Archive dans 2020

« J’ai l’impression qu’on ne me laisse jamais ma chance » : en temps de crise, les difficultés accrues des jeunes diplômés issus de l’immigration

Anissa, 22 ans, diplômée de l’ISCPA, une école privée spécialisée dans les métiers de la communication, est dépitée. Sa recherche d’emploi, elle la décrit en un mot : « catastrophique ». « J’envoie cinq à six candidatures par jour depuis presque un an. Quand on me répond, c’est un mail standard pour me dire que je ne suis pas retenue. » Et le contexte actuel risque de ne pas arranger les choses.

Anissa est française, porte un nom maghrébin, vit en Seine-Saint-Denis. Après un bac littéraire, elle s’est lancée dans des études de communication. « Ma formation est peut-être trop généraliste, je ne sais pas… Personne ne me dit jamais ce qui ne va pas. » Volontaire et motivée, la jeune femme aimerait comprendre pourquoi son CV « n’accroche pas », alors même qu’elle assurait des missions en free-lance pendant ses études. « C’est très frustrant. J’ai l’impression qu’on ne me laisse jamais ma chance. »

Elle s’est tournée vers NQT, une association qui accompagne des jeunes diplômés (bac + 3 et plus) des quartiers sensibles ou de milieu modeste dans leur recherche d’emploi. Un système de parrainage par un cadre en poste permet aux jeunes de mieux comprendre les codes du monde du travail. Avec sa marraine, Anissa a profité du confinement pour refaire son CV, travailler ses lettres de motivation et simuler de futurs entretiens. Mais elle n’a toujours pas d’emploi.

« Moins de propositions de postes »

En temps normal, l’accès à un premier travail est déjà semé d’embûches pour les jeunes diplômés issus de l’immigration ou des territoires d’outre-mer, dans un contexte de concurrence accrue – ces vingt dernières années, le nombre de diplômés bac + 5 a augmenté plus vite que celui des emplois qualifiés, selon le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq).

Pour ces jeunes, le plus difficile, bien souvent, est d’accéder à un entretien d’embauche. En 2016, une vaste étude du ministère du travail a montré que, pour un même CV, les entreprises donnaient plus de réponses positives à des candidats aux noms « hexagonaux » qu’à ceux qui portaient un nom maghrébin. En moyenne, l’écart entre les deux types de candidats était de 11 points.

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Alors que, dans un contexte de crise entre janvier et avril 2020, le volume d’offres d’emploi destinées aux jeunes diplômés a baissé de 65 % selon l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), les difficultés risquent de se renforcer. « Ce sont les jeunes racisés, ceux qui ont déjà habituellement le plus de mal à trouver un emploi, qui seront les premiers touchés par le chômage », estime Mélanie Luce, présidente du syndicat étudiant UNEF, qui vient de sortir une enquête sur les discriminations dans l’enseignement supérieur.

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Nokia France veut supprimer 1 233 postes, soit un tiers des effectifs d’Alcatel-Lucent

Nokia France emploie 5 138 personnes, dont 3 640 dans sa filiale Alcatel-Lucent International.

Nokia prévoit de supprimer 1 233 postes au sein de sa filiale Alcatel-Lucent International en France, soit environ un tiers des effectifs de cette entité, a annoncé le groupe lundi 22 juin, confirmant des informations de Reuters.

L’équipementier télécoms finlandais, qui a pour concurrents Ericsson et Huawei, affirme être désormais totalement libéré des engagements pris, notamment en termes d’emplois, lors du rachat d’Alcatel-Lucent.

Ces suppressions de postes concernent la recherche et développement (R&D) et les fonctions centrales sur les sites de Paris-Saclay et de Lannion (Côtes d’Armor), mais pas les trois filiales françaises Radio Frequency Systems (RFS), Nokia Bell Labs France (NBLF) et Alcatel Submarine Networks (ASN), a précisé le groupe dans un communiqué.

Nokia souligne que ces réductions d’effectifs s’inscrivent dans le cadre d’un programme mondial d’économies lancé en octobre 2018 et déjà mis en oeuvre dans plusieurs pays, destiné à « atteindre un niveau de rentabilité durable et améliorer la productivité sur un marché de plus en plus compétitif, avec une très forte pression sur les coûts ».

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Fin de l’engagement de préservation des emplois

Nokia France emploie 5 138 personnes, dont 3 640 dans sa filiale Alcatel-Lucent International. Cette entité faisait partie d’Alcatel-Lucent, que Nokia a racheté en 2015 dans le cadre d’une opération intégralement en actions valorisant le groupe français 15,6 milliards d’euros. Ce rachat a été scruté de près par le gouvernement de l’époque et notamment son ministre de l’économie, le futur président Emmanuel Macron.

Nokia s’était alors notamment engagé à préserver les emplois en France pendant deux ans et à y développer les équipes de recherche et développement afin de faire du pays une référence au sein du groupe pour la nouvelle génération de télécommunication mobile, la 5G. Le groupe est depuis ce mois-ci totalement libéré de ces engagements, a fait savoir une porte-parole.

Le président de Nokia en France, Thierry Boisnon, cité dans le communiqué, explique :

« La France restera un pôle de R&D déterminant au sein de Nokia, principalement autour du développement des technologies 5G et de la transmission par faisceaux hertziens, ainsi que dans la recherche avancée avec Bell Labs, dont l’Internet des Objets et la nouvelle génération de solutions de transport. […] Nous comptons également continuer à jouer un rôle actif dans l’écosystème numérique français. »

Le Monde avec Reuters

Celio demande à être placé sous procédure de sauvegarde

Fondée en 1978, l’enseigne Celio se présente comme leader de son secteur depuis trente ans, avec environ 6 % de parts de marché en France.

La liste des enseignes de mode fragilisées par la crise liée au coronavirus s’allonge. Lundi 22 juin, Celio, leader du marché masculin en France, a demandé au tribunal de commerce de Bobigny à être placé sous procédure de sauvegarde. La chaîne, qui emploie plus de 4 000 personnes dans le monde, explique que « la fermeture brutale pendant deux mois de ses 1 585 magasins (…) a entraîné une perte de chiffre d’affaires pour le groupe de près de 100 millions d’euros entre mars et mai 2020 ».

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Comme d’autres de ses concurrents, Celio est confronté à une sévère crise de trésorerie. Et manifestement il n’a pas pu accéder au crédit. « N’ayant pu trouver un accord avec ses partenaires bancaires, Celio a décidé de placer la société Celio France ainsi que sa maison mère Celio International sous la protection du tribunal de commerce avec l’ouverture de procédures de sauvegarde », souligne l’enseigne détenue par ses fondateurs, les frères Laurent et Marc Grosman, depuis sa création en 1978.

« Se donner du temps »

Grâce à cette procédure qui suspend le paiement de ses dettes et maintient les emplois, l’entreprise dit espérer « préserver sa trésorerie pendant les prochains mois afin de se donner du temps dans la reprise de l’activité commerciale et d’adapter la transformation déjà engagée » en 2019.

Les difficultés du groupe en France ne sont pas nouvelles. Sous la houlette d’une nouvelle présidente, Gaëlle de la Fosse, nommée en février 2019, l’enseigne avait entrepris de se réformer pour mieux séduire ceux qui préfèrent désormais s’habiller chez Zara, Monoprix ou en ligne chez Asos. Grâce à une nouvelle image publicitaire et des collections revues, elle espérait enrayer son déclin. L’enseigne a essuyé une chute de ses ventes de l’ordre de 8 % l’an dernier, avec un chiffre d’affaires annuel (exercice clos à fin janvier 2020) de 560 millions d’euros.

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La France, où elle exploite 488 magasins, dont 345 succursales, représente plus de 80 % de son activité. Malgré le toilettage de son réseau, avec la fermeture d’une vingtaine de points de vente en 2018 et en 2019 et un plan social en 2015, portant sur quinze postes au sein de son siège situé à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), l’entreprise est déficitaire, selon une porte-parole.

Les temps sont durs pour toutes les enseignes d’habillement déjà laminées par la baisse de la consommation constatée depuis une douzaine d’années. La pandémie de Covid-19 a accéléré la chute de plusieurs grands noms de la mode d’entrée de gamme, comme Naf Naf, La Halle ou Camaïeu. L’emploi dans le secteur s’apprête à payer un lourd tribut. Placé en redressement judiciaire, Naf Naf vient d’être repris par son fournisseur, Sy, vendredi 19 juin, qui garde 75 % des salariés.

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Près de 300 magasins toujours fermés

Camaïeu a été placé en redressement judiciaire le 26 mai et ses 3 900 employés seront fixés sur leur sort début juillet. Vivarte a requis le placement de son enseigne La Halle en procédure de sauvegarde, mi-avril, avant de demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. Ces deux dossiers sont désormais aux mains de la justice.

Les potentiels repreneurs de Camaïeu doivent se faire connaître d’ici au 29 juin. Et, après un premier round bouclé sur 25 offres de reprise des magasins La Halle, fin mai, le tribunal de commerce de Paris se réunit en audience le 29 juin pour étudier ces propositions. Les 5 809 salariés de l’entreprise attendent avec fébrilité la décision du tribunal de commerce de Paris prévue pour la première semaine de juillet.

Celio échappera-t-il à la cessation de paiement et à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ? Près de 300 de ses magasins sont toujours fermés dans les pays où des mesures de confinement demeurent et l’enseigne n’a pas obtenu de prêt garanti par l’Etat pour combler le manque à gagner. « Les négociations sont toujours en cours », affirme une porte-parole. Par communiqué, Mme de la Fosse assure que l’entreprise présente dans 46 pays est en capacité de « surmonter cette crise ».

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Un repreneur surprise pour André

François Feijoo, ancien patron d’André, a émis une offre de reprise de l’enseigne placée en redressement judiciaire à la demande de sa maison mère, Spartoo, mi-mars. Au dernier jour du dépôt des propositions de rachat de la chaîne de chaussures, lundi 22 juin, alors que Spartoo a renoncé à présenter un plan et qu’aucun autre candidat n’a émergé, M. Feijoo s’est déclaré prêt à relancer l’enseigne fondée en 1896, en reprenant 50 de ses 106 succursales. M. Feijoo a dirigé André entre 2005 et 2013, avant de prendre la présidence d’Eram, qu’il a quitté fin 2019.  « Je ne pouvais pas ne pas reprendre cette marque mythique », explique-t-il au Monde, alors que son tour de table n’est pas encore bouclé. Chez André, il a laissé « un très bon souvenir », rappelle Eric Martinez, élu syndical en évoquant la façon dont ce spécialiste de la distribution « avait redressé l’entreprise ». L’enseigne compte 412 salariés. Le nombre d’employés repris au siège et en magasins par M. Feijoo n’a pas été précisé. Le tribunal doit se prononcer le 1er juillet.

Automobile : menace sur le site de Getrag Ford

L’usine Ford Aquitaine Industries (FAI), à Blanquefort, a fermé le 30 septembre 2019, mettant en difficulté le sous-traitant et voisin Getrag Ford Transmissions.

Après la fermeture définitive de l’usine Ford Aquitaine Industries (FAI), à Blanquefort, dans la métropole bordelaise, le 30 septembre dernier, les élus CGT du site voisin Getrag Ford Transmissions (GFT) tirent la sonnette d’alarme. Un comité social et économique (CSE) extraordinaire a voté, le 19 juin, la phase 1 du droit d’alerte, signé par l’ensemble des organisations syndicales CFTC, FO, CFDT, CFE-CGC et CGT.

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« On a rédigé quarante-neuf questions, qu’on a déposées au DRH ce vendredi pour avoir des réponses. Il y aura un CSE extraordinaire la semaine prochaine pour lire le texte et les questions, et l’on devrait avoir les réponses normalement avant les vacances d’été. Si elles nous conviennent après étude par nos organisations syndicales, ça s’arrête là. Sinon on mettra à l’ordre du jour d’une prochaine réunion le vote de la phase 2 du droit d’alerte », explique Vincent Teyssonneau, élu CGT au CSE de Getrag Ford Transmissions.

Etroite collaboration

Celle-ci signifie de mandater un expert qui analysera la situation financière de l’entreprise, et l’obligation pour la direction de fournir chiffres et documents. « S’ils veulent fermer, ça ne les en empêchera pas, mais ça permet de sensibiliser, d’alerter et de montrer qu’il y a un vrai danger », développe Philippe Poutou, ancien ouvrier de FAI, et candidat à la mairie de Bordeaux, liste Bordeaux en luttes.

Car les deux usines, installées sur le même site, travaillaient en étroite collaboration. FAI construisait des boîtes automatiques pour le marché américain et australien, pendant que GFT réalise encore des boîtes de vitesses manuelles MX65, à destination du marché européen, où elles équipent les Ford Fiesta. En 2001, un joint-venture est créé entre l’allemand Getrag et Ford, puis, en 2008, l’équipementier automobile canadien Magna International rachète Getrag. Ford possède désormais 50 % de GFT, tandis que Magna possède les 50 % restants.

« C’est Ford notre seul client, actionnaire à 50 %, donc c’est Ford qui commande » Vincent Teyssonneau, élu CGT

Mais la situation économique difficile de l’usine s’est accentuée avec la crise sanitaire. « On chute en production, le Covid a accéléré les choses, car on savait, depuis 2018, que, s’il n’y avait pas de repreneur, de nouveaux clients et de nouveaux produits, on fermerait fin 2024. Aujourd’hui, ça s’accélère pour fin 2023 », ajoute M. Teyssonneau.

« Il n’y a pas si longtemps, on était 1 000 salariés, là on est 800 en CDI. Les volumes sont en chute ; habituellement, avant le confinement, on avait peut-être 2 000 à 3 000 transmissions d’avance pour nos usines clients ; aujourd’hui, on en a 30 000, donc on sait que ça va mal », déplore le représentant CGT.

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Pire, depuis 2017, l’usine bordelaise aurait perdu près de 100 millions d’euros. De surcroît, le joint-venture qui lie Magna à Ford prend fin en avril 2021, ce qui achèvera d’accélérer cette fermeture tant redoutée par les ouvriers. Aujourd’hui, les syndicats, qui alertent depuis décembre 2008 sur ce risque, demandent des réponses qui, pour l’heure, restent sans réponse.

« Il n’y a plus aucune communication avec la direction. Ça va finir comme Ford Aquitaine Industries, on le sait très bien. C’est Ford notre seul client, actionnaire à 50 %, donc c’est Ford qui commande », se désole M. Teyssonneau, qui est entré chez FAI en 1999, puis, en 2006, chez GFT. Contactée, la direction de l’usine Getrag Ford Transmissions n’a pas souhaité donner suite à nos sollicitations.

La Défense profite du déconfinement pour repenser la présence de ses salariés

Esplanade de La Défense le 11 mai, premier jour du déconfinement. Depuis, le retour des salariés dans les tours est très progressif.

La Défense, lundi 15 juin 2020, fin de journée. En ce début de sixième semaine de déconfinement, le plus grand quartier d’affaires d’Europe se réanime. Doucement. En temps normal, 180 000 salariés se rendent quotidiennement dans les différentes tours. La fréquentation actuelle ne dépasse pas 20 à 25 % de ce volume, selon une estimation de Paris La Défense, l’établissement en charge de l’aménagement et de la gestion du quartier.

En effet, nombreuses sont les entreprises à avoir décidé de poursuivre massivement le recours au télétravail. Déjà pour une question d’ordre physique. A raison de quatre ou six personnes par ascenseur, il faudrait une demi-journée aux salariés d’une tour comme celle d’Enedis pour accéder à leur bureau.

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Chez Total, un parcours balisé depuis l’extérieur de la tour par des marquages au sol conduit aux ascenseurs qui ont été limités à quatre personnes au lieu de seize habituellement. A l’intérieur des cabines, la position des usagers est signalée par des ronds et des pieds au sol. Et des procédures strictes ont été mises en place dès l’entrée du gratte-ciel : distributeur de gel, masque et prise de température par caméra thermique.

Rotation de la présence au bureau

« Pour réguler la présence dans les locaux et éviter les files d’attente à l’entrée et devant les ascenseurs, nous avons organisé l’arrivée des collaborateurs par créneaux horaires d’une demi-heure, de 8 heures à 10 heures. Et nous demandons aux manageurs d’organiser la venue de leurs collaborateurs par rotation », explique Laurent Tricot, directeur des services et des moyens généraux. Malgré tout, la moitié des 3 700 collaborateurs de la tour Coupole du géant de l’énergie ont pu revenir au bureau.

Au sein de la tour CB21 de Suez, un dispositif similaire a été instauré. Avec même une hôtesse au pied de chaque ascenseur pour appuyer sur les boutons et un guide, disponible depuis son smartphone via un code QR qui explique les mesures applicables dans chaque lieu de la tour. Mais le numéro deux mondial du traitement des eaux et déchets a opté pour une reprise beaucoup plus progressive. « On s’est fixé une limite de 20 % de l’effectif pendant le premier mois de déconfinement, puis de 30 % jusqu’à fin août », précise Laure Girodet, directrice santé et sécurité du groupe, qui compte en son siège de La Défense 2 300 collaborateurs.

Pour éviter que tout le monde vienne en même temps, l’entreprise a institué des horaires beaucoup plus flexibles, avec une arrivée au choix entre 7 et 11 heures, ainsi que la possibilité de ne pas rester toute la journée. « L’idée, souligne Laure Girodet, est de permettre de se reconnecter à la vie de bureau, et aux manageurs de revoir chacun de ses collaborateurs en tête à tête et même d’organiser quelques réunions collectives. »

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Les « slasheurs », par défaut ou par choix, cherchent leur voie dans un contexte de crise

Slasheur.se : personne qui cumule plusieurs emplois en même temps, par choix ou par obligation. L’anglicisme, qui vient de la barre oblique de ponctuation « /», a fait son entrée dans l’édition 2020 du petit Larousse illustré. Certains lui préfèrent les termes de « pluriactifs » ou « multipotentiels ». Quoi qu’il en soit, le mot dénote d’un nouveau rapport au travail, qui s’est fortement développé au cours des dernières années, sur fond de quête de sens et d’aspiration à une forme d’autonomie.

Mais ces « pluriactifs » ne se retrouvent-ils pas particulièrement vulnérables en cette période de récession, où ils peuvent facilement jouer le rôle de variable d’ajustement pour leurs différents employeurs ? « La crise va toucher tous les types d’emplois. De plus, beaucoup de ces pluriactifs travaillent dans des domaines particulièrement touchés par la baisse d’activité, comme la culture ou le tourisme », estime Christine Fournier, chargée d’études au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq). Mais avoir plusieurs activités dans différents secteurs peut aussi « permettre de davantage rebondir », estime Marielle Barbe, autrice de « Profession Slasheurs » (Marabout, 2017).

L’art de cumuler aussi les statuts

Le salon SME, dédié aux microentrepreneurs, évaluait à 4 millions le nombre de pluriactifs en France, selon un sondage de 2016. D’après cette enquête, 77 % des personnes interrogées exercent un second métier dans un secteur différent de leur activité principale. Cumuler les activités est un choix pour plus des deux tiers d’entre eux. Les motivations sont variées : 73 % « cumulent » pour augmenter leurs revenus, et 27 % pour alimenter leur passion. Si certains sont microentrepreneurs (l’autoentrepreneuriat, créé en 2009, a favorisé l’émergence des « slasheurs »), d’autres sont passés maîtres dans l’art de cumuler aussi les statuts (salarié, auteur, entrepreneur, intermittent…)

Situation subie ou choisie, parfois un peu des deux, ces diplômés pluriactifs tentent de trouver leur voie dans cette période mouvementée. « Les slasheurs qui vivent bien leur situation sont la partie émergée de l’iceberg des pluriactifs, note Christine Fournier, qui est en train de réaliser une étude sur « l’emploi éclaté ». La plupart accusent le coup, d’autant plus qu’ils disposent souvent d’une faible protection sociale.

« Mes différents emplois sont comme un jeu de cartes. Je peux les jouer différemment selon les contextes », explique Stéphanie Schoene, tatoueuse, graphiste, consultante…

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Déconfinement : « Au secours, mes salariés ne veulent pas revenir ! »

Tribune. Et s’ils ne revenaient pas ? C’est la question qui inquiète ou qui fâche, selon les cas, et se transforme peu à peu en prise de conscience de dirigeants d’entreprise de toutes tailles : « Au secours ! Ils ne veulent pas revenir… » Leurs salariés évoquent leur état de santé, leur situation familiale, notamment la garde d’enfants toujours non scolarisés, l’efficacité du télétravail, leur nouvelle qualité de vie, la complexité des obligations sanitaires d’un retour sur site…

Chacune de ces raisons semble légitime, et toutes conduisent avec un bon sens apparent à préconiser d’attendre la rentrée de septembre. D’autant qu’après des débuts parfois chaotiques, les activités tertiaires ont trouvé leur rythme et une certaine performance à distance. Gardons-nous cependant de ces énoncés de surface.

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En profondeur, de nombreux Cabrel écoutent une petite voix intérieure leur murmurer : « Moi, j’attends que le monde soit meilleur / Là, dans la cabane du pêcheur. » Semblables au gardien de phare ou au chercheur d’or d’antan, ils souffrent du « syndrome de la cabane » décrit dès le déconfinement espagnol fin avril : la peur, après des mois de solitude, de se confronter au monde extérieur, symbole de tous les dangers.

Une forme d’emprisonnement inhumain

Par le nombre de personnes côtoyées, par le temps de transport collectif, par la pression qu’il exerce, le monde du travail représente le paroxysme de cette « vie de dingue » d’avant qui effraie maintenant un grand nombre de salariés. Plus ou moins proches de l’épicentre du séisme, tous les salariés ont subi la violence du traumatisme. Si certains ont pu se confiner au vert, d’autres sont restés à l’étroit ; les uns ont sombré brutalement dans l’inactivité, les autres dans une trépidante gestion de crise et une surcharge de télétravail.

Réduisant brutalement l’espace vital, même doré, bouleversant les repères temporels et professionnels, le confinement a constitué une forme d’emprisonnement inhumain. Pire que la prison symbolique, le cachot ! Par son isolement, il a privé chacun de l’enrichissement d’autrui et du nécessaire sentiment d’utilité sociale. Même si les outils numériques ont permis de garder le contact, le volume de ceux-ci s’est cantonné aux premiers cercles.

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Le paradoxe de sa vocation humanitaire – sauver des vies humaines, notamment les plus âgées, les plus faibles de nos sociétés – n’a pas atténué la violence du stress supporté par chacun. Quand bien même les signaux positifs d’une fin de pandémie se confirmeraient cet été, le monde de septembre ne sera pas forcément « meilleur » et vivra encore longtemps dans la peur d’un virus circulant et d’une deuxième vague hivernale.

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Salarié sur canapé ou le travailleur horizontal

Un enseignant-chercheur travaille sur ordinateur ses projets de recherches en cours, le 18 avril.

Avec le confinement et son télétravail corollaire s’est développée une horizontalisation massive des pratiques professionnelles. Par « horizontal », il ne faut pas entendre ici une fin soudaine de toute verticalité dans les processus de décision, mais une tendance épidémique à travailler en position couchée, sur son lit ou son canapé.

« Durant la quarantaine, j’ai eu de la fièvre et, jusqu’au résultat du test Covid-19, je me suis isolée dans ma chambre pour ne pas exposer ma famille, confie Meg, juriste. Comme je me sentais mieux, j’ai commencé à télétravailler depuis mon lit, en utilisant une table roulante comme bureau. Il y a un côté transgressif qui n’est pas désagréable dans le fait d’envoyer des mails professionnels en pyjama. »

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Rompre avec le traditionnel diptyque chaise-écran, en adoptant une posture qui est habituellement associée à la figure du concepteur-rédacteur phosphorant sur une banquette ou de l’étudiant révisant sous la couette, est un des frissons procurés par cette aventure immobile. Combien sommes-nous à nous être transformés en version productive d’Alexandre le Bienheureux ? Difficile à dire, même si plusieurs indices permettent de supposer une soudaine démocratisation de ce que certains appellent le « lounge work ».

« A l’issue du confinement, les praticiens font état d’une augmentation des pathologies cervicales, témoigne Sébastien Guérard, président de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR). Travailler couché, même si c’est associé dans l’imaginaire à une notion de confort, est en réalité une très mauvaise idée. En plus d’une contrainte inhabituelle sur les disques intervertébraux, il n’y a même pas l’effort postural minimum de la position assise, d’où une perte de tonus musculaire. »

Torticolis, mal de dos, douleurs au poignet…

Pour beaucoup, investir le lit ou le sofa fut une réponse maladroite à ce que les spécialistes nomment le « télétravail dégradé », ce cadre professionnel bricolé à la hâte. Sur les 39 % de salariés qui se sont retrouvés en télétravail pendant des semaines, presque la moitié n’avait ni lieu ni matériel adapté.

En conséquence, 43 % d’entre eux déclaraient que le confinement a été assombri par une « mauvaise posture de travail » (étude CSA pour Malakoff Humanis). « Chez moi, il y a peu d’espace, confie Marine, 34 ans, cadre dans la communication. Je travaille sur ma table de cuisine, avec une chaise extrêmement dure. C’est pour ça que mon canapé m’est vite apparu comme une solution de repli confortable. Après m’être fait un bon dossier avec des coussins pas trop mous, je m’y allonge pour les longues conférences téléphoniques où je n’ai pas à prendre de notes. Je me sens comme dans un cocon, plus détendue. »

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Qwant déterminé à « couper les coûts inutiles »

Jean-Claude Ghinozzi, à Paris, en janvier 2020.

Six mois après l’arrivée de Jean-Claude Ghinozzi à la tête de Qwant, le nouveau visage du moteur de recherche français se dessine. Et il passe par une restructuration de l’entreprise. Selon la presse, notamment La Lettre A, les bureaux d’Epinal et d’Ajaccio s’apprêtent à fermer leurs portes. Au total, une trentaine d’emplois pourraient être supprimés au sein de l’entreprise, y compris à Paris − sur les 130 salariés que compte la société.

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Même si la direction de l’entreprise n’a toujours pas confirmé officiellement cette mesure, l’affaire est actée pour le maire d’Epinal, Michel Heinrich. Et la pilule d’autant plus amère à avaler que le fondateur de Qwant, Eric Leandri, promettait l’an dernier encore de créer des emplois sur ce site, créé après le rachat, fin 2017, du moteur de recherches vosgien Xaphir. « Que les gens d’Épinal ne s’inquiètent pas. Il n’y a pas de problème », promettait le chef d’entreprise… En deux ans, le nombre d’employés de cette cellule est passé de 25 à 7 seulement.

Ambitions et désillusions

L’exemple d’Epinal illustre les dérives du Qwant époque Léandri : des grandes ambitions affichées, et beaucoup de désillusions. En début d’année, la Caisse des Dépôts et Axel Springer, les deux actionnaires principaux de la société ont accepté de remettre au pot pour soutenir Qwant, confronté à des problèmes de trésorerie. 10 millions moyennant une refonte complète de la direction de l’entreprise. Exit Eric Leandri qui exerçait les fonctions de PDG, remplacé par son directeur général adjoint Jean-Claude Ghinozzi, missionné pour remettre de l’ordre dans les finances et le train de vie de la société.

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Les actionnaires ont également placé leurs hommes à des postes stratégiques : Antoine Troesch, directeur de l’investissement de la Banque des territoires – l’une des cinq directions de la Caisse des Dépôts – à la tête du conseil de gouvernance ; Jean-Robert Mamin, auparavant PDG d’Axel Springer Media France, à la tête de la direction commerciale de Qwant.

Fidèle à la feuille de route qui lui a été fixée, M. Ghinozzi assume désormais : « Les coûts inutiles, on les coupe. » Alors que le moteur de recherche s’était dispersé dans une multitude de produits (Qwant Music, Qwant Maps, Qwant Causes, Qwant Sport, etc.), le nouvel homme fort de la société appelle à un « recentrage ». « On ne pourra pas créer des suites comme nos concurrents globaux [Google, Apple, etc.] pour développer une myriade de produits. C’est peut-être l’erreur du passé », convient-il. La priorité est donc d’améliorer avant tout la qualité du moteur de recherche.

« Quand on change de feuille de route, on fait des choix. On a annoncé au personnel qu’il y aurait des évolutions d’organisation, probablement des entités qui allaient fermer » Jean-Claude Ghinozzi, PDG de Qwant

A demi-mot, le dirigeant convient que cette ligne directrice pourrait passer par des suppressions de postes : « Quand on change de feuille de route, on fait des choix. On a annoncé au personnel qu’il y aurait des évolutions d’organisation, probablement des entités qui allaient fermer. Et pour les produits qu’on arrête, on essaie toujours de faire le nécessaire pour proposer soit de la formation soit de l’évolution, dans le meilleur des cas. »

Dans le même temps il souhaite se renforcer sur certains secteurs, à commencer par le développement de l’application mobile du moteur de recherche et le renforcement des forces impliquées sur la monétisation de l’entreprise. « Au final ce n’est pas forcément un projet pour réduire le personnel, mais qui doit permettre à l’entreprise de développer les bons produits et de parvenir au plus vite à la profitabilité », précise-t-il.

Au moins peut-il s’appuyer sur une croissance forte des utilisateurs de ce moteur qui revendique une vraie protection des données de ses utilisateurs. En deux ans, le nombre de visiteurs uniques est passé de deux millions à plus de cinq millions.