Archive dans mars 2021

Travailler 98 heures par semaine chez Goldman Sachs

Devant le siège de la Goldman Sachs, à New York, en avril 2019.

Les banquiers d’affaires savent manier le PowerPoint. En février, un groupe d’analystes fraîchement embauchés au sein de la banque d’investissement Goldman Sachs a préparé un diaporama de onze pages, sobrement intitulé « Enquête sur les conditions de travail », pour contester, graphiques à l’appui, les heures sans fin passées à travailler et les répercussions sur leur santé.

Le document a d’abord été présenté à la direction de la banque, avant de circuler sur les réseaux sociaux. L’enquête n’a sondé que treize salariés dans leur première année chez Goldman Sachs, mais leurs réponses, stupéfiantes, sont de nature à faire bouger les lignes.

Lire aussi Pendant la crise des « subprimes », Goldman Sachs s’est enrichie

A la question : « Combien d’heures avez-vous travaillé cette semaine [prenant fin le 13 février] ? », la réponse est : cent cinq heures. Et, en moyenne, depuis le mois de janvier ? Quatre-vingt-dix-huit heures par semaine. Ces analystes dorment, en moyenne, cinq heures par nuit et vont se coucher à 3 heures du matin. Ils sont 77 % à estimer avoir été « victimes d’abus professionnel ». Sur une échelle de 1 à 10, les banquiers interrogés évaluent leur santé mentale à 2,8 (contre 8,8, avant de travailler pour la firme de Wall Street) et leur santé physique à 2,3.

« Nous sommes là pour vous soutenir et vous guider »

La présentation reprend également des citations anonymes des treize personnes interrogées, telles que : « Le fait d’être au chômage m’effraie moins que ce que mon corps pourrait subir si je continue à travailler. » Ces témoignages n’ont rien d’anodin dans ce monde de la banque d’investissement, marqué, en 2013, par la mort d’un jeune employé de la Bank of America Merrill Lynch, Moritz Erhardt, âgé de 21 ans. Il arrivait à la fin d’un stage de sept semaines à Londres lorsqu’il s’est effondré chez lui après avoir travaillé soixante-douze heures d’affilée. « Esclavage à la City », avait alors titré le quotidien The Independent.

« Les analystes en banque d’investissement travaillent environ quatre-vingts heures par semaine », peut-on lire sur le site de la communauté financière Wall Street Oasis

Ce rythme de travail aberrant concerne une bonne partie de la profession. « Les analystes en banque d’investissement ont de longues journées de travail. Bien que ces heures varient, elles s’élèvent généralement à environ quatrevingts heures par semaine », peut-on lire sur le site de la communauté financière Wall Street Oasis.

Il vous reste 24.36% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’hydrogène, une solution incertaine pour la mobilité

Lors d’une visite de Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports, à l'entreprise Gaussin, producteur de véhicules lourds motorisés à l'hydrogène, à Héricourt (Haute-Saône), le 12 mars 2021.

L’énorme tracteur à hydrogène avance lentement dans le vaste hangar, puis accélère tout à coup, avant de stopper, faisant courir un frisson dans la foule des officiels. Au volant, tout content de son effet, le ministre délégué chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, achève, ce 12 mars, une visite expresse en Bourgogne-Franche-Comté, terminant par Héricourt (Haute-Saône), siège de l’entreprise Gaussin, spécialiste des engins portuaires et aéroportuaires. Une petite heure auparavant, M. Djebbari était à Belfort, déjà au volant d’un véhicule à hydrogène – une voiturette de facteur –, fonçant dans les allées sinueuses de la préfecture. Le ministre s’apprêtait, en présence d’un aréopage d’élus, à donner un chèque de 800 000 euros à la société Mauboussin, conceptrice de petits avions… à hydrogène.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Au Canada, Air Liquide produit enfin de l’hydrogène sans émettre de dioxyde de carbone

Tel un mantra, le mot est lâché : hydrogène. Dans la communication gouvernementale, comme dans celle des entreprises, ce gaz (H2, selon l’abréviation chimique) est présenté comme une solution parée de toutes les vertus pour la mobilité de demain. Si de nombreux projets prometteurs sont en cours, la route est encore longue et les résultats incertains. Combiné à une pile à combustible, l’hydrogène permet de produire de l’électricité et rejette de l’eau. Dans une voiture ou un camion, il est bien plus pratique qu’une batterie : le véhicule est électrique, mais l’utilisateur fait le plein en quelques minutes comme à une pompe à essence. Et puis la ressource est inépuisable. On peut extraire de l’hydrogène partout, par électrolyse, en faisant passer dans de l’eau du courant produit par une éolienne, des panneaux solaires.

Surtout, l’hydrogène est devenu le nouveau sésame économique d’entrepreneurs, d’élus et de responsables politiques français de tous niveaux, de tous bords et de tous les coins de France. C’est même à une extraordinaire floraison de projets de mobilité H2 que l’on assiste depuis plusieurs mois dans l’Hexagone, stimulés par l’impulsion de l’Etat et son plan Hydrogène à 7,2 milliards d’euros sur dix ans, présenté en septembre 2020.

Foisonnement de projets

Pour la seule mobilité, le ministère des transports liste 28 projets majeurs d’écosystème hydrogène soutenus par l’Etat lancés depuis moins de deux ans sur tout le territoire. Là une flotte de bus, ici des bennes à ordures, des taxis ou des triporteurs, ailleurs des navettes fluviales, ou les fameux trains à hydrogène d’Alstom achetés par quatre régions. Et c’est sans compter les dizaines de plus modestes initiatives (stations, flottes captives, démonstrateurs pédagogiques) qui éclosent un peu partout. L’observatoire de l’hydrogène Vig’Hy en recense plus de 150 en France.

Il vous reste 73.12% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les aides à domicile pourront hériter de leurs employeurs défunts

Personal care assistant chatting to senior woman in bed

Le 18 janvier 2018, Louise B. décède, sans enfants, après avoir légué son appartement à son aide à domicile, Fouzia L., qui travaillait auprès d’elle depuis huit ans, et avec laquelle elle s’était pacsée le 5 septembre 2017. Aussitôt, des cousins de Louise assignent Fouzia devant le tribunal judiciaire de Toulouse, afin d’obtenir l’annulation de cette part d’héritage. Ils agissent sur le fondement de l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, qui frappe d’une « incapacité à recevoir des dons et legs » les prestataires de services à la personne qui interviennent à domicile.

Lire aussi Il donne de l’argent à son auxiliaire de vie

Cet article a été introduit par la loi du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement, afin de prévenir la captation des biens des personnes âgées par ceux qui travaillent chez elles. Pendant sa discussion, la rapporteure pour avis du Sénat, Catherine Di Folco (UMP), a protesté qu’il était « attentatoire à la liberté des personnes de disposer de leurs biens, alors qu’elles sont saines d’esprit », et qu’il était « surtout protecteur des héritiers ». Mais l’Assemblée nationale, alors majoritairement de gauche, l’a adopté.

Sursis à statuer

Lorque Fouzia L. contacte le cabinet toulousain Lafayette Avocats, sa cause semble donc désespérée. Mais Camélia Navarre, la jeune stagiaire à laquelle le dossier échoit, a l’idée de poser aux juges une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ainsi résumée : larticle 116-4 méconnaît-il l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, qui consacre le droit de propriété ? Son maître de stage, Jean Iglesis, lui donne le feu vert.

La QPC est admise par le tribunal judiciaire de Toulouse, qui sursoit à statuer, en attendant de savoir si la Cour de cassation va la juger « sérieuse ». Ce qui est le cas, le 18 décembre 2020 (n° 20-40.060) : la Cour l’adresse au Conseil constitutionnel, devant lequel une audience est fixée le 2 mars. Mlle Navarre obtient son inscription au barreau juste à temps pour aller plaider place du Palais-Royal (audience visible en vidéo).

Aux « sages », réunis autour du président Laurent Fabius – homme de gauche –, elle explique que « le droit de disposer librement de ses biens », qui découle du droit de propriété, ne peut être enlevé qu’aux personnes reconnues « incapables », par un juge, du fait de l’altération de leurs facultés mentales. Or, « une personne âgée n’est pas une personne incapable ». L’article L 116-4, qui prive les aînés, en raison de leur âge, du droit de gratifier ceux qui les aident, viole donc le droit de propriété.

Il vous reste 68.08% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Au procès de l’espionnage de salariés par Ikea, l’ancien responsable sécurité Jean-François Paris seul contre tous

Distanciation physique parfaitement respectée autour de Jean-François Paris qui, sur le banc des prévenus, ne risque pas d’être contaminé par un voisin : il n’en a pas. Depuis l’ouverture du procès Ikea, lundi 22 mars, à Versailles, personne ne s’assoit à côté de lui, il traverse les longues journées d’audience en solitaire, sans un mot ni un regard de ses coprévenus qu’il fait tout, ceci explique cela, pour entraîner dans sa chute.

Jean-François Paris est l’ancien responsable sécurité d’Ikea France, de 1998 à 2012. Il était au cœur d’un vaste dispositif de surveillance des salariés, qui a d’abord consisté en des demandes ponctuelles sur la vie privée, avant de se transformer au milieu des années 2000 en, selon ses propres termes, un « contrôle de masse » des antécédents judiciaires des recrues à chaque nouvelle ouverture – il s’agissait d’éviter d’embaucher d’éventuels agités –, le tout par le biais d’officines privées et de policiers arrangeants.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’espionnage des salariés d’Ikea France devant la justice

« J’avais conscience qu’on était borderline, et quand l’affaire a éclaté [en 2012], j’ai compris qu’on avait vraiment franchi la ligne et qu’on était dans l’illégalité » : depuis une semaine, comme depuis neuf ans, cet homme de 56 ans assume sa responsabilité, mais il entend bien la partager avec ses anciens collègues qui, eux, l’esquivent. Alors à l’audience, c’est Jean-François Paris contre tous et tous contre Jean-François Paris, lequel bénéficie paradoxalement du soutien des parties civiles saluant sa « sincérité » face à « ceux qui voudraient que ce soit une affaire Paris et pas une affaire Ikea », comme l’a dit Yassine Yakouti, avocat de plusieurs salariés victimes d’espionnage.

Dans cette affaire où être au courant, c’est être coupable, qui savait ? Interrogé par la présidente Angélique Heidsieck, Jean-François Paris a raconté la réunion de crise chez Ikea le jour où Le Canard enchaîné a prévenu qu’il s’apprêtait à dévoiler le pot aux roses. « La com de Publicis a dit : “On attend les articles et on niera.” J’ai dit : “On ne pourra pas dire que c’est pas vrai, puisque toute l’entreprise est au courant.” »

« Le terme “moralité”, ça ne vous a pas alerté ? »

« Toute l’entreprise », neuf ans plus tard, est représentée par quelques hauts cadres figurant parmi les quinze prévenus, comme Sylvie Weber, son ex-adjointe à la sécurité, Dariusz Rychert, ex-directeur financier, ou Jean-Louis Baillot, ex-PDG.

Il vous reste 68.69% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

L’efficacité de la lutte contre le sexisme à Radio France remise en cause après la diffusion du documentaire de Marie Portolano

Il n’y a pas qu’à Canal+ que Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste, le documentaire de Marie Portolano, diffusé dimanche 21 mars sur Canal+, a fait l’effet d’une bombe. Le témoignage qu’y livrait la spécialiste de rugby Amaia Cazenave a répercuté la détonation jusqu’à Radio France, où la journaliste officiait jusqu’à fin décembre 2020.

En exposant sur la place publique ce qui reste d’ordinaire confiné dans l’espace de l’entreprise, la jeune femme a réveillé la parole de collègues victimes de harcèlement ou d’agissements sexistes au sein du groupe radiophonique et restées insatisfaites, elles aussi, de l’accueil réservé à leurs signalements.

Interrogée mardi 23 mars sur France Info, la future chef adjointe du service des sports du Parisien a décrit les humiliations et l’environnement misogyne dans lequel elle a travaillé au sein d’une station locale de France Bleu d’abord, puis à la rédaction nationale des sports, à Paris. A deux reprises, rappelle-t-elle au Monde, elle a alerté la cellule de lutte contre les discriminations – ainsi que sa direction et la direction des ressources humaines (DRH), indépendamment. Sans résultat probant la première fois, puis « sans aller jusqu’au bout », c’est-à-dire sans réclamer le déclenchement d’une enquête, par manque de confiance en son interlocuteur, la deuxième fois.

Lire aussi la tribune : « Femmes journalistes de sport, nous occupons le terrain ! »

D’autres jeunes femmes, des « CDDettes » comme elles s’appellent entre elles, nous ont fait part de situations similaires. Après avoir signalé à la cellule d’écoute du harcèlement moral, des commentaires dégradants ou des agissements sexistes, elles ont eu le sentiment d’être « abandonnées ». « Nous avions pourtant été assurées que nous aurions un accès total aux conclusions de l’enquête, explique l’une d’elles, en poste dans une importante locale de France Bleu. Alors qu’elle est terminée depuis plus de six mois, nous ne sommes toujours au courant de rien. »

« Impunité »

« Nous faisons un retour systématique aux plaignants ainsi qu’aux mis en cause lorsqu’une enquête est terminée, conteste Catherine Chavanier, la DRH de Radio France. C’est ce que prévoit notre méthodologie. »

Dans un rapport qu’il a achevé à l’automne 2020, Renaud Dalmar, le référent des salariés sur les questions de harcèlement sexuel et les agissements sexistes à Radio France, pointe pourtant du doigt, lui aussi, l’absence d’information sur les sanctions prononcées, alors que « l’impunité est l’élément déterminant de bon nombre de ces agissements (…) et le silence, un terrain propice ». Tout en attestant d’une « vraie volonté » de sa direction de traiter ces affaires avec sérieux, l’élu CFDT regrette « les fausses sanctions que sont les mutations », qui « parfois se révèlent même devenir des sanctions-promotions ».

Il vous reste 37.74% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Faillites : environ 22 000 entreprises seraient « en sursis »

Le secteur de la construction serait, selon Coface, le plus concerné par ces défaillances « manquantes ».

En dépit de la crise économique, la plus violente depuis la dernière guerre, la « vague » des faillites redoutée en 2020 ne s’est pas concrétisée. Leur nombre a même connu une chute historiquement faible, de 38 %, avec 31 500 entreprises seulement en dépôt de bilan. Un recul redevable aux mesures d’urgence et de soutien mises en place par le gouvernement, aux prêts garantis par l’Etat (PGE) et au dispositif de chômage partiel.

Lire aussi Des dispositifs « illisibles » pour éviter les faillites d’entreprise

Mais, comme le rappelle l’assureur-crédit Coface dans une note publiée le 23 mars, « ce paradoxe laisse penser qu’il existe des défaillances manquantes », des entreprises non-viables dont la survie n’est liée qu’aux aides publiques. La France compterait, selon les projections, 22 000 entreprises dans cette situation, dont la faillite devrait « se matérialiser progressivement d’ici à 2022 ». Les difficultés apparaîtront avec la fin des aides, mais aussi lors du retour à la normale de l’ensemble des secteurs économiques, explique l’économiste Bruno de Moura Fernandes, car la reprise de l’activité nécessite des dépenses supplémentaires qui vont affecter la trésorerie de ces sursitaires.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Covid-19 : pour les entreprises françaises, la délicate sortie du coma artificiel

Mais il est vraisemblable que ces faillites ne prendront pas la forme d’une vague, mais qu’elles se produiront plutôt sur longue période. « On suppose en effet que les aides seront retirées de façon graduelle et progressive », ajoute M. de Moura Fernandes. « Par ailleurs, les enquêtes montrent que les entreprises, notamment les PME, ne prévoient pas de rembourser les PGE par anticipation mais veulent plutôt étaler les remboursements au maximum. Il n’y aura donc sans doute pas de choc brutal sur la trésorerie des entreprises, mais une hausse étalée des défaillances ». C’est surtout lors du premier trimestre 2022 qu’elles devraient apparaître, selon l’expert. Leur matérialisation, surtout, sera « directement corrélée à la rapidité avec laquelle les mesures de restriction prendront fin » – qui découle elle-même de la vitesse des campagnes de vaccinations.

« Il n’y aura donc sans doute pas de choc brutal sur la trésorerie des entreprises, mais une hausse étalée des défaillances », Bruno de Moura Fernandes, économiste chez Coface

C’est le secteur de la construction qui serait, selon Coface, le plus concerné par ces défaillances « manquantes » . Un autre paradoxe alors que le BTP a retrouvé son niveau d’activité d’avant crise dès la fin de l’année 2020. Pourtant, pas moins de 8 600 entreprises de construction seraient aujourd’hui en sursis. Cela s’explique par le fait que les faillites sont structurellement bien plus fréquentes dans ce secteur, en temps normal : la construction compte d’ordinaire pour 26 % des défaillances en France. De plus, compte tenu justement du fait qu’elles ont pu retrouver rapidement un niveau d’activité normal, ces entreprises « ont reçu peu d’aides », précise M. de Moura Fernandes.

Il vous reste 15.31% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Reconversions professionnelles : le Conseil économique, social et environnemental appelle à un changement d’échelle massif

« Les budgets alloués au projet de transition professionnelle (PTP), qui a succédé au congé individuel de formation, mobilisé pour les formations longues, sont passés de plus d’un milliard d’euros à moins de 500 millions d’euros. »

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a présenté, mardi 23 mars, un avis sur « les reconversions professionnelles » dans lequel il appelle à aller plus loin dans la réforme de la formation professionnelle. Tout en dressant un bilan plutôt favorable des multiples réformes de la formation professionnelle engagées ces dernières années, le CESE invite à « un changement d’échelle massif » pour éviter qu’une partie croissante des actifs se retrouvent exclus du marché du travail, faute de qualifications suffisantes.

Cette instance consultative, composée de représentants issus de la société civile, insiste sur l’urgence d’avoir des dispositifs efficaces pour faire face à l’impact sur l’emploi de la crise sanitaire. « Si l’ampleur des dispositifs d’activité partielle a permis de limiter, à court terme, la détérioration du marché du travail, celle-ci risque d’intervenir, avec retard, sur les trimestres à venir », prophétisent les auteurs de l’avis, Florent Compain (ancien président de la fédération Les Amis de la Terre) et Bernard Vivier (professeur à la Faculté libre de droit et d’économie et de gestion de Paris).

La crise sanitaire précipite les mutations en cours. Alors que la modification des comportements des consommateurs donne un coup d’accélérateur aux transitions écologiques et numériques, les besoins se renforcent sur des métiers techniques très qualifiés et certains métiers pénibles et peu considérés, laissant de côté les emplois de « milieu de gamme », note le CESE. Par ailleurs, une bonne partie des métiers porteurs nécessitent d’actualiser et de « verdir » ses compétences (dans l’informatique, le BTP, le médico-social, etc.).

Les sources de financement s’amenuisent

Ces mutations du marché de l’emploi marginalisent « les jeunes arrivants sur le marché du travail et que la formation initiale n’a pas positionnés sur un métier offrant suffisamment d’opportunités », ainsi que « les personnes en deuxième partie de carrière, dont les qualifications initiales ne sont plus reconnues », regrette le CESE. Ces deux catégories d’actifs doivent se lancer dans des formations longues et coûteuses pour se remettre en selle.

Or, les sources de financement s’amenuisent. Avec la loi de 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel, qui simplifie les dispositifs de formation, « le législateur a fait œuvre utile », considère le CESE. Mais la suppression partielle de l’obligation faite aux employeurs d’investir dans la formation de leurs salariés, en 2014, lui a porté un coup. « Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, les montants mutualisés à la formation professionnelle des actifs occupés du secteur privé ont décru de 3,1 % en 2017 », rapporte le CESE.

Il vous reste 59.72% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Télétravail » : la première fois que « Le Monde » l’a écrit

Dans les archives du « Monde », l’occurrence « télétravail » va apparaître plus souvent en un an que durant les quarante années qui ont précédé.

« On se voit demain ?

— Non, je suis en télétravail. »

Depuis un an, qui n’a pas entendu cet échange devenu viral ? Ou l’un de ses multiples variants : « Je travaille à la maison », « Tu peux me joindre chez moi », et, plus technocrate, « Je suis en distanciel » ? Par temps de pandémie, le télétravail s’impose comme une norme, une panacée anti-Covid-19 et une scie de la communication gouvernementale. « Le télétravail sera généralisé partout où cela est possible », prescrit Emmanuel Macron. « Au moins quatre jours sur cinq en télétravail », renchérit Jean Castex, qui fixe la posologie.

Etre ou ne pas être en télétravail. Telle est la question. Elle traverse aujourd’hui comme une évidence tous les bureaux, et seulement les bureaux, ne l’oublions pas, tant il s’agit là d’une controverse métaphysique de ronds-de-cuir. Dans les entreprises de l’économie dématérialisée, même les employés se sont volatilisés. Les couloirs sonnent le creux, les locaux ressemblent à des appartements témoins, les réunions en visioconférence ont tout de discussions entre Houston et la Lune, un rendez-vous à la machine à café nécessite un agenda.

L’âge de la télématique

Bien avant de devenir une obsession de tous les jours, le mot est arrivé subrepticement dans les colonnes du quotidien, le 13 décembre 1979. Gribouillé sur un bon vieux papier journal, il déboule à la dernière phrase d’un article d’Alain Faujas consacré à une innovation technologique, la télématique. Ce dernier terme est encore nébuleux, à l’époque. Il signifie, doit expliquer l’auteur, un « couplage, grâce au réseau téléphonique, d’ordinateurs que les utilisateurs peuvent consulter à distance grâce à un téléviseur ».

L’expression est sortie d’un rapport rendu en janvier 1978 au président Valéry Giscard d’Estaing par un haut fonctionnaire de renom, Simon Nora, et un jeune énarque de 27 ans, major de la promotion Léon-Blum et geek avant l’heure, Alain Minc. Sobrement baptisé « L’informatisation de la société », ce texte passe aujourd’hui pour une des premières tentatives en France de penser le monde numérique. S’il n’utilise pas le mot « télétravail », il en décrit déjà la réalité.

La télématique inaugure l’âge du Minitel, dont les premiers terminaux seront testés en 1980, et lancés sur le marché par les PTT en 1982. Le concept enferme des applications encore très floues. On pressent simplement que le transport massif de données par des câbles informatiques sur de longues distances est lourd de chamboulements pratiques. On hume vaguement la révolution en gestation. « Rêvons », écrit l’auteur en imaginant un PDG pilotant ses salariés à distance depuis un terminal d’ordinateur.

Il vous reste 60.52% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Commencer un emploi à distance, un exercice d’équilibriste

Un télétravailleur à son domicile, le 18 mars à Niort.

Alexia, jeune cadre spécialiste de la logistique, a débuté un nouveau travail durant le premier confinement, en télétravail. « J’ai vraiment eu du mal à trouver ma place et à nouer des liens. En réunion en visio, je ne savais pas ce que je pouvais dire ou pas, si je pouvais blaguer… Je suis restée très en retrait pendant un bout de temps », rapporte-t-elle. Outre les difficultés pour trouver sa place, Alexia se souvient aussi avoir tardé à se sentir opérationnelle : « Quand on change de structure, toutes les procédures et les outils changent. Ne pas savoir comment faire les choses a été pour moi très stressant. Au bureau, on peut interpeller la personne à côté, mais en distanciel, quand les gens ne répondent pas par mail, on se retrouve juste seul face à son problème. »

Depuis un an, les jeunes qui ont réussi à décrocher un emploi ont fait leurs premiers pas dans l’entreprise de manière totalement inédite en raison de la pandémie. Un exercice forcément difficile pour les nouvelles recrues, selon Tarik Chakor, maître de conférences en sciences de gestion à Aix-Marseille Université : « Quand on arrive dans une entreprise, on apprend un nouveau travail, mais aussi à connaître son équipe. Certaines choses ne sont pas formalisées et s’acquièrent en observant ses collègues ou en discutant à la machine à café. Ce sont des choses toutes bêtes mais qui sont primordiales pour la bonne socialisation. » Le distanciel rend alors plus difficile la compréhension du fonctionnement de l’entreprise pour les nouveaux venus, qui peuvent plus rapidement se sentir isolés.

Une situation potentiellement facteur de stress, mais aussi de perte de sens. Laura (le prénom a été modifié), 30 ans, a débuté un nouveau poste de responsable des services culturels d’une mairie au printemps 2020 : « Malgré toute la bienveillance de mon équipe et leur disponibilité, même un an après, je ne me rends pas encore compte de ma capacité à m’épanouir sur ce poste, vu que je n’ai pas connu une situation normale. Et puis j’ai passé mes premiers mois à annuler des événements culturels, alors que mon travail aurait dû être d’en programmer. » La jeune femme a aussi l’impression de prendre du retard : « Je n’ai pas commencé à constituer mon réseau, alors que c’est crucial dans ce métier. »

Ce nouveau monde du travail en distanciel est marqué par un formalisme beaucoup plus poussé dans tous les échanges. Sans discussions quotidiennes pour dissiper les frictions, et alors que le second degré passe difficilement à l’écrit, la tension peut monter plus facilement.

Il vous reste 73.38% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Soleil, yoga, haut débit… Madère en appelle aux télétravailleurs de tous les pays

A Ponta do Sol, tout a été organisé pour le confort de la communauté des travailleurs nomades.

Bienvenue à Ponta do Sol, village de l’île de Madère de 8 200 habitants, constitué de vallées verdoyantes, de quelques restaurants, d’une plage rocailleuse et de sa centaine de « nomades numériques » venus concilier travail à distance et détente au soleil.

Employés en télétravail, autoentrepreneurs ou free-lances, ces visiteurs réinventent le métro, boulot, dodo en privilégiant une destination ensoleillée, abordable et offrant un accès haut débit à Internet. Une pratique qui compte de plus en plus d’émules auprès d’une génération biberonnée à Erasmus et facilitée par l’explosion des nouvelles technologies.

La pandémie de Covid-19 n’a fait que renforcer ce phénomène en attirant ces nouveaux travailleurs sans bureau fixe, redécouvrant, durant les phases de confinement, l’envie furieuse de fuir les métropoles.

« Les touristes ne sont que de passage, tandis que les nomades digitaux restent ici plusieurs mois et consomment donc localement. » Gonçalo Hall, entrepreneur

Nomade numérique lui aussi, Gonçalo Hall a mis sur pied ce qu’il appelle « le premier village de nomades digitaux » en trois mois seulement, avec l’étroite collaboration du gouvernement régional de Madère. Partenariat avec des sociétés immobilières et des loueurs de voitures, mise en place d’un Slack pour faciliter la communication dans la communauté, accès gratuit à un espace de travail partagé, proposition d’activités durant la journée (yoga, méditation, fitness, randonnée, plongée et observation des dauphins et baleines le week-end)… Tout a été pensé pour faciliter la venue et le séjour des travailleurs jusqu’à la date butoir de fin de projet, le 30 juin.

Lire aussi le décryptage : A travers l’Europe, la révolution du télétravail

« J’ai comme l’impression de ne plus être sur la planète Terre, c’est incroyable et motivant de pouvoir travailler dans un tel cadre idyllique et d’échanger avec des personnes de toute l’Europe », se réjouit Spela Tezak, Slovène fraîchement arrivée, après un an sans voyages, à Ponta do Sol, où les bars et les restaurants sont ouverts.

Compenser l’hécatombe des recettes touristiques

Le but de ce village de nomades numériques est aussi, pour ne pas dire surtout, de contrebalancer l’hécatombe des recettes touristiques, qui représentent normalement plus de 20 % du produit intérieur brut de Madère.

« Les touristes ne sont que de passage, tandis que les nomades digitaux restent ici plusieurs mois et consomment donc localement », explique Gonçalo Hall. Une aubaine pour Carla Pereira, serveuse au restaurant Caprice : « C’est une très bonne initiative pour combler le manque de touristes dû à l’épidémie. En plus, ils sont vraiment sympathiques », se réjouit-elle.

Il vous reste 52.23% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.