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Les salariés en grève dans les raffineries de TotalEnergies gagnent-ils vraiment 5 000 euros par mois ?

Des salariés de TotalEnergies en grève à l’appel de la CGT sont rassemblés devant la raffinerie de Gonfreville-l'Orcher, près du Havre, le 10 octobre 2022.

Dans un communiqué de presse daté du 10 octobre, la direction de TotalEnergies affirme que « les niveaux de rémunération moyenne des opérateurs du raffinage de TotalEnergies en France » sont de « 5 000 euros ». Plusieurs commentateurs s’en sont émus, laissant entendre qu’un tel niveau de salaire entachait la légitimité des grévistes à se battre pour leurs salaires. Sur France Inter, l’éditorialiste « libéral » Dominique Seux lançait dans sa chronique : « Il ne s’agit en aucun cas de dire que ces salaires sont trop élevés par rapport à la qualification et aux postes occupés : on ne se permettra pas de porter un tel jugement – même si j’ai une petite idée de la réaction de nos auditeurs quand ils entendent ces chiffres ! »

Dans un appel à témoignages sur la pénurie de carburants publié sur LeMonde.fr, plusieurs lecteurs jugeaient « honteuse » la mobilisation des opérateurs de raffinerie, reprenant le haut niveau de rémunération communiqué par TotalEnergies.

A l’origine du mouvement de grève dans les raffineries du groupe pétrolier français, la CGT a très mal digéré la communication du groupe. « On ne sait pas d’où sort ce chiffre, s’agace Thierry Defresne, secrétaire CGT du comité d’entreprises européen TotalEnergies SE. Ce sont des données sociales qui n’existent pas, des chiffres au doigt mouillé qui sont publiés uniquement pour salir les grévistes. »

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Hakim Belouz, délégué syndical FO chez TotalEnergies, estime lui aussi que la direction du groupe tente de « monter l’opinion publique contre les salariés ». Geoffrey Caillon, délégué CFDT – syndicat n’ayant pas pris part au mouvement de grève – regrette lui aussi la communication de la direction qui « prend à témoin la France entière pour montrer que nos salaires ne sont pas si bas » et « n’aura pas tendance à calmer les esprits ».

A quoi renvoie ce chiffre de 5 000 euros par mois ?

Il faut d’abord rappeler quelques précisions : le montant de 5 000 euros mensuels bruts mis en avant par le géant des hydrocarbures correspond, selon lui, à la rémunération brute mensuelle « des ouvriers et agents de maîtrise » des raffineries et comprend notamment des primes de pénibilité, d’intéressement et de participation.

Hors primes d’intéressement et de participation – qui, en raison des bons résultats de l’entreprise, étaient en moyenne de 9 100 euros en 2022 –, TotalEnergies affirme que la rémunération mensuelle moyenne d’un opérateur de raffinerie est de 4 300 euros bruts.

Plusieurs responsables syndicaux de la CGT ont rapidement démenti ces chiffres. Emmanuel Lépine, secrétaire général FNIC-CGT, a ainsi assuré auprès de RTL que le salaire moyen d’un opérateur de raffinerie « est aux alentours de 3 000 euros », rappelant par ailleurs qu’il s’agissait de « postes à très hautes qualifications ».

Dans une vidéo publiée sur Twitter, Adrien Cornet, délégué CGT et salarié de la raffinerie Total de Grandpuits (Seine-et-Marne), évoque plutôt une moyenne de 2 500 euros. Il insiste notamment sur le fait que ces salaires comprennent plusieurs primes liées à la pénibilité du métier, avec des équipes postées aux « trois fois huit heures, [6 heures – 14 heures, 14 heures – 22 heures et 22 heures – 6 heures] qui travaillent trois week-ends sur cinq et respirent du carburant et des produits chimiques ».

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La convention collective de l’industrie du pétrole prévoit en effet des primes de quart d’un montant égal à 18 % du salaire hors prime, pour les « travailleurs postés en continu qui appartiennent à des équipes successives fonctionnant en permanence par rotation 24 heures sur 24, sans interruption la nuit, le dimanche et les jours fériés ».

Selon l’Union des industries pétrolières énergies et mobilités (Ufipem), le salaire de base d’un salarié en début de carrière dans une société de raffinage est proche de 2 200 euros bruts par mois, auxquels s’ajoute une prime de quart d’environ 540 euros. Soit 2 740 euros bruts par mois en début de carrière.

Pour un salarié ayant près de vingt ans d’ancienneté, le salaire de base se situe à environ 3 600 euros bruts, auquel il faut ajouter près de 1 200 euros de primes (dont la prime de quart et d’ancienneté, à 1 % par année d’ancienneté). Soit un salaire brut mensuel de 4 800 euros après vingt ans de carrière. L’Ufipem note par ailleurs « que 85 % des salariés de la branche ont un salaire réel supérieur de plus de 10 % aux minimums conventionnels ». Les 5 000 euros mensuels avancés par TotalEnergies semblent ainsi bien plus proches du salaire d’un opérateur de raffinerie très expérimenté que de celui d’un salarié moyen.

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« Jusqu’à quel niveau de salaire a-t-on le droit de se battre pour son pouvoir d’achat ? »

Dans tous les cas, les chiffres publiés par la direction du groupe ne disent pas grand-chose de la réalité salariale dans ses raffineries françaises, une moyenne pouvant cacher de larges disparités entre les salariés. Contactée, l’entreprise n’a pas donné suite à nos demandes concernant le salaire médian dans ces raffineries.

Les responsables syndicaux contactés n’ont, eux non plus, pas souhaité communiquer précisément les chiffres des rémunérations, affirmant ne pas vouloir tomber dans le piège tendu par leur direction.

De fait, ils rappellent tous que les salariés de TotalEnergies réclament une hausse des salaires compte tenu des bons résultats de l’entreprise, qui a engrangé 10,6 milliards de dollars (10,9 milliards d’euros) de bénéfice au premier semestre 2022 et versé récemment à ses actionnaires un acompte sur dividende exceptionnel de 2,62 milliards d’euros.

La CGT réclame 10 % d’augmentation sur les salaires, dont 7 % au titre de l’inflation et 3 % pour le partage de la richesse. « Jusqu’à quel niveau de salaire a-t-on le droit de se battre pour son pouvoir d’achat ?, s’interroge Thierry Defresne. Notre force de travail vaut moins en 2022 qu’en 2021, et on devrait accepter ça ? Faut-il bouffer du rat pour avoir le droit de se plaindre de l’inflation ? » Son collègue de FO Hakim Belouz abonde : « Quand bien même notre salaire serait élevé, est-ce que ça serait un souci ? Y a-t-il une loi qui interdit de faire grève au-dessus de 5 000 euros mensuels ? »

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Inquiétante tendance à la hausse des faillites en France, presque au niveau de 2019

Pendant deux années, en 2020 et 2021, la politique du « quoi qu’il en coûte » a permis de maintenir le nombre d’ouvertures de procédures judiciaires à un niveau historiquement bas. Ainsi, avec 5 500 faillites seulement, la sinistralité observée au troisième trimestre 2021 a été la plus faible depuis vingt-cinq ans. Mais cette parenthèse semble désormais refermée. Sur les douze derniers mois, de septembre 2021 à septembre 2022, 37 000 entreprises ont fait défaillance, indique, mardi 11 octobre, la Banque de France, soit une hausse de 34,4 % par rapport à la même période de 2021.

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Ce total reste certes nettement inférieur au niveau d’avant la crise sanitaire – près de 51 200 entreprises ont fait faillite en 2019 –, mais il indique que l’état de grâce est terminé. « Les mécanismes de soutien disparaissant, on est revenus, depuis l’automne 2021, à des niveaux de défaillances plus proches de la normale, et on s’attend à ce que ce processus de normalisation se poursuive », indique Emilie Quema, directrice des entreprises à la Banque de France.

D’après les décomptes du cabinet Altares, qui publie ses propres chiffres, près de 33 000 emplois sont actuellement concernés par une procédure de sauvegarde ou de liquidation. Signe supplémentaire d’un retour à la normale, les secteurs les plus concernés par les difficultés sont également ceux où la sinistralité était la plus forte avant la crise sanitaire : le commerce de détail, la restauration, les services à la personne, le commerce automobile. Des secteurs qui s’adressent essentiellement à une clientèle de particuliers.

Surtout les TPE

Mais Altares pointe également des « signaux préoccupants » venus du secteur de la construction et du bâtiment, qui a beaucoup pâti des tensions sur les approvisionnements et de la flambée des coûts des matériaux. Pour l’heure, les faillites spectaculaires, comme celles de Geoxia, le constructeur des maisons Phénix, intervenue en juin, ou celle de Camaieu, qui a fermé ses boutiques en septembre, restent encore rares. Cette vague montante de défaillances frappe essentiellement les petites entreprises, surtout les TPE de moins de trois salariés.

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Selon Altares, elles représentaient les trois quarts des quelque 9 000 entreprises en faillite au troisième trimestre. « En début d’année, les PME étaient très bien armées pour encaisser les chocs de 2022 : elles avaient de bonnes trésoreries et avaient pu reconstituer leurs marges », constate pourtant Jean-Pierre Villetelle, chef de l’Observatoire des entreprises à la Banque de France. Mais la flambée des coûts consécutive à la guerre en Ukraine, déclenchée le 24 février, la dégradation de la conjoncture et la baisse de la consommation ont eu raison de cette bonne santé. « Les situations se tendent assez rapidement », admet M. Villetelle.

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#metoo : le harcèlement, si présent et si mal connu des salariés

Un salarié ou une salariée dit à propos d’une salariée, devant d’autres collègues : « Joli décolleté, ils ont de la chance au marketing. » S’agit-il d’un « agissement sexiste », de « discrimination », de « harcèlement sexuel », d’une « agression sexuelle », ou de rien de tout cela ? C’est un agissement sexiste, ou un comportement à connotation sexiste, car la poitrine est reconnue comme une partie du corps ayant une connotation sexuelle (comme les fesses, le sexe, les cuisses ou la bouche) et la mention « ils ont de la chance au marketing », confirme la connotation sexuelle du propos.

Un groupe de salariées établit un top 10 des plus beaux hommes de la société : c’est un agissement sexiste.

Troisième exemple : Un ou une collègue raconte des blagues crues, à connotation sexuelle, tous les jours dans l’open space : là, c’est du harcèlement sexuel. Culture machiste ? Sexisme banalisé en entreprise ? Pour les deux premiers exemples, moins d’un salarié sur deux reconnaît un « agissement sexiste », et moins d’un sur cinq (19 %) identifie un « harcèlement sexuel » dans le troisième.

Extraites du Baromètre auprès des salariés sur le harcèlement au travail publié mercredi 12 octobre, ces questions font une mise au point sur des concepts qui restent flous pour beaucoup. Réalisé du 15 au 19 septembre 2022 auprès de 2000 actifs par Ipsos pour Qualisocial, un cabinet spécialisé en prévention des risques psychosociaux, ce baromètre donne une première mesure du niveau d’information des salariés sur le harcèlement au travail, de leur degré d’exposition, dans le but d’améliorer la maîtrise du sujet et la lutte contre le harcèlement (sexuel et moral) en entreprise.

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L’enjeu est de taille. Trois salariés sur quatre (74 %) considèrent que les situations de harcèlement au travail sont assez ou très répandues et 79 % des femmes et 84 % des jeunes. Trente-cinq pour cent (près d’un tiers) des salariés interrogés disent avoir été victimes de harcèlement au cours de leur vie professionnelle, 40 % affirment en avoir été témoins et 13 % des salariés ont le sentiment d’avoir été auteurs de harcèlement au travail au cours de leur carrière (le harcèlement est puni d’une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros).

Un sentiment de gêne

Pour la majorité des salariés (52 %), la dégradation des relations sociales au travail (harcèlement, manque de respect des clients/usages) est en effet un « enjeu prioritaire ». Pourtant, à peine plus d’un salarié sur deux a le sentiment d’être bien informé sur le sujet, et 35 % pensent connaître la législation. Difficile, dans ces conditions, de savoir comment gérer un signalement ou un comportement inapproprié.

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Assurance-chômage : discret, le Rassemblement national défend tout de même sa préférence nationale

Marine Le Pen, le 11 octobre 2022 à l’Assemblée nationale, lors du vote du projet de loi Assurance-chômage.

Deux minutes d’interventions sur huit heures et demie de débats : le Rassemblement national (RN), toujours soucieux de son temps de parole dans la vie politique française, s’est montré économe en la matière, lors de l’étude en commission de la réforme de l’assurance-chômage, adoptée en première lecture, mardi 11 octobre, par l’Assemblée nationale. Les 27 et 28 septembre, tandis que les députés de gauche comme de droite s’échinaient à amender le texte gouvernemental face au rapporteur Marc Ferracci (Renaissance), les députés du RN présents en commission des affaires sociales sont restés quasiment muets.

« Les victoires en commission, c’est un coup d’épée dans l’eau. Se concentrer sur la séance publique a plus d’intérêt, justifie Laure Lavalette, députée du Var, référente du groupe sur ce texte. Les amendements de la Nupes [Nouvelle Union populaire écologique et sociale] en commission étaient pléthoriques, cela embolise le travail parlementaire. »

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Cette grande discrétion en commission a suscité l’étonnement des députés de la Nupes, lorsque le RN s’est abstenu de défendre certains des amendements qu’il avait lui-même déposés. Ou l’ironie du rapporteur, la semaine suivante dans l’Hémicycle, lorsque, répondant à un amendement déposé par le RN, M. Ferracci s’est tourné vers sa gauche avant d’être rappelé par l’extrême droite : « Excusez-moi, j’avais perdu l’habitude de parler à cette partie de l’Hémicycle. »

Un sujet piège pour le parti

Après avoir fait leurs premiers pas sur des textes consensuels en juillet, notamment celui sur le pouvoir d’achat, les députés du RN étaient attendus sur ce projet de loi piège pour un parti traversé par des sensibilités différentes sur la question de l’emploi et de la protection sociale.

Sur le fond, Marine Le Pen explique avoir défendu sa vision d’un chômage subi et non voulu, elle qui qualifie de « droitarde » la vision de la première ministre, Elisabeth Borne, sur le sujet. La présidente du RN estime que la fraude aux indemnités chômage est minime et s’oppose aux discours sur un présumé « assistanat », tenus par une partie de ses députés qui l’entendent en circonscription.

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Elle a pourtant défendu la fin des allocations-chômage pour les employés refusant un CDI à la fin de leur CDD, une problématique que subissent, selon elle, les patrons de petites et moyennes entreprises. Sur ce sujet, Marine Le Pen se voulait plus stricte encore que Les Républicains (LR) et la majorité, dont elle a dénoncé « les pudeurs de vierge ». Selon elle, l’alternance de CDD et de périodes de chômage volontaire concerne des cadres aisés ou des jeunes diplômés, plutôt électeurs d’Emmanuel Macron.

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Grandes entreprises et start-up, je t’aime moi non plus

Le meilleur des deux mondes : c’est ce que recherchent grands groupes et start-up lorsqu’ils décident de travailler ensemble. « Les grandes entreprises rêvent de l’agilité des jeunes pousses et celles-ci veulent se structurer comme les groupes. Chacun des protagonistes voudrait avoir les qualités de l’autre », explique Christophe Garonne, professeur d’entrepreneuriat et directeur du Centre d’expertise Innovation et entrepreneurship de Kedge Business School. Plus de huit groupes sur dix ont d’ailleurs réalisé un programme avec une start-up, selon le baromètre de la relation start-up/grand groupe 2020, réalisé par The Village by CA avec Capgemini.

A travers ces partenariats, « les grands groupes veulent tester de nouveaux produits. Certains sont dans une démarche de veille afin d’anticiper les tendances, tandis que d’autres ont une approche de vente commune permettant ainsi d’accroître la valeur ajoutée dans la relation avec leurs clients » , explique de son côté Marwan Elfitesse, responsable des programmes start-up de Station F, à Paris, un campus qui a abrité plus de 5 000 jeunes pousses innovantes depuis sa création, en juin 2017.

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Sur la trentaine de programmes partenaires de Station F, un tiers est porté par de grandes entreprises, dont BNP, Thales, Microsoft, Ubisoft et la Compagnie européenne de gestion par l’informatique décentralisée (Cegid), solutions de gestion cloud pour les professionnels des métiers de la finance, des RH et des secteurs de l’expertise comptable et du retail. La Cegid vient de lancer en octobre son deuxième programme d’accompagnement et de mentorat auprès de sept nouvelles jeunes pousses.

L’importance de la temporalité

« La proximité avec les start-up est dans notre ADN, explique Pierre-Antoine Roy, directeur de l’innovation de la Cegid et chargé du Data Lab, lui-même ancien start-upeur. Nos mentors apprennent eux aussi. Ils découvrent de nouveaux outils, de nouvelles méthodes… Ce qui participe à la transformation de la Cegid. » Pour Hélène Jonquoy, directrice Digital France du groupe Adecco : « Ces partenariats sont pour nous des leviers de transformation afin de répondre aux besoins et attentes de nos clients et de nos candidats, ainsi qu’aux nouveaux usages liés à l’évolution du monde du travail. Nous sommes en veille permanente sur le marché de la HR Tech ».

Côté start-up, ces partenariats répondent, pour reprendre le terme de Christophe Garonne, à un « besoin impérieux » : celui d’accéder aux clients, aux données et aux marchés des grandes entreprises. Selon l’étude « David avec Goliath » 2021 de Raise et Bain & Company, 25 % des start-up interrogées voient dans une alliance avec un grand groupe des opportunités commerciales, 10 % un partage d’expérience et 9 % un renforcement de leur crédibilité.

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« La sobriété en entreprise : quelles priorités du point de vue des salariés ? »

Carnet de bureau. « Mobilisation générale », c’est en ces termes guerriers que le gouvernement a introduit le plan de sobriété énergétique lancé jeudi 6 octobre pour engager toute la France à faire des économies d’énergie.

Plus prosaïquement, ce plan d’actions de lutte antigaspi recommande aux entreprises d’« éteindre la lumière », de « sensibiliser les salariés », de nommer un « référent » sobriété, et d’adapter l’organisation du télétravail en cas de tension sur les réseaux. De la guerre à la maîtrise de l’interrupteur, où se situe la sobriété en entreprise du point de vue des salariés ?

Une étude publiée mercredi 12 octobre, réalisée par l’institut Viavoice pour le collectif Pacte civique, y répond. « Le regard des salariés sur la sobriété en entreprise » révèle tout d’abord que moins d’un salarié sur deux (47 %) a une idée précise de ce qu’est la sobriété en entreprise, 28 % n’en ont même jamais entendu parler. Avec des différences importantes selon les générations. Chez les jeunes, le sujet est sensible : 60 % des 18-24 ans voient bien de quoi il s’agit.

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Malgré le manque de maîtrise de cette notion, plus des deux tiers des salariés interrogés estiment que la sobriété existe déjà dans leur entreprise et 79 % affirment personnellement adopter ou essayer d’adopter des « comportements sobres » dans leur vie professionnelle. Ils parlent, dans cet ordre, de « trier les déchets », « respecter les collègues », « éteindre la lumière en partant le soir ».

Dialogue social et réduction des inégalités

Quand on les interroge sur les priorités que devrait se fixer leur entreprise, hormis les mesures de bon sens que de nombreuses entreprises appliquent déjà, comme celle d’éteindre la lumière pour réduire la consommation, ils ne ciblent pas forcément les mêmes actions que le plan de sobriété énergétique du gouvernement. Ils abordent cette notion avec un prisme plus large.

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Juste derrière la réduction de la consommation d’énergie et d’empreinte carbone (30 % des salariés), la gestion des stocks (26 % des salariés), viennent en effet la bonne qualité des relations entre dirigeants et collaborateurs (25 %) et l’encadrement de l’échelle des rémunérations (24 %). Deux mesures plutôt liées à la qualité du dialogue social et à la réduction des inégalités qu’à la note d’électricité, mais que les salariés intègrent dans le concept de sobriété en entreprise. L’écart maximal entre les rémunérations devrait se situer dans une fourchette de 1 à 20 pour 64 % des salariés répondant à cette étude.

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Pénurie de carburant : la réquisition de salariés s’oppose-t-elle au droit de grève ?

Une mobilisation de salariés devant la raffinerie Esso de Fos-sur-Mer, le 11 octobre.

En réponse aux mouvements sociaux qui persistent sur fond de pénurie de carburant, le gouvernement met à exécution sa principale menace. La première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé, mardi 11 octobre, la réquisition des personnels pour le déblocage des dépôts du groupe Esso-ExxonMobil. Un accord salarial avait pourtant été conclu la veille au sein du groupe pétrolier. Mais les deux organisations syndicales signataires, majoritaires à l’échelle du groupe, ne le sont pas au niveau des raffineries, où la grève a été reconduite.

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« Le dialogue social c’est avancer, dès lors qu’une majorité s’est dégagée. Ce ne sont pas des accords a minima. Les annonces de la direction sont significatives. Dès lors, j’ai demandé aux préfets d’engager, comme le permet la loi, la procédure de réquisition des personnels indispensables au fonctionnement des dépôts de cette entreprise », a déclaré la cheffe du gouvernement devant l’Assemblée nationale.

En réponse, la CGT d’Esso-ExxonMobil a dénoncé « une remise en cause du droit de grève » et une décision « bafouant un droit constitutionnel des travailleurs en lutte ».

Sous quelles conditions l’Etat-il peut-il réquisitionner des salariés d’une entreprise privée ? Que risquent les travailleurs réfractaires ?

Une réquisition strictement encadrée

Dans le droit français, deux textes permettent théoriquement la réquisition de salariés. En s’appuyant sur l’article L.1111-2 du code de la défense, l’exécutif peut, par décret pris en conseil des ministres, mobiliser des personnes et des biens « en cas de menace portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale ou sur une fraction de la population ». Des conditions extrêmement limitatives et guère envisageables dans le cas du blocage d’une partie des dépôts et des raffineries du territoire.

En précisant avoir « demandé aux préfets d’engager la procédure de réquisitions », Elisabeth Borne renvoie plutôt vers l’article L.2215-1 du code général des collectivités territoriales. Ce dernier donne pouvoir aux préfets, par arrêté, de « requérir toute personne nécessaire » quand « l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige ».

S’agissant des dépôts d’Esso-ExxonMobil, les représentants de l’Etat devront donc justifier dans leur arrêté l’atteinte à l’ordre public à l’origine de la réquisition, et préciser les lieux, durée et nombre de travailleurs concernés par les mesures. Ceux qui, parmi ces derniers, refuseraient de s’y conformer encourraient jusqu’à six mois de prison et 10 000 euros d’amende.

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Les précédents de 2010 et le droit de grève

Ces arrêtés préfectoraux constituent-ils, comme le dénoncent certains syndicats, une entrave au droit de grève, consacré par le préambule de la Constitution ? La question s’était déjà posée en 2010, lors des dernières réquisitions de salariés intervenues en France, déjà motivées à l’époque par des pénuries à la pompe.

En octobre 2010, une vague de protestations contre la réforme des retraites déferle sur la France, alors présidée par Nicolas Sarkozy. Les douze raffineries du pays sont bloquées. L’Etat décide alors de réquisitionner, par la voie d’arrêtés préfectoraux, des salariés grévistes dans la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne) et dans les dépôts pétroliers de Donges (Loire-Atlantique) et de Gargenville (Yvelines), offrant à la justice administrative l’occasion de préciser les conditions d’application de l’article L.2215-1.

En Seine-et-Marne, le tribunal administratif de Melun, saisi par l’intersyndicale de la raffinerie de Grandpuits, suspend dès le mois d’octobre un premier arrêté préfectoral de réquisition. Le juge considère que ce dernier porte une « atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève ». En cause : le préfet a réquisitionné 170 salariés, soit « la quasi-totalité du personnel de la raffinerie », instaurant, de fait, un « service normal ».

Toujours en octobre, le Conseil d’Etat confirme qu’un arrêté de réquisition doit se limiter aux strictes « équipes nécessaires » à la reprise d’activité permettant le maintien de l’ordre public. Son arrêt apporte alors deux autres précisions. Le juge apprécie, pour valider un arrêté, l’exhaustivité des conditions de réquisition du préfet : « les motifs de la réquisition, sa durée, les prestations requises, les effectifs requis ainsi que leur répartition ». L’atteinte à l’ordre public doit être enfin finement justifiée : en l’espèce, les grèves menaçaient « la sécurité aérienne » à l’aéroport Charles-de-Gaulle et le « ravitaillement des véhicules de services publics et de services de première nécessité ».

Le risque d’aggraver la crise

Envisagée pour le moment sur les seuls dépôts d’Esso-ExxonMobil, et non sur les sites plus nombreux encore de Total, la réquisition pourrait durcir le bras de fer engagé entre les représentants de salariés et les directions d’entreprises. « Ce serait la guerre », avait prévenu mardi sur Franceinfo Emmanuel Lépine, secrétaire général de la Fédération professionnelle de pétrole de la CGT, qui représente des stations Esso et Total.

« Nicolas Sarkozy avait commis cet acte illégal et la France a été condamnée en 2011, l’année suivante, puisque ça enfreint la convention 87 de l’Organisation internationale du travail [sur le droit de grève et la liberté syndicale], donc si Emmanuel Macron veut également faire condamner l’État (…) qu’il le fasse », avait également mis en garde le syndicaliste.

Dans les faits, la France n’a pas été « condamnée » par l’Organisation internationale du travail pour ses réquisitions de 2010. Saisie d’une plainte par la CGT, l’agence spécialisée de l’ONU avait toutefois recommandé au gouvernement français, « à l’avenir », de « privilégier la participation des organisations de travailleurs et d’employeurs concernées (…) et de ne pas recourir à l’imposition de la mesure par voie unilatérale ».

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Lire aussi : La carte des prix des carburants et des pénuries en temps réel dans toutes les stations-service de France

Ce que contient le projet de loi assurance-chômage adopté à l’Assemblée nationale

Première réforme sociale du second quinquennat d’Emmanuel Macron et première étape de la feuille de route du gouvernement vers le plein-emploi, le projet de loi Assurance-chômage a été adopté en première lecture, mardi 11 octobre, par l’Assemblée nationale, avec 303 voix pour, 249 contre et 11 abstentions. Un vote lors duquel les députés de la majorité – Renaissance, MoDem, Horizons – ont reçu le soutien des élus du parti Les Républicains (LR). L’appui des députés de droite ne faisait guère de doute depuis que l’amendement qu’ils avaient déposé au sujet des abandons de poste avait été adopté, mercredi 5 octobre, lors de l’examen du texte en séance. Un court texte de cinq articles présenté comme technique mais pas dénué d’une forte portée politique, compte tenu des changements qu’il va engendrer.

Prolongement des règles d’indemnisation

L’objectif premier de ce projet de loi était de permettre au gouvernement de proroger par décret les règles d’indemnisation chômage issues de la réforme de 2019 jusqu’au 31 décembre 2023. Celles-ci, qui n’ont été appliquées qu’à partir de 2021 en raison de la crise liée au Covid-19, arrivaient à terme le 31 octobre. Sans ce décret, les demandeurs d’emploi se seraient donc retrouvé sans indemnisation au 1er novembre.

Modulation en fonction de la conjoncture économique

En adoptant ce projet de loi, les députés permettent au gouvernement de prendre un autre décret, afin de changer une nouvelle fois les règles d’indemnisation. Mesure annoncée par Emmanuel Macron lors de son interview du 14-Juillet, la modulation des indemnités doit être mise en place début 2023. Avec ce système, l’indemnisation des chômeurs évoluera selon la conjoncture économique. « Quand les choses vont très bien, il faut que les règles soient incitatives, et, quand les choses vont moins bien, il faut qu’elles soient plus protectrices », a répété plusieurs fois depuis septembre le ministre du travail, Olivier Dussopt.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Réforme de l’assurance-chômage : la modulation des indemnités ne fera pas l’objet d’une négociation

Si les indicateurs de la santé du marché du travail (taux de chômage, nombre d’offres d’emploi disponibles comparé au nombre de chômeurs) et les paramètres de la modulation ne sont pas encore arrêtés, M. Dussopt en a toutefois précisé les contours. Il est ainsi exclu de toucher au montant des indemnités mais « on peut en revanche s’interroger sur les conditions d’entrée dans le régime – six mois travaillés sur vingt-quatre aujourd’hui – et sur la durée d’indemnisation », a-t-il affirmé au Journal du dimanche, le 9 octobre. Ce périmètre donnera le cadre de la concertation avec les partenaires sociaux qui doit démarrer la semaine du 17 octobre, alors qu’elle était promise pour mi-septembre. Un retard à l’allumage qui s’explique notamment par des réflexions liées à une possible territorialisation de la modulation pour les outre-mer, où le taux de chômage peut être deux fois supérieur à celui de la métropole.

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#metoo : chez Google, la « grande marche » de 2018 a permis des avancées mais des tensions persistent

« Walk Out » des employés de Google, à New York, le 1er novembre 2018.

Tanuja Gupta garde un souvenir ému du « Walk Out », qu’elle a coorganisé au sein de Google le 1er novembre 2018 : ce jour-là, avec près de 20 000 autres employés du géant du numérique, elle a marché contre le harcèlement sexuel et pour les droits des femmes. A New York, où elle se trouvait, mais aussi au siège de Google, en Californie, à Singapour, à Londres, à Zurich ou à Toronto, les protestataires sont sortis de leurs bureaux pour battre le pavé. Une manifestation inédite pour un fleuron de la « tech » qui comptait déjà 85 000 employés mais restait très étranger à toute culture syndicale. « Cela a été le début d’un mouvement », se rappelle Mme Gupta, qui à l’époque était cheffe de projet au service Google Actualités.

Sur les pancartes des salariés de Google, on pouvait lire « Don’t be evil », un clin d’œil au slogan de l’ancienne start-up californienne jurant de « Ne pas faire le mal ». Ou encore : « Parlez fort, osez parler », ou « Je quitterais l’entreprise avec plaisir pour 90 millions de dollars – pas besoin de harcèlement sexuel. » Une référence au scandale qui a déclenché le Walk Out : quelques jours plus tôt, le New York Times avait révélé que le dirigeant Andy Rubin, père du système Android, avait quitté l’entreprise en 2014 avec un généreux chèque et les hommages de la direction, alors qu’il était soupçonné d’agression sexuelle : une employée avec qui il entretenait une relation extraconjugale l’avait accusé de l’avoir forcée à pratiquer une fellation dans une chambre d’hôtel – ce qu’il niait. Selon le quotidien, un autre cadre mis en cause dans une autre affaire était parti avec un chèque et un autre avait été promu.

La discrétion de Google sur ces cas gênants a été associée à une pratique : « l’arbitrage forcé ». Dans la plupart des entreprises, il rendait obligatoire, pour un salarié portant une plainte pour harcèlement sexuel, de passer par une médiation, avec une transaction. La victime renonçait à aller devant les tribunaux et signait une clause de confidentialité.

Sans apaiser l’indignation

« Mettre fin aux arbitrages forcés était une des premières revendications du Walk Out », raconte Mme Gupta, qui s’est spécialisée sur cette cause. En réaction, dès le 1er novembre 2018, le PDG Sundar Pichai a assuré être « profondément désolé pour les actions passées ». Et début 2019, Google a mis fin à ces procédures. « Ensuite, tout un mouvement national s’est construit contre cette pratique, raconte Mme Gupta, rejointe dans sa lutte par Gretchen Carlson (qui a porté plainte pour harcèlement sexuel à Fox News), ou Susan Fowler (qui a dénoncé la culture toxique chez Uber). Finalement, nous avons réussi à la rendre illégale ! Cela a pris cinq ans. » L’activiste était à la Maison Blanche en mars, quand Joe Biden a signé la loi interdisant ces arbitrages. « C’est un grand pas. Mais cela reste un premier pas. Il y a encore tant à faire », soupire-t-elle.

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Dans la publicité, #metoo a fait bouger quelques lignes, sans supprimer l’impunité

Manifestation #metoo, à Paris, en 2017.

A quoi reconnaît-on une journée chez Braaxe ? Une salle de réunion toujours fermée à clé ; des godemichés disséminés dans l’open space ; enfin, un dirigeant qui demande régulièrement à ses salariées s’il peut leur « bouffer les seins » ou « la chatte », dégrafe souvent leur soutien-gorge, les oblige à regarder un film pornographique sur le vidéoprojecteur à la pause déjeuner, ou leur envoie parfois, le soir, des SMS comme « Tu m’envoies une photo de ton anus pour 1 000 euros ? »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés #metoo, cinq ans déjà : les entreprises ouvrent des enquêtes, sanctionnent, mais les victimes sont peu protégées

Le 29 septembre avait lieu, devant le conseil de prud’hommes de Paris, le procès emblématique du #metoo de la publicité : Julien Casiro, fondateur de l’agence parisienne Braaxe, désigné par une trentaine de témoignages anonymes, à la fin de 2020, sur la page Instagram « Balance ton agency » (« BTA »), est attaqué par son ancienne directrice conseil, qui souhaite faire reconnaître le harcèlement sexuel d’ambiance entretenu par son supérieur. Neuf anciens salariés ont témoigné dans le dossier.

A son éclosion, l’affaire avait stoppé net la croissance de Braaxe : face à l’afflux de témoignages, l’agence Australie, qui devait racheter sa consœur, a abandonné ce projet en décembre 2020, mentionnant le résultat des enquêtes internes intervenues entre-temps, et qui avaient confirmé l’omniprésence du harcèlement.

« Je vois assez peu de conséquences sur les appels d’offres »

Si, dans l’univers de l’entreprise, plusieurs secteurs ont été particulièrement montrés du doigt (médias, jeux vidéo, restauration…), deux d’entre eux ont vu le « name and shame » (« nommer et couvrir de honte ») prendre une dimension quasi industrielle : les start-up et la publicité, dénoncées sur Instagram par les comptes « Balance ta start-up » (193 000 abonnés à ce jour) et « Balance ton agency » (320 000), la plupart du temps pour leurs conditions de travail parfois désastreuses.

Dans les agences de publicité, les cas de harcèlement sexuel sont plus nombreux. L’association Les Lionnes, née en mars 2019 pour pousser les entreprises à agir, a été au cœur d’une première vague de révélations : elle a, par exemple, recueilli une vingtaine de témoignages mettant en cause un haut dirigeant de la filiale française de l’agence américaine McCann pour agissements sexistes, avant de les rendre publics face à l’inaction de l’entreprise.

BTA a suivi, fin 2020. Pour sa créatrice, Anne Boistard, une ancienne salariée de Braaxe, dont l’initiative divise le milieu, l’anonymat était nécessaire pour libérer la parole, car « on a affaire à des salariés très jeunes, qui veulent juste éviter d’être licenciés ». Elle relève un problème systémique, dans un milieu professionnel caractérisé par son côté « cool », ses soirées arrosées, ses syndicats inexistants et ses représentants du personnel factices.

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