« Les effets pervers du secret commercial en situation d’urgence sanitaire »
Gouvernance. Un conflit public vient d’opposer l’Union européenne (UE) à l’entreprise pharmaceutique AstraZeneca, après que cette dernière a annoncé une réduction des livraisons attendues de vaccins. En temps normal, un tel litige se traite dans le huis clos de la négociation ou devant le tribunal de commerce.
Cependant, face à l’émoi général provoqué par une si mauvaise nouvelle, les deux parties ont d’abord rejeté toute responsabilité dans cette affaire, avant de constater, très vite, que le secret du contrat, qui liait l’UE à l’entreprise, menaçait de décrédibiliser tout le monde et devenait intenable. On aurait pu pourtant anticiper, qu’en situation d’urgence sanitaire, la confidentialité des affaires nourrirait une telle spirale accusatoire.
La mise au point de vaccins contre le Covid-19, en moins d’un an, est une indéniable prouesse. Et s’agissant d’une épidémie meurtrière qui défait la vie en société, cette réussite a suscité un espoir d’y mettre fin, d’autant plus fort qu’il n’y en a pas d’autre. L’UE, comme certains Etats, a donc passé commande aux compagnies pharmaceutiques bien avant l’assurance que les vaccins soient efficaces. Il fallait se préparer au défi de la production et de la distribution en très grande masse des vaccins.
Mais malgré la violence de la pandémie, on a cru bon de conserver la logique classique des contrats commerciaux : le secret sur les prix, les quantités et les conditions techniques. La justification invoquée est aussi ancienne que l’activité marchande : la concurrence entre Etats et entre laboratoires imposerait à chacun de vouloir négocier au mieux de ses intérêts. C’était oublier que la scène se déroule devant des opinions publiques qui considèrent, à juste titre, que leur vie individuelle et leur vie collective se jouent dans ces contrats.
Faiblesse ou incompétence
Certes, si tout s’était bien passé, Etats et entreprises se seraient félicités et les contrats auraient été vite oubliés. Mais en cas de conflit, le secret qui devait protéger les parties ne pouvait que se retourner contre elles : l’Etat sera accusé de faiblesse ou d’incompétence, et l’entreprise, de vendre au plus offrant, en pleine pandémie.
De facto, cette logique infernale a bien rendu les deux positions intenables. L’Union européenne a déclaré : « Nous rejetons la logique du premier arrivé, premier servi. Cela peut fonctionner chez les bouchers de quartier, mais pas dans le cadre de contrats. Et certainement pas dans nos accords d’achat anticipé. » Mais le secret commercial repose précisément sur le fait que ces contrats sont jugés similaires à ceux que l’on passe avec un boucher !
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