En temps de crise, l’accès à un premier emploi encore plus soumis aux « lois invisibles »
Depuis le confinement et la chute des offres d’emploi qui s’en est suivie, Stéphanie Lecerf s’active en coulisse pour « avoir l’oreille » des entreprises. Au travers de son association A compétence égale, cette spécialiste des ressources humaines sensibilise les recruteurs aux biais, souvent inconscients, qui s’immiscent dans les processus d’embauche, et aux discriminations qui en résultent. « Aujourd’hui, c’est plus que jamais nécessaire », estime-t-elle face au marché du travail fermé auquel se confronte toute une génération de jeunes diplômés.
Stéphanie Lecerf craint une « baisse de vigilance » des recruteurs, au détriment de populations déjà vulnérables. « Moins fluides et plus concurrentiels, les processus d’embauche risquent d’être, encore plus que d’habitude, la porte ouverte aux biais de perception. »
Effet placebo, de projection ou de halo, stéréotypes… Les biais cognitifs sont en effet nombreux à venir influencer le jugement des recruteurs. Notamment lorsqu’il s’agit de recruter des jeunes diplômés ayant encore peu de lignes sur leurs CV. Les 18-24 ans sont d’ailleurs les plus nombreux à affirmer avoir vécu, selon une étude du Défenseur des droits de 2017, des expériences de discrimination dans le monde professionnel (46 % des interrogés, contre 27 % des 45-54 ans, par exemple).
« Prime au beau »
Parmi ces lois invisibles qui pèsent sur une décision de recrutement, on trouve d’abord le biais de « stéréotypage », terme qui désigne une tendance à juger selon certains préjugés. Et en particulier à partir de l’apparence physique du candidat, observe Jean-François Amadieu, sociologue, directeur de l’Observatoire des discriminations et auteur de La Société du paraître (éd. Odile Jacob, 2016).
« Il existe notamment une prime au beau, socialement acceptée et légitimée. Même pour des postes sans contact direct avec le client, 40 % des recruteurs jugent décisive la beauté du candidat », pointe le chercheur. « La beauté est un appui préférable à toutes les lettres de recommandation », observait déjà Aristote. Porter ou non des lunettes, se maquiller ou pas, choisir telle ou telle tenue… « A chaque élément sont attribuées par les recruteurs des caractéristiques, une personnalité, de manière consciente ou inconsciente, et sans lien véritable avec la réalité », observe Jean-François Amadieu.
Alors que la période a accéléré l’usage des entretiens à distance, de nouveaux pièges apparaissent pour les candidats. « La plongée dans le cadre privé par webcam peut poser problème : le recruteur analyse des éléments d’ordre personnel qui n’ont rien à voir avec le contexte professionnel visé », observe Arnaud Povéda, docteur en sciences de l’information et formateur en insertion.
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