Archive dans mars 2021

Emploi : le gâchis des départs des plus de 50 ans

Editorial du « Monde ». Il s’agit d’un mal français. Les plus de 50 ans constituent la cible prioritaire des directions des ressources humaines lorsqu’il s’agit de réduire les effectifs, de s’adapter à de nouveaux marchés ou simplement d’accompagner les ruptures technologiques. Le taux d’emploi dans cette catégorie d’âge est l’un des plus faibles en Europe.

Le gâchis est immense, et les répercussions économiques et sociales pèsent sur le tissu productif. Pourtant, cette propension à se séparer des salariés les plus âgés reste solidement ancrée dans les mentalités. Celles-ci doivent changer pour accompagner le vieillissement démographique et la nécessaire amélioration de la compétitivité d’entreprises, ces dernières réduisant trop souvent la question à une équation financière.

En 2020, les seniors nouvellement inscrits à Pôle emploi ont représenté les deux tiers des ruptures de contrat provoquées par des plans sociaux. Le phénomène risque de s’amplifier dans les prochains mois avec la crise liée à la pandémie. Par calcul de court terme, de nombreuses entreprises cèdent encore à la tentation de se priver de compétences et d’expériences précieuses, qui risquent de leur manquer cruellement, surtout au moment de la reprise.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les entreprises qui se séparent de leurs seniors, une spécificité française

Ce choix n’a rien d’une fatalité. Les réformes successives ont conduit à la disparition des dispositifs de préretraite financés sur fonds publics, faisant remonter spectaculairement le taux d’emploi des plus de 50 ans au cours des dix dernières années. L’effort reste insuffisant. Surtout, de plus en plus d’entreprises retrouvent leurs vieux réflexes, même si, désormais, ce sont elles qui financent les départs anticipés, en versant des indemnités plus ou moins généreuses à leurs salariés les plus âgés. Elles évitent ainsi les contraintes d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Compétences perdues

La conviction que, par un effet de vases communicants, les départs des plus âgés créeraient un appel d’air pour les plus jeunes, s’est révélée largement illusoire. Pire, ce type de mesure peut provoquer une dégradation des conditions de travail pour ceux qui restent. Il faut parfois plusieurs années pour reconstituer les compétences perdues. En attendant, les entreprises s’exposent à une désorganisation, tandis que les salariés les plus jeunes doivent affronter une surcharge qui pèse sur l’efficacité de l’entreprise.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Marché du travail : « La catégorie des seniors “ni en retraite ni en emploi” va augmenter »

Par ailleurs, la transformation numérique des entreprises s’appuie trop systématiquement sur les compétences des plus jeunes dans ce domaine spécifique. Pourtant, la connaissance de l’activité et des métiers ainsi que l’expérience des seniors constituent des acquis irremplaçables pour mener à bien ces ruptures technologiques et optimiser la productivité.

Alors que les pressions s’accentuent pour relever l’âge de départ à la retraite, les départs anticipés des plus de 50 ans ne vont pas dans le sens de l’histoire. Ces derniers se retrouvent pris en tenaille entre des politiques publiques qui les incitent à travailler plus longtemps et des entreprises qui, au contraire, font de leur départ une priorité. Pour ce faire, les premières tendent à réduire la générosité des mesures d’accompagnement des fins de carrière, tandis que les secondes se séparent de salariés qui auront les plus grandes difficultés à retrouver un emploi. Il y a un risque grandissant de précarisation des plus de 50 ans. La question du maintien de cette population sur le marché du travail doit être un préalable au débat sur la réforme des retraites qui ne manquera pas de ressurgir dans les prochains mois.

Le Monde

Entreprises : « Il faut avoir le courage de briser le silence à l’endroit où il doit l’être et oser nommer les abus managériaux qui ont pu en résulter »

Tribune. Dans le sillage du livre La familia grande (Seuil, 2021), publié par Camille Kouchner, les déflagrations de l’affaire Duhamel n’en finissent pas de nourrir des remises en question qui concernent l’ensemble de la société française. Nombre d’entreprises ont en effet été influencées par la « pensée 68 », pour reprendre l’expression du philosophe Luc Ferry, en particulier celles qui furent fondées ou qui sont encore dirigées par des soixante-huitards imprégnés par cet état d’esprit. Il fallait être transgressif, innovant, transparent, libéré. Un vent nouveau soufflait alors sur l’entreprise. Aujourd’hui, celles-ci ne pourront pas échapper à une remise en question.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le management « libéré » de Chronoflex sort renforcé de la crise

Le fameux « il est interdit d’interdire » est devenu, appliqué à l’entreprise, « il est interdit de donner des ordres », « le patron veut une entreprise sans chef », sans hiérarchie, horizontale. Tels étaient les mots d’ordre paradoxaux qui, ne devant plus apparaître comme des ordres, ont contraint leurs auteurs à devoir manipuler les salariés pour orienter différemment leurs comportements, sans pression hiérarchique.

Le contournement de la contrainte hiérarchique

Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, que nous enseigne l’expérience au sujet des manières de gérer le personnel dans les entreprises de ce type, qui se voulaient progressistes et qui se disent encore, aujourd’hui, avancées, sinon même « libérées » ? Elle nous apprend que, quand un dirigeant ou un manageur s’interdit de donner des ordres, il se condamne à :

– devoir employer des circonlocutions : on ne parle plus d’ordres mais de « suggestions », d’« invitations » et de « conseils ». La réalité, elle, demeure que si un salarié ne comprend pas l’implicite dont ces euphémismes sont porteurs et qu’il n’obtempère pas, les difficultés ne tardent guère. Son activité sera scrutée de près, ses petits défauts mis à jour devant ses collègues au nom de la transparence, de manière que les pairs – et non la hiérarchie – lui signifient qu’ils ne veulent plus travailler avec lui.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les atouts de l’entreprise libérée

– Devoir accroître son emprise sur ses collaborateurs : il doit désormais susciter les « libres décisions » de ses collaborateurs par une intériorisation de la Vision portée par le dirigeant conçu comme un guide, un « leader », les mots « chef » ou « directeur » étant bannis. Acculturé en profondeur, chaque membre de l’organisation est censé en venir à agir spontanément dans la direction souhaitée. Le contrôle socio-idéologique remplaçant la contrainte hiérarchique, plus personne ne commande mais tout le monde obéit.

Il vous reste 57.08% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Paradoxalement, l’emploi industriel en France pourrait bénéficier de la robotisation »

Tribune. Les robots tuent des emplois, la mondialisation aussi. Qui des deux, dans cette course mondiale entre le progrès technique et l’ouverture des frontières, va le plus vite ? Il peut y avoir des effets triangulaires qui rendent le bilan emploi positif ici ou négatif là. Par exemple, l’emploi industriel en Europe, qui a tant souffert jusqu’ici, fera peut-être partie des gagnants ; ce pourrait être l’inverse pour la Chine et, plus grave, pour les pays en voie de développement qui démarrent juste leur industrialisation.

Deux arguments jouent en faveur d’un effet positif pour l’Europe, et pour la France en particulier : premièrement, le mal est déjà grandement fait, des centaines de milliers d’emplois industriels étant déjà partis en Asie ; deuxièmement, la robotisation au sens large rend moins pénalisant un coût du travail élevé en Europe, alors que le producteur profite à plein de la proximité géographique du marché pour améliorer la flexibilité de son offre.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Rendez-vous de l’histoire de Blois : « La mondialisation connaît une reconfiguration de ses bases géographiques, mais elle ne recule pas »

Un bon exemple est l’industrie du vélo, encore récemment sous domination quasi-totale des pays asiatiques : Taïwan pour les cadres, Japon pour les pièces détachées structurantes, mais aussi Indonésie ou Thaïlande pour des pièces secondes comme les roues. Seules des entreprises très spécialisées dans les vélos haut de gamme pouvaient exister en Europe, tout en se fournissant très largement en Asie. Cela est en train de changer. On parle déjà d’unités de production de cadres au Portugal et bientôt en France.

L’importance du tissu industriel

Dans la métallurgie, on a l’exemple de Jacquemet, une PME de l’Ain spécialiste des fils métalliques industriels : elle a robotisé la logistique post-production, en formant son personnel à l’usage de ces instruments. Son chiffre d’affaires a explosé. L’opération n’est bien sûr pas toujours gagnante. Le blocage peut venir d’un tissu industriel qui s’est tellement appauvri que la relocalisation présente le même défi que la plantation d’une forêt sur un sol désertifié.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le printemps européen de la puce électronique

Ainsi, voulant relocaliser une partie de sa production de tablettes aux Etats-Unis, Apple s’est aperçu qu’une grande partie de l’écosystème des fournisseurs n’existait tout simplement plus dans le pays, y compris pour des pièces très banales. Il lui faut donc entreprendre un long processus de redescente de la chaîne industrielle, une opération généralement plus facile à accomplir lorsqu’on monte en gamme depuis des produits non sophistiqués vers des produits plus complexes.

D’autre part, la robotisation, même réussie, ne conduit pas toujours à une croissance de l’emploi industriel si on fait le calcul à un niveau agrégé. Ainsi, une étude détaillée sur un large échantillon d’entreprises espagnoles a montré que si les robots accroissent fortement la productivité et la rentabilité de l’entreprise, ils incitent en même temps à s’insérer davantage dans des chaînes de valeur internationales, ce qui amène l’entreprise à importer davantage de composants étrangers au détriment des emplois locaux (Katherine Stapleton et Michael Webb, « Why automation in Spanish firms did not cause reshoring », Vox Eu CEPR, 12 décembre 2020).

Il vous reste 45.48% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Ikea France en procès pour ses agents très secrets

Le magasin IKEA  à Paris  en France, le 4 mars 2021.

Après l’étagère Billy, le « bureau des légendes »… Le 22 mars, Ikea France, le géant du meuble en kit, doit comparaître devant le tribunal correctionnel pour avoir mis en place un système d’espionnage de ses salariés syndiqués, mais aussi de candidats à l’embauche et de clients en litige avec la marque.

L’enquête, ouverte en mars 2012 par le parquet de Versailles à la suite de la plainte déposée par MYassine Yakouti, a établi que des cadres d’Ikea France sollicitaient des officines privées et d’anciens policiers pour obtenir des renseignements illégaux, notamment issus du fichier de police STIC (système de traitement des infractions constatées) répertoriant les auteurs et les victimes d’infractions. En plus de la filiale tricolore du groupe suédois, 15 personnes, dont 5 policiers ou ex-policiers (et deux anciens gérants de magasins de l’enseigne en France), sont également visées par la procédure.

Après une grève dure en 2010

Mais c’est une méthode d’espionnage encore plus étonnante qui est apparue en marge de la procédure : l’utilisation de « légendes », ou « implants », c’est-à-dire de taupes se faisant passer pour des salariés afin de collecter des informations utiles à la direction, au plus près du terrain. Généralement, des comédiens, ­d’anciens policiers ou espions reconvertis dans le privé.

Ce service a été proposé par la société GSG (Groupe Synergie Globale), spécialisée dans la prévention des risques et la gestion des crises, à Jean-François Paris, directeur du département prévention des risques d’Ikea France, après une grève nationale extrêmement dure en février 2010 à propos d’augmentation salariale.

Objectif assumé : se débarrasser au plus vite d’Adel Amara, délégué du personnel FO et leader du mouvement, employé à la logistique du magasin de Franconville (Val-d’Oise). Celui-ci sera congédié début 2012 pour un comportement jugé agressif avant d’être réintégré quelques mois plus tard, la procédure ayant été entachée d’irrégularités.

Dans un rapport de 55 pages daté d’avril 2010 intitulé « Audit Flash », un « détective » de GSG décrit le syndicaliste comme un « leader charismatique », dont le moteur est « l’argent », « souffrant à l’évidence de problématiques psychotiques », dont « les cadres sont unanimes à souligner la probabilité élevée de consommation de drogue », « son comportement laissant à penser qu’ A.A. utilise préférentiellement de la cocaïne »

Il vous reste 52.69% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les entreprises sans seniors, une spécificité française

A quoi ressemble une société qui écarte les plus de 50 ans du monde de l’entreprise ? Depuis juin 2020, quelque vingt-deux plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont été déclarés chaque semaine à l’administration, auxquels s’ajoutent d’autres vagues de départs de toute nature. Il est difficile de chiffrer précisément la part de seniors dans les myriades de plans de départs plus ou moins volontaires lancés depuis le Covid-19. Les seniors n’ont pas tous le même âge selon les entreprises et la « cible » n’est pas quantifiée dans les accords négociés.

Les mesures d’âge permettent néanmoins, sans jouer les Cassandre, d’anticiper un phénomène d’ampleur. Les plus de 50 ans sont « prioritaires » pour quitter l’entreprise. Les exemples sont légion. Chez Airbus, 60 % des départs volontaires seraient des départs en retraite ou préretraite. Michelin, qui envisage 2 300 suppressions de postes d’ici à 2023, prévoit un plan de départs volontaires « comprenant en priorité des mesures de préretraite ». La SNCF réduira ses effectifs de 2 % en 2021 « en jouant sur les départs à la retraite ». A bien moindre échelle, pour Renault Trucks, en décembre 2020, sur les 290 départs prévus, 189 souhaitaient partir à la retraite ou en préretraite.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Marché du travail : « La catégorie des seniors “ni en retraite ni en emploi” va augmenter »

Après un an de Covid-19, Pôle emploi confirme la tendance. Depuis le 1er mars 2020, les plus de 50 ans inscrits au chômage (en catégories A, B et C) sont 50 100 de plus. Dans le même temps, quelque 70 000 postes étaient supprimés dans le cadre des PSE. Les seniors (50 ans et plus) nouvellement inscrits à Pôle emploi représentent donc deux tiers du volume des ruptures de contrat des PSE 2020. Quelles conséquences sociales et économiques en attendre ?

Nouvelle catégorie de déclassés

Le risque macroéconomique pour la société est bien moindre que dans les années 1980, assure l’économiste Antoine Bozio. « Le choc pétrolier avait alors pénalisé l’activité pour vingt ans, dans une période de forte inflation, où l’Etat avait une faible capacité d’endettement, rappelle-t-il. Aujourd’hui, l’activité a fortement ralenti mais la crise est provisoire. L’endettement est efficace face à une crise temporaire. Quels que soient les dispositifs qui ciblent les seniors, la grosse différence est qu’on est en capacité de les financer. Les taux d’intérêt sont à un niveau très faible et, pour l’instant, on ne voit pas d’inflation qui arrive. Donc aucun élément factuel n’indique que l’endettement est un risque pour l’économie. » Par le passé, le coût des vagues de préretraites a été considérable : il a fallu les indemniser plus de cinq ans. « De 1979 à 1983, le nombre de départs à partir de 55 ans est passé de 160 000 à 700 000 par an et n’est redescendu en dessous des 500 000 qu’en 1992, pour un coût annuel qui a atteint jusqu’à 9 milliards de francs [1,35 milliard d’euros] en 1985. »

Il vous reste 77.49% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Marché du travail : « La catégorie des seniors “ni en retraite ni en emploi” va augmenter »

Entretien. Sociologue, professeure émérite à l’université de Paris Descartes-Sorbonne, Anne-Marie Guillemard est notamment l’auteure d’Allongement de la vie. Quels défis ? Quelles politiques ? (La Découverte, 2017).

Que pensez-vous de la tendance des entreprises à favoriser la sortie de l’entreprise des seniors dans les plans de départs ?

Dans un contexte de longévité, les préretraites sont une absurdité. C’est une catastrophe par rapport à l’équité entre les générations. Il y a maintenant trois générations en emploi et on en a besoin. La durée moyenne de la retraite atteint aujourd’hui vingt-huit ans. La coopération intergénérationnelle est un élément important pour la compétitivité et l’innovation qui vient du croisement de l’expérience et du travail nouveau. Le jeune ouvrier sait lire le plan, son binôme senior anticipe toutes les pannes qu’il connaît.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les entreprises sans seniors, une spécificité française

Mais les entreprises sont confrontées à un problème de réduction de la masse salariale à moindre coût social…

En France, nous sommes restés dans la culture de la sortie précoce. Dès qu’il y a un problème, on reprend la vieille recette, alors qu’il faut sortir de la segmentation par l’âge pour résoudre le problème de l’emploi. La demande de travail des seniors est restée une boîte noire. Ce n’est pas à 50 ans qu’on se préoccupe de la deuxième partie de sa carrière. L’entretien du capital humain se fait sur tout le parcours.

Aujourd’hui, c’est indispensable car l’allongement de la vie augmente la population active. Il y a certes une remontée du taux d’emploi des seniors avant 60 ans. Mais la France est, derrière le Luxembourg, le pays de l’OCDE où on quitte le marché du travail le plus tôt, à 60,8 ans en moyenne, alors même que l’âge légal de départ à la retraite a été repoussé. Les ruptures conventionnelles représentent 25 % des fins de CDI des seniors contre 16 % pour les jeunes.

La priorité donnée aux seniors dans les plans de départs va augmenter la population des « ni-ni seniors » − « ni en retraite ni en emploi » −, une catégorie mise « en attente » de pouvoir liquider sa retraite.

A-t-on une idée du nombre de « ni-ni seniors » aujourd’hui ?

A 60 ans, dans la période 2015-2017, 29 % des personnes n’étaient ni en emploi ni en retraite : 7 % au chômage, 12 % inactives depuis l’âge de 50 ans et 10 % inactives dès avant 50 ans. Dans toutes ces catégories, on trouve de nombreux bénéficiaires des minimums sociaux. On est en train de créer une nouvelle poche de pauvreté : 42 % de ceux qui liquident leur retraite sont déjà sortis du marché du travail, une partie sont auto-entrepreneurs. Soit ils coûtent aux pouvoirs publics, soit ils dépendent de la solidarité familiale. Dans les deux cas, ce n’est pas satisfaisant, car ils pourraient être au travail. Pour en sortir, des politiques publiques peuvent jouer leur rôle, avec une politique active pour construire les parcours professionnels et rendre le travail soutenable plus longtemps. Aujourd’hui, la fin de carrière n’est plus du tout attractive. Les seniors ont l’impression d’être sur un siège éjectable, et les entreprises veulent se délester d’effectifs. Il y a une convergence d’intérêt.

Chez Michelin, les salariés, moins nombreux, sommés de faire mieux

L’usine Michelin à Clermont-Ferrand, le 6 janvier 2021.

C’est la partie immergée de l’iceberg. Derrière les 2 300 suppressions d’emplois annoncées le 6 janvier par Michelin se pose la question des quelque 17 000 salariés qui vont continuer de travailler sur les sites français du numéro deux mondial du pneumatique. « Nous sommes en train de négocier quelque chose qui aura un impact sur les organisations et qui sera très structurant pour l’avenir, note José Tarantini, le délégué syndical central de la CFE-CGC. Nous voulons nous assurer que ceux qui restent, et à qui on demandera de porter le changement, seront bien traités. »

Sur le principe, l’objectif est partagé par la direction. « Nous négocions un accord-cadre pour ceux qui partent mais aussi pour préserver ceux qui poursuivront leur carrière chez Michelin », confirme Jean-Paul Chiocchetti, le directeur de Michelin France. L’accord sur les suppressions de postes, que la direction espère signer en avril, devrait donc comporter un volet concernant les emplois maintenus.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Chez Michelin, après le choc des 2 300 suppressions de postes, la négociation commence

Prévues pour s’étaler jusqu’en 2023, les suppressions d’emplois visent une amélioration de la productivité allant jusqu’à 5 % par an. Cela concerne la quinzaine de sites industriels français où 1 200 postes devraient disparaître. Cela touche aussi l’activité tertiaire (1 100 emplois concernés), pour l’essentiel au siège du groupe, à Clermont-Ferrand. Environ 60 % des départs devraient se faire dans le cadre de retraites anticipées financées par l’entreprise. Le restant serait des départs volontaires dans le cadre de ruptures conventionnelles collectives.

« Il ne faut pas croire qu’il y a 2 300 personnes qui se tournent les pouces, affirme Laurent Bador, le délégué syndical central de la CFDT. Leur départ aura un impact fort sur ceux qui restent. » « Nous voulons éviter la surcharge temporaire de travail qui pourrait résulter des départs », promet le directeur de Michelin France.

« Risques psychosociaux »

L’autre grand défi est d’accompagner les mutations de l’organisation du travail. « Il y a déjà, en temps normal, près de 10 % des gens qui changent de métier tous les ans, sans compter que les compétences requises pour chaque métier évoluent en permanence, poursuit Jean-Paul Chiocchetti. Le plan va entraîner de nouveaux changements. Nous allons définir des dispositifs innovants pour permettre à ceux qui restent d’accéder à des reconversions ou à des évolutions professionnelles répondant aux besoins futurs de Michelin. ».

Il vous reste 42.64% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Je n’ai pas le bac et je n’ai jamais passé d’entretien » : dans l’Oise, face à la crise, des bus à la rencontre des plus éloignés de l’emploi

Par

Publié aujourd’hui à 16h13, mis à jour à 16h15

On y tient tout juste à trois. Une coquille rassurante aux faux airs de départ en vacances dans laquelle opère chaque fois la même mue. Lorsqu’elles redescendent du marchepied, après quarante minutes d’entretien chacune et des offres d’emploi fermement agrippées, Isabelle Zinetti, 51 ans, et Ana Nunes, 42 ans, ont relevé la tête. Un courrier de Mme la maire les a invitées à monter à bord du « bus pour l’emploi » du département – un camping-car, en réalité. Pas question de rater son passage à Tracy-le-Mont, 1 730 habitants, un Proxi, une Poste et une petite zone artisanale en lisière de forêt, dans le nord-est de l’Oise. « C’est une chance d’avoir ce service qui vient jusqu’à nous, glisse Ana. On se sent parfois gênés de demander de l’aide. » Le Pôle emploi est ici à une distance encore raisonnable, à 20 kilomètres, à Compiègne. A condition d’avoir une voiture : pas de bus, hormis pour les scolaires.

Les deux femmes recherchent un poste d’assistante administrative. Dans le petit bureau ambulant d’Aurélie Michaux, conseillère emploi, se déverse l’usure de ces heures passées à postuler partout, sans réponse. Certes, il y a la crise. « Mais s’il y a des offres, c’est bien qu’il y a de l’emploi ! », s’impatiente Ana, inscrite dans plusieurs boîtes d’intérim. Elle a déposé des CV à 30 kilomètres à la ronde. « J’ai bac + 2, une formation adaptée… Qu’est-ce qui ne marche pas ? Mon âge, mes origines portugaises ? »

Travaillant aussi au sein d’une Maison départementale des solidarités, Aurélie Michaux a remarqué que ceux qu’elle reçoit dans le bus « se livrent plus facilement que dans la disposition classique du bureau, peut-être plus institutionnelle ». Elle a rejoint l’équipe du troisième bus lancé en septembre 2020 avec Mickaël Petit, chauffeur et agent d’accueil.
Ana Nunes (à droite) et son mari ont quitté le Portugal pour la France il y a 14 ans, convaincus qu’ils y trouveraient de meilleures opportunités d’emploi. Ce fût le cas jusqu’à la crise. Malgré ses diplômes et sa recherche active, Ana Nunes ne sait « plus quoi faire ».

Après vingt-neuf ans d’entreprise, le poste d’Isabelle a été supprimé. « On me proposait de redescendre à l’atelier. » Elle a préféré partir. « J’ai de l’expérience, mais je n’ai pas le bac, seulement un CAP et un BEP, et j’ai jamais passé d’entretien, soupire-t-elle. Puis à mon âge et vu tous les jeunes sur le marché… » En attendant, elle fait des heures de ménage à l’école. Et se forme aux réseaux sociaux. Elle montre ses nouvelles applis : LinkedIn, Indeed…

Lire l’enquête: Les oubliés de la mobilité : « Sans voiture, je ne suis plus rien »

« Maillage le plus fin possible »

« C’est une belle candidature, vous avez des techniques, ne vous découragez pas », rassure la conseillère. Elle explique comment affiner les recherches à Pôle emploi, oriente vers d’autres partenaires, note des contacts et « prescrit » des pauses « pour se changer les idées ». « On vous rappelle dans un mois. Et si vous avez besoin d’être reboostées, revenez. » Isabelle enverra sa fille, qui cherche une alternance. Et espère qu’elle viendra bientôt grossir l’épais classeur des « sorties » – ceux qui ont retrouvé un travail, entamé une formation ou créé leur entreprise.

Il vous reste 73.07% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Covid-19 : la logistique, un secteur devenu incontournable

Le groupe Deutsche Post DHL, leader mondial du colis, a enregistré un chiffre d’affaires pour 2020 de 67 milliards d’euros, en hausse de 5,5 %.

Des lots de masques négociés au plus haut niveau gouvernemental et jusque dans la soute des avions-cargos, des restaurants fermés partout, mais ouverts pour les chauffeurs routiers, des ministres qui se mettent à s’occuper des conditions de travail et d’accueil dans les entrepôts… C’était au printemps 2020, lors du premier confinement, en France. La fonction essentielle de la chaîne d’approvisionnement, ligne de vie d’une nation soudain pétrifiée, est alors apparue de manière éclatante.

Le secteur logistique – peu considéré, sorte d’arrière-cuisine de la mondialisation – a donc pris depuis un an une dimension nouvelle. Et ce nouveau statut est fortifié en ce mois de mars 2021, alors que la France remet sous cloche un tiers de sa population et que l’opération vaccination mondiale, qui nécessite un effort logistique important, est devenue cruciale.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Logistique urbaine : l’impact social et environnemental de la livraison

« La crise a révélé l’importance de la “supply chain” pour l’économie et la société, confirme Guillaume Péard, président pour la France et le Maghreb du géant germano-suisse de la logistique Kühne + Nagel. On s’est rendu compte de l’importance du travail des conducteurs, des livreurs, des caristes. Eux aussi faisaient partie de ces salariés-combattants de la deuxième ligne, venant juste après les soignants dans la lutte contre le virus. »

« Au printemps [2020], nos équipes ont rapporté en France 1 milliard de masques par voie aérienne, 1,2 milliard par voie maritime, se remémore de son côté Marie-Christine Lombard, présidente du directoire de Geodis (filiale de la SNCF), le premier logisticien français. On a affrété en urgence des avions-cargos face à la disparition des avions de passagers et de leurs soutes indispensables pour le fret. Dans ce contexte, la compétence d’un logisticien professionnel est la clé pour faire face à un bouleversement aussi brutal, à une telle “disruption”. »

« Dépendance excessive à certains pays »

Au-delà du choc du moment, la montée en puissance stratégique du secteur logistique se confirme durablement. Cela pourrait même s’apparenter à une microrévolution. « Tout est rebalayé, analyse Mme Lombard. La crise a mis en évidence des risques mal identifiés jusqu’ici, dont celui d’une dépendance excessive à certains pays – singulièrement la Chine – et à certains produits. Chez nos clients, le sujet de la chaîne d’approvisionnement va remonter de plusieurs crans, jusqu’aux conseils d’administration. » Parallèlement, la crise a été l’occasion de repenser un modèle de logistique reposant sur le seul flux tendu et le juste-à-temps. « Les entreprises ont cartographié leurs chaînes d’approvisionnement en allant bien au-delà de leurs fournisseurs, et repensent leurs chaînes de valeur pour qu’elles résistent aux chocs », observe Maxime Lemerle, directeur des recherches sectorielles de la société d’assurance-crédit Euler Hermes.

Il vous reste 58.93% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Donner un nouvel élan au secteur de la restauration en améliorant la rémunération des salariés »

Chronique. Le vaste plan de relance adopté le 27 février par le Congrès américain est peut-être un succès pour Joe Biden, mais il n’inclut pas, pour l’instant, l’instauration d’un salaire minimum horaire fédéral à 15 dollars. L’éventualité de cette mesure a toutefois généré des débats nourris dans la restauration et d’autres activités où les salariés perçoivent des pourboires.

Car plus que l’augmentation générale, d’ailleurs déjà actée dans de nombreux Etats, la promesse démocrate incluait la suppression du « sous-salaire minimum », qui permet aux employeurs de ne payer que 2,13 dollars de l’heure si les salariés perçoivent des pourboires permettant d’atteindre le minimum fédéral de 7,25 dollars. Un débat qui devrait nourrir aussi la réflexion sur les rémunérations dans l’hôtellerie-restauration en France, où l’on se prépare au redémarrage post-pandémie.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Joe Biden lance la bataille du salaire minimal aux Etats-Unis

Le Royaume-Uni avait déjà opéré une réforme majeure en 2009. Jusqu’à cette date, en l’absence de sous-salaire, les salariés des restaurants et pubs britanniques pouvaient être rémunérés exclusivement par trois types de pourboires : la « charge de couvert », le « service compris » et les pourboires discrétionnaires des clients.

Le royaume a décidé, en 2009, de les retirer de l’assiette de vérification du salaire minimum – le terme technique qui désigne tous les éléments de rémunération monétaire ou en nature (logement, nourriture) retenus pour le calcul du salaire minimum. Les pourboires devaient donc désormais venir en complément d’une rémunération fixe au moins égale au salaire minimum. Il n’y eut pourtant ni vague de faillites ni déclin de l’emploi.

En effet, dans un secteur dépendant essentiellement d’une demande locale peu élastique, les augmentations du coût du travail sont répercutées sur les prix des menus. Une rémunération plus forte et plus stable permet également d’augmenter la productivité et de conserver les salariés les plus performants. De même, des revenus plus importants permettent aux étudiants, jusqu’alors obligés de travailler à temps plein pour financer leurs études, de passer à temps partiel, permettant une forme de partage du travail.

Demande peu sensible à une augmentation des prix

La situation française est aujourd’hui proche de la situation britannique d’avant 2009 pour le personnel au contact de la clientèle. Leur salaire peut être constitué de tout ou partie des pourboires centralisés par l’employeur. Si l’employeur ne tient pas de registre de répartition, les cotisations sociales sont calculées sur des bases fictives, dites assiettes forfaitaires, reflétant les grilles de la branche HCR (hôtels, cafés, restaurants) ; les salariés accumulent alors des droits chômage, maladie et retraite minimaux. Parallèlement, les salariés sans contact [avec les clients], les cuisiniers notamment, ne peuvent percevoir une part des pourboires.

Il vous reste 29.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.