Archive dans 2021

Assurance-chômage : le Conseil d’Etat valide l’entrée en vigueur du nouveau calcul

Les syndicats avaient déposé un recours en référé pour tenter d’invalider l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance-chômage, effective depuis le 1er octobre. Le Conseil d’Etat a rejeté leur recours, vendredi 22 octobre. Il valide donc la date de l’entrée en vigueur mais se prononcera ultérieurement sur le fond, c’est-à-dire sur le mode de calcul de l’indemnité chômage – que les syndicats dénoncent comme « injuste » pour les demandeurs d’emploi.

Les syndicats avaient obtenu en urgence en juin la suspension des nouvelles règles contestées de calcul de l’allocation-chômage, mesure phare de la réforme qui devait entrer en vigueur au 1er juillet, le Conseil d’Etat arguant des « incertitudes sur la situation économique ». Sans attendre la décision de la plus haute juridiction sur le fond, le gouvernement avait publié un nouveau décret, mettant en avant « le vif rebond de l’emploi depuis mai » et permettant l’entrée en vigueur de la réforme au 1er octobre. La CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC et la CFTC – qui s’était abstenue la fois précédente – avaient rapidement fait savoir qu’elles allaient attaquer le nouveau texte.

Cette fois-ci, le Conseil d’Etat juge que « la tendance générale du marché de l’emploi ne constitue plus un obstacle à la mise en place de la réforme ». « C’est une réforme importante qui va encourager le travail au moment où notre économie repart très fort », a réagi aussitôt la ministre du travail, Elisabeth Borne, auprès de l’Agence France-Presse (AFP).

Tribune : Article réservé à nos abonnés « Le nouveau mode de calcul des allocations chômage met en place un système juste, efficace et cohérent »

« Catastrophe sociale annoncée »

Farouchement opposés depuis le départ à la réforme, les syndicats estiment que le nouveau mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), base de l’allocation, va pénaliser les demandeurs d’emploi alternant chômage et activité, « les permittents ».

Dans un communiqué commun, la CGT, FSU et Solidaires indiquaient vendredi faire un recours « contre la catastrophe sociale annoncée ». Les trois syndicats notaient que le nouveau décret est « la copie conforme » du précédent où « tous les éléments démontrant l’injustice et l’inanité de la réforme étaient déjà inscrits ». Ils estimaient que le Conseil d’Etat « ne doit pas céder à la pression gouvernementale ». La CFDT a également déposé son recours vendredi, en commun avec la CFTC, avec des arguments notamment « sur la fragilité de la reprise économique » et sur la question des « inégalités de traitement dans le mode de calcul du SJR », selon la numéro deux de la CFDT Marylise Léon.

Tribune : Article réservé à nos abonnés Assurance-chômage : « Une réforme inefficace, injuste et punitive »

FO, qui avait déposé son recours dès jeudi soir, a des angles d’attaque qui sont « exactement les mêmes que la dernière fois », a indiqué Michel Beaugas, négociateur assurance chômage au sein du syndicat. « Nous ne souhaitons pas que le débat sur la conjoncture économique occulte le débat de fond sur l’inéquité de cette réforme, arguments que nous développions déjà en 2019 », lorsque la réforme avait été présentée.

L’Unsa a également déposé jeudi un recours axé, selon sa secrétaire générale adjointe Vanessa Jereb, sur l’« inéquité » du salaire journalier de référence, les « contradictions » du gouvernement dans sa présentation de l’amélioration de la situation économique et sur « l’objectif » affiché de lutter contre les contrats courts.

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Le Monde avec AFP

Pour le directeur général de l’Organisation internationale du travail, « il faut un consensus social pour que la transition écologique réussisse »

Guy Ryder, le directeur général de l’Organisation internationale du travail, à Pékin, en novembre 2019.

Guy Ryder est directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), une agence des Nations unies, qui regroupe les représentants des gouvernements, des employeurs et des salariés de 187 Etats membres. L’ancien dirigeant syndical britannique explique à quel prix peut se faire la transition écologique de l’économie mondiale.

L’Organisation internationale du travail travaille sur la transition écologique depuis de nombreuses années. Quel en sera le coût en termes d’emplois ?

Il est difficile de donner des chiffres dans l’absolu, car cela dépend évidemment des politiques qui seront mises en œuvre par les gouvernements. Si on se réfère aux objectifs de l’accord de Paris [conclu en décembre 2015, lors de la COP21], et en prenant comme référence 2030, on estimait que la mise en œuvre de l’accord pouvait générer 24 millions de nouveaux emplois. Auxquels on ajoutait 78 millions d’emplois liés au passage à des modes de consommation et de production durables, soit un peu plus de 100 millions, ce qui permettait de dresser un bilan positif de la transition écologique.

Mais ce qui a été fait jusqu’à présent est très insuffisant. Et si les tendances du réchauffement climatique persistent, l’OIT estime que 2,2 % du nombre d’heures travaillées dans le monde seront perdus en raison du stress thermique, soit une perte de productivité équivalente à 80 millions d’emplois à temps plein.

Selon vous, les réponses ne sont pas à la hauteur du défi ?

En effet, et un deuxième élément vient aggraver le tableau. Dans leurs réponses actuelles, les Etats ne prennent pas suffisamment en compte les politiques sociales nécessaires à la mise en œuvre de cette transition. Pour la COP26, la conférence climatique en Ecosse [elle se tient à Glasgow, du 1er au 12 novembre], cette question de la « transition juste », la dimension sociale portée par l’OIT, n’est pas assez présente.

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C’est pourtant un élément essentiel pour la réussite de la transition écologique, la décarbonation de l’économie, car les coûts sociaux peuvent en être élevés. Si aucune anticipation n’est faite, les populations réagiront négativement, et cette transition sera bloquée. Il faut un consensus social pour que cela réussisse. Sans mesures fortes d’accompagnement, les situations sur le terrain peuvent devenir dramatiques.

La question des compétences est essentielle, pour préparer les jeunes, stimuler l’innovation et pouvoir exploiter les possibilités d’emplois

Enfin, il faut dire que les 100 milliards de dollars [86 milliards d’euros], un objectif fixé par la COP21 de Paris, n’ont jamais été atteints. Or, cette question du financement de la transition écologique, du Nord vers le Sud, est essentielle. L’accord n’a pas été respecté. Si on veut que cette transition réussisse, il faut identifier les zones concernées et en répartir la charge, le coût.

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« Pour que ce ne soit plus un sujet » : des « rôles modèles » LGBT en entreprise

C’est lors d’un dîner avec un groupe de Texans, lorsqu’elle travaillait pour un grand groupe pétrolier, qu’Agathe Weil a eu le déclic : après avoir « louvoyé » toute la soirée pour ne pas utiliser de pronoms ou de noms féminins indiquant qu’elle vivait avec une femme, de peur de choquer ses compagnons de table, « je me suis effondrée à mon hôtel », se souvient l’actuelle directrice de la communication déléguée du groupe Foncia.

Dès le lendemain, la jeune femme fait le choix d’« assumer » : pour ne pas subir à nouveau le poids des faux-semblants, plus question de se sentir obligée de cacher son homosexualité. Quelques années plus tard, la directrice décide de candidater auprès de l’association L’Autre Cercle pour être officiellement désignée en tant que « rôle modèle » LGBT. L’objectif de cette démarche : que ses collègues, à leur tour, ne se sentent plus obligés de mentir sur ce qu’ils sont en la voyant afficher ouvertement son homosexualité.

Rarement un choix délibéré

Cette initiative a été lancée par L’Autre Cercle, qui œuvre à l’inclusion des personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres au travail. La troisième édition des Rôles modèles LGBT + et Allié·e·s, organisée par l’association le 12 octobre, a ainsi mis sur le devant de la scène 94 personnalités, telle Agathe Weil. A travers cette célébration, qui s’est tenue en présence de la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, Elisabeth Moreno, l’association veut banaliser l’homosexualité et les questions autour de l’identité de genre en entreprise.

Enquête : Article réservé à nos abonnés Au travail, l’homophobie se dévoile

Si la visibilité des personnes homo, bi ou trans dans le cadre professionnel demeure un non-sujet pour beaucoup de salariés, les témoignages, forts, qui se sont succédé en vidéo lors de cette cérémonie, montrent qu’il n’en est rien.

Un homme explique ainsi avoir caché son homosexualité à ses collègues pendant dix-huit ans. Une cadre dirigeante dans l’industrie publicitaire ne veut pas prendre le risque de faire « perdre des budgets » à son entreprise, si son homosexualité venait à se savoir. Une autre manageuse explique avoir fait son « coming out » devant ses collègues assemblés à table, après avoir entendu son N + 2 tenir des propos homophobes : « Je me suis dit : si je me tais maintenant, je ne pourrai plus jamais en parler (…) et je valide, d’une certaine manière, ses propos ».

« Afficher » ses préférences de genre en entreprise reste rarement un choix délibéré. Mais à un moment de leur carrière, tous les participants se sont retrouvés confrontés à ce dilemme : parler ouvertement de leur homosexualité ou mentir le restant de leur vie professionnelle. Lors de la cérémonie, la ministre Elisabeth Moreno a rappelé le « poids trop lourd à porter » de la dissimulation identitaire, « qui peut avoir des conséquences psychologiques et médicales ».

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« Aux bons soins du capitalisme » : le coaching, une religion libérale

Le livre. Réconcilier capitalisme et humanisme, rien de moins : les promesses du coaching sont séduisantes. Resté longtemps discret, d’abord exercé par des consultants à l’image aussi énigmatique que charismatique, associé aux élites, le coaching fait l’objet d’une fascination tenace en France, à la fois laudative et critique.

Les uns vantent les mérites de cette pratique hybride, qui emprunte ses techniques à la psychothérapie mais se déploie dans le champ du conseil et de la formation. Les autres dénoncent l’empire des coachs et l’injonction au bonheur toute-puissante. Le coaching est-il le fer de lance d’une instrumentalisation de la subjectivité par le capitalisme ? Ou, à l’inverse, dans un étrange renversement de miroir, le signe que la société, et plus précisément le travail, va mal ? Dans Aux bons soins du capitalisme (Les Presses de Sciences Po), Scarlett Salman s’interroge.

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Depuis son émergence dans les années 1990, le coaching a conforté sa place dans le monde de l’entreprise et contribué à deux figures majeures du néocapitalisme : celle, interne, du manageur-coach ou du leader, et celle qui se prolonge à l’extérieur des organisations, de l’entrepreneur de soi. « La promesse du coaching est de développer le potentiel d’individus réputés autonomes, tout en les invitant à entretenir des relations harmonieuses aux autres et un rapport sain au travail », rappelle la sociologue, maîtresse de conférences à l’Université Gustave Eiffel.

Métamorphoses des relations

Ce dispositif individualiste-libéral postule que l’individu au travail n’est pas seulement mû par des critères économiques, mais que ses relations de travail ont un impact sur son engagement et sur sa performance. « Le coaching est la version la plus individualisée et la plus personnalisée des dispositifs de gestion qui ont pris la dimension humaine comme objet. Il s’adresse résolument aux cadres, ces salariés de confiance auxquels est demandé un investissement extensif dans le travail et auxquels est promise en retour la plus grande des récompenses, cette fameuse réalisation de soi. »

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Ce discours accompagne un renouveau de l’indépendance et de l’entrepreneuriat. Les coachs exercent eux-mêmes leur activité sous des formes diverses d’indépendance. Fruit d’une enquête au long cours, engagée au début des années 2000 et combinant ethnographie et statistiques, l’ouvrage s’intéresse aux métamorphoses des relations entre management et psychologie, et à l’essor d’une hygiène psychique au travail porteuse d’une responsabilisation individuelle accrue.

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Daniel Kahneman : « Les choix des juges et des experts reposent excessivement sur l’intuition »

Daniel Kahneman, psychologue et économiste.

Pourquoi nos jugements, personnels comme collectifs, sont-ils si souvent défaillants ? Parce que nous sommes perturbés par des « bruits », aux conséquences parfois désastreuses pour nos vies, explique le psychologue et prix Nobel d’économie (2002) Daniel Kahneman, dont les travaux ont eu une grande influence sur les sciences comportementales.

Dans un nouvel ouvrage coécrit avec le spécialiste en stratégie Olivier Sibony et le juriste et économiste Cass R. Sunstein (Noise. Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter, Odile Jacob, 464 pages, 27,90 euros), il explique comment les bruits perturbent le fonctionnement d’institutions, comme la justice ou la médecine, et quelles stratégies permettent de les limiter.

Vos travaux sur les biais cognitifs ont été fondateurs pour l’économie comportementale. En quoi les bruits s’en distinguent-ils ?

Nous constatons une chose : selon le moment de la journée, un expert prend des décisions radicalement différentes sur un même sujet. Et deux experts disposant des mêmes informations émettent des jugements parfois opposés. Cette variabilité est engendrée par ce que nous appelons le bruit, et qui se différencie des biais cognitifs [comme l’aversion à la perte ou le besoin d’adhérer aux normes].

Comment le bruit perturbe-t-il le fonctionnement de nos institutions ?

Nous aimerions qu’une institution comme la justice, par exemple, parle d’une voix unique, à savoir que les juges délivrent les mêmes verdicts pour des affaires similaires. Mais ce n’est pas ce que l’on observe statistiquement. C’est ce que nous appelons le bruit systémique.

« Les réseaux sociaux sont des amplificateurs de différences extrêmement puissants, inédits dans l’histoire de l’humanité »

Le juge Marvin Frankel [1920-2002], le premier à s’être penché sur le sujet en 1973, a ainsi observé que les peines pour un même délit peuvent varier de plusieurs années selon les juges : cette loterie déterminant le destin des individus est insupportable. Il en va de même avec la médecine. Le diagnostic délivré pour une même maladie ne devrait pas dépendre du médecin, de son humeur ou de s’il a bien dormi. Ce bruit est rarement évoqué parce qu’il est largement sous-estimé, mais il a des conséquences potentiellement graves sur nos vies.

Quand l’avez-vous mesuré pour la première fois ?

Lors d’une enquête au sein d’une grande compagnie d’assurances, il y a sept ans. Nous nous sommes intéressés aux souscripteurs, dont le métier est de déterminer la valeur d’un risque. Nous avons demandé aux dirigeants de la compagnie à combien ils évaluaient l’écart entre les estimations des souscripteurs, censées être très proches. Ils ont répondu 10 %. Mais la différence observée était en vérité de 52 % ! Personne ne s’y attendait.

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L’éviction du rédacteur en chef de « Bild » secoue les médias allemands

A Berlin, le 26 septembre 2021.

C’est sous la forme d’un bref entrefilet que le tabloïd allemand Bild a informé ses lecteurs, mardi 19 octobre, qu’il y avait du changement à la tête de sa rédaction. « A la suite des investigations parues dans la presse, [le groupe] Axel Springer a relevé Julian Reichelt, 41 ans, de ses fonctions de rédacteur en chef de Bild. (…) Pour Mathias Döpfner, patron d’Axel Springer, “Julian Reichelt a formidablement développé Bild sur le plan journalistique et, grâce à Bild Live [un canal d’information en continu diffusé en streaming depuis le 22 août], en a fait une marque tournée vers l’avenir” ».

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Pour connaître les raisons de cette mise à l’écart, ce n’est pas Bild qu’il fallait lire, mais ses concurrents, dont beaucoup ont consacré de longs articles à cette affaire qui secoue le paysage médiatique allemand depuis une enquête publiée, dimanche 17 octobre, dans le New York Times. Selon celle-ci, Julian Reichelt a notamment promu à un poste à responsabilités une journaliste avec laquelle il avait une liaison. « S’ils découvrent que j’ai une relation avec une stagiaire, ils vont se débarrasser de moi », avait-il confié à cette femme en 2016, selon des propos rapportés par celle-ci à une commission d’enquête, et cités par le quotidien américain.

Prises de position très droitières

Si l’article du New York Times a précipité les choses – le limogeage de Julian Reichelt a été annoncé vingt-quatre heures après sa publication –, il n’a toutefois constitué qu’une demi-surprise. Nommé à la tête de la rédaction numérique de Bild en 2014, puis, trois ans plus tard, rédacteur en chef de l’ensemble du journal, cet ancien correspondant de guerre, connu pour ses prises de position très droitières et en lutte permanente contre la politique d’Angela Merkel, jugée trop centriste, avait déjà été inquiété en raison de son comportement vis-à-vis des femmes.

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En mars, il avait ainsi été suspendu pendant douze jours, après que le Spiegel eut révélé, dans un article intitulé « Coucher, promouvoir, virer », qu’il faisait l’objet d’une enquête, confiée à un cabinet externe, par le groupe Axel Springer. A l’époque, il avait toutefois très vite retrouvé son poste, son employeur ayant estimé que les « erreurs de management identifiées dans le cadre de cette investigation [n’étaient] pas de nature criminelle ».

L’image du patron écornée

Pour le groupe Axel Springer, qui a annoncé, le 26 août, le rachat du site d’information politique américain Politico, présenté comme « la plus grosse acquisition de son histoire » (environ 850 millions d’euros), cette affaire tombe au plus mal. D’autant plus qu’elle écorne par ricochet l’image de Mathias Döpfner : le Spiegel a révélé, lundi 18 octobre, un SMS qu’il avait envoyé à un ami, au printemps, après un article paru dans Bild contre les restrictions anti-Covid. Dans ce SMS, Mathias Döpfner saluait Julian Reichelt comme « le dernier et le seul journaliste du pays qui lutte courageusement contre le nouvel Etat autoritaire de RDA », allusion à l’ex-régime communiste d’Allemagne de l’Est, auquel les opposants à la politique sanitaire – notamment à l’extrême droite – aiment comparer le gouvernement actuel.

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Ehpad, hôpitaux : les ressources humaines au défi de l’obligation vaccinale

Le raz de marée tant redouté n’est pas arrivé. Au centre hospitalier intercommunal (CHI) d’Elbeuf-Louviers-Val-de-Reuil (Seine-Maritime), le DRH Benjamin Galle a poussé un ouf de soulagement le 15 septembre. Ce jour-là, l’obligation de se vacciner contre le Covid-19, imposée par les pouvoirs publics dans les établissements de santé et médico-sociaux, entrait en vigueur.

Il a pu constater qu’elle avait été massivement respectée au sein de son organisation. En conséquence, seuls trois agents devaient être suspendus sur les 2 200. « Nous étions inquiets quelques semaines auparavant, reconnaît-il. Nous savions que nous risquions de nous séparer potentiellement de bien plus de membres du personnel. » Des données de juillet indiquaient seulement 76 % d’agents vaccinés. Les dernières semaines auront donc vu nombre de professionnels venir grossir les rangs des vaccinés.

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La situation observée à Elbeuf se retrouve dans de nombreux établissements à travers la France. Il existe bien sûr des centres hospitaliers où la mobilisation antivax a été plus structurée, entraînant une proportion importante de suspensions et de démissions, et provoquant, parfois, la fermeture temporaire de lits, voire de services.

Pas de chute brutale des effectifs

Mais dans la majorité des cas, les services de ressources humaines ont évité la chute brutale des effectifs qu’ils craignaient. C’est le cas notamment au CHU de Nice où l’on s’était « préparé au pire », explique Karine Hamela, la directrice du pôle RH, en simulant, en amont de l’obligation vaccinale, des réorganisations de plannings avec un nombre important de suspendus. « Cela a favorisé une prise de conscience collective des impacts possibles de cette obligation et permis à l’encadrement de mener un travail de sensibilisation. »

Finalement, 4 % du personnel a été suspendu au 15 septembre. Une situation qui s’est améliorée depuis : ils n’étaient plus que 0,6 % le 5 octobre, en grande partie du fait de nouvelles vaccinations – mais aussi de quelques dizaines de départs.

Les chiffres

94 % des Ehpad interrogés dans le cadre d’une enquête de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissement et services pour personnes âgées (Fnadepa) avaient au moins 90 % de leurs professionnels vaccinés au 24 septembre.

31,1 % se disaient alors face à un risque de rupture d’accompagnement.

25 % ont fermé des lits en raison de la situation dégradée (enquête menée du 21 au 24 septembre auprès des 1 300 directeurs de structures pour personnes âgées adhérents de la Fnadepa ; 282 directeurs ayant répondu).

Le constat est le même dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). « L’impact de l’obligation vaccinale n’est pas aussi important que ce que l’on craignait », indique Annabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa). Selon une enquête menée auprès des adhérents de la fédération, les établissements déploraient, au 24 septembre, en moyenne de 2 % à 3 % du personnel absent en raison de cet impératif – 48,4 % des structures ne signalant aucune absence.

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Télétravail : économies d’énergie mal partagées

« A domicile, les salariés ont vu leur facture augmenter. Durant le confinement du printemps 2020, alors que le télétravail était généralisé, la hausse de consommation du secteur résidentiel a été de l’ordre de 5 %, indique RTE. »

Carnet de bureau. Le télétravail a-t-il généré un surcoût énergétique ? Et pour qui ? Si la facture du chauffage des salariés à domicile a pu augmenter durant l’hiver 2020, les entreprises ont plutôt fait des économies.

L’Association des directeurs de l’environnement de travail (Arseg), qui collecte chaque année les différents indicateurs des services généraux de quelque 150 entreprises vient d’établir que le coût moyen au mètre carré de la consommation d’électricité a baissé en 2020. La majorité des entreprises interrogées par l’Arseg sont de grandes organisations du secteur tertiaire comprenant entre 500 et 2 000 postes de travail installés sur une surface variant de 10 000 à 40 000 m².

Durant la première année de pandémie, leurs dépenses d’électricité ont été réduites d’un euro pour chaque mètre carré, passant de 16 euros à 15 euros le mètre carré. Cette baisse, qui peut paraître modeste à cette échelle, « est telle qu’elle a absorbé la hausse du prix du kilowattheure, révèle Mario Fernandez, responsable d’études & prospective de l’Arseg. Elle est toutefois moins forte qu’on aurait pu le supposer pour 2020. Certaines dépenses, comme des bâtiments quasiment vides restés allumés, auraient pu être évitées », précise-t-il.

L’industrie principalement concernée

Au niveau national, « en 2020, il y a eu un net impact de la crise sanitaire sur la consommation d’électricité, lié à la baisse d’activité et à la fermeture des sites », explique un porte-parole d’EDF. Le secteur de l’industrie a été principalement concerné avec une baisse de 10 % de la consommation d’électricité par rapport à 2019 ; la construction automobile, la sidérurgie ou les transports ferroviaires ont même connu une baisse allant jusqu’à 20-25 % en 2020, « mais l’effet télétravail est encore difficile à analyser », indique une porte-parole de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité.

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Dans les entreprises, les économies ont été faites sur « l’électricité par poste de travail, les dépenses d’éclairage et la climatisation au début de la pandémie. Mais dès le deuxième confinement [à partir de fin octobre 2020], c’était moins évident, souligne la présidente de l’Arseg Latifa Hakkou. Avec la mise en place d’un télétravail limité, le chauffage et la climatisation ont été maintenus. Il a fallu propulser de l’air renouvelé dans tous les bâtiments, comme l’exigeait le protocole de sécurité sanitaire. Cela a augmenté les dépenses. Certaines entreprises dont les salariés étaient partiellement en télétravail n’ont fait qu’une petite économie ».

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Steave Chiron, la vie depuis sa guérite

Par et

Publié aujourd’hui à 04h00

Il fait corps avec les « invisibles ». Comme ces femmes de ménage qui ont échangé quelques mots en portugais avant de lui céder la place ce matin de septembre. Comme toutes ces professions qui travaillent dans l’ombre à rendre la vie des autres plus facile. Invisible, Steave Chiron ? Difficile de le rater avec ses mensurations de pilier de rugby (1 m 90 pour 130 kg) et son crâne rasé. Et pourtant, le vigile de l’immeuble L’Amiral, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), est de ceux que l’on ne regarde pas au quotidien, ou si peu.

100 « Fragments de France »

A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique.

Les quelque 250 personnes qui passent chaque jour la porte de l’immeuble de bureaux ne connaissent pas, dans leur grande majorité, les tâches effectuées par celui qu’une étiquette désigne comme « gardien » sur la boîte aux lettres. Employé de la société RMS Gardiennage, Steave Chiron veille sur la sécurité de l’immeuble et de ses habitants, à leur insu la plupart du temps.

Steave Chiron, lors de sa ronde matinale dans le parking de L’Amiral, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), le 16 septembre 2021.

Il est 8 heures du matin quand l’homme âgé de 44 ans entame une ronde dans cet immeuble moderne qu’il arpente depuis dix ans. Les néons du parking sculptent sa carrure massive, tandis qu’il s’avance entre les rangées de voitures. Ses pas sont étouffés par ses Nike immaculées, il oppose son costume noir dépareillé à une porte, qui résonne dans le silence bétonné. Une autre porte, des escaliers de secours. A mi-parcours, là-haut, la terrasse de l’immeuble offre une vue imprenable vers l’est, la gare de Nogent-le-Perreux, le soleil levant, l’autoroute.

La vue depuis la terrasse de l’immeuble gardé par Steave Chiron, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), le 16 septembre 2021.
Steave Chiron accueille et oriente les visiteurs devant l’immeuble, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), le 16 septembre 2021.

8 h 30, retour au pied de l’immeuble. Dans le hall du 1-5 rue Jean-Monnet, son bureau d’accueil, plaqué dans un recoin, a été équipé il y a quelques mois d’un Hygiaphone. Tant qu’il y aura le Covid-19, il fera les cent pas sur le trottoir. Le coronavirus a fauché une de ses tantes, qui souffrait déjà d’un cancer. Lui s’est fait vacciner en juin, « surtout pour [sa] femme et [ses] quatre enfants ».

Récalcitrants au protocole sanitaire

Les personnes qui hésitent devant la porte d’entrée sont aussitôt guidées par le vigile. « Pôle emploi, c’est au troisième étage. » 9 heures : il franchit le seuil de l’entreprise d’imprimerie du bâtiment, Concept Paradise France. L’un de ses gérants, Stéphane dit « Stesso », est devenu son instructeur de taekwondo, sport qu’il pratique en plus du jujitsu et du MMA « en cage » : « Steave travaille en sécu, il est habitué à observer, il anticipe ce que va faire l’adversaire. » Ici, « l’ennemi » peut être un sans-abri entré en catimini au sous-sol : « Il y a deux-trois mois, un mec a menacé de me poignarder. Il dormait, je l’ai réveillé, je lui ai dit tu pars d’ici, ça l’a énervé, il a sorti son couteau et puis c’était des insultes gratuites. » Steave voudrait porter une petite gazeuse, mais son statut l’interdit. Une bombe lacrymogène, « ça tue personne, on n’a rien pour se défendre ».

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