Archive dans mars 2021

Pour la plupart des plates-formes Internet, « le salariat, c’est le grand Satan »

Un livreur Uber Eats lors d’une manifestation à Nantes, le 12 mars 2021.

En France, la Cour de cassation a rendu, en mars 2020, une décision comparable à celle de la Cour suprême de Londres : elle a requalifié le contrat de prestataire d’un chauffeur de VTC Uber en contrat de travail. Pour autant, dans l’Hexagone, Uber poursuit sa route avec des autoentrepreneurs. En conséquence, les chauffeurs de VTC désirant être requalifiés comme salariés doivent porter leur affaire devant les tribunaux, avec des fortunes diverses.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi A travers l’Europe, les droits des travailleurs des plates-formes Internet s’améliorent

Le 4 mars 2020, l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, qui a jugé que le statut d’indépendant d’un chauffeur de VTC d’Uber était « fictif » et que sa relation relevait, en réalité, d’un contrat de travail avec Uber, avait fait l’effet d’une bombe. La Cour avait traduit l’arrêt en plusieurs langues et l’avait assorti d’un communiqué, signe que, pour elle, la messe était dite.

Mais cela n’a pas eu le résultat escompté. L’arrêt « n’a entraîné ni requalification immédiate ou automatique de tous les chauffeurs » Uber « ni même eu une conséquence sur la jurisprudence en la matière », se félicite-t-on chez Uber. En effet, les tribunaux ne se sont pas tous alignés sur la position de la Cour de cassation.

« C’est une absurdité »

Le 23 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a confirmé que le contrat de huit chauffeurs avec Uber était commercial. Le 31 juillet, il a renvoyé une autre affaire en départage (formation avec un juge professionnel), les quatre conseillers n’ayant pu dégager une décision majoritaire. A l’inverse, le 23 novembre, le conseil de prud’hommes de Nantes a requalifié le contrat d’un chauffeur en contrat de travail. Uber a fait appel.

Lire aussi Uber : vers une conduite plus sociale

Le 15 janvier 2021, la cour d’appel de Lyon, elle, a confirmé le statut d’indépendant d’un chauffeur Uber, qui se pourvoit en cassation. « Elle a repris tous les critères relevés par la Cour de cassation pour les tordre, déplore Stéphane Teyssier, l’avocat du chauffeur, qui en représente 200 autres devant les prud’hommes. Et, dans le même temps, elle reconnaît la compétence du conseil de prud’hommes, qui juge les affaires de salariés. C’est une absurdité. » Un mois plus tard, le conseil de prud’hommes de Paris a rejeté la requalification en salarié d’un chauffeur d’Uber.

Des travailleurs d’autres plates-formes ont saisi la justice. Ainsi, la cour d’appel de Paris a reconnu, le 18 février, l’existence d’un contrat de travail entre un chauffeur de VTC et la société Bolt, qui peut encore se pourvoir en cassation. Chez les livreurs de repas, plusieurs décisions leur étant favorables sont intervenues. Le 4 février 2020, le conseil de prud’hommes de Paris a condamné Deliveroo pour travail dissimulé et requalifié le contrat d’un livreur en contrat de travail. Le dossier est en appel. Des dizaines de décisions de requalification de livreurs de l’ex-Take Eat Easy par les prud’hommes continuent de tomber.

Il vous reste 34.9% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

A travers l’Europe, les droits des travailleurs des plates-formes Internet s’améliorent

Des chauffeurs Uber saluent la décision de la Cour suprême britannique leur reconnaissant le statut de « travailleurs », à Londres, le 19 février.

Les travailleurs des plates-formes Internet (Uber, Deliveroo, Frichti, Bolt, Foodora…) en Europe sont-ils en train de vivre un tournant pour leurs droits ? Ces derniers mois, au Royaume-Uni, en Italie ou aux Pays-Bas, une série de décisions de justice leur a permis d’être requalifiés en tant que salariés. En Espagne, grâce à un changement dans le code du travail, il a été décidé, le 11 mars, que ces précaires du XXIe siècle seraient, par défaut, considérés comme des salariés.

Lire aussi Uber : vers une conduite plus sociale

Au Danemark et en Suède, des conventions collectives viennent d’être signées, pour mieux couvrir ces travailleurs. En France, en mars 2020, la Cour de cassation avait reconnu, dans le cas d’un chauffeur Uber, que son statut d’autoentrepreneur était « fictif ». Quant à la Commission européenne, elle a ouvert, le 24 février, une consultation visant « à améliorer les conditions de travail » du secteur.

« L’année 2021 a débuté de façon très positive pour les travailleurs des plates-formes », se réjouit Natalia Walczak, de la Fédération européenne des travailleurs du transport (FET). « Il y a un vrai alignement des décisions, qui vont vers la requalification en un statut de salarié. Le mouvement est franc », corrobore Sophie Robin-Olivier, professeure à l’Ecole de droit de la Sorbonne.

Pour comprendre le contexte : Le modèle d’Uber menacé par une décision de la justice française

La tendance concerne un secteur qui croît très rapidement, en particulier depuis le début de la pandémie de Covid-19, comme le rappellent les livreurs qui sillonnent les villes d’Europe. Sur le continent, il y a désormais 3 millions de personnes dont le travail pour une plate-forme est la principale activité (1,4 % de la population active), 9 millions qui l’utilisent comme une source de revenus secondaires (4,1 %), et 12 millions comme une source marginale. En Espagne ou au Portugal, entre 8 % et 9 % de la population active en dépend entièrement ou largement. En France, c’est environ 4 %.

« L’annonce d’Uber n’est pas la fin du combat »

Le dernier jugement marquant vient du Royaume-Uni, le 19 février, quand la Cour suprême a estimé, à l’unanimité, que les chauffeurs d’Uber ne pouvaient pas être considérés comme des autoentrepreneurs. Après des années de bataille judiciaire, le groupe californien en a pris acte et annoncé, mardi 16 mars, que ceux-ci seraient désormais considérés comme des « travailleurs ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Nouvelle désillusion juridique pour le géant californien Uber

Ce statut du droit anglais, qui existe de longue date, est à mi-chemin entre celui de salarié et celui d’autoentrepreneur. Concrètement, les 70 000 chauffeurs britanniques recevront 12 % de salaire supplémentaire au nom des congés payés. Ils auront accès à un fonds de pension, auquel Uber contribuera à hauteur de 5 % du salaire. Le nouveau statut leur garantit enfin le salaire minimum, de 8,72 livres sterling de l’heure (10,17 euros). N’étant pas salariés, les chauffeurs n’auront cependant pas le droit à des congés maladie ni à des congés de maternité ou paternité.

Il vous reste 54.76% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Uber : vers une conduite plus sociale

Depuis une dizaine d’années, la « gig economy », ou « économie à la tâche », celle des petits boulots proposés par les plates-formes collaboratives sur Internet, a prospéré sans trop se préoccuper de droit social. Profitant de vides juridiques et de l’explosion de la demande pour de nouveaux services, les exploitants de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les sociétés de livraison à domicile ont pris une importance grandissante, en imposant des conditions de travail précaires à leurs collaborateurs.

Si ces emplois permettent d’offrir des possibilités à des personnes qui ont du mal à entrer sur le marché du travail traditionnel ou qui ont besoin de revenus complémentaires, ils n’assurent pas le minimum de protection sociale auquel peuvent prétendre ceux qui les occupent. La flexibilité et la liberté qu’ils peuvent rechercher ne doivent pas être incompatibles avec le droit de travailler dans la dignité.

Lire aussi Uber reconnaît à ses chauffeurs britanniques un statut de travailleur salarié, une première

Heureusement, la situation en Europe est en train de se normaliser, même si les progrès restent lents. Un peu partout, des procédures juridiques poussent les plates-formes à lâcher du lest. Mardi 16 mars, Uber a ainsi fini par accorder à ses chauffeurs au Royaume-Uni le statut de « travailleurs salariés ». Le groupe américain était sous la pression de la Cour suprême britannique, qui, le 19 février, avait estimé que les chauffeurs ne devaient plus être considérés comme des travailleurs indépendants et qu’ils avaient le droit d’accéder à certains avantages sociaux. Uber en prend acte en leur accordant le salaire minimum, des congés payés et l’accès à un fonds de retraite.

Représentation syndicale à l’étude

Cette décision est de nature à encourager un mouvement plus vaste déjà à l’œuvre. Ces derniers mois, en Espagne ou en Italie, des décisions de justice ont obligé les plates-formes à réviser le statut de leurs collaborateurs. Au Danemark et en Suède, des conventions collectives plus favorables ont été signées. En France, la Cour de cassation a requalifié un chauffeur Uber comme salarié. Plusieurs centaines de dossiers réclamant les mêmes droits sont en cours d’instruction. En attendant, le gouvernement a lancé une mission dans le but d’instaurer un dialogue social au sein des plates-formes. Une ordonnance doit être publiée d’ici à la fin du mois d’avril, afin que les chauffeurs et les livreurs puissent bénéficier d’une représentation syndicale.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi A travers l’Europe, les droits des travailleurs des plates-formes Internet s’améliorent

Parallèlement, une « autorité nationale des relations sociales des plateformes d’emploi » (ARPE) est en passe d’être créée pour faire des propositions de régulation du secteur. De son côté, la Commission européenne vient de lancer une consultation des partenaires sociaux pour réfléchir à l’amélioration du sort de ces travailleurs.

Il est temps de se préoccuper de ce nouveau prolétariat urbain, qui, sous des dehors de modernité, renvoie à des pratiques sociales d’un autre âge. En l’espace de dix ans, le nombre de plates-formes collaboratives a été multiplié par cinq, avec la création de nombreux emplois à la clé. Chacun de nous, d’un simple geste à partir de son smartphone, a désormais accès à de nombreux services qui facilitent notre quotidien. Ceux qui le permettent méritent un minimum de considération.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Pour la plupart des plates-formes Internet, « le salariat, c’est le grand Satan »

Pour les plates-formes, il s’agit d’un défi majeur, alors que la plupart ne gagnent toujours pas d’argent. En 2020, Uber a perdu 6,8 milliards de dollars (environ 5,7 milliards d’euros), légèrement moins que les 8,5 milliards de l’année précédente. Pour ce secteur, la recherche du modèle économique ne peut être opposée à l’amélioration des conditions de travail, les chauffeurs et les livreurs ne peuvent être considérés comme sa variable d’ajustement.

Le Monde

Chez Sanofi, le grand malaise des chercheurs

Des employés de Sanofi protestent contre la restructuration de l’entreprise devant le ministère de l’économie à Paris, le 11 mars.

Ce matin de l’été 2012, Renaud M. (qui n’a pas souhaité donner son nom) est en plein déménagement, lorsqu’il entend à la radio que son employeur, le groupe pharmaceutique Sanofi, a l’intention de se désengager du site de Toulouse, où il doit prendre un poste à la rentrée. « Comme mon activité à Strasbourg allait être interrompue, on m’avait orienté vers une autre spécialité, installée à Toulouse, se rappelle le chercheur. Pendant un an, j’ai suivi un master à la fac de Toulouse la semaine, je retrouvais ma femme et mes enfants à Strasbourg le week-end… Tout cela pour apprendre par hasard que le centre censé m’accueillir allait fermer ! » La famille reste un an et demi dans le Sud-Ouest, puis regagne Strasbourg, où Renaud M. est de nouveau invité à changer d’activité.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Comment Sanofi s’est retrouvé distancé dans la course au vaccin contre le Covid-19

Rebelote en 2019, quand la direction demande à la cinquantaine de collaborateurs de recentrer leurs recherches sur l’immuno-oncologie. Il faut s’adapter, encore.

Et voilà qu’en juin 2020, le groupe annonce que dans le cadre d’un plan de restructuration global, dont un volet porte sur la recherche et développement (R&D), le projet « Evolve », il entend se séparer du site alsacien pour favoriser la « colocalisation » des équipes − les Strasbourgeois qui le souhaitent seront transférés sur le site de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), où le maintien de leur poste est garanti. « Cela a été un choc », se souvient Renaud M., qui préfère « attendre de connaître le nom du repreneur avant de choisir entre déménager en région parisienne ou quitter Sanofi ».

Lassitude, stress

Des parcours mouvementés comme celui-ci, la R&D de Sanofi n’en manque pas. Il y a cette cadre de laboratoire, « toujours au mauvais endroit au mauvais moment », qui a été affectée sur trois bassins d’emploi différents en dix ans. Ce biochimiste contraint de se reconvertir dans la formation, et qui travaille aujourd’hui à 700 km de sa famille.

Pour rester chez Sanofi, les chercheurs doivent être « acteurs de leur mobilité », aiment à dire les ressources humaines, se réinventer au gré des changements de directeurs généraux (quatre depuis 2008), des revirements de stratégie et des plans de restructuration (cinq depuis 2009, rien que pour la R&D), dont la seule constante semble être la réduction des effectifs, divisés par deux en France en treize ans (d’environ 7 000 collaborateurs en R&D répartis sur douze sites en 2008, à 3 800 sur quatre sites à l’issue du plan en cours).

Il vous reste 78.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Amélie de Montchalin veut « un coup d’accélérateur » sur les stages et l’apprentissage

La ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, à l’Elysée, le 13 janvier.

L’administration devra « jouer toute sa partition » dans le soutien apporté aux jeunes en cette période de crise. « Cela passe par plus d’apprentissage, plus d’offres de stage », a déclaré aux députés la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, mardi 16 mars. Selon nos informations, l’Etat devrait faire passer le nombre d’apprentis dans le secteur public de 8 000 à 14 000, et ce, dès cette année. De même, la fonction publique devrait accueillir 40 000 lycéens et étudiants en stage en 2021, contre moins de 10 000 en rythme annuel jusqu’à présent.

« Mon enjeu », a dit la ministre, c’est d’« avoir une fonction publique exemplaire dans la politique que nous menons pour la jeunesse », laquelle « se sent parfois oubliée ou sacrifiée ». Mais Mme de Montchalin poursuit, ce faisant, un deuxième objectif : attirer les jeunes vers l’administration. Le nombre de candidats aux concours de la fonction publique de l’Etat a chuté de 650 000 en 1997 à 228 000 en 2018. Une crise des vocations qui s’explique par le niveau de salaire mais aussi par une méconnaissance de l’administration.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Etre fonctionnaire, un métier qui n’attire plus la jeunesse

« Nous ne pourrons pas recruter la jeunesse d’aujourd’hui si nous ne lui montrons pas la réalité des métiers », estime la ministre. Les accueillir via des stages et l’apprentissage, a-t-elle précisé, c’est « permettre à des lycéens et des étudiants de s’approprier les valeurs du service public, de susciter des vocations ». Objectif : « créer une nouvelle génération de serviteurs de l’Etat. »

Les stagiaires mieux rémunérés

Ce « coup d’accélérateur » s’accompagnera d’autres nouveautés, selon les informations du Monde. Pour ce qui est de l’apprentissage dans les collectivités locales, le gouvernement a mis en place, à côté du financement traditionnel du Centre national de la fonction publique territoriale, une aide exceptionnelle de 3 000 euros pour chaque contrat signé depuis le 1er juillet 2020. Cet appui devait s’achever le 31 mars. Le gouvernement entend le pérenniser et le compléter. Mais les détails sont encore en discussion. Quoi qu’il en soit, le cabinet de Mme de Montchalin considère que, « compte tenu du succès de l’apprentissage dans le privé, il n’y a pas de raison que le public reste à la traîne ».

Deuxième aspect : les stages. Outre la forte augmentation de l’objectif fixé aux services de l’Etat, l’idée est de mieux les accueillir. La loi impose qu’un stagiaire soit payé à partir du troisième mois. Un plancher est fixé : 3,90 euros de l’heure, soit quelque 600 euros par mois. Mais, selon l’entourage de la ministre, « la plupart des administrations appliquent la loi au minimum ». Dorénavant, tout stagiaire sera payé dès le premier mois. « Les petits boulots, ils n’existent plus », justifie le ministère, ce qui rend la rémunération d’un stage d’autant plus importante.

Il vous reste 24.68% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Les caisses de retraite complémentaire du privé replongent dans le rouge

Le retour à meilleure fortune aura été de courte durée. Sous l’effet de la récession en cours, les caisses de retraite complémentaires du privé Agirc-Arrco ont replongé dans le rouge en 2020, d’après des données quasi définitives rendues publiques mardi 16 mars : le déficit a atteint six milliards d’euros, si on raisonne en termes de « résultat technique », c’est-à-dire en calculant la différence entre les recettes et les charges. La performance s’avère moins mauvaise, si les produits financiers engrangés durant l’année écoulée sont pris en considération : – 4,8 milliards d’euros, ce montant correspondant au « résultat global ». Autant de chiffres synonymes de rechute : en 2019, l’Agirc-Arrco avait mis fin à une décennie d’exercices en déséquilibre avec un « résultat technique » positif de 200 millions – le « résultat global », lui, s’élevant à un milliard.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’Etat refuse de faire crédit à la caisse de retraites complémentaires Agirc-Arrco

La brutale dégradation des comptes en 2020 ne représente nullement une surprise. Au printemps de l’année dernière, des administrateurs du régime, copiloté par le patronat et par les syndicats, s’attendaient même à des pertes encore plus lourdes. La situation s’explique, comme pour d’autres organismes de protection sociale, par une forte diminution des recettes : – 4,7 % l’an passé. De nombreuses entreprises ont pu reporter le paiement de leurs cotisations afin de soulager leur trésorerie. Mais c’est surtout le recours massif au chômage partiel qui a privé l’Agirc-Arrco d’une partie substantielle de ses ressources : l’indemnité perçue par les salariés ayant stoppé leur activité est exempte de contributions pour les caisses de retraite.

Lire aussi Quel est l’impact du chômage partiel sur la retraite ?

Pour colmater le trou, le régime a pioché dans ses abondantes réserves financières, constituées d’obligations et d’actions. Une fois cette opération effectuée, il dispose encore d’un matelas confortable : quelque 61 milliards d’euros, « en valeur de marché » à la fin 2020, ce qui équivaut à neuf mois de pensions versées aux treize millions de retraités relevant du dispositif.

« Un matelas de sécurité »

« Malgré une crise historique, le déficit est maîtrisé », a assuré Didier Weckner, le président (Medef) de l’Agirc-Arrco, lors d’une conférence de presse, mardi. D’après lui, le système, « que les partenaires sociaux ont construit », demeure « solide ».

Les déséquilibres financiers risquent toutefois de perdurer, contraignant l’Agirc-Arrco à puiser à nouveau dans ses réserves. Or, celles-ci doivent représenter au moins six mois de prestations sur un horizon de quinze années, conformément à une règle arrêtée par le patronat et par les syndicats. Ce « ratio de sécurité » pourrait être atteint en 2026, obligeant les gestionnaires du système à prendre des mesures pour stopper le dépérissement du « magot ».

Il vous reste 29.35% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Covid-19 : les sept (r)évolutions déclenchées par l’urgence économique

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’exprime lors d’une conférence de presse à l’issue d’un Conseil européen extraordinaire de quatre jours, à Bruxelles, le 21 juillet 2020.

Jamais, depuis la seconde guerre mondiale, nos pays n’avaient essuyé un choc conjoncturel d’une telle violence. Un an après le premier confinement (qui s’est étiré du 17 mars au 11 mai 2020) et l’instauration des restrictions sanitaires, lesquelles se sont traduites par un effondrement de l’activité au printemps 2020, l’économie est toujours en convalescence. « C’est la première crise née non des dysfonctionnements de l’économie ou de la finance, mais de la volonté de sauver des vies », souligne François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, dans son livre paru le 17 février (Retrouver confiance en l’économie, éd. Odile Jacob).

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Comment la pandémie de Covid-19 va durablement peser sur l’économie

Pour faire face, la France et ses voisins européens ont dépensé comme jamais auparavant, en vue de soutenir les ménages et les entreprises, faisant temporairement fi des règles budgétaires. Surtout : la pandémie de Covid-19, dont l’issue est encore incertaine, a agi comme un révélateur. Elle a marqué le grand retour de l’Etat. En outre, elle a fait prendre conscience aux Européens de leur trop grande dépendance à l’égard des chaînes de production chinoises, et de la nécessité d’être plus solidaires afin de bâtir une croissance plus verte, limitant le creusement des inégalités. Retour sur ces bouleversements qui, depuis douze mois, transforment nos économies.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Chômage partiel, confinement, inégalités… les maux de la crise en dix mots
  • Des mesures d’urgence rapides et massives

En même temps que l’annonce du « grand confinement », en mars 2020, le gouvernement français a, comme ses homologues européens, mis en place un arsenal de mesures d’urgence destinées à aider les entreprises à surmonter le choc et à éviter une explosion du chômage. Elles ont reposé sur plusieurs leviers, tels que la prise en charge des salaires par le truchement du dispositif d’activité partielle, le report des échéances sociales et fiscales et le fonds de solidarité pour les indépendants. Au 3 mars 2021, celui-ci avait distribué plus de 17 milliards d’euros à près de 2 millions d’entreprises.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Les dispositifs d’aide aux entreprises ont bénéficié en majorité aux plus petites d’entre elles

A ce fonds sont venus s’ajouter les prêts garantis par l’Etat (PGE), qui ont permis aux entreprises de maintenir leur trésorerie à flot, alors que leur chiffre d’affaires était sensiblement rogné, voire nul. Plus de 650 000 d’entre elles, dont des TPE et PME pour les trois quarts, ont obtenu un PGE pour plus de 132 milliards d’euros au total. Des initiatives plus ciblées ou ponctuelles ont également été mises en œuvre, comme des « chèques » pour favoriser la transformation numérique des entreprises ou des commerces fermés.

Il vous reste 76.61% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Rencontres RH : la crise due au Covid-19 aura-t-elle été source d’innovations ?

« Contraintes d’adapter les organisations d’abord brutalement, en mars 2020, puis fréquemment au fil de l’évolution de l’épidémie, les entreprises sont entrées dans la première phase de l’économie de l’innovation, en inventant au fil de l’eau les réponses aux problèmes posés par les contraintes sanitaires. »

Crises et innovations font toujours bon ménage. Quelles innovations cette année de pandémie aura-t-elle produites dans les entreprises ? Une quinzaine de responsables des ressources humaines se sont réunis, jeudi 11 mars, pour en débattre dans le cadre des Rencontres RH, le rendez-vous mensuel de l’actualité du management organisé par Le Monde en partenariat avec LinkedIn et Manpower.

Contraintes d’adapter les organisations d’abord brutalement, en mars 2020, puis fréquemment au fil de l’évolution de l’épidémie, les entreprises sont entrées dans la première phase de l’économie de l’innovation, en inventant au fil de l’eau les réponses aux problèmes posés par les contraintes sanitaires. Les DRH ont, in fine, redécouvert l’importance du collectif, de l’équité et du salariat.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le Covid-19, un accélérateur d’innovations

« Il a fallu réinventer le collectif de travail. Trouver la bonne dose de distanciel et de présentiel, trouver le bon moment de faire revenir les salariés sur site. Cette crise nous a rappelé que l’entreprise est un collectif humain », résume Frédérique Durand, la DRH de l’Imprimerie nationale. « On a fait des investissements sur les lieux de travail qu’on aurait jamais faits sans la crise pour créer plus de lieux de rencontres », ajoute Juliette Couaillier, directrice management des talents d’Havas Village.

Pour cadrer le débat, l’économiste Jean-Marc Daniel a rappelé le concept d’innovation tel qu’abordé par l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) : « L’innovation passe d’abord par l’innovateur, puis par l’imitateur, qui joue le rôle trouble et essentiel de celui qui dit il a raison, et enfin par le cost-killer qui réduit la masse salariale pour arriver à un même niveau de production. Il y a des innovations de produits, des innovations de consommation un même produit, mais plus cher , et enfin l’innovation d’organisation. »

Sens au travail et équité

C’est cette dernière acception qui a tiré profit du Covid. La pandémie a accéléré la réflexion. Sur le réseau social LinkedIn, « les entreprises confirment que la nécessité de travailler à distance a généré de nouvelles organisations. Elles notent que la crise a révélé des talents en donnant à certains l’occasion d’exprimer des propositions disruptives, et en tant que facteur de risques a fait émerger le besoin de plus de diversité dans les profils », constate Fabienne Arata, la directrice générale de LinkedIn France.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Covid-19 : transformer son entreprise, parfois radicalement, pour surmonter la crise

Les salariés, de leur côté, se sont questionnés sur l’utilité de leur travail. « Seuls, isolés, ils perdaient complètement le sens de ce qu’ils faisaient. Ils ont eux-mêmes identifié les bullshit jobs [métiers à la con]. Ça a été le cas de quatre personnes chez nous. Je n’ai jamais eu autant de démissions depuis un an. On a adapté le travail à l’homme plutôt que l’inverse. Le management de proximité était totalement disproportionné », note Alexis Berthel, DRH de l’entreprise de sécurité Panthera.

La question du sens au travail et celle de l’équité face aux réorganisations sont récurrentes depuis le début de la crise sanitaire. La Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), depuis plusieurs mois déjà, travaillait à résoudre les problèmes d’équité face à la généralisation du télétravail.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Ces entreprises qui recrutent en temps de crise

Tous les métiers ne sont pas éligibles au télétravail. « On a accordé un jour de télétravail à tous les non-télétravailleurs, qu’on a affecté à des missions administratives, et dans un second temps pour ceux qu’on ne pouvait pas mobiliser sur site, on a créé une nouvelle mission en coopération avec d’autres services publics. Pour tous, c’était important de se sentir utiles pendant le Covid. On a coordonné les compétences comportementales des chauffeurs, des électriciens de la CNAV, au côté d’autres personnels de la protection judiciaire et du ministère de l’intérieur réunis sur une plate-forme téléphonique pour prendre contact avec les personnes âgées », raconte Jérôme Friteau, le DRH de la CNAV.

Paradoxe

Pour Ipsen, si le Covid a permis d’innover, c’est en faisant « tomber les barrières réglementaires, physiques et psychologiques. Par exemple, on avait la solution pour contacter les patients et leur donner accès aux médicaments sans passer par l’hôpital, mais jusqu’alors c’était obligatoire. Avec le Covid on a vu les barrières tomber », explique Régis Mulot, le DRH du groupe pharmaceutique.

« Il y a eu un violent choc extérieur. L’Etat est intervenu dans les entreprises pour les empêcher de fonctionner. Or c’est sur le terrain que se prennent les décisions. Il y a une revendication de l’entreprise à être un lieu collectif qui doit être autonome pour se gérer », observe Jean-Marc Daniel.

Amazon a misé « sur l’énergie des petits groupes en mettant en commun sur la base du volontariat des groupes de six à huit personnes pour créer des solutions de développement », indique la DRH France Anne-Marie Husser.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le travail chamboulé par le Covid-19

Enfin, aussi paradoxal que ça puisse paraître, cette année de Covid a redoré le blason du salariat. « Le recours au free-lance était une réponse à une rigidité de l’organisation. A l’avenir, on misera davantage sur les salariés », affirme M. Mulot. De son côté, Dominique Brard, la directrice générale Talent Solutions de ManpowerGroup, renchérit : « En 2019, dans les plans de départs volontaires et les ruptures conventionnelles collectives, près de 30 % de salariés créaient leur entreprise. Aujourd’hui c’est beaucoup moins, près de 10 %. On va revenir au salariat. »

Pour Jean-Marc Daniel, « on est dans une phase où les gens ne veulent ni de la léthargie de l’ennui, ni des convulsions de l’inquiétude, selon l’expression de Voltaire. Dans les entreprises, 2020 a été l’année de l’adaptation subie et de l’innovation voulue », a conclu l’économiste.

Les invités du 11 mars

Ont participé aux Rencontres RH du 11 mars : Fabienne Arata, directrice générale de LinkedIn France ; Marion Azuelos, DRH monde de BNP Paribas Asset Management ; Alexis Berthel, DRH de Panthera ; Laurent Blanchard, directeur général PageGroup ; Dominique Brard, directrice générale Talent Solutions de ManpowerGroup ; Juliette Couaillier, directrice management des talents Havas Village ; Jean-Marc Daniel, économiste et professeur émérite ESCP-Europe ; Frédérique Durand, DRH Imprimerie nationale ; Jérôme Fabre, DRH Big Fernand ; Jérôme Friteau, DRH de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse ; Caroline Grangeon, DRH Tandem Consulting ; Anne-Marie Husser, DRH France Amazon ; Noëlle de La Loge, DRH RMN ; Régis Mulot, DRH Ipsen ; Albane Pietro, directrice du recrutement Robert Half ; Matthieu Rivière, DRH Devoteam ; Benoît Robin, directeur du développement Artefact ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Gilles van Kote, directeur délégué, Le Monde.

Mieux encadrer dans l’entreprise les salariés « rescapés » d’un plan social

«  Conséquence de ce sentiment de fournir un travail « ni fait ni à faire » tout en se donnant à fond : une baisse de l’estime professionnelle. »

« Pourquoi pas moi ? » : l’interrogation lancinante tourne en boucle dans la tête de salariés qui ont échappé à un plan de licenciement. Un sentiment de culpabilité peut gagner ces rescapés et se traduire par de la tristesse, de l’anxiété, de l’hypervigilance et, au final, une perte de l’estime de soi. De plus, ces « survivants » se sentent souvent en sursis : « J’ai sauvé ma peau, mais qu’en sera-t-il la prochaine fois ? »

Et ce mal-être est amplifié par le regard des autres. « Il peut y avoir des soupçons de compromission ainsi qu’un conflit de loyautés entre ses anciens collègues et l’organisation », explique Marc-Eric Bobillier Chaumon, professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). La charge mentale – ceux qui restent estiment devoir exceller dans leur travail – est très forte.

Or, malgré tous leurs efforts, le travail ne peut pas être fait comme avant dans une entreprise qui fonctionne en mode dégradé. Conséquence de ce sentiment de fournir un travail « ni fait ni à faire » tout en se donnant à fond : une baisse de l’estime professionnelle. Ajoutez à cela la méfiance envers les collègues, vus comme de potentiels concurrents, l’isolement qui en découle et « on assiste alors à l’effritement des piliers de l’identité professionnelle », explique Marc-Eric Bobillier Chaumon. Les salariés qui se sont construits uniquement sur cette identité et qui sont les plus engagés dans leur travail font partie des plus fragilisés.

Valérie (le prénom a été changé) est directrice marketing dans le secteur des médias. Dans le cadre du dernier plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) de son entreprise, un quart des salariés de son équipe ont été remerciés. Elle estime être aujourd’hui « à la limite de la dépression ». En cause : la rupture du lien social et la perte de repères : « Je suis triste de voir des proches partir. Que ce soit mon boss ou des membres de mon équipe, je perds des personnes très importantes pour mon équilibre tant professionnel que personnel. » De plus, la quadragénaire ne se sent pas à l’abri d’une prochaine coupe claire dans les effectifs.

« Contents et coupables »

Médecin du travail depuis trente-cinq ans et autrice du livre Le monde du travail est devenu fou ! (Cherche Midi, 2020), Marielle Dumortier connaît bien le phénomène. « Ces salariés nagent dans l’ambiguïté. Ils sont à la fois contents et coupables de rester. Parfois, ils peuvent développer de l’agressivité et de la colère. Des désordres physiques, tels que l’hypertension, peuvent apparaître plusieurs mois après le plan de licenciement et parfois devenir des pathologies chroniques. »

Il vous reste 54.85% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

« Dark store » : plongée dans un supermarché de l’ombre

A l’intérieur du « dark store » de Monoprix, situé dans le 13ème arrondissement de Paris, le 12 mars.

Des pommes rutilantes viennent d’être soigneusement rangées sur leur gondole au milieu des fruits et légumes, face à l’armoire réfrigérée dédiée aux surgelés, et à quelques mètres du rayon des yaourts. Dans les allées de ce supermarché Monoprix, les chariots de courses se croisent et se remplissent sous le halo industriel d’une dizaine de néons : les produits frais dans des cabas isothermes bleus, le reste dans d’épais sacs en papier kraft. Le bruit de leurs roulettes résonne, amplifié par la hauteur sous plafond et les murs en parpaings.

Mais dans ce magasin, il n’y a aucun client… Ou plutôt si, un seul : le géant américain Amazon. Qui vient satisfaire ici les besoins de courses alimentaires de ses internautes voulant être livrés au maximum dans les deux heures qui suivent leur achat.

Lire aussi Distribution : Monoprix s’allie avec Amazon

Ce Monoprix a ouvert en mars 2019 dans le 13e arrondissement de Paris. Comme lui, ses voisins – un libraire, une épicerie orientale, un caviste italien – reçoivent régulièrement la visite de camions et de camionnettes qui effectuent les livraisons.

Mais il n’a ni façade ni vitrine, et on y accède par un long et étroit escalier en ciment. Et pour cause. Il se situe à quelques dizaines de mètres sous terre, sous la dalle Olympiades, théâtre de nombreux trafics nocturnes. Une ville sous la ville, installée dans l’ancienne gare des Gobelins. Y cohabitent, à l’abri des regards, une trentaine d’entreprises, dont ce magasin ultrasecret, où même les photos sont interdites.

« Marque de confiance »

Ce supermarché du groupe Casino fait partie de ce que les professionnels appellent les « dark stores ». Il a la fonctionnalité d’un entrepôt mais l’organisation d’un véritable magasin, fermé au public. En face d’un rayon, impossible de faire la différence. Une organisation qui n’a rien à voir celle d’un drive – un autre modèle d’entrepôt dédié aux commandes alimentaires à distance, où les produits restent dans leurs cartons et les palettes sur plusieurs étages.

Aux Etats-Unis, il y a un an, en plein pic épidémique, Amazon avait temporairement reconverti plusieurs supermarchés de l’enseigne Whole Foods en centre logistique, dont un à New York, avant d’ouvrir, en septembre 2020, son premier dark store Whole Foods, à Brooklyn. En France, pendant le premier confinement, Franprix, aussi, avait fermé cinq de ses magasins, situés dans des quartiers de bureaux vidés de leurs occupants, pour les dédier à l’e-commerce, avant de les rouvrir au public.

Il vous reste 75.74% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.