Si la ministre du travail, Elisabeth Borne, avait assisté aux débats, elle aurait bu du petit-lait. Lundi 15 novembre, le Conseil d’Etat a examiné un nouveau recours des syndicats contre la réforme de l’assurance-chômage. La rapporteuse publique, Marie Sirinelli, a indiqué que les critiques exprimées par les organisations de salariés ne faisaient pas apparaître « un élément suffisamment saillant » qui justifierait d’annuler les dispositions incriminées. Ses conclusions ont uniquement vocation à éclairer la formation de jugement qui devra statuer, mais celle-ci les suit très souvent, si l’on se fie à la pratique.
L’audience de lundi s’inscrit dans un affrontement engagé depuis près de deux et demi. En juillet 2019, le gouvernement a pris un décret qui durcit les conditions d’indemnisation des personnes alternant contrats courts et périodes d’inactivité. Plusieurs syndicats ont attaqué le texte devant le Conseil d’Etat. Avec succès : les règles relatives au salaire journalier de référence, qui sert à fixer le montant des sommes dues aux chômeurs, ont été annulées, en novembre 2020, par les juges du Palais-Royal au motif qu’elles portaient « atteinte au principe d’égalité ».
Le ministère du travail a repris sa copie pour que la baisse de l’allocation soit moins importante que ce que prévoyait la réforme initialement. C’est ainsi qu’un autre décret, en date du 30 mars, a été publié.
« Incertitudes » économiques
Le texte en question a, à son tour, fait l’objet de plusieurs actions contentieuses. Avec des fortunes diverses. Dans une ordonnance de référé rendue le 22 juin, le Conseil d’Etat a suspendu l’entrée en application du nouveau mode de calcul de l’indemnisation – programmée à partir du 1er juillet – parce que les « incertitudes » économiques faisaient alors obstacle à l’instauration d’un mécanisme qui est censé « favoriser la stabilité de l’emploi ». La mise en vigueur du dispositif a, du coup, été repoussée au 1er octobre. Ce que les syndicats ont encore contesté, mais cette fois-ci, leur requête a été repoussée par le juge des référés.
Lundi, c’est sur le fond du décret du 30 mars que les magistrats du Palais-Royal ont été saisis. Pour Mme Sirinelli, ce texte a « affiné l’équation applicable » de manière à « corriger » les ruptures d’égalité entraînées par le précédent décret de juillet 2019. Ainsi, le salaire journalier de référence et l’allocation diminuent mais de façon atténuée, pour les chômeurs dont le parcours d’emploi est fractionné. Dès lors, « il me semble que l’on reste ainsi désormais en dessous de la ligne de ce qui constituerait une différence de traitement disproportionnée », a soutenu Mme Sirinelli, en préconisant le rejet des recours des syndicats.
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Au revers de son pull corail, Josiane Clavelin a épinglé un ruban de satin rose. L’emblème d’« Octobre rose », la campagne de prévention du cancer du sein organisée chaque automne par l’association Ruban rose. Ce jeudi de fin octobre, la retraitée de 63 ans, militante à la CFDT des mineurs de Lorraine, s’apprête à recevoir trois femmes touchées par la maladie. Même si son taux de survie atteint 88 %, le cancer du sein reste le plus fréquent et le plus meurtrier chez les femmes : 58 000 nouveaux cas surviennent chaque année en France.
La syndicaliste compulse d’épais dossiers, le premier au nom de Martine. Brune, élancée, celle-ci s’installe face à elle, au premier étage du local syndical, dans un pavillon de Freyming-Merlebach (Moselle). Sa voix, tendue par une colère à fleur de peau, frappe les murs : « J’avais 48 ans quand mon cancer s’est déclaré, retrace l’ex-infirmière, 61 ans, dont trente-huit passés à l’hôpital. C’est à cette période-là que j’ai dit : “Je ne veux plus travailler la nuit”. J’en avais déjà fait 873. »
Une démarche inédite
Josiane Clavelin l’écoute, attentive derrière sa frange blonde. Elle aussi a travaillé à l’hôpital, comme aide-soignante en pédiatrie, et conserve de ce métier une forme de douceur et d’empathie. Comme Martine, elle a connu les gardes de nuit qui détraquent l’horloge biologique. Si des facteurs personnels (antécédents familiaux, alcool, tabac…) accroissent le risque de cancer du sein, la syndicaliste s’intéresse au rôle néfaste du travail.
« Ni mon médecin ni mon gynéco n’ont voulu signer un certificat pour dire qu’il y avait un lien possible entre mon cancer et le travail. Ils ne se mouillent pas ! » Martine
Les femmes qu’elle reçoit, principalement des infirmières ou des aides-soignantes qui ont travaillé la nuit et au contact des rayons X, veulent faire reconnaître leur pathologie comme une maladie professionnelle. Une démarche inédite : ces derniers mois, deux dossiers ont déjà été envoyés aux caisses d’assurance-maladie avec l’aide du syndicat. D’autres suivront dans les prochaines semaines. En tout, une trentaine de demandes doivent être complétées.
C’est le cas du dossier de Martine. « Ni mon médecin ni mon gynéco n’ont voulu signer un certificat pour dire qu’il y avait un lien possible entre mon cancer et le travail, regrette-t-elle. Ils ne se mouillent pas ! »« Ça n’engage pourtant pas beaucoup le médecin… s’agace le docteur Lucien Privet. Je vais vous le faire, moi. »
Ce compagnon de route du syndicat se tient aux côtés de Josiane Clavelin. Ils reçoivent les femmes en binôme : elle est la travailleuse et la militante, qui connaît intimement les conditions de travail des soignantes ; lui apporte sa caution scientifique. Dans les années 1970, le septuagénaire aux yeux rieurs débarquait à l’entrée des puits de mine avec des maoïstes soucieux des problèmes respiratoires des mineurs. Il n’a plus quitté la région.
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Le Reflet à Nantes, les Cafés joyeux à Rennes puis à Paris, ou encore La Belle Etincelle, inaugurée à Paris en juin 2021 par Sophie Cluzel la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées… Les exemples de petits établissements qui emploient en majorité des cuisiniers et serveurs souffrant de déficiences cognitives, de troubles du spectre de l’autisme ou de trisomie 21 se multiplient, et leur succès permet de déconstruire certains préjugés.
A l’occasion de la vingt-cinquième Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, qui devait s’ouvrir lundi 15 novembre, le ministère du travail a publié le 10 novembre son dernier bilan qui indique que le taux d’emploi direct en équivalent temps plein dans les entreprises assujetties à l’obligation d’emploi est de 3,6 % dans l’hôtellerie-restauration, le commerce et le transport en 2019, contre 3,5 % en moyenne nationale.
De plus en plus d’employeurs ouvrent leur recrutement aux travailleurs handicapés. Plus d’un sur quatre (27 %) bénéficiaires de l’obligation d’emploi des personnes en situation de handicap travaille dans l’hôtellerie-restauration, le commerce ou le transport. Mais le travail « en milieu ordinaire » est compliqué à généraliser.
Beaucoup d’autocensure
Les préjugés sur le handicap sont particulièrement prégnants dans un secteur aux conditions de travail réputées difficiles. « La restauration est un métier sous pression, et on croit souvent que les handicapés sont plus facilement fatigables, or il n’en est rien », déplore Stéphanie Roland-Gosselin, présidente de l’association Acces, qui accompagne les jeunes salariés de La Belle Etincelle.
« Il y a aussi beaucoup d’autocensure, les conseillers comme les demandeurs d’emploi handicapés pensent que les métiers ne sont pas pour eux, estime Rachel Bouvard, directrice RSE du Groupement national des indépendants de l’hôtellerie-restauration. Pourtant la diversité a tout lieu d’être dans nos métiers. En cuisine, en service ou dans l’hôtellerie, dans les métiers liés au personnel d’étage… »
La plupart des établissements comptant moins de vingt salariés, ils ne sont pas soumis à l’obligation d’employer au moins 6 % de travailleurs en situation de handicap sous peine de devoir payer une contribution à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. « On a environ 10 000 entreprises adhérentes, dont 80 % ont moins de vingt salariés, donc n’ont pas d’obligation en matière de handicap », indique Rachel Bouvard. Ils ne sont donc pas comptabilisés dans le bilan du ministère du travail de 2019.
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La tendance est nette : 4,5 % d’augmentation (sur un an) en octobre, après 4,1 % en septembre, 3,9 % en août et 2,3 % au mois de juin. Depuis près de six mois, la courbe de l’inflation en Allemagne suit une pente fortement ascendante, qui pourrait atteindre en taux annualisé le seuil des 5 % fin 2021. Au point de raviver une inquiétude solidement ancrée dans la culture nationale : une spirale incontrôlée de hausse des prix, comme lors de l’épisode traumatisant d’hyperinflation qu’a connu le pays en 1923.
Le tabloïd Bild voit la coupable toute désignée en la personne de Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne. Surnommée « Madame inflation » et photographiée en veste Chanel, elle est accusée de poursuivre une politique monétaire expansive en dépit de la progression des prix, alimentant les angoisses de fonte des retraites, de l’épargne et du pouvoir d’achat des citoyens modestes.
Qu’en est-il réellement ? Les économistes insistent sur le fait que cette hausse est d’abord liée à celle de l’énergie et des matières premières, ainsi qu’aux problèmes d’approvisionnement de l’industrie et du commerce, qui devraient s’apaiser tôt ou tard. « L’économie allemande est très mondialisée, c’est la raison pour laquelle les problèmes de logistique nous affectent beaucoup plus qu’en France, par exemple. Là-bas, les chaînes d’approvisionnement sont plus courtes et se déplacent souvent à l’intérieur du pays », explique Timo Wollmershäuser, économiste en chef à l’Institut économique de Munich, interrogé par le magazine Wirtschaftswoche.
« Des effets temporaires »
L’Allemagne subit des problèmes de fourniture de produits intermédiaires comme les composants électroniques, qui touchent de plein fouet les industriels, en particulier dans les entreprises de taille moyenne, forcées d’interrompre leur production par manque des pièces nécessaires. « La situation est invraisemblable, poursuit M. Wollmershäuser. Nous avons des commandes record et, en même temps, un million de salariés au chômage partiel dans l’industrie. La question est de savoir combien de temps cela va durer. »
C’est effectivement la question qui agite le plus les économistes. La plupart estiment que l’évolution des prix devrait se normaliser ces prochains mois. « Les facteurs qui gonflent l’inflation actuellement sont des effets temporaires, mais qui surviennent malheureusement tous en même temps »,analyse Kerstin Bernoth, de l’institut DIW, dans une étude parue fin octobre. Elle note que la pression sur les salaires reste pour l’instant modérée en Allemagne.
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Depuis des jours, les habitants de Timisoara, dans l’ouest de la Roumanie, commencent leur journée par le même rituel : tâter leur radiateur avec anxiété. Le 26 octobre, plus de 50 000 foyers, ainsi que les écoles et les hôpitaux de la ville, ont été privés de chauffage et d’eau chaude durant plusieurs jours. Motif : la flambée des prix de l’énergie a poussé l’entreprise locale de chauffage, Colterm, au bord de la faillite. Face à l’accumulation des impayés, le producteur de gaz E.ON a cessé de l’approvisionner. Depuis, les autorités municipales se démènent avec d’autres fournisseurs pour acheminer gaz et charbon vers les centrales de Colterm. Mais les livraisons sont aléatoires. Alors, tandis que le pays entre dans l’hiver, les radiateurs de Timisoara ne chauffent pas tous les jours, et souvent trop peu.
En octobre, l’indice des prix à la consommation roumain a progressé de 7,9 % sur un an, au plus haut depuis dix ans, selon l’Institut national de statistique. Cela tient beaucoup à la flambée des tarifs du gaz (+ 46 %), et les chiffres sont aussi vertigineux dans les pays voisins. En octobre, l’inflation a progressé de 5,8 % en République tchèque, de 6,5 % en Hongrie – du jamais-vu depuis 2012 – ou de 6,8 % en Pologne. Selon les prévisions du cabinet britannique Oxford Economics, elle devrait progresser de 7 % dans l’ensemble de l’Europe centrale et de l’Est cette année, contre 3,7 % en zone euro. « Cette région est celle où le risque de voir une hausse de prix soutenue ces prochaines années est le plus élevé », analyse Liam Peach, du cabinet britannique Capital Economics.
« Pour le moment, ce choc inflationniste est en grande partie lié à la hausse du cours des matières premières et aux problèmes d’approvisionnement, en particulier dans les pays très intégrés aux chaînes de production européennes », observe Rafal Benecki, économiste chez ING, à Varsovie. Et, sans surprise, les ménages sont les premiers à en souffrir. En Roumanie et en Hongrie, les dépenses liées au chauffage et à l’énergie représentent en effet respectivement 25 % et 22 % des dépenses des familles, contre 7 % en Allemagne, selon la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). « La pression pour que les gouvernements prennent des mesures en faveur de ces ménages va donc augmenter », souligne Beata Javorcik, économiste en chef de la BERD.
« Pénuries sur le marché du travail »
Certains ont commencé à le faire. Soucieux de ménager l’électorat à l’approche des élections législatives de 2022, le cabinet du premier ministre nationaliste hongrois, Viktor Orban, a annoncé, jeudi 11 novembre, que les prix de l’essence et du diesel à la pompe seraient plafonnés à 480 forints (1,31 euro) par litre pour les trois prochains mois. La Roumanie envisage des mesures similaires.
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Pour les personnes en situation de handicap, la route vers l’emploi est semée d’obstacles, voire totalement obstruée, comme le décrypte Fabienne Jégu, conseillère experte Handicap auprès de laDéfenseure des droits (DDD). Cette autorité indépendante a été désignée par le gouvernement pour veiller à l’application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) des Nations unies de 2006, ratifiée par la France et entrée en vigueur dans le droit national en 2010.
Quel est votre regard sur la situation de l’emploi des personnes en situation de handicap ?
Depuis bientôt cinq ans, le handicap est le premier motif de saisine de la Défenseure des droits en matière de discrimination, et l’emploi le premier domaine dans lequel s’exercent ces discriminations. D’après notre baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi réalisé chaque année avec l’Organisation internationale du travail (OIT), le fait d’être en situation de handicap ou de souffrir de maladies chroniques multiplie par trois le risque de discrimination au travail.
Le faible niveau de qualification des personnes handicapées constitue le principal frein à leur accès à l’emploi. Et, lorsqu’elles arrivent à décrocher un emploi, elles sont le plus souvent cantonnées à des postes sous-qualifiés et rencontrent des obstacles pour progresser. Environ 80 % des saisines que nous recevons concernent l’évolution de carrière et le maintien dans l’emploi. La plupart de ces situations soulèvent la question de l’effectivité des aménagements raisonnables.
C’est-à-dire ?
Depuis 2005, la loi impose à tous les employeurs, quel que soit leur effectif, de prendre au cas par cas, des mesures d’aménagement pour permettre aux personnes handicapées d’accéder à un emploi, de le conserver, de l’exercer ou d’y progresser. Si l’employeur refuse de prendre ces mesures sans justifier qu’elles constituent une charge disproportionnée, il y a discrimination. Nos saisines révèlent que cette obligation reste mal connue des employeurs et donc mal respectée.
Nous avons été saisis, par exemple, du refus d’un employeur de respecter les préconisations du médecin du travail concernant les aménagements de poste d’un travailleur handicapé. Avec pour conséquence, l’aggravation de son handicap qui a mené à son inaptitude et, au final, à son licenciement. Le droit du travail oblige les employeurs à reclasser le salarié reconnu inapte. Or, l’employeur qui licencie un travailleur handicapé sans avoir mobilisé les dispositifs susceptibles de le maintenir en emploi est considéré comme n’ayant pas respecté son obligation de reclassement. Dans ce cas, le licenciement est considéré par le juge comme discriminatoire, donc nul.
L’accessibilité est une condition essentielle à l’inclusion des personnes handicapées. Pourtant elle est encore loin d’être effective dans la plupart des domaines. Ainsi, les textes relatifs à l’accessibilité des locaux de travail ne sont toujours pas publiés. Par ailleurs, la majorité des établissements recevant du public (ERP) ne sont toujours pas accessibles, et les contrôles et les sanctions en cas de non-respect des obligations ne sont que peu ou pas mis en œuvre. Les transports sont également loin d’être tous accessibles. Et, désormais, il suffit, pour être dans les règles, d’aménager quelques points d’arrêt pour être en phase avec la loi.
D’une manière générale, la France accuse depuis de nombreuses années un retard important en matière d’accessibilité et, à ce jour, le bilan reste très inquiétant. Les objectifs et les échéances fixés par les lois successives ne sont pas respectés. Pire, la France continue aujourd’hui de construire et de produire des biens et des services inaccessibles, mettant ainsi en péril l’égal accès aux droits fondamentaux des personnes handicapées pour les années à venir.
Par exemple, depuis la loi ELAN de 2018, seulement 20 % des logements neufs doivent être accessibles dès leur construction, les autres devant simplement être évolutifs. Par ailleurs, de l’aveu même du gouvernement, seulement 16 % des 250 démarches administratives en ligne les plus utilisées par les Français sont accessibles à ce jour.
Le Comité des Nations unies reproche à la France d’avoir une approche trop médicale du handicap et pas assez centrée sur les droits de l’homme, qu’est-ce que cela signifie, et quelles en sont les conséquences ?
La Convention se fixe comme objectif de garantir aux personnes handicapées « la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes libertés fondamentales ». Elle considère que le handicap est le résultat de l’interaction entre, d’un côté, les incapacités de la personne – elle ne peut pas marcher, car elle est paraplégique, par exemple – et, de l’autre côté, les obstacles environnementaux – l’absence d’ascenseurs dans le métro empêche la personne de se rendre au travail. Les barrières environnementales, y compris comportementales, sont donc clairement identifiées comme étant des obstacles sur lesquels il convient d’agir, au même titre que sur les incapacités, pour garantir la participation effective des personnes handicapées.
Si l’on se contente de donner une aide technique à la personne, elle ne pourra pas pour autant se déplacer en toute autonomie si son environnement reste inaccessible. En France, la définition du handicap introduite par la loi de 2005 impute aux seules déficiences et incapacités de la personne la cause de ses limitations d’activité et et de ses restrictions de participation. Cette approche a pour conséquence de n’agir sur les barrières environnementales que de façon secondaire, ce qui est inadapté.
Au-delà des freins évoqués, quel regard porte la Défenseure des droits sur les politiques publiques en matière d’emploi et de handicap ?
En France, l’emploi est un axe majeur des politiques du handicap. Beaucoup d’efforts sont faits, une dynamique est à l’œuvre. Pourtant, la situation de l’emploi des personnes handicapées reste préoccupante. Leur taux de chômage est deux fois plus élevé, leur durée de chômage plus longue, et leur taux de retour à l’emploi plus faible. Plus globalement, l’absence de données homogènes et fiables sur le handicap au niveau national est patente. C’est regrettable : comment bien piloter ce que l’on ne mesure pas ou très mal ?
Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agefiph.
Ce qu’il aime, Alexandre, c’est travailler les légumes. Il faut voir avec quel sérieux, quel plaisir même, cet adolescent autiste de 14 ans épluche une carotte ou pèle une courgette. Là, tout à sa tâche, il semble sourire à la vie. Un sourire qui parle pour lui, car Alexandre n’a jamais prononcé un seul mot depuis sa naissance. Avec lui, dans la cuisine du restaurant du personnel de la ville de Colombes (Hauts-de-Seine), quelques adolescents de 14 à 18 ans en situation de handicap sont aussi en formation avec l’association Afuté, autour des deux chefs qui les forment au métier de commis de cuisine.
A quelques rues de là, dans l’unité centrale de production alimentaire des villes de Colombes et de Clichy, d’autres jeunes à peine plus âgés sont à la tâche. L’un nettoie des verrines, l’autre fait cuire des oignons. Une troisième prépare un riz au lait. Certains se font la main, d’autres semblent déjà plus professionnels. Ils sont salariés de Biscornu, une entreprise adaptée qui fabrique et commercialise des verrines dont les recettes ont toutes été imaginées par des chefs étoilés.
Un défi quand on sait que, aujourd’hui, 63 % des jeunes en situation de handicap affirment avoir déjà fait l’expérience de discriminations au cours de leur scolarité et 50 % lors de leur recherche d’emploi, révèle une récente étude de l’IFOP, réalisée avec plusieurs organismes spécialisés (Agefiph, FIPHFP, Ladapt, Union nationale des missions locales, Conseil national consultatif des personnes handicapées, Droit au savoir, et 100 % Handinamique). Ils sont aussi 82 % à estimer que le manque d’offres d’emploi avec un environnement de travail accessible est une difficulté importante.
C’est justement pour que la vie d’Alexandre ressemble à une vie et non à un mouroir annoncé, que, en 2020, son père, Olivier Tran, a créé Afuté et Biscornu. Enthousiasmées par son double projet, les villes de Colombes et de Clichy ont d’emblée décidé de le soutenir. Elles lui mettent à disposition espaces et équipements pour la formation et le travail des jeunes. Né en 1976 à Laval, Olivier Tran est le fils d’une professeure de français et d’un architecte. Il aurait voulu vivre dans sa région, mais il en ira différemment.
Après des études de commerce à Angers, le jeune homme démarre sa vie professionnelle dans l’automobile puis chez Constellium, ex-Pechiney, où il assurera la gestion d’une division. En 2002, il se marie avec Emilie, en poste au Crédit agricole. Comme voyage de noce, le couple se lance dans un tour du monde. Leur premier enfant, Alexandre, naît en 2006. Très vite, les jeunes parents comprennent qu’il souffre d’un autisme profond. « C’était dur, avoue Olivier Tran, très dur, de se retrouver avec un enfant en boule à la maison, incapable de prononcer un mot. Je souffrais terriblement en pensant à tout ce qu’il ne pourrait pas faire. »
Le chemin de croix commence. En 2010, ils doivent déménager à Paris, la seule ville où ils pensent pouvoir trouver une place pour leur enfant. La quête durera deux ans durant lesquels ils engageront à temps plein une éducatrice pour garder Alexandre, avant que celui-ci puisse enfin bénéficier de l’aide d’un service spécialisé pour entrer à l’école. Six ans plus tard, en 2018, c’est de nouveau « le vide intersidéral » : plus de place nulle part pour Alexandre.
Que faire ? D’abord ouvrir une belle parenthèse pour se requinquer. La famille, qui s’est agrandie avec la naissance d’Ulysse en 2008 et d’Inès en 2012, décroche les sacs à dos et se met en route pour un nouveau tour du monde. Un petit film montre Alexandre heureux comme jamais, caressant un animal en Australie, plongeant en Polynésie, se roulant dans le sable aux îles Galapagos. « Pour lui, c’était une explosion de vie. Et cela m’a donné du courage », estime son père.
Biscornu, comme bizarre, atypique, saugrenu
De retour à Paris, celui-ci décide de prendre le taureau par les cornes. L’avenir semble sombre pour Alexandre ? Qu’à cela ne tienne : on va lui créer un travail sur mesure ! Il quitte son job et réfléchit à plusieurs modèles économiques. Avec une exigence de départ : maximiser le nombre de postes pour handicapés tout en lançant une activité durable. Il opte alors pour le statut d’entreprise adaptée et passe en revue plusieurs secteurs, de l’ameublement à partir de chutes industrielles aux engrais naturels jusqu’aux textiles écoresponsables avant de choisir la restauration. « C’est un domaine universel, où solidarité et partage nous réunissent, quelles que soient nos différences », explique-t-il. Les dés sont jetés.
Début 2020, il porte une association et une société sur les fonts baptismaux. La première, Afuté (Association pour la formation universelle aux tâches élémentaires) a pour but de former les jeunes en situation de handicap, notamment grâce à une méthode d’apprentissage par illustrations (dessins et vidéos), leur indiquant la marche à suivre pour éplucher un légume, couper une viande, préparer une sauce. La seconde commercialise les produits cuisinés par les jeunes en situation de handicap qu’elle embauche.
Son nom : Biscornu. Biscornu, comme bizarre, atypique, saugrenu. Biscornu, comme ces légumes qui ont comme seul « défaut » de n’être pas calibrés. « Pourquoi les rejeter parce qu’ils sont hors normes ? », interroge Olivier Tran, qui, bien sûr, pense aussi à ces autres « biscornus » que sont les autistes, les trisomiques, les malvoyants… Les jeunes salariés de Biscornu sont engagés au smic. Quant à ceux qui ont intégré l’association Afuté, ils sont en convention de formation et bénéficient d’un enseignement gratuit.
Autre règle : Biscornu va utiliser uniquement des produits français et écologiquement responsables. Ni café ni chocolat et encore moins d’avocat dans leurs recettes. Avec une seule exception pour certaines épices venues d’ailleurs. Evidemment, tout est bio sans aucun additif ni aucun déchet. « Ce n’est pas toujours facile. Nous avons mis ainsi plusieurs mois à trouver un fromage, le caillé de brebis, susceptible de remplacer la feta », explique Jean-Marie Courtel, qui, avec Antoine Bouaziz, forme les jeunes aux métiers de commis de cuisine.
A 38 ans, cet homme réservé et résolu a toujours travaillé dans la restauration, gravissant un à un tous les échelons. En 2020, c’est en revenant du Qatar, où il était chef exécutif du Train Bleu, à Doha, et après un passage de quelques mois au Café Joyeux sur les Champs-Elysées, à Paris – qui emploie des personnes en situation de handicap mental et cognitif –, qu’il rencontre Olivier Tran. Il est enthousiasmé par son projet, d’autant plus qu’il a aussi dans sa famille proche plusieurs personnes en situation de handicap.
Olivier Tran et Jean-Marie Courtel contactent alors des chefs étoilés comme Jacques Maximin, Michel Roth ou Christophe Quantin qui leur confient certaines recettes pour composer les verrines qui seront la marque de fabrique de Biscornu. Parmi les musts : duo de carottes et houmous, mousse de burrata au basilic, effiloché de confit de canard.
« Attention, dès la conception de nos verrines nous devons tenir compte des handicaps de nos employés, prévient Jean-Marie Courtel. Bien sûr, il faut prendre le temps de corriger quelques bêtises. Mais qui n’en fait pas ? A la différence de la plupart des restaurants classiques, où on laisse vite de côté, en les mettant à la plonge ou au café, ceux qui n’avancent pas aussi vite que les autres, nous n’abandonnons personne sur le bord de la route. Il faut qu’ils bossent tous. On les pousse, et ils aiment cela. Parfois même leur handicap leur permet de travailler plus vite et mieux que les autres. »
« Les autres se moquaient de moi »
Les employés de Biscornu nourrissent l’ambition de devenir des « grands » chefs et d’ouvrir, un jour, leur propre laboratoire de production. Comme Thomas Richard, 19 ans, titulaire d’un CAP, qui se définit lui-même comme « autiste léger ». Les yeux brillants, il parle, vite, trop vite, de sa récente dépression. « Les autres se moquaient de moi… Oui, il y avait des moqueries… sans raison… moi, je veux devenir un grand cuisinier… Ici, c’est bien, on nous apprend bien et personne ne se moque de nous ».« Ici, dit-il encore, on m’aide à ne pas rester bloqué sur mes pensées ».
Théo Bel, lui, souffre aussi d’un autisme léger. « Ici, abonde-t-il, on ne perd pas la main. C’est plus décontracté. » Alexandra Goli, elle, se voit comme « une petite surdouée, passionnée de bande dessinée ». Et de citer d’un seul trait tous les personnages nés de son imagination. Timide, Manal, 18 ans, après avoir fait état d’un petit handicap de mémorisation, a la passion de la cuisine et surtout des desserts. « Ici, c’est bien parce que nous nous entraidons. »
L’équipe de Biscornu est aussi exemplaire par sa diversité. Alors que Moïse Ferreira, chargé de l’approvisionnement, levé à 4 heures du matin, est content d’avoir rapporté d’une coopérative bio une tonne de produits déclassés, Charline Crepaldi, ingénieure agroalimentaire et œnologue de talent, s’occupe de la qualité des produits et se réalise dans ce boulot « qui a du sens ». Titulaire d’un master de droit public, Claire Lequeux, l’assistante d’Olivier Tran qui souffre d’un léger handicap de dystonie musculaire dit, elle aussi, avoir besoin de se sentir utile dans son travail.
Les verrines, concoctées à Colombes, sont ensuite livrées à des sociétés qui ont passé des accords avec Biscornu. La liste s’allonge de semaine en semaine. Biocoop, Room Saveurs, Natixis, et beaucoup d’autres. Au total, 1 200 verrines par semaine. Orange va encore plus loin puisque Biscornu est désormais chargé de la restauration et du service lors des événements organisés par la firme au Belvédère, le magnifique restaurant situé au sommet du siège de la société, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).
« Chacun avec sa personnalité »
En plus de fournir ses fameuses verrines, Biscornu a aussi formé au service plusieurs de ses employés handicapés. Comme Clémence Khaldi, 17 ans, une pile électrique bougrement sympathique avec ses lunettes rondes sur le nez, qui parle aussi vite qu’elle travaille. Trop vite peut-être. « Quand je lave la vaisselle, il m’arrive d’éclabousser », reconnaît-elle. « Les clients sont sympas, ajoute-t-elle en souriant, parfois ils m’aident quand je suis un peu trop stressée. » Dylan Mohamad, trisomique, a 22 ans. Il est en train de finir son stage et pourrait être embauché par Biscornu. Il hésite encore.
Quant à Exaucée Bawele, elle a 10 ans en 2011 lorsqu’elle arrive du Congo avec sa mère. Foyer, hôtel. Malentendante, elle est bien équipée pour comprendre l’essentiel d’une conversation. Encore que les masques anti-Covid ne lui facilitent pas la tâche, en l’empêchant de lire sur les lèvres de ses interlocuteurs. Si elle préfère le service à la confection des verrines, elle aimerait travailler plus tard « avec des enfants ».
Tous les serveurs de Biscornu sont assistés par Sandra Nsangue, 40 ans, merveilleuse de calme et de gentillesse, qui a suivi une formation d’éducatrice spécialisée. « Il faut prendre son temps. Les aimer. Les observer et les comprendre, chacun avec sa personnalité. “Je suis avec toi, tu es avec moi”. “Si tu n’as pas compris le geste à faire, pas de problème : je le refais avec toi”. » Règle d’or chez Biscornu : il faut savoir attendre. Et tous de se souvenir d’un stagiaire particulièrement rétif à son arrivée. « Il nous fuyait. On le cherchait partout. Il n’écoutait personne. Aujourd’hui, il est plus efficace que bien des employés ne souffrant d’aucun handicap. »
Le bilan ? Nous posons la question à Olivier Tran. Première réponse en forme de boutade : « Peut-être que bientôt je pourrais me payer pour au moins récupérer un peu de l’argent que j’ai mis dans le projet. » Plus sérieusement, il ne peut que se féliciter : ça marche ! 1 200 verrines par semaine, des clients fidèles, des perspectives réjouissantes. Voilà même que, fin octobre, ils ont été obligés de dire non à une entreprise qui voulait organiser un cocktail. Au total, ses structures emploient plus de vingt personnes dont quinze en situation de handicap. Avec un objectif de cinquante dans cinq ans. S’il est obligé d’en faire, Olivier ne semble pourtant pas obsédé par les bilans. « C’est le chemin qui est beau, car le projet est sans fin », glisse le chef d’entreprise, qui partage soixante recettes dans l’ouvrage En cuisine avec Biscornu (Albin Michel, 176 pages, 19,90 euros) dont les bénéfices iront à l’association Afuté. Nous ajouterons ce cri du cœur d’une des employées handicapées de Biscornu : « Ma mère est fière de moi depuis que j’ai trouvé un boulot. » Oui, un boulot. Tout simplement.
Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Agefiph, à l’occasion de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées.
Tribune. Aveuglée par le mirage du « capitalisme de plates-formes », mode de production dans lequel un travailleur mal noté par un client peut être déconnecté sans explication, notre société a laissé s’installer un cheval de Troie qui menace notre modèle social. Au cœur de sa matrice, l’opacité d’une « boîte noire » nommée l’algorithme.
Il incombe au législateur de remettre du droit et de définir des mécanismes de protection des travailleurs des plates-formes de travail face à ce contremaître 2.0.
Pour des raisons de sécurité, la puissance publique a su imposer le chronotachygraphe, qui mesure le temps de conduite dans les cabines des chauffeurs routiers. Dès lors, nous proposons que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), autorité indépendante expérimentée et incontestée, puisse pénétrer dans les algorithmes, en dépit du secret des affaires, en certifiant et en contrôlant ceux des plus importantes plates-formes et en produisant des référentiels normatifs par secteurs d’activité auxquels toutes les plates-formes devront se conformer.
Il s’agit peu ou prou d’inventer un « algorithme public » qui contrôle certaines données de l’algorithme privé afin de se conformer au droit : durée du travail, sécurité, santé, règlement général sur la protection des données (RGPD)…
Un pouvoir fort de sanction
Cet élargissement des compétences de la CNIL devra se traduire évidemment par une augmentation de son budget. La nouvelle taxe sur les plates-formes instaurée cette année le permettra.
Aux plates-formes de prouver qu’ils sont bien des indépendants et non à eux de démontrer leur subordination, trop souvent cachée par l’algorithme.
Si l’algorithme est au cœur de la problématique, il est indispensable, en parallèle, de bâtir un système de contrôle des plates-formes et des relations qu’elles entretiennent avec les travailleurs. La création d’une nouvelle autorité indépendante en sera la pierre angulaire. Le rapport Frouin (« Réguler les plateformes numériques de travail », 1er décembre 2020) en a esquissé les premiers contours. Cette autorité agréera les plates-formes de travail.
Elle devra être composée d’inspecteurs chargés de vérifier et de contrôler les mécanismes de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, les modalités de calcul et de versement de la rémunération, le dialogue social, la prévention des risques d’atteinte aux droits et des libertés des travailleurs, des atteintes à l’environnement et de mesurer le degré de vigilance.
Cette autorité devra, évidemment, disposer d’un pouvoir fort de sanction allant jusqu’au refus de l’octroi d’une licence d’activité, voire la suspension ou la cessation de l’activité d’une plate-forme en France.
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Dans le quartier en plein renouveau de la Joliette, à Marseille (Bouches-du-Rhône), Amandine Papain a pris le tournant qui allait changer le cours de sa vie professionnelle. Il y a encore quelques semaines, cette jeune diplômée d’un master en communication digitale enchaînait les envois de CV sans succès : « Cela faisait deux ans que je cherchais du travail », dit-elle.
En septembre, Pôle emploi l’a invitée à assister à une réunion d’information sur une initiative un peu particulière, implantée provisoirement dans le quartier d’affaires de la cité phocéenne : l’entreprise éphémère.
Le principe : pendant six semaines, de 50 à 80 personnes en recherche d’emploi intègrent cette structure sans statut juridique, qui simule le mode de fonctionnement d’une entreprise classique. Répartis dans différents services – ressources humaines, communication, Web…, ils œuvrent à une mission commune : défricher le marché caché de l’emploi. Chacun travaille à son niveau pour faire connaître l’initiative et démarcher les entreprises du territoire.
C’est sans trop y croire qu’Amandine Papain se décide à adhérer au projet : « Au début j’y suis allée à reculons, car je ne pensais pas que cela pouvait m’ouvrir des portes dans le secteur que je recherchais. » Après une première semaine d’intégration, la candidate rejoint le service communication de cette vraie fausse entreprise. « Tous les matins, on accueillait des entreprises du territoire. Je m’occupais de toute la partie graphisme, on faisait des communiqués de presse pour faire connaître l’initiative… » Ce « travail » amène la candidate à entrer en contact avec un groupe immobilier, qui finira par la recruter en tant que « community manager ».
Redonner confiance dans sa recherche d’emploi
Depuis leur création, en 2013, les Entreprises éphémères pour l’emploi tournent dans différentes villes. Née de l’idée de deux formateurs en ressources humaines, l’initiative est désormais labellisée par Pôle emploi. « On a souvent des demandeurs d’emploi de longue durée, explique Didier Krief, d’un des deux coachs à l’origine de cette expérimentation. L’objectif est de remettre les personnes dans le rythme et de leur redonner un cadre, tout en créant un apport de compétences qu’elles pourront valoriser. »
Quatorze entreprises éphémères ont ainsi vu le jour à Calais (Pas-de-Calais), à Arles (Bouches-du-Rhône), à Nanterre (Hauts-de-Seine)… au gré des partenariats montés avec les opérateurs publics et les entreprises locales. Pendant ce programme, les participants restent demandeurs d’emploi. Ils sont accompagnés par les formateurs et rencontrent des entreprises du territoire engagées dans cette expérience.
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Tribune. Pour certains, les grandes entreprises traditionnelles seraient condamnées au déclin. Incapables de se réinventer, elles devraient céder la place aux start-up qui rêvent de les remplacer. Pour d’autres, c’est le système capitaliste lui-même qui est à bout de souffle, incapable de répondre aux défis qui se dressent devant lui. Les menaces sont bien réelles, certes, mais doit-on confondre le fonctionnement économique d’aujourd’hui et le système lui-même ?
La forme actuelle, appelée ultralibéralisme, n’est en réalité que la troisième forme historique d’un capitalisme en mutation. Elle a émergé à partir des années 1980 dans un mouvement de bascule du capitalisme managérial vers le capitalisme financiarisé. Le capitalisme managérial avait lui-même remplacé à partir des années 1920 le capitalisme entrepreneurial. Ces différentes bascules ont été autant de périodes de crises dans lesquelles les antagonismes ont été portés à leur paroxysme pendant de longues années.
Dans les années 1920, l’entrepreneur a été progressivement supplanté par le manageur professionnel armé d’une compétence toute nouvelle, le management, pendant que le pouvoir de l’actionnaire se diluait avec la fragmentation du capital des grandes entreprises. La troisième phase a correspondu à l’émergence de l’actionnaire professionnel, armé d’une compétence nouvelle, la finance, et d’un nouveau rapport de force, une concentration du capital à travers les fonds d’investissement.
Les différentes manières de s’adapter
Les difficultés actuelles signent-elles la fin du capitalisme et des grandes entreprises ou la naissance laborieuse d’un quatrième capitalisme enfanté par la mutation des grandes entreprises ? Depuis quelques années les grandes entreprises multiplient les initiatives dans deux directions apparemment très différentes.
La première consiste à retrouver la vitalité entrepreneuriale des origines. C’est le développement du « corporate entrepreneurship ». La totalité des grandes entreprises françaises ont développé des actions d’acculturation massive à la culture entrepreneuriale et à l’innovation ou développé des programmes d’intrapreneuriat ou ont appris à investir dans les start-up, quand ce n’est pas les trois à la fois. Si peu d’entre elles ont réussi à faire émerger en leur sein des entreprises nouvelles de la taille des fameuses licornes, elles sont nombreuses à avoir réussi à développer des start-up viables, un premier succès qui n’allait pas de soi.
Le deuxième type d’initiatives vise à étendre la responsabilité de l’entreprise, au-delà de son périmètre traditionnel, à l’ensemble des parties prenantes de son environnement avec une perspective de long terme retrouvée. Il s’agit des actions de type « responsabilité sociale de l’entreprise » (RSE), de la notion de « raison d’être », voire du nouveau statut d’entreprise à mission ou B-corp aux Etats-Unis.
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