Archive dans 2022

Le premier ministre étend aux travailleurs sociaux les revalorisations salariales accordées aux soignants

Manifestation d’aides à domicile pour réclamer de meilleures conditions de travail et de rémunération, à Tours, le 5 janvier 2021.

La crise sanitaire a rendu très concrète, aux yeux de l’opinion, la difficile condition des personnels soignants et provoqué la grande consultation baptisée « Ségur de la santé ». Elle a abouti à plusieurs décisions, notamment à une revalorisation salariale d’au moins 180 euros net par mois pour les personnels soignants non médecins des secteurs public et non lucratif.

Le rôle – tout aussi essentiel – des travailleurs sociaux, qui, eux, prennent soin des personnes les plus vulnérables, handicapées, dépendantes, et assurent la protection de l’enfance, n’a pas joui de cette reconnaissance et la profession souffre, comme celle de soignant, d’une désaffection inquiétante : 15 % à 30 % des postes sont vacants, 70 % des employeurs rencontrent des difficultés de recrutement, enregistrent des démissions et déplorent un important turnover.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Crise des métiers sociaux : « Les associations de solidarité lancent un cri d’alarme »

C’est ce dont semble avoir pris conscience l’exécutif à son plus haut niveau puisque le premier ministre, Jean Castex, accompagné d’une dizaine de membres du gouvernement (à commencer par Olivier Véran, le ministre de la santé et des solidarités, tutelle des professionnels du social), doit présider, vendredi 18 février, une Conférence des métiers de l’accompagnement social et médicosocial. A cette occasion, il devrait annoncer une revalorisation immédiate des salaires, à hauteur de celle accordée, en décembre 2020, aux soignants, soit 183 euros net mensuel.

Une longue et difficile négociation

Selon Matignon, ces augmentations concerneraient 140 000 éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs, conseillers en économie sociale et familiale, tous salariés de structures associatives et publiques, et entreraient en vigueur à compter du mois d’avril, mais seraient versées en juin. Il en coûtera 540 millions d’euros en 2022, puis 720 millions d’euros en année pleine, une dépense prise en charge aux deux tiers par l’Etat et au tiers par les départements, employeurs de ces professionnels.

Au passage, M. Castex envisagerait de combler quelques failles du « Ségur de la santé », en particulier la rémunération des 20 000 aides à domicile employées par les centres d’action sociale, des salariés des centres de protection maternelle et infantile, mais aussi les 3 000 médecins coordonnateurs en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, soit une dépense globale supplémentaire de 140 millions d’euros en année pleine, partagée entre Etat (55 %) et départements (45 %).

Lire aussi (2021) : Article réservé à nos abonnés Les travailleurs sociaux font grève pour partager leur désarroi

Ces mesures sont le fruit d’une longue et difficile négociation entre l’Etat et les départements, représentés par leur assemblée, que dirige François Sauvadet, président (UDI) du conseil départemental de la Côte-d’Or. Les discussions ont duré jusqu’à l’avant-veille de cette conférence, elle-même repoussée maintes fois mais qui, dans le calendrier électoral serré, peut difficilement attendre encore.

Il vous reste 47.93% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

VTC et livraison : coup d’envoi des élections des représentants

Manifestation de chauffeurs VTC à Paris, le 29 mai 2021.

L’élection des représentants des quelque 100 000 travailleurs des plates-formes de VTC (pour « voiture de transport avec chauffeur ») et de livreurs est entrée dans sa phase concrète. Associations et syndicats de travailleurs indépendants ont jusqu’au vendredi 18 février pour déposer leurs candidatures pour ce double scrutin, prévu du 9 au 16 mai, avec un collège pour les VTC, un autre pour les livreurs. Une première dans le monde de l’ubérisation pour construire le « dialogue social » voulu par le gouvernement, qui a consulté tous les acteurs plusieurs fois en 2021 et 2022. Pourtant, les organisations de travailleurs ne font pas montre d’un grand enthousiasme.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les travailleurs des plates-formes numériques devraient élire des représentants en 2022

Ces élections sont encadrées par l’ordonnance du 21 avril 2021 prise dans la foulée des recommandations du rapport de Bruno Mettling sur la régulation du dialogue social, que lui avait confié la ministre du travail, Elisabeth Borne, début 2021. Ce texte a également créé l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi (Arpe), en charge d’organiser le scrutin et dont M. Mettling est le président.

« Le gouvernement est convaincu que la négociation collective est le meilleur levier d’amélioration des conditions de travail des travailleurs indépendants des plates-formes », assure-t-on au ministère. Des protections contre le risque de rupture de contrat avec les plates-formes sont prévues pour les représentants désignés par les organisations et syndicats de travailleurs ayant obtenu 8 % des suffrages exprimés (5 % pour le premier scrutin), ainsi qu’une indemnisation des heures passées en délégation. Mais le timing laisse perplexe.

« On ne pouvait pas rester à l’écart »

D’une part parce que ce dialogue social ne va pas dans le sens du projet de directive européenne annoncé le 9 décembre 2021 prévoyant que les travailleurs des plates-formes se voient accorder une présomption de salariat s’ils se trouvent dans une position de subordination à celles-ci en fonction de critères définis. Une voie que rejettent les plates-formes et le gouvernement, quand d’autres Etats européens tels que l’Espagne ou la Belgique la soutiennent.

D’autre part, le dispositif est inachevé. Plusieurs ordonnances n’ont toujours pas été publiées. En avril, devrait être publiée celle détaillant « les thèmes de négociation obligatoires à aborder », indique-t-on au ministère. En septembre, une autre devrait désigner les représentants des plates-formes. Malgré ce flou, ces élections représentent une occasion à saisir aux yeux de Karim Daoud, président de VTC de France, qui salue l’arrivée de l’Arpe : « On pratique le dialogue direct avec les plates-formes depuis deux ou trois ans, plutôt que des manifestations, et ça fonctionne, même si on a encore des difficultés avec Uber. »

Il vous reste 48.21% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

La Belgique en route pour la semaine de 4 jours… contre des journées de travail plus longues

Le principe était coulé dans une loi de 1921 et, pour les syndicats belges, il était tellement intangible qu’il figure encore au fronton de certains de leurs bâtiments, les « Maisons des huit heures ». Un accord global, présenté mardi 15 février et conclu entre les sept partis du gouvernement fédéral dirigé par Alexander De Croo, a fait voler en éclats ce dogme, avec l’aval de la gauche socialiste : le temps de travail quotidien pourra désormais atteindre neuf heures trente.

En échange, la semaine de quatre jours sera instaurée pour les volontaires. A condition que leur patron donne son accord – ou motive son refus. A condition aussi que l’organisation de l’entreprise ne soit pas compromise. Un travailleur pourra aussi demander à travailler plus longtemps durant une semaine, afin d’alléger sa charge de travail la semaine suivante.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés En Belgique, la forte inflation relance le débat sur l’indexation automatique des salaires

L’objectif ? Officiellement, mieux harmoniser vie professionnelle et vie privée. « Cela ne répond pas aux défis actuels et d’autres moyens auraient été plus respectueux des contraintes familiales, comme un congé parental mieux rémunéré », a immédiatement répliqué la Ligue des familles. Selon ce lobby, une journée de travail portée à neuf heures trente ne fera qu’accroître les contraintes familiales, pour la gestion des enfants notamment.

Nouveaux horaires pour l’e-commerce

Le projet du gouvernement s’inscrit, en fait, dans un cadre plus vaste : la coalition du premier ministre libéral entend porter à 80 % le taux d’emploi des Belges. Il stagne actuellement au-dessous de 70 %. Pour atteindre le but fixé – qui est prioritairement de soutenir un régime de retraites en équilibre instable –, il faudrait mettre 670 000 personnes au travail. Actuellement, le royaume compte 300 000 demandeurs d’emploi et quelque 400 000 malades de longue durée.

Le nombre de ces derniers ne cesse d’augmenter depuis quelques années, en raison, notamment, de la forte augmentation des cas de burn-out, le syndrome d’épuisement professionnel. Les syndicats, qui – comme les patrons – auront à donner leur avis sur le projet, sont moroses. Ils constatent, en effet, que leurs relais politiques ont aussi cédé sur le principe de nouveaux horaires pour l’e-commerce. Des entreprises pourront lancer des « expériences » de travail entre 20 heures et minuit, avec l’aval d’une seule organisation syndicale, même minoritaire.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés En Belgique, l’e-commerce remis en question

Cette « flexibilité encadrée » serait sans doute mieux acceptée si un statut plus clair était instauré pour les travailleurs des plates-formes. Les chauffeurs d’Uber ou les livreurs de Deliveroo devraient, certes, bénéficier à l’avenir d’assurances contre les risques d’accident, mais leur éventuel statut de salarié est loin d’être acquis. Quant à la lutte contre les abus dans le secteur, elle relève toujours d’une promesse gouvernementale assez vague.

Le gouvernement annonce 100 000 emplois industriels « créés » ou « confortés » grâce à des relocalisations

La ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 15 février 2022.

Les relocalisations d’activités industrielles sur le territoire intervenues depuis septembre 2020 ont permis de « créer » ou de « conforter » près de 100 000 emplois, au travers de 782 projets, selon un décompte effectué par Bercy et publié jeudi 17 février.

Ce chiffre englobe les opérations intervenues dans le cadre de trois dispositifs : en premier lieu l’appel à projets « Relocalisations dans les secteurs critiques », doté de 850 millions d’euros et visant en particulier les secteurs de la santé, de l’électronique, des matières premières pour l’industrie. En second lieu, le dispositif « Capacity Building », mis en œuvre pour renforcer la filière santé, et doté de 671 millions d’euros. Enfin, en dernier lieu, le dispositif « Territoires d’industrie », qui accompagne les projets ayant une incidence locale forte, doté de 950 millions d’euros.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Réindustrialisation : Macron veut célébrer « l’attractivité dans les territoires »

Le soutien de ces 782 projets a permis de générer 5,4 milliards d’euros d’investissements productifs, pour 1,6 milliard d’euros de subventions, selon Bercy, qui ne divulgue cependant pas la ventilation entre les emplois nouveaux, créés par ces projets, et les emplois simplement confortés. En se fondant sur les chiffres donnés par le ministère de l’économie et des finances et sur ses propres données, le cabinet Trendeo estime qu’un emploi créé vient en consolider quatre, soit environ 20 000 nouveaux emplois et 80 000 « confortés ».

Entre 2000 et 2020, 1 million d’emplois perdus dans l’industrie

A noter, également, que le terme de « relocalisation » s’entend ici au sens large : « Il peut s’agir de productions réalisées à l’étranger et revenues sur le territoire français ou de nouvelles productions qui visent à remplacer des produits importés », précise la ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, pour qui « ce résultat s’inscrit dans une politique ambitieuse de reconquête lancée depuis 2017 par le président de la République ».

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Les Hauts-de-France, de la désindustrialisation à la lente réindustrialisation

De fait, en matière d’emplois industriels, le chantier est immense. En vingt ans, entre 2000 et 2020, la France a perdu 1 million de postes dans l’industrie. La courbe a commencé à s’inverser entre 2017 et 2019, avant que ne survienne le cataclysme de la crise liée au Covid-19, qui a mis à nu la vulnérabilité de pans entiers de l’économie face aux produits importés. Certes, face au million d’emplois perdus, ce bilan peut paraître faible, mais il signale une tendance favorable. « Ce qui fera que les choses seront macroéconomiquement tangibles, c’est que ce mouvement se poursuive dans la durée : la baisse de l’emploi industriel ne s’est pas faite en un an », remarque Alexandre Saubot, président de France Industrie.

Il vous reste 45.4% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Egalité femmes-hommes : « L’enjeu pour les femmes est de prendre goût à oser s’affirmer »

Directrice des ressources humaines d’Hutchinson en 2008, ce qui en fait la première femme siégeant au comité de direction de l’entreprise, Dominique Bellos, née en 1949, ouvre un cabinet de management, à la fin de sa carrière, en 2019. Une carrière d’une cinquantaine d’années qu’elle retrace dans Il était une fois… une femme dans l’industrie (L’Harmattan, 2021).

Dans « Il était une fois… une femme dans l’industrie », vous retracez cinquante ans d’un parcours, pas toujours simple, dans un milieu très masculin. Comment êtes-vous arrivée dans le monde de l’industrie ?

Dominique Bellos : A l’origine, dans les années 1970, j’étais une littéraire, je me dirigeais vers l’enseignement de l’allemand. Pour faire ma thèse, je suis allée à Bâle [Suisse], où en parallèle de mes études j’ai travaillé comme secrétaire dans le groupe chimique Ciba-Geigy. Avec ma maîtrise, j’ai donné quelques cours d’allemand, mais j’ai préféré me risquer dans l’industrie qui m’attirait. Puis j’ai transformé la pédagogie de l’enseignement en pédagogie de ressources humaines.

Après trois ans comme secrétaire, j’ai eu l’audace d’aller chercher les postes qui me correspondaient, en prenant le risque d’un refus. J’ai ensuite rejoint la filiale française d’un petit groupe allemand, où j’ai gravi les échelons pendant dix-sept ans jusqu’à devenir directrice commerciale puis directrice générale de la filiale.

Quelle a été votre expérience dans chez Hutchinson, la filiale du groupe TotalEnergies que vous avez rejointe après ?

Après quelques années de vaches maigres entre 1992 et 1997, où j’ai connu des faillites de PME, j’ai répondu à une annonce de l’Association pour l’emploi des cadres [APEC]. Sur 678 candidatures, j’étais la seule femme à me proposer pour Hutchinson. La consultante de l’APEC m’a encouragée à trouver ma propre signature, la graphologue a mis mon dossier en haut de la pile, et j’ai eu le poste.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés « Le partage du pouvoir et des responsabilités économiques entre hommes et femmes stimulera la recherche d’un nouvel art de vivre au masculin »

Pendant dix ans j’ai dirigé des « business units » [unités de production] dans les pneus de vélo et les joints pour fenêtres, puis je suis devenue directrice des ressources humaines, ce qui en 2008 a fait de moi la première femme siégeant au comité de direction de l’entreprise. J’y suis restée jusqu’en 2016, puis j’ai terminé ma carrière en 2019, lorsque j’ai ouvert mon cabinet de management. Il y avait une volonté du patron de Total (devenu TotalEnergies depuis), Christophe de Margerie, de soutenir la diversité dans le monde masculin d’Hutchinson.

J’ai vérifié le contenu du poste. Ça ne suffit pas d’être une femme, je voulais être engagée pour mes compétences, or j’avais un dialogue social avec les syndicats et je connaissais le terrain.

Il vous reste 51.9% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Une nouvelle vague de start-up françaises déferle dans la technologie quantique

Les ingénieurs Guillaume Villaret et Clémence Briosne Fréjaville, à l’Institut d’optique de Palaiseau (Essonne), le 10 février 2022.

Tom Darras est tout sourire. Fin janvier ce jeune docteur de 28 ans vient de recevoir son Kbis, le document prouvant l’existence de sa jeune entreprise, WeLinQ, dernière née d’une trentaine de start-up françaises d’un secteur émergent, reconnaissables souvent à la lettre Q dans leur nom. Un « Q » qui signifie quantique et se verrait bien rimer avec révolution technologique.

L’adjectif fait référence à la théorie née dans l’entre-deux-guerres qui décrit le mieux le comportement de la matière au niveau des atomes. Grâce à elle, les physiciens savent désormais aussi bien pourquoi le ciel est bleu, pourquoi une étoile brille, ou pourquoi une luciole est fluorescente. Surtout, les ingénieurs ont utilisé cette théorie pour façonner des matériaux semi-conducteurs, à la base des puces et mémoires des ordinateurs et des mobiles. La théorie quantique est aussi à l’origine du laser qui lit les CD ou guide les voitures sans pilote. Les diodes électroluminescentes sont aussi quantiques. Tout comme les horloges de haute précision qui battent le tempo dans les satellites de géolocalisation.

« Se dire que ce dont on rêvait il y a vingt ans va devenir réalité est très excitant » Julien Laurat, cofondateur de WeLinQ

Mais une seconde vague est en train de se répandre, tirant profit d’autres propriétés de la théorie encore peu exploitées et mises en évidence seulement à partir des années 1980 dans les laboratoires de recherche. Elle promet des communications plus sûres car sensibles à la moindre interception. Mais aussi des calculs plus rapides ou impossibles même sur de superordinateurs. Ou encore des capteurs de lumière, de champ magnétique, de gravitation, d’ondes… plus précis et plus petits, ouvrant la voie à du guidage sans satellite de géolocalisation ou à des séances d’IRM dans des appareils moins volumineux.

Petites sous-unités synchronisées

Calcul, cybersécurité et métrologie (la science des capteurs) sont les trois piliers de la révolution annoncée. Auxquels il faut ajouter les technologies dites « habilitantes », c’est-à-dire nécessaires pour faire fonctionner les autres : des lasers, des réfrigérateurs à très basse température (ou cryostats) à – 270 °C, des pompes à vide…

Le fameux ordinateur quantique, Graal du domaine, n’est donc pas la seule application visée dans un marché mondial évalué par la société Yole Développement à près de 3 milliards de dollars (plus de 2,6 milliards d’euros) en 2030.

En France, une trentaine de PME et start-up parient donc sur cet avenir quantique. « Se dire que ce dont on rêvait il y a vingt ans va devenir réalité est très excitant », témoigne Julien Laurat, cofondateur de WeLinQ, professeur à Sorbonne Université et ancien directeur de thèse de Tom Darras, le PDG de la start-up. Leur rêve à concrétiser est une mémoire quantique, permettant de préserver pendant quelques quinzaines de microsecondes une précieuse information.

Il vous reste 73.19% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Un autre monde » : quand la machine capitaliste broie ses propres cadres

Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain dans « Un autre monde », de Stéphane Brizé.

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR

Commencée, avec succès, autour d’intrigues sentimentales, la carrière de Stéphane Brizé s’est déportée, ces dernières années, le long d’une ligne sociale dont son nouveau film, Un autre monde, est le troisième opus. Bref rappel des épisodes antérieurs. Dans La Loi du marché (2015), Thierry, quinquagénaire au chômage, famille à nourrir, accepte, après une litanie d’humiliations, un poste de vigile dans un hypermarché. Dans En guerre (2018), un leader syndicaliste d’une usine d’Agen prend la tête de la lutte des ouvriers pour le maintien de leur instrument de travail lorsque la direction annonce sa fermeture irrévocable.

Vincent Lindon, entouré de non-professionnels, est au centre de ces deux films qui portent un regard acéré sur la cruelle et sourde violence des rapports sociaux, mais aussi, bien sûr, sur la déchirure d’un individu poussé par les événements à se désolidariser de son propre milieu.

Lire aussi : « La Loi du marché » : une expérience radicale de chimie cinématographique

On ne cherchera pas d’autres raisons à Un autre monde, si ce n’est, désormais flagrante, la rotation socioprofessionnelle que Stéphane Brizé propose d’endosser à son partenaire acteur – qui, on en mettrait notre main au feu, adore ça ! Naguère nervi du patronat, puis cégétiste pur et dur, Vincent Lindon est donc promu patron dans Un autre monde. Ce qu’il fait très bien, parce que tout ce que fait Vincent Lindon au cinéma tient sacrément la route, y compris un pompier culturiste dépressif sous anabolisants (dans le merveilleux Titane, de Julia Ducourneau, récompensé par la Palme d’or à Cannes en 2021). On imagine que c’est cela, le feu sacré. Donc, le patron d’Un autre monde s’appelle Philippe Lemesle, et il est, pour être précis, cadre dirigeant d’une entreprise qui fait partie d’un groupe mondialisé dont le siège se trouve à New York.

Une lutte pied à pied

Et voici que des directives de réduction de personnel, drastiques, tombent pour les sites européens du groupe, pourtant déjà mis en coupe réglée. Des directives telles que leur application rend la charge de travail inhumaine et le fonctionnement de l’entreprise ingérable. Or il se trouve, élément important de l’affaire, que Philippe Lemesle est un patron doté d’une conscience morale. Et qu’on vient de déplacer un cran trop loin le curseur de ce qu’il estime acceptable. Un autre monde est le récit de ce qui survient à compter de ce point de bascule qui voit un cadre supérieur imploser, pris en étau entre les consignes inapplicables d’une direction générale décorrélée du réel et la colère légitime des ouvriers, cela alors même que sa propre dévotion à l’entreprise a fait de sa vie familiale un champ de ruines.

Il vous reste 38.61% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

La tension monte autour du financement d’EDF

Manifestation « pour un service public de l'energie » et pour denoncer le projet de restructuration d'EDF, à Paris, le 22 juin 2021.

Dix-sept ans après l’ouverture de son capital, en 2004, faut-il renationaliser le groupe Electricité de France (EDF), encore détenu à 83,9 % par l’Etat ? Puis le recapitaliser aussi, avec augmentation de ses ressources ? « Aucune option (…) ne doit être écartée, répondait Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, le 15 février, sur le plateau de BFM Business. Toutes n’appartiennent pas forcément au même calendrier, mais toutes les options sont sur la table. » Même celle de la renationalisation, sans la nommer, quitte à aller dans le sens de certains candidats de gauche à l’élection présidentielle.

Vendredi 18 février, l’entreprise présentera ses résultats pour l’année 2021. Notamment son niveau d’endettement, qui s’élevait à 42,3 milliards d’euros en 2020, pour un chiffre d’affaires de 69 milliards d’euros. Les certitudes se font rares, en pleine crise des prix de l’énergie. Si ce n’est que l’électricien aura grand besoin d’une solide assise au vu de ses futurs investissements.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Emmanuel Macron confirme le virage nucléaire de sa stratégie énergétique

D’abord, pour prolonger autant que possible ses cinquante-six réacteurs nucléaires existants, principaux pourvoyeurs d’électricité dans le pays. Ensuite, pour en construire entre six et quatorze nouveaux d’ici à 2050 – la nouvelle feuille de route d’Emmanuel Macron depuis le 10 février, établie en toute fin de quinquennat. « L’Etat prendra ses responsabilités pour sécuriser la situation financière d’EDF et sa capacité de financement à court et à moyen terme », a précisé le président de la République, mentionnant aussi « plus de 10 milliards d’euros » déjà mobilisés au cours des six dernières années « pour le renforcement du bilan de l’entreprise ».

« Dire que l’Etat reprend la main »

Au 31 décembre 2021, les parts restantes du capital se répartissaient entre acteurs institutionnels, porteurs individuels, actionnaires salariés et autodétention. Petites parts et petit prix : mardi, l’action finissait la journée en Bourse à un peu plus de 8 euros. Celle-ci avait déjà dégringolé en décembre 2021, lorsque EDF avait annoncé la mise à l’arrêt prolongée de quatre réacteurs à cause d’une corrosion.

Ainsi, nationaliser le groupe sans le recapitaliser coûterait moins de 5 milliards d’euros à l’Etat. « Ce serait politiquement une manière de dire que l’Etat reprend la main », estime Nicolas Goldberg, référent énergie pour le cabinet de conseil Colombus Consulting. Mais la solution aurait vite ses limites. « Renationaliser EDF sans recapitalisation, ce n’est pas renforcer ses fonds propres », rappelle Alexandre Grillat, représentant syndical de la fédération CFE-CGC Energies.

Il vous reste 58.94% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A Toulouse, la Cité de l’espace promet la Lune pour solder la crise

A la Cité de l’espace, à Toulouse, le 16 octobre 2017.

La présentation scénographique de LuneXplorer, nouvelle animation de la Cité de l’espace qui promet un voyage vers la Lune sans quitter la terre ferme, est encore approximative. Et pour cause : si, dans ce centre de culture scientifique basé à Toulouse, les travaux démarreront en avril, la mise en service, prévue en juillet 2023, est encore lointaine. Mais les contours du nouvel équipement commencent à se dessiner.

Après une introduction explicative, dans le hall d’accueil, sur les missions spatiales des programmes américains Apollo (1961-1972) et Artemis (lancé en 2017), les visiteurs embarqueront dans une centrifugeuse équipée d’une capsule. Informé sur les règles de sécurité à respecter en vol et les actions à mener dans le cadre d’un scénario imaginaire, l’équipage sera ensuite propulsé à une vitesse de 2 à 2,5 G.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés 2021, odyssée du design de l’espace

« Ils connaîtront les sensations d’accélération et de descente, mais pas d’apesanteur. On n’est pas dans la Station spatiale internationale, prévient d’emblée Jean-Baptiste Desbois, le directeur général de la Semeccel, l’exploitant de la Cité de l’espace, très attaché à la dimension pédagogique du site. Nous ferons vivre des sensations au service d’un projet de culture scientifique et d’éducation. »

« Vitrine pour la filière »

Surtout, l’objectif de cet équipement, construit en lieu et place du Terradome (un bâtiment en forme de sphère terrestre), est de relancer la fréquentation de ce parc de quatre hectares, ouvert au public depuis 1997 et reconnaissable par son imposante réplique de la fusée Ariane-5, haute de 53 mètres.

Alors que 2019 avait été une année record, avec un peu plus de 408 000 visiteurs, la fréquentation a dégringolé en raison des neuf mois cumulés de fermeture, imposés pour enrayer la pandémie de Covid-19. En 2020, 171 000 visiteurs ont poussé la porte d’entrée du site, 268 000 en 2021. Conséquence inévitable : le chiffre d’affaires a chuté, par rapport aux onze millions d’euros de 2019, de 50 % en 2020 et de 30 % en 2021.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Spatial : l’Europe veut conforter sa souveraineté

« Notre enjeu est l’attractivité, admet, en toute franchise, M. Desbois. On envisage entre 30 000 et 40 000 visiteurs supplémentaires par an avec cet équipement unique en France et en Europe. » Pour Jean-Luc Moudenc, président (Les Républicains) de Toulouse Métropole, qui a financé à hauteur de 40 % le simulateur de vol de 11,8 millions d’euros, cet équipement est « une vitrine pour toute la filière du spatial et le reflet de cet écosystème ».

Car l’agglomération toulousaine concentre 15 000 emplois et 260 entreprises dans le secteur. « Toulouse est la capitale européenne du spatial, avec un quart des emplois » français, revendique M. Moudenc. Et, en comparaison avec l’aéronautique, le Covid-19 a moins bousculé cette filière en bonne santé, qui a enregistré une baisse de 10 % du chiffre d’affaires en 2020.