Archive dans 2022

Dans les officines, les pharmaciens manquent de plus en plus à l’appel

« C’était devenu difficile ces dernières années mais, depuis le Covid, c’est catastrophique. » Au comptoir de la pharmacie de Donzère, dans la Drôme, Brigitte Boyer, 68 ans, soupire un instant, avant d’enchaîner, dépitée : « En trente ans d’officine, je n’avais jamais vu ça. Autrefois, on parvenait à recruter en un mois ! Là, ça fait un an et demi que je cherche, sans succès, un pharmacien adjoint. » Résignée, la pharmacienne s’est finalement résolue, cet été, à fermer son commerce les samedis après-midi. Une décision prise à contrecœur, mais « nécessaire », pour « soulager un peu les équipes », épuisées par la charge de travail.

A 400 kilomètres de là, scénario semblable dans la région dijonnaise. « C’est la même galère, constate cet autre pharmacien. Pour la première fois, j’ai vu des confrères baisser le rideau pendant les vacances estivales, faute d’avoir trouvé des remplaçants pour garder la pharmacie ouverte pendant les congés de leurs salariés. »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Avec la pénurie de généralistes, 11 % de personnes n’ont pas de médecin traitant en France

Entre les prescriptions médicales, le conseil aux clients et les nouvelles missions de santé comme la réalisation de tests Covid-19 et la vaccination, l’activité des pharmacies a bondi ces dernières années. Mais, après avoir accueilli avec enthousiasme l’élargissement de leurs responsabilités, les officines, confrontées à une pénurie de plus en plus criante de personnel, dépriment.

« Les difficultés de recrutement se sont accentuées. Il manque actuellement 15 000 préparateurs et pharmaciens dans le réseau officinal. Aucune pharmacie n’échappe aujourd’hui à ce phénomène », confirme Christophe Le Gall, président de l’Union nationale des pharmaciens de France. Même les territoires ultramarins sont à la peine. « Malgré une rémunération très attractive, un contrat de trente-cinq heures, et la prise en charge du billet d’avion et du logement sur place, on ne trouve personne », explique un pharmacien hors de la métropole. Sur la Toile, les annonces postées sur les sites de recrutement et les réseaux sociaux témoignent de cette quête effrénée : « Nous recherchons toujours un pharmacien », « nous avons besoin de vous », « pharmacie désespérée »

Changement de mentalité

Où sont passés les pharmaciens ? « Comme dans beaucoup d’autres professions, il y a eu une perte de personnel, due à la crise Covid. Des pharmaciens, fatigués par la charge de travail, se sont remis en question et ont déserté la profession », avance Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine, qui souligne également le changement de mentalité des jeunes générations. « Beaucoup mettent en avant la qualité de vie plutôt que les salaires, et refusent de travailler les week-ends ou sur des amplitudes horaires larges », poursuit-il. De nombreux pharmaciens mettent en cause également les « mercenaires du Covid », ces pharmaciens qui ont préféré délaisser le salariat de l’officine pour enchaîner les réalisations de tests Covid-19 en intérim, bien plus lucratives.

Il vous reste 49.66% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Face à l’inflation, les augmentations générales sont au centre des négociations avec les DRH

Comment l’entreprise, elle-même touchée par l’inflation, peut-elle répondre à la baisse de pouvoir d’achat de ses salariés ? Une vingtaine de responsables des ressources humaines ont partagé leurs réponses à cette question centrale, mardi 11 octobre à Paris, à l’occasion des Rencontres RH, rendez-vous mensuel de l’actualité du management organisé par Le Monde, en partenariat avec ManpowerGroup et Malakoff Humanis.

En introduction, Mathieu Plane a dressé un tableau macroéconomique du climat actuel : un « choc inédit, lié à la crise Covid, à la reprise très forte qui a suivi, puis à la guerre en Ukraine et ses conséquences sur le marché de l’énergie », a résumé l’économiste, directeur adjoint du département analyse et prévisions de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

La résultante est connue de tous : une hausse généralisée des prix, durable, qui coûte, selon le chercheur, 3 points de produit intérieur brut à la France. Et si l’Etat absorbe une partie de ces coûts, « il reste 30 à 40 milliards d’euros : est-ce que les entreprises doivent voir leurs marges réduites, ou les salariés voir leur salaire ne pas augmenter autant que l’inflation ? ».

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Comment l’inflation bouleverse la question des bas salaires

La question vue sous ce prisme, c’est bien un rapport de force qui apparaît entre salariés et employeurs, et qui se tend inexorablement. Si les salaires augmentent de façon significative, avec une hausse du salaire mensuel de base de 3,1 % en glissement annuel au deuxième trimestre 2022, l’inflation dépasse les 5 %, rappelle enfin M. Plane.

Première augmentation générale en dix ans

Pour la rattraper, les augmentations générales sont au centre des négociations annuelles obligatoires (NAO), et la plupart des DRH disent avoir mis les moyens à ce sujet depuis un an. Dans l’industrie agroalimentaire, au Groupe Bel, « sur la NAO du début d’année, on a déjà doublé notre budget d’augmentation, et on a repris les échanges en septembre », explique Jérémy Sourd, responsable performance et coordination RH.

Chez SFIL, banque publique du groupe Caisse des dépôts, une augmentation générale a été décidée, la première en dix ans d’existence (combinée à des primes), dérogeant à une tradition d’augmentations individuelles considérables. Pour conserver ses collaborateurs, le cabinet de conseil Wavestone dit avoir opéré une refonte complète de sa grille des salaires à l’été 2022.

A mesure que les responsables s’expriment, il apparaît que les situations sont hétérogènes, et que toutes les entreprises n’ont pas les mêmes enveloppes à disposition, comme en témoigne Solène Hébert, DRH d’Harmonie Mutuelle : « On nous demande d’agir sur le salaire en tant que tel, mais Harmonie ne pourra pas tout financer cette année… » Tous s’accordent sur une stratégie des petits pas, où les augmentations se succèdent tous les trois ou six mois.

Il vous reste 46.89% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Viser le “plein-emploi handicapé” en 2027 a-t-il un sens ? »

Carnet de bureau. La salle de La Belle Etincelle était bondée, mardi 11 octobre, pour le lancement politique de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, prévue dans toute la France du 14 au 20 novembre. Ce restaurant dont les deux tiers du personnel sont en situation de handicap ne pouvait être mieux choisi pour afficher l’objectif gouvernemental d’atteindre le plein-emploi en 2027. Défi ? Pensée magique ? Annoncer le plein-emploi à une population dont le taux de chômage est invariablement l double de celui de la population active depuis des années laisse perplexe.

Certes, le marché du travail bouge, les difficultés de recrutement obligent les entreprises à étendre leur recherche de candidats à de nouveaux profils, des conventions ont été signées entre l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) et de grands groupes (E.Leclerc, Burger King, etc.), des initiatives ont été bien reçues, comme le dispositif d’« emploi accompagné » (sept mille bénéficiaires depuis 2017) ou l’événement Duoday, où se rencontrent employeurs et candidats.

Divergence sur les mesures prioritaires

Mais les chiffres sont têtus : le taux de chômage des personnes en situation de handicap est toujours à 13 %, contre 7,4 % pour l’ensemble de la population à fin 2021. Encore loin d’un idéal à 5 %. Viser le « plein-emploi handicapé » en 2027 a-t-il un sens ? Qu’en pensent les principaux intéressés, à savoir les personnes en situation de handicap et les employeurs ? A la demande de l’Agefiph, l’IFOP a interrogé quelque 8 400 handicapés et 402 dirigeants et recruteurs du 21 septembre au 4 octobre. Les résultats, qui devaient être publiés mercredi 19 octobre, révèlent que certains y croient : 18 % des personnes en situation de handicap estiment que c’est possible, c’est aussi le cas de 31 % des recruteurs.

Sur quoi se fonde leur conviction ? 33 % des personnes handicapées estiment que la société se donne les moyens d’agir pour faciliter l’accès à l’emploi. Et 60 % pensent que les difficultés de recrutement vont pousser les entreprises à se tourner vers eux ; 64 % des recruteurs le pensent aussi.

Mais les uns et les autres divergent sur les mesures prioritaires pour atteindre le plein-emploi : les recruteurs comptent d’abord sur les incitations fiscales ou les primes à l’embauche, puis sur la formation des manageurs et des salariés à l’accueil des personnes en situation de handicap.

Pas vraiment de moyens supplémentaires

Quant aux handicapés, ils croient en premier lieu à l’efficacité d’un renforcement des sanctions contre les entreprises qui ne respectent pas l’obligation d’emploi, puis à la simplification de l’accès aux aides et services spécialisés pour l’accueil et l’intégration des personnes handicapées. Ils citent aussi les incitations fiscales, mais en troisième choix, au même niveau que l’amélioration des conditions de vie au travail.

Il vous reste 22.7% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Emploi aux Etats-Unis : les entreprises sortent le grand jeu pour retenir leurs nouveaux salariés

Dans une vidéo de quelques secondes, Lysha, une jeune femme noire aux grandes lunettes carrées, raconte sur le réseau social TikTok comment elle a quitté son nouvel emploi deux jours après son arrivée. Elle montre le badge éphémère de sa compagnie d’assurances. Et s’explique. « Je voulais travailler à distance, ils m’ont fait venir au bureau deux jours par semaine. Ils ne m’ont pas formée et m’ont tout de suite demandé de saisir des données sur mon ordinateur. Mes collègues ne me disaient pas bonjour ou comment ça va ? » Lysha a tout simplement pris ses cliques et ses claques.

Un autre clip sur TikTok, cette fois-ci d’« Abramrick » (un pseudo) : « J’avais trouvé un meilleur emploi. Mais, un mois plus tard, une autre entreprise m’a proposé encore mieux ». Il est parti. « Cela m’est arrivé », commente Alex Vega, qui lui aussi a quitté son nouvel employeur, une semaine après ses débuts, car on venait de lui offrir 30 000 dollars (environ autant d’euros) de plus par an.

S’en aller dans les premières semaines, voire lors des trois premiers mois, n’est plus du tout tabou aux Etats-Unis. Car un autre emploi semble facilement se profiler à l’horizon. Conséquence, de grands employeurs tels Meta, Netflix ou Amazon revoient leur programme d’embauche.

L’employé aux commandes

Le taux de chômage du mois de septembre reste extrêmement bas, à 3,5 %. Et la chasse aux talents bat son plein. « Il y a dix millions de postes proposés sur Internet », souligne David Lewis, le numéro un d’Operations Inc, une société consultante en ressources humaines. Et les très bons prospects « se voient offrir quatre emplois différents », renchérit Mercy Noah, la vice-présidente du capital humain chez le développeur de plates-formes vidéo Qumu Corporation. « Nous sommes toujours dans une période de remaniement d’après-pandémie, explique David Kingsley, le responsable des ressources humaines de l’éditeur de logiciels Intercom. La relation entre l’employeur et l’employé a basculé. C’est ce dernier qui est aux commandes et veut savoir quelles sont les valeurs de la compagnie. »

Si l’impression est mauvaise, il part ailleurs. Sans trop de dégâts. « Regardez les parcours sur LinkedIn, poursuit M. Kingsley. Il y a des gens qui changent d’emploi au bout de trois mois, cinq mois et personne ne s’en étonne. » De fait, le récent sondage de la plate-forme de recrutement Employ Inc montre qu’un tiers des personnes à la recherche d’un emploi pourraient facilement quitter leur poste sans avoir prévu la suite. Et 30 % avouent avoir abandonné leur nouvelle entreprise dans les quatre-vingt-dix premiers jours.

Il vous reste 58.46% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

La hausse des salaires, sujet tabou de Macron

Anne Callizo-Millet, 51 ans, infirmière dans une structure médico-sociale, est venue manifester lors de la journée de mobilisation interprofessionnelle, à Paris, le 18 octobre 2022.

Le gouvernement a-t-il tardé à repérer le conflit qui couvait dans les raffineries françaises ? Ou bien a-t-il simplement suivi à la lettre la doctrine d’Emmanuel Macron depuis 2017, consistant à laisser la main au dialogue social dans les entreprises, en s’en tenant à distance ? « Vous trouveriez ça normal, vous, dans une démocratie comme la démocratie française, d’avoir le ministre de l’économie qui participe aux négociations salariales entre une entreprise privée et les syndicats ?, s’est insurgé le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, alors qu’il était interpellé sur ce point lundi 17 octobre, sur RMC. Mais ça n’est pas du tout notre rôle ! »

En la matière, le chef de l’Etat part du principe que les questions salariales ne relèvent pas de l’Etat. C’est l’objet des ordonnances Macron de 2017, qui facilitent l’adoption d’accords collectifs dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ou de représentant du personnel. Cette conviction était aussi très présente dans son programme de campagne de 2022. Quand les autres candidats promettaient « une grande conférence sociale sur les salaires » sur fond d’inflation croissante, voire carrément des hausses chiffrées à 10 % pour Valérie Pécresse ou Marine Le Pen, lui proposait plutôt le triplement de la prime Macron (une prime défiscalisée pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages, plafonnée à 6 000 euros) et des dispositifs de partage des profits dans les entreprises versant des dividendes.

« Emmanuel Macron a deux convictions intangibles : il est pro-européen et il est pro-business, résume Hakim El Karoui, essayiste et consultant. Sa grille de lecture, c’est de se mettre à la place des chefs d’entreprise. Or, pour ces derniers, c’est plus simple de payer des primes que d’augmenter les salaires, qui viennent rogner la marge. »

Tentation contradictoire

Primes, intéressement, participation… Si les entreprises se sont saisies de ces instruments privilégiés par le locataire de l’Elysée, leur effet sur le pouvoir d’achat est encore difficile à mesurer. Surtout face à une inflation qui dure et devrait atteindre 4,2 % en 2023, selon l’exécutif – l’efficacité de ces dispositifs, par nature temporaires, est questionnée. « En complément des augmentations des salaires, les primes et la participation sont des outils adaptés quand il y a des chocs dont on ne sait pas s’ils sont permanents ou temporaires, observe l’économiste Philippe Martin, doyen de l’Ecole d’affaires publiques à Sciences Po. Si l’inflation dure, elles ne sont pas suffisantes. »

Il vous reste 54.22% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’écosystème des start-up affirme vouloir renforcer la lutte contre les discriminations

Photo : les différents acteurs du monde des start-up présents au ministère de l’économie à Bercy, le lundi 17 octobre 2022.

Inciter les plus gros fonds d’investissement à mettre au premier plan les questions de diversité, pour espérer que cela pousse les start-up à s’interroger davantage sur le sujet : telle est la stratégie du programme Tech Your Place, mené par l’association d’égalité des chances Diversidays et la fondation Mozaïk RH.

Ce mouvement a accueilli, lundi 17 octobre, douze nouveaux adhérents, tous des fonds (parmi lesquels Eurazeo, Alter Equity ou encore Ring Capital), qui se sont engagés à mettre en place une série de mesures en interne pour lutter contre toutes formes de discriminations (handicap, genre, origine, orientation sexuelle…), notamment à l’embauche.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le manque de diversité, maladie des grands corps d’ingénieurs

Si le secteur associatif et les initiatives pour plus de diversité foisonnent déjà dans la « tech », les résultats sont plus qu’insuffisants. C’est d’ailleurs le constat d’une étude menée par Diversidays, et présentée en amont des annonces du soir, au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Une démarche nécessaire

Réalisée en ligne début 2022 avec Occurrence et PwC auprès de 1 004 salariés français, auxquels s’ajoute un échantillon de 95 répondants travaillant ou ayant travaillé dans une start-up, cet état des lieux de l’inclusion dans l’écosystème montre un paradoxe : alors que 78 % des salariés ont une bonne opinion des start-up, seuls 20 % d’entre eux ont déjà envisagé de postuler au sein d’une de ces « jeunes pousses » (le chiffre tombe à 9 % pour les répondants sans diplôme, 8 % pour ceux entre 46 et 60 ans).

Quand on leur demande les critères susceptibles de restreindre le recrutement au sein de ces entreprises, les salariés évoquent le niveau de diplôme (pour 50 % d’entre eux), l’âge (48 %), l’origine géographique (16 %), l’origine sociale (15 %), l’origine ethnique (14 %) et enfin le genre (14 %). Autre donnée marquante, les salariés en start-up sont 39 % à déclarer avoir été victimes d’au moins une situation de discrimination lors de leur embauche, et 40 % ont été témoin d’une discrimination.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Rachid Benzine : « Pour retrouver un climat social respirable, faire de la reconnaissance une clé de réorganisation de l’action publique »

Les nombreux dirigeants présents à Bercy ont tous évoqué librement ce « problème ». « Les fondateurs sont quand même souvent des mâles blancs qui ont fait de belles études, ça me terrifie, assume Benoist Grossmann, CEO d’Eurazeo. On a donc choisi d’intégrer ces processus d’inclusion de manière officielle. »

De l’importance du passage à l’acte

Pour progresser, le mouvement Tech Your Place impose aux adhérents qu’il accompagne − notamment sur la formation à la lutte contre les discriminations et le recrutement inclusif − de respecter une dizaine de principes, parmi lesquels : insérer systématiquement une clause « inclusion et diversité – égalité des chances » dans les pactes d’investissement, comprenant notamment la mise en place d’une politique inclusion et diversité au sein des entreprises financées ; mettre en œuvre une politique d’inclusion et diversité dans leur propre organisation et, surtout, « mesurer l’efficience de cette politique avec des indicateurs chiffrés pertinents et outils adaptés », ainsi que publier leurs résultats annuels sur leur site internet ; ou encore, nommer au moins un référent inclusion et diversité.

Il vous reste 47.65% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Assurance-chômage : l’Unédic analyse les effets à attendre de la réforme du système d’indemnisation

Quels seront les effets de la modulation des règles d’indemnisation de l’assurance-chômage ? La question est plus que jamais posée alors que le ministre du travail, Olivier Dussopt, a ouvert, lundi 17 octobre, un cycle de concertation avec les organisations syndicales et patronales sur le sujet. L’Unédic, l’association coadministrée par les partenaires sociaux qui pilote le système d’indemnisation des demandeurs d’emploi, en a profité pour donner un début de réponse dans une étude présentée vendredi 14 octobre.

Le document, auquel Le Monde a eu accès, « vise à présenter l’état des lieux des indicateurs reflétant l’état conjoncturel du pays ainsi que les mécanismes à l’œuvre lorsque certains paramètres sont modifiés ». Pour rappel, en appliquant un principe de « contracyclicité », le gouvernement souhaite durcir les règles d’indemnisation lorsque le marché du travail se porte bien afin d’inciter au retour à l’emploi ; et les rendre plus protectrices quand la situation est plus défavorable. L’étude de l’Unédic fait une analyse juridique de la situation et donne ensuite un chiffrage des mesures envisagées par le gouvernement. « Des ordres de grandeurs à considérer avec prudence », précise le document, car ils peuvent considérablement varier selon les choix qui seront faits.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Assurance-chômage : ce que contient le projet de loi voté par les députés

Dans un premier temps, le document se penche sur les indicateurs qui pourraient être retenus pour définir l’état de la conjoncture. Trois types d’indicateurs peuvent être choisis : ceux qui concernent l’activité économique, ceux sur l’ampleur du chômage et, enfin, ceux en rapport avec les tensions sur le marché du travail. L’Unédic, qui liste les avantages et inconvénients pour chacun, propose de combiner des indicateurs afin « de prendre en compte différents aspects du marché du travail », de les observer sur plusieurs trimestres et de retenir ceux qui présentent des résultats « en niveau et évolution » pour différencier les débuts et fins de cycles économiques.

« Les moins qualifiés » touchés

L’organisme paritaire s’intéresse ensuite aux cinq paramètres que le gouvernement pourrait choisir de moduler. Deux concernent les conditions d’accès à l’assurance-chômage. D’abord celui qui consiste à augmenter ou à baisser le nombre de mois de travail nécessaires (six actuellement) pour bénéficier d’une indemnisation. Un paramètre qui toucherait d’abord « les fins de CDD et d’intérim, les moins qualifiés et les jeunes », selon le document. Mais dont les effets seraient immédiats et entraîneraient une diminution des dépenses de 400 à 500 millions d’euros par an par mois supplémentaire d’affiliation requise. Car une hausse d’un mois d’affiliation requise entraînerait une baisse de 100 000 ouvertures de droits.

Il vous reste 40.01% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Assurance-chômage : le gouvernement reste flou sur la modulation des règles d’indemnisation

Le ministre du travail, Olivier Dussopt, à Matignon, à Paris, pour des entretiens sur la réforme des retraites avec le premier ministre et les présidents des groupes parlementaires, le 13 octobre 2022.

Des précisions qui ne dissipent pas le brouillard. Alors que le projet de loi ouvrant la voie à une réforme de l’assurance-chômage a été adopté à l’Assemblée nationale, mardi 11 octobre, et sera examiné au Sénat, le 25 octobre, le ministre du travail, Olivier Dussopt, recevait, lundi 17 octobre, les partenaires sociaux en ouverture du cycle de concertations consacré à la modulation des règles d’indemnisation en fonction de l’état du marché du travail.

Lors d’une réunion de deux heures, M. Dussopt a présenté à toutes les organisations syndicales et patronales – à l’exception de la CGT, qui avait annoncé dans un communiqué son refus de participer à une concertation dont « l’issue est contrainte » – les pistes privilégiées pour la mise en place de la modulation. Malgré cet exposé, une impression de flou entoure toujours les critères d’application.

Moduler les règles d’indemnisation

Le gouvernement compte pourtant aller vite : la concertation doit se poursuivre avec des rencontres bilatérales, avant de se conclure par une nouvelle réunion multilatérale le 21 novembre, afin de présenter les arbitrages du ministère pour une application de la réforme, par décret, début 2023. Car selon l’exécutif, il y a urgence à agir, alors que les difficultés de recrutement ne diminuent pas en même temps que le taux de chômage reste stable, autour de 7,5 % de la population active. C’est dans ce contexte qu’il souhaite donc intégrer des mécanismes de modulation des règles d’indemnisation pour rendre ces dernières incitatives quand la situation du marché du travail est considérée comme favorable, et plus protectrices quand elle se détériore.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Assurance-chômage : ce que contient le projet de loi voté par les députés

Un principe de « contracyclicité », avec lequel les organisations syndicales ont de nouveau manifesté leur profond désaccord. « Nous avons rappelé au ministre que nous sommes opposés à un système de modulation, quel qu’il soit », a indiqué Michel Beaugas, secrétaire confédéral de FO, après la rencontre. Même son de cloche du côté de la CFDT : « On a l’intention de discuter du bien-fondé de la réforme avant de discuter des critères », a affirmé la secrétaire générale adjointe de la centrale, Marylise Léon. Jean-François Foucard, secrétaire national de la CFE-CGC s’est dit, lui, « très dubitatif sur le fait que cette modulation puisse résoudre les problèmes de recrutement. » « Des jours sombres s’annoncent pour les demandeurs d’emploi », a de son côté lancé le secrétaire confédéral de la CFTC, Eric Courpotin.

La nécessité de faire simple

En revanche, le patronat s’est montré, de manière assez inattendue, divisé sur la question. Michel Picon, vice-président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) – qui représente les artisans, professions libérales et commerçants – a ainsi évoqué « les doutes » de son organisation, « notamment sur la corrélation entre la contracyclicité et [la] capacité à recruter plus facilement. Il nous paraît plus important de travailler sur la formation, a poursuivi M. Picon. Les gens qui arrivent dans nos petites entreprises sont bien loin du niveau d’employabilité qu’on attend. On a donc émis un certain nombre de réserves. » Le Medef, par l’intermédiaire d’Hubert Mongon, a, lui, « clairement exprimé que ces propositions allaient dans le bon sens pour répondre aux problèmes de recrutement » selon l’organisation patronale ; tout comme Jean-Michel Pottier, pour la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) : « Nous nous inscrivons dans cette réflexion sur la modulation, de manière très nette. »

Il vous reste 45.54% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’argot de bureau : « brown out », le travail en sous-tension

Bienvenue dans l’ère du travailleur basse consommation : son corps bouge, ses mains tapotent son clavier, il marche pour se rendre jusqu’à son bureau… Mais aucune dépense d’énergie n’est superflue pour ce salarié zombie. A l’intérieur de son crâne, c’est le désert de Gobi : rien ne s’y passe, et une fois sorti du travail, il ne sait dire ce qu’il a concrètement fait de sa journée.

Cette description ressemble peu ou prou au synopsis de la série dystopique Severance (Apple TV), qui alerte sur l’évolution du travail : dans une entreprise fictive, les employés subissent une opération de séparation entre leurs souvenirs professionnels et privés, car ils ne veulent pas connaître le sens de ce qu’ils font au bureau. Cette invention serait-elle une (sinistre) solution au « brown out », nouveau terme qui décrit la perte de sens au travail ?

Entre burn out et black-out

A mi-chemin entre burn out et black-out, le salarié victime de brown out fait tout sauf des étincelles. Le salarié en brown out voit son énergie chuter à petit feu, car le phénomène physique désigne justement une baisse de courant (volontaire ou non) dans un circuit électrique, afin d’éviter la surchauffe.

Moins célèbre que le burn out, phénomène plus brutal puisque le surinvestissement d’un salarié est subitement rattrapé par sa santé, le brown out est aussi plus difficile à repérer. Les symptômes sont aujourd’hui bien établis : perte de concentration, de motivation, de confiance en soi. Certains psychologues citent un excès de cynisme ou de désinvolture. Le travailleur broie du noir, ou en l’occurrence du marron (brown).

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Burn-out, dépression, absentéisme, peur de tomber malade : la santé devient une priorité des DRH

C’est le grand frère, et le versant pathologique de l’expression qui inonde les médias et les discours des DRH inquiets en cette rentrée : le « quiet quitting » (ou démission silencieuse), qui consiste à considérer le travail à sa juste valeur, et dès lors à réaliser le minimum syndical à son poste. Le brown out est parfois traduit par « démission mentale ».

Ici, l’épuisement professionnel relève d’une perte de sens, quand le « bore out » (encore un cousin, mais probablement le plus similaire) est synonyme d’ennui chronique. Plus qu’un problème de management, le brown out a souvent à voir avec la fiche de poste du salarié : répétitives, les tâches sont bien en dessous du niveau de diplôme et du potentiel de son exécutant.

Des métiers à plus faible sens

Le concept est indissociable de celui de « bullshit jobs », ces emplois inutiles qui ne servent qu’à occuper des travailleurs et ne créent rien, théorisés par l’anthropologue David Graeber (1961-2020). On attribue d’ailleurs la paternité du brown out à l’anthropologue américain.

Il vous reste 28.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Atsem : éduquer, nettoyer, câliner… Vingt-quatre heures avec les petites mains des écoles maternelles, en mal de reconnaissance

Quatre jours par semaine, Nathalie Ciesielski a rendez-vous avec « maîtresse Claire », dans la classe de toute petite section (TPS) de l’école Mont-Saint-Quentin de Péronne (Somme). Elle est Atsem, pour « agente territoriale spécialisée des écoles maternelles ». Le bras droit de la professeure des écoles, dont elle accompagne les ateliers pour les écoliers de 2 ans. Au programme aujourd’hui : cuisine et peinture.

Nathalie Ciesielski, à l’école Mont-Saint-Quentin, à Péronne (Somme), le 6 octobre 2022.

La matinée passe en un éclair. Il faut sortir sucre et farine, ranger farine et sucre, nettoyer la table, déplacer la table, protéger la table des projections de gouache avec des pages du Courrier picard, glisser une barrette dans les cheveux d’une toute petite, montrer comment on se sert du lavabo en appuyant fort sur le bouton-poussoir, répondre à l’interphone, récupérer un bulletin de vote pour l’élection des parents délégués, retrouver les peluches – Charlotte la marmotte, Quentin le bouquetin – et à chaque minute câliner, rassurer, stimuler. « J’arrête, je reprends, j’arrête et je reprends », détaille Mme Ciesielski, 52 ans, que ce ballet fait beaucoup marcher : « Il faudrait des rollers ! »

Il s’agit aussi de changer les couches. Sur treize enfants, trois sont propres. Aux plus dégourdis, l’agente explique le bon usage des sanitaires. « J’ai des parents qui me disent : “Elle ne veut pas aller aux toilettes !” Je leur réponds : “On va y arriver.” » En s’occupant des enfants, on soutient aussi les pères et les mères de ce quartier populaire, planté de barres d’immeubles et classé en réseau d’éducation prioritaire.

Nathalie Ciesielski (à gauche), Claire Savary, la maîtresse (à droite), et des élèves de la toute petite section de l’école Mont-Saint-Quentin, à Péronne (Somme), le 6 octobre 2022.

Assistance éducative

L’éducation à l’hygiène reste la spécialité de celles qu’on a longtemps appelées « femmes de service », mais ces fonctionnaires de catégorie C endossent, depuis une trentaine d’années, des fonctions d’assistance éducative auprès du corps enseignant. Plusieurs décrets ont entériné cette mutation sans qu’elle s’accompagne, aux yeux des syndicats, de la reconnaissance nécessaire. Les Atsem étaient appelées à la grève, les 5 et 29 septembre, par la CGT-Fonction publique et l’UNSA-Territoriaux, pour demander des hausses de salaires, la reconnaissance de la pénibilité et de meilleures perspectives de carrière.

Les agentes diplômées commencent au smic et peuvent escompter 1 600 euros net après quinze ans de métier, selon Delphine Depay, référente fédérale (concernant les services publics) de la CGT pour les Atsem. A Mont-Saint-Quentin, aucune des cinq agentes n’a participé à la grève : la plupart sont en contrat à durée déterminée, ce qui n’encourage pas les revendications.

Il vous reste 65.36% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.