de places proposées par les établissements d’accueil du jeune enfant a augmenté durant la dernière décennie, pour atteindre 471 000 en 2019, la plupart d’entre eux étant gérés par les municipalités. Environ la moitié (48,6 %) des établissements rapportent un manque de personnel, selon une enquête réalisée par la Caisse nationale d’allocations familiales et publiée en juillet.

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Le Monde avec AFP

Réforme des retraites : l’exécutif dévoile la feuille de route de la concertation

Les sujets les plus conflictuels ne seront pas abordés d’entrée de jeu. Mercredi 5 octobre, le ministre du travail, Olivier Dussopt, a donné le coup d’envoi de la « concertation » sur la réforme des retraites. Durant une heure et demie, il a reçu les partenaires sociaux pour leur expliquer comment les échanges allaient se dérouler. Relancée récemment par l’exécutif, l’idée de reporter à 65 ans de l’âge d’ouverture des droits à une pension figurera dans le dernier chapitre des discussions. Cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron constitue le plus gros point de blocage, l’ensemble des syndicats étant hostiles à une telle mesure, qu’ils se disent prêts à combattre par « tous les moyens d’action nécessaires ».

Le calendrier et la méthode présentés mercredi s’inscrivent dans la droite ligne des annonces faites le 29 septembre par Elisabeth Borne. La cheffe du gouvernement avait déclaré que des consultations seraient engagées durant l’automne sur ce chantier, son souhait étant d’en tirer un bilan « avant Noël ». « On privilégie l’inscription de cette réforme dans un projet de loi qui devrait être voté avant la fin de l’hiver, pour une entrée en vigueur de la réforme à l’été 2023 », avait-elle ajouté.

Menace d’un mouvement social

Mercredi, M. Dussopt a apporté des précisions à cette feuille de route, en expliquant que les pourparlers seraient découpés en trois « cycles ». Le premier, centré sur « l’emploi des seniors et la prévention de l’usure professionnelle », débutera le 10 octobre. Sur cette problématique, le patronat est attendu de pied de ferme, les employeurs étant souvent accusés de vouloir couper au sommet de la pyramide des âges en se séparant de leurs salariés vieillissants.

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A partir du 7 novembre commencera une deuxième séquence de réflexion, sur l’« équité et [la] justice sociale », qui pourrait alimenter les tensions, car il sera notamment question de « l’avenir des régimes spéciaux ». Ces dispositifs permettent aux travailleurs de certaines entreprises (comme la RATP) de partir à la retraite avant 62 ans – la règle de droit commun pour les salariés du privé. Devrait également être examiné le sort des fonctionnaires en « catégories actives », qui, eux aussi, peuvent réclamer le versement de leur pension plus tôt que les autres (policiers, militaires, certains personnels soignants dans les hôpitaux…). La remise en cause de ces systèmes dérogatoires est une source potentielle d’affrontements, comme l’ont montré, par exemple, les grèves de cheminots en 2018 contre la mise en extinction de leur statut et l’affiliation des recrues de la SNCF au régime général de l’assurance-vieillesse.

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Assurance-chômage : les députés durcissent le projet de réforme mené par le gouvernement

Le ministre délégué chargé des comptes publics, Gabriel Attal, lors des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 4 octobre 2022.

Quel rôle pour l’assurance-chômage auprès des demandeurs d’emploi ? Quelle relation doivent avoir les salariés au travail ? Ces questions, très politiques, « mais aussi philosophiques » selon les mots du député « insoumis » de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière, ont traversé les débats, de lundi 3 à mercredi 5 octobre, à l’occasion de l’examen du projet de loi ouvrant la voie à une réforme de l’assurance-chômage. Ils ont aussi illustré les clivages entre la coalition présidentielle, soutenue par les élus du parti Les Républicains (LR), et la coalition de gauche, la Nouvelle Union populaire, écologiste et sociale (Nupes).

Ce texte constitue la première étape du vaste projet de réforme du marché du travail qui, selon le gouvernement, doit mener vers le plein-emploi d’ici à 2027. Il prévoit notamment de changer les règles d’indemnisation pour en moduler la durée en fonction de l’état du marché du travail. Les cinq articles du texte ayant été adoptés, le résultat du vote solennel, qui n’aura lieu que mardi 11 octobre après les questions au gouvernement, ne fait guère de doute.

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Pour s’assurer du soutien du groupe LR à l’Assemblée nationale, dont les bancs étaient très clairsemés en séance, le gouvernement et la majorité présidentielle ont durci le texte en incorporant des dispositions sur les abandons de poste. Actuellement, les salariés qui quittent leur emploi sans préavis doivent ensuite être licenciés par leur employeur, ce qui leur permet de bénéficier des indemnités chômage. Les députés Ensemble citoyens (Renaissance, MoDem et Horizons) et LR, qui assurent à l’unisson s’appuyer sur des « retours de terrain » et des « témoignages d’employeurs », ont déposé des amendements communs, travaillés avec le gouvernement en amont, pour créer une « présomption de démission » qui bloquerait donc l’ouverture des droits.

En l’absence du ministre du travail, Olivier Dussopt, qui ouvrait ce mercredi la concertation avec les partenaires sociaux sur le projet de réforme des retraites, c’est Carole Grandjean qui a défendu l’amendement : « Ce phénomène d’abandon de poste est en augmentation constante et pose divers problèmes, notamment pour les entreprises qui voient leur collectif se désorganiser », a affirmé la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. « L’abandon de poste est utilisé pour dévoyer la démission et percevoir l’assurance-chômage », a abondé l’élu (Horizons) de Maine-et-Loire, François Gernigon.

Un amendement visant à durcir le texte

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Réforme de l’assurance-chômage : l’Assemblée nationale vote l’assimilation de l’abandon de poste à une démission

Les salariés abandonnant leur poste pourraient être privés d’allocations-chômage. L’Assemblée nationale a voté en ce sens, mercredi 5 octobre, en première lecture, des amendements portés par les députés de la majorité et de droite, dans le cadre de l’examen du projet de loi de réforme de l’assurance-chômage.

Malgré les critiques de la gauche, les amendements, qui précisent que « le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin (…) est présumé démissionnaire », ont été largement adoptés, par 219 voix contre 68.

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Mesure défendue par la majorité et Les Républicains

Actuellement, les salariés qui ne viennent plus travailler sans justification et qui finissent par être licenciés peuvent bénéficier de l’assurance-chômage. Un licenciement pour abandon de poste constitue en effet un licenciement pour faute grave : il ne prive donc pas la personne licenciée de son droit à bénéficier de cette protection, quand bien même l’abandon de poste est « volontaire ».

Mercredi, le gouvernement, par la voix de la ministre déléguée Carole Grandjean, s’est dit favorable à une réforme en la matière, qualifiant les abandons de poste de « phénomène en augmentation constante ». Le député de la majorité Dominique Da Silva a argué que les abandons de poste désorganisaient les entreprises et qu’il s’agissait de prévoir une mesure « claire et juste » pour chacun.

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La droite développe un argumentaire similaire. « Nous ne privons les salariés d’aucun droit. Ils ont toujours la possibilité d’un recours » devant le conseil de prud’hommes, a ainsi fait valoir Jean-Louis Thiériot, député Les Républicains (LR), pour appuyer la position de son parti. Il en a profité pour critiquer chez certains élus de gauche « le choix du droit à la paresse », en référence à la récente affirmation de la députée écologiste Sandrine Rousseau sur Franceinfo, décriée par le camp présidentiel et la droite, et qui a relancé le débat à gauche.

La gauche pointe la dégradation des conditions de travail

Lors de débats houleux dans l’Hémicycle, la gauche s’est inscrite en faux sur ce phénomène, évoquant des cas « marginaux » et plaidant pour ne pas « affaiblir la protection des salariés », sur la même ligne qu’une partie des syndicats de salariés.

« Quelle est la cause de ces abandons de poste ? », a questionné le communiste Pierre Dharréville, suggérant un lien avec des conditions de travail qui se dégradent pour un nombre croissant d’employés.

Les socialistes ont assuré que la mesure adoptée était inconstitutionnelle et non compatible avec les normes de l’Organisation internationale du travail.

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Lors des discussions, un amendement porté par Marine Le Pen (Rassemblement national) a, en revanche, été rejeté : il prévoyait que soit considéré comme une démission le refus d’accepter un contrat à durée indéterminée (CDI) à la fin d’un contrat à durée déterminée (CDD). « Il y a une partie des gens qui fraudent » en alternant CDD et allocations-chômage, et en refusant des CDI, a prétexté la présidente du groupe d’extrême droite.

Mais le sujet n’est pas clos. Le camp présidentiel s’est en effet aussi intéressé au sujet : des amendements prévoyant la même mesure, applicable après trois refus de CDI, avaient même été déposés par des députés Horizons et MoDem. Mais ils ont été retirés par leurs auteurs, à la demande du gouvernement, qui souhaite retravailler la disposition. En réaction, Mme Le Pen a dénoncé les « pudeurs de vierge du gouvernement ».

Le Monde avec AFP

Aux états généraux des écoles de journalisme, une profession bousculée par la jeune génération

Hasard du calendrier ? Les premiers états généraux de la formation et de l’emploi des jeunes journalistes, qui se sont tenus le 4 octobre 2022 à Paris, ont coïncidé avec le « News Engagement Day » – un rendez-vous annuel visant à promouvoir la confiance de la population envers les journalistes. « Si nous ne prenons pas la mesure de la perte de confiance du public envers les médias, la démocratie est en danger fatal », a souligné, dès l’ouverture de cet événement, Pascal Guénée, président de la Conférence des écoles de journalisme (CEJ), organisme qui rassemble les quatorze écoles reconnues et pilotant cet événement. Une façon de rappeler que si c’est la première fois que la profession se mobilise de la sorte pour les jeunes, c’est aussi parce que son avenir est en question.

Désinformation, évolution du rapport au travail, nouveaux modes de consommation de l’information, impact des nouvelles technologies, précarité associée au travail en « free-lance »… Le métier de journaliste est touché par les changements profonds qui traversent la société, comme l’ont montré les travaux menés dans le cadre de ces états généraux, financés par le plan France relance et le ministère de la culture. Un dispositif a été mis en place en 2022, avec des actions dans les écoles et auprès des employeurs.

Une enquête a été menée auprès de néodiplômés (des promotions de 2019 à 2022) pour entendre leurs aspirations. On y apprend que le journalisme reste un métier vocation : deux tiers des 1 600 jeunes répondants de l’enquête déployée par le cabinet Pluricité rêvaient d’être journalistes depuis des années, voire depuis l’enfance. Mais la plupart refusent de tout sacrifier pour leur passion et réclament un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. Ainsi, seuls 37 % déclarent que travailler en horaire décalé ne leur pose pas de difficultés.

Incompréhensions dans le management

La CEJ a identifié douze thématiques pour changer les conditions d’entrée dans le métier. Le management en fait partie, avec la volonté de dépasser le « choc des générations ». Tous constatent des incompréhensions entre d’un côté, des employeurs agacés que les nouvelles recrues ne souhaitent pas s’impliquer « à fond » pour leur métier passion, et de l’autre, des jeunes qui souhaitent préserver leur vie privée, mener des projets personnels…Ou simplement respecter leurs horaires de travail, alors que les salaires dans le journalisme restent bien inférieurs à ceux d’autres secteurs recrutant des diplômés bac + 5.

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Accusations de travail dissimulé, harcèlement moral et fraude : chez MTArt, l’agent ne fait pas le bonheur

Marine Tanguy à Los Angeles, en 2014. Un plus tard, elle fondait l’agence MTArt.

Le monde de l’art se dit tolérant, ouvert, à l’avant-garde des questions de société. Derrière les paillettes et les bons sentiments, la réalité est parfois tout autre. A son échelle, l’affaire MTArt en offre un bon exemple. L’histoire débute par des « stories » publiées le 24 septembre sur #balancetonagency, un compte Instagram qui, depuis 2020, partage les témoignages anonymes de victimes présumées de harcèlement dans les agences de communication.

« Elle m’a dit que j’étais une pleurnicheuse, que les faibles ne pouvaient réussir dans sa boîte », lâche un post accusant MTArt, aujourd’hui effacé. « Elle », c’est Marine Tanguy, 33 ans, la patronne de MTArt Agency, une agence fondée en 2015 à Londres qui se présente comme une alternative aux galeries et sert d’intermédiaire entre les artistes, les collectivités et les marques. Classée en 2018 par Forbes parmi les « 30 Under 30 », le palmarès des trente jeunes entrepreneurs de moins de 30 ans, sa jeune fondatrice compte une vingtaine d’investisseurs, dont l’entrepreneur Frédéric Jousset, patron du groupe Beaux Arts & Cie.

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Aujourd’hui, ce sont les trois employées du bureau parisien de MTArt (qui disent ne pas être à l’origine des posts sur #balancetonagency), épaulées par treize artistes, qui comptent saisir en octobre le conseil de prud’hommes ainsi que le procureur de la République. Les chefs d’accusation sont graves : travail dissimulé (un délit passible de trois ans d’emprisonnement et de 225 000 euros d’amende pour l’entreprise coupable), fraude fiscale, fraude douanière et harcèlement moral.

Pressions et humiliations

Elise (tous les prénoms ont été modifiés) a été recrutée en septembre 2021 pour diriger le bureau parisien de MTArt. « Marine était chic, rapporte la jeune femme. Elle avait monté son business toute seule, j’étais impressionnée par la force de son engagement. » Si impressionnée qu’elle accepte de travailler sous le statut d’autoentrepreneuse, avec la promesse tacite d’une régularisation qui ne viendra jamais. Elise carbure si bien qu’en six mois elle engrange un chiffre d’affaires d’un demi-million d’euros. L’équipe grossit. En janvier 2022, Isabelle est engagée, puis Léa. Les trois ont envie de bien faire. Mais très vite elles déchantent.

« Est-ce que j’apporte quelque chose à la conversation ? Cela aura-t-il un impact positif sur notre cible ou notre audience ? Si la réponse est non, abstenez-vous » – extrait du règlement de MTArt Agency

Bien que travaillant en tant que prestataires de services en free-lance, elles doivent respecter, disent-elles, un règlement intérieur. MTArt peut ainsi leur refuser un congé parental si leur absence a un impact sur le business. Les rendez-vous médicaux doivent être pris hors des horaires de bureau, faute de quoi il faut rattraper les heures perdues. Plus surprenant, elles sont invitées à réfléchir à deux fois avant de prendre la parole. « Est-ce que j’apporte quelque chose à la conversation ? Quelque chose de nouveau ? Cela aura-t-il un impact positif sur notre cible ou notre audience ? Si la réponse est non, abstenez-vous », précise le règlement.

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Aux ex-fonderies du Poitou, la vie d’après

En désignant la dalle de béton fraîchement coulée au centre du rond-point qui mène aux fonderies du Poitou, Xavier Verger n’a pu réfréner une petite moue, plus ironique que désespérée. Les hommages postmortem ont quelque chose de doux-amer. Sur la dalle, donc, s’élèvera bientôt la silhouette en tôle découpée d’une femme brandissant une culasse. Cette pièce automobile en aluminium que ses collègues et lui ont fabriquée jusqu’en juillet.

La sculpture devait célébrer la reprise des deux fonderies d’Ingrandes (Vienne) par le groupe anglo-indien Liberty House, en 2019. Le temps que le projet artistique se concrétise, les deux usines ont fermé et près de 600 salariés ont été licenciés, ceux de la fonte à l’été 2021, ceux de l’aluminium à l’été 2022.

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Ce matin de la mi-septembre, il y a pourtant encore des voitures garées devant l’ancien local syndical couvert d’appels à la mobilisation délavés par le temps. Stigmates des luttes passées. Les ex-salariés ont entamé la phase d’après.

A l’intérieur, Géry Bégeault et Jean-Philippe Juin, ex-délégués CGT, s’affairent, le premier face à une liasse de feuilles A4, l’autre devant un ordinateur, relié à son smartphone. « Partage de connexion ! On devait nous laisser Internet et l’électricité. Mais on n’a déjà plus Internet ! », soupire Jean-Philippe Juin. « T’as reçu tes identifiants Pôle emploi ? », lance-t-il au collègue qui vient de les rejoindre dans la pièce. « J’ai essayé de créer mon compte, mais ça ne marche pas… » « Mais t’as ton mot de passe ? » Un peu perdu, l’homme préfère en rire : « On découvre les joies de l’administration française ! »

Conserver le lien fraternel

Depuis la fermeture, les anciens fondeurs ont créé une association. Elle tient là une permanence trois matins par semaine. Pour conserver ce lien fraternel qu’ils ont construit à l’usine. Mais pas seulement.

Les salariés licenciés ont bien droit à l’aide d’un conseiller au reclassement pendant un an dans le cadre d’un contrat de sécurisation professionnelle (CSP). « Mais, eux, ils t’accompagnent sur le volet recherche d’emploi, reconversion. Il y avait le besoin d’une aide très concrète pour les démarches administratives. Par exemple, tout le monde n’est pas à l’aise avec l’informatique, explique Jean-Philippe Juin. Or, désormais, si tu n’as pas ton espace sur le site de Pôle emploi, tu ne touches pas tes droits ! »

Lui-même se rend compte de la complexité des choses. « J’ai été formé à affronter un redressement judiciaire ou à négocier un plan de sauvegarde de l’emploi. Mais gérer la suite de la liquidation, tu découvres ça par toi-même ! », dit-il, en souriant.

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Réforme des retraites : les syndicats agitent la menace d’un mouvement social

Il y aura des grèves et des manifestations si l’exécutif maintient son intention de repousser à 65 ans l’âge légal de départ à la retraite. Cette mise en garde est adressée par huit organisations de salariés et cinq mouvements de défense de la jeunesse, dans un communiqué commun diffusé mardi 4 octobre. Leur prise de position a été rendue publique 24 heures avant le début d’une « concertation » que le ministre du travail, Olivier Dussopt, va conduire sur la transformation des régimes de pension, une première rencontre étant prévue mercredi après-midi avec les partenaires sociaux. Avant même l’ouverture des discussions, l’intersyndicale cherche à afficher sa combativité et sa cohésion contre l’un des axes majeurs de la réforme promise par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle.

Le texte dévoilé mardi fait suite à une réunion qui avait eu lieu, la veille, au siège de l’UNSA à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Y avaient participé les cinq confédérations représentatives à l’échelon interprofessionnel (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, Force ouvrière) ainsi que la FSU, Solidaires, l’UNSA et des organisations représentant les étudiants et les lycéens (FAGE, FIDL, MNL, UNEF, Voix lycéenne).

Le message des coalisés est clair : ils « n’hésiteront pas à construire tous les moyens d’actions nécessaires si le gouvernement demeurait arc-bouté sur son projet ». Les formes que prendrait la mobilisation ne sont pas précisées mais l’ensemble des protagonistes songent évidemment aux arrêts de travail et aux démonstrations de protestation dans la rue.

« Aucune économie »

L’avertissement est logique car les signataires du communiqué sont hostiles « à tout recul de l’âge légal de départ en retraite et à une augmentation de la durée de cotisation ». A l’appui de leur discours, ils soulignent que la moitié des salariés ne travaillent plus quand ils réclament le versement de leur pension – étant soit au chômage, soit en invalidité, soit bénéficiaires d’un minimum social. De telles situations de précarité risquent de s’allonger si la loi diffère le moment où la retraite peut être prise. En outre, une mesure d’âge « ne générerait (…) aucune économie » puisque notre système de protection sociale devrait prendre en charge plus longtemps ces personnes restant dans l’inactivité.

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Les treize organisations concernées tiennent aussi à signifier qu’elles ne se posent pas uniquement comme une force d’obstruction. Dès les premières lignes du texte, elles « se disent ouvertes aux concertations » proposées par le pouvoir en place, en souhaitant que celles-ci soient « loyales », « transparentes » et qu’elles renforcent la « justice sociale ». A leurs yeux, il faut que les échanges permettent d’aborder plusieurs thèmes : emploi des seniors, pénibilité, carrières longues, transition emploi-retraite, fins de parcours professionnels, financement, égalité femme/homme… Une liste très proche de celle qui avait été exposée par la première ministre, Elisabeth Borne, quand elle avait annoncé, le 29 septembre, le lancement de consultations.

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Prix du livre RH 2022 : une invitation à redéfinir le travail

« Un ouvrage qui force la pensée », « Qui va lire ce livre ?  », « Dommage qu’il soit à charge pour les entreprises », « Une grande richesse théorique » : autant de réactions des responsables des ressources humaines exprimées à la lecture des quatre livres nommés pour l’édition 2022 du Prix du livre RH.

Créé en 2000 par la fédération Syntec Recrutement (aujourd’hui Syntec Conseil) en partenariat avec Le Monde et Sciences Po, ce prix récompense chaque année le meilleur ouvrage de management de l’année précédente. Le nom de la lauréate devait être annoncé mercredi 5 octobre lors de la cérémonie organisée à Paris, dans les locaux du Monde.

Les étudiants du master « organisations et management des ressources humaines » de Sciences Po ont pour programme de lire et de débattre d’un an de production éditoriale en ouvrages sur le travail. Plus précisément, une cinquantaine de livres publiés en 2021 et présélectionnés par Sciences Po, Le Monde et les éditeurs. Le choix des étudiants apporte un éclairage sur ce qui interpelle les futurs professionnels du management dans le monde de l’entreprise d’aujourd’hui.

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Quant au choix du lauréat, il croise les préoccupations des futurs responsables des ressources humaines avec celles des DRH confrontés chaque jour aux réalités du terrain. Réorganisations incessantes, difficultés de recrutement, nouvelles aspirations des salariés, polyvalence des profils, hausse de l’inflation, productivité en baisse… Depuis plus de deux ans, les DRH font leurs gammes en management de l’incertitude. Mais quelle est désormais la place du travail dans la société ?

En 2020 les ouvrages du Prix du livre RH ont décrit les « nouveaux monstres » du monde du travail produits par l’avènement de l’intelligence artificielle et par la déshumanisation de l’emploi. En 2021, les essais sélectionnés ont analysé les remèdes contre les dégâts de la révolution technologique dans l’entreprise. Les livres nommés de 2022 poursuivent cette recherche de solution en questionnant très largement le concept de travail, notamment à partir de l’observation des conséquences du management sur la santé des salariés.

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L’Association pour l’emploi des cadres, qui a interrogé les cadres du secteur privé en août, a révélé que plus d’un cadre sur deux (54 %) serait en situation d’épuisement professionnel. Les essais nommés 2022 analysent, bien au-delà du contexte Covid, les tendances de fond de l’évolution du travail dans la société.

La domination patronale se réinvente

Premier constat, le bonheur au travail est devenu une injonction, et c’est un risque nouveau pour les salariés. Les « savoir-faire ne seraient que secondaires face aux talents cachés » des collaborateurs, susceptibles d’être révélés par l’entreprise. Les responsables des ressources humaines favorisent alors le management des subjectivités, des émotions, des humeurs. Les Servitudes du bien-être au travail. Impacts sur la santé, écrit sous la direction de la sociologue Sophie Le Garrec (Erès, 296 pages, 25 euros), dénonce dans la prescription au bonheur le masque qui cache « un délitement des conditions de travail ».

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Harcèlement : épauler les salariés en souffrance

« Parce que le savoir, c’est le pouvoir. » En s’appropriant ce célèbre aphorisme, Elise Fabing résume les raisons qui l’ont poussée à écrire son Manuel contre le harcèlement au travail (Hachette Pratique, 2021) : vulgariser le droit du travail, pour accompagner des salariés en souffrance.

« Manuel contre le harcèlement au travail », d’Elise Fabing. Hachette Pratique, 2021, 240 pages, 17,95 euros.

Spécialiste du harcèlement (moral, sexuel) et des discriminations au travail, cette avocate a notamment prodigué des conseils en vidéo sur les comptes Instagram « Balance ta start-up » et « Balance ton agency », qui ont révélé depuis 2020 le harcèlement systémique dans plusieurs entreprises. En résulte un constat sans appel : la majorité des salariés qui l’ont interpellée ne savaient pas comment se défendre, car l’accès au droit demeure trop complexe.

En préambule, le manuel prend donc le temps de définir cette catégorie très large du droit social et d’insister sur le rôle des preuves (notamment écrites), indispensables pour faire reconnaître les faits de harcèlement. Il est enrichi par les éclairages réguliers de spécialistes (psychiatre, DRH, spécialiste en recrutement, etc.).

Conclusion militante

Très accessible, ce guide aborde point par point les différentes étapes, à la manière d’une boîte à outils : des procédures en interne jusqu’au procès aux prud’hommes, en passant par les bonnes personnes à alerter. Sa dimension purement pratique se prouve encore par la présence en annexe de modèles vierges de dépôt de plainte ou de lettre d’alerte à l’inspection du travail.

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Si elle s’adresse avant tout aux salariés, l’avocate invite les manageurs ou les RH à faire plus sur la prévention et sur la prise en compte des risques psychosociaux liés aux faits de harcèlement. Elle dénonce enfin, dans une conclusion qu’elle assume militante, les dysfonctionnements d’une justice qui tend à décourager les victimes de faire reconnaître la nature des faits subis.

« Manuel contre le harcèlement au travail », d’Elise Fabing. Hachette Pratique, 2021, 240 pages, 17,95 euros.