Grace Hopper, Hedi Lamar, Margaret Hamilton…, ces quelques noms sont souvent cités pour rappeler la contribution des femmes à l’informatique dans un grand récit où les héros et les légendes sont les génies masculins.
Le profil des employés et des leaders des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) de la Silicon Valley semble donner raison à cette idée que l’informatique serait depuis toujours et avant tout une affaire d’hommes.
C’est faux. Les femmes ont été à l’avant-garde de l’informatique. Même le mot « ordinateur » (computer, en anglais) a été emprunté aux ordinatrices qui exécutaient des calculs mathématiques compliqués bien avant les machines, dès le XIXe siècle.
Dans son ouvrage inédit en France, Broad Band, The Untold story of the women who made the Internet (Penguin, 2018), Claire L. Evans démonte une image d’Epinal tenace dans la tech : celle de l’étudiant geek, seul au fond de son garage. Fan d’informatique et du Net depuis son plus jeune âge, grâce notamment à son père programmeur chez Intel, elle a enquêté pendant deux ans sur l’implication des femmes dans ce milieu, depuis Ada Lovelace, qui a publié le premier programme en 1843, à la cyberféministe Sadie Plant, figure des années 1990.
L’auteure, journaliste et musicienne de 34 ans, était de passage à la mi-mars à Paris pour inaugurer l’exposition « Computer Grrrls » qui se tient du 14 mars au 14 juillet à La Gaité lyrique (3e arrondissement).
Quel est le point de départ de votre enquête ? Qu’est ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?
Quand j’écrivais, je disais aux gens qu’il s’agissait d’une histoire féministe d’Internet, parce que ça sonnait bien. Mais il s’agit bien plus d’une histoire de la technologie racontée du point de vue des femmes. Il y a bien sûr eu dans le passé des livres ou des publications sur le sujet, mais il s’agissait essentiellement de contributions académiques, je me suis dit qu’il manquait peut-être un livre plus grand public.
Pendant plusieurs années, j’ai été journaliste et j’ai donc enquêté pour des articles à propos des femmes et des nouvelles technologies. Plus j’écrivais, plus je réalisais que le matériau était infini et inexploité. Toutes ces histoires sont aussi intéressantes et représentatives que celles qu’on pouvait nous raconter sur Steve Jobs, Tim Berners-Lee ou Bill Gates, mais elles n’étaient que rarement évoquées.
Comment avez-vous sélectionné les histoires que vous alliez raconter ?
J’ai choisi de représenter chaque moment majeur de l’histoire d’Internet : la programmation, l’informatique en réseau, l’invention du Web. J’ai tenté de choisir pour chacun de ces moments charnières quelques histoires qui seraient attractives et les refléteraient bien. J’en ai gardé une douzaine. Mais il faut se souvenir que, derrière chaque femme de ce récit, il y en a une centaine de plus.
Quelque chose qui me tenait à cœur était de ne pas uniquement raconter les femmes techniciennes et les codeuses « hardcore », mais aussi celles qui ont contribué à la technologie d’autres façons, comme l’édition en ligne, ou qui ont travaillé sur les systèmes d’hypertexte.
Il y a, par exemple, Stacy Horn, qui a beaucoup œuvré sur le développement des communautés en ligne. Celle qu’elle a fondée en 1990 à New York, qui s’appelle Echo, reposait sur le système de bulletins électroniques (BBS) et préexistait au Web. Mais son approche et sa façon de travailler sont très pertinentes dans le débat qui existe aujourd’hui à propos des réseaux sociaux. Elles représentent des voies et des alternatives qui auraient pu être envisagées.
Comment explique-t-on que les femmes aient été si nombreuses aux prémices de l’informatique ?
Au tout début de l’informatique, née aux alentours de la seconde guerre mondiale, pour faire des calculs militaires et balistiques, les gens qui étaient embauchés pour opérer sur ces machines étaient des femmes, parce qu’autrefois elles faisaient ce même travail d’ordinatrices : elles calculaient à la place des machines.
C’était un travail qu’on leur laissait faire si elles avaient des notions de mathématiques. A cette époque, ce n’était pas du tout considéré comme un travail important, il était assimilé au travail des téléopératrices.
De l’informatique et des calculs en temps de guerre, le nom que l’on retient est celui d’un homme : Alan Turing.
Turing est une personne fascinante, il n’est pas un ennemi de la cause féminine, et il était queer. Mais sa biographie est symptomatique de cette histoire de l’informatique où nous avons seulement quelques récits d’hommes solitaires et visionnaires.
Contrairement à la façon dont on les présente, ces gens n’étaient jamais seuls. On ne peut pas réaliser de si grandes choses sans l’aide d’un grand nombre de personnes. Nous adorons ces histoires de héros solitaires, de génie dans un garage, parce que c’est pratique, on s’en souvient facilement. Cela entre dans nos modèles de pensée et d’adulation. Mais chaque fait est toujours bien plus compliqué. Nombre de femmes qui figurent dans mon livre ont travaillé avec des hommes célèbres et ont pu contribuer à leur œuvre.
La richesse semble aussi faire partie des « success stories » de la tech !
En effet, dans l’histoire de la tech, on met l’accent sur ces parcours de gens qui sont devenus riches, ont construit des entreprises qui ont changé le monde, embauché des millions de salariés et ont acquis le statut de magnat.
Aux Etats-Unis, notamment, la réussite et la richesse sont synonymes. Mon livre est plein d’échecs, en ce sens qu’une grande partie des femmes ne sont pas devenues riches et célèbres. En même temps, je ne crois pas que ce soit sain pour nous, en tant que société, de seulement admirer ce type de parcours. Il me paraît tout aussi intéressant de commencer à aussi idolâtrer des gens qui ont pris des décisions différentes, ont décidé de prendre soin des autres, ont décidé de s’investir à long terme dans leur communauté, de s’en sentir responsables.
Quelles contributions des femmes à l’informatique peut-on citer ?
Aux prémices de cette technologie, elles ont dû apprendre par elles-mêmes comment intégrer les maths dans ces nouvelles machines, car celles-ci étaient livrées sans manuel. Pour fluidifier la liste des tâches, se rendre le travail plus facile, elles ont donc aussi développé l’art de la programmation informatique.
Pendant les vingt premières années de l’informatique, les femmes étaient pratiquement les seules à savoir programmer. Elles dirigeaient les équipes logicielles, ont fait émerger les standards et les protocoles, ont inventé les premiers compilateurs [programmes qui transforment un code source en un code objet] et les premiers langages informatiques.
Comment expliquez-vous que ces femmes aient été massivement invisibilisées ?
Quand ces tâches sont devenues importantes, qu’elles ont eu de la valeur, qu’il y avait de l’argent à faire, c’est là qu’on a vu les femmes quitter progressivement le terrain. Non par choix, mais parce que les hommes voulaient ces boulots, réalisant qu’ils pouvaient y revendiquer un statut.
Ces champs autodidactes ont été plus formalisés, institutionnalisés. Des diplômes et des qualifications sont apparus, ainsi que le terme « d’ingénieur informatique », dans les années 1970, revendiqué par les hommes à la place du terme « programmeur ».
Est-ce qu’on distingue des périodes différentes quant à la condition des femmes dans l’informatique ? Est-ce que c’était mieux avant ?
Dans un certain sens, les choses étaient mieux en 1960 que maintenant : un grand nombre de femmes faisaient de la programmation, une grande partie des diplômés dans les universités étaient des femmes jusqu’au début des années 1980. Il y a donc eu des époques où les femmes étaient beaucoup visibles et admises en informatique, jusqu’aux années 1970, avec l’arrivée progressive des hommes.
La Silicon Valley reste-t-elle aujourd’hui un territoire masculin ?
Nous sommes en train de ressentir les conséquences des défauts de conception des logiciels, pour la plupart imaginés par des groupes monolithiques d’hommes qui ne font pas attention aux besoins de la communauté au sens large.
En interne, cela reste un milieu largement dominé par les hommes, un « boys club », dont émanent de nombreux et horribles récits sur des espaces de travail toxiques et un grand manque de représentation.
Mais c’est le début du changement, cela s’améliore, je pense. Les solutions ne sont pas encore mises en place, c’est certain, mais il y a beaucoup de gens qui parlent de la situation. Les entreprises ont au moins l’air de prétendre qu’elles sont attentives à ces problèmes, même si elles bataillent encore avec les solutions, solutions qui sont probablement assez simples : embaucher des femmes, les payer correctement et les traiter avec respect, veiller à ce qu’elles travaillent dans un environnement qu’elles ne considèrent pas comme dangereux.
Etes-vous optimiste quant au futur du Web ou d’Internet ?
Pour être honnête, pas vraiment. Tant que l’on n’a pas trouvé une façon de mettre de côté les questions d’argent, nous ne serons jamais capables de créer des systèmes sûrs et équitables.
Tant que les architectes de l’Internet d’aujourd’hui seront aussi ceux qui cherchent des façons de monétiser les utilisateurs, nous ne prendrons pas soin de ces technologies. Il y a probablement des systèmes alternatifs à trouver, mais nous devons profondément réexaminer la question et la signification de la vie en ligne.
Et si on n’évacue pas totalement la question de l’argent, il faudrait être au moins plus transparent sur la façon dont ces entreprises fonctionnent et ce qu’on leur abandonne quand on utilise leurs services.
Une douche froide, glacée même. Mercredi 20 mars au matin, les 300 salariés d’Arjowiggins qui faisaient le pied de grue devant le tribunal de commerce de Nanterre (Hauts-de-Seine) ont vu leurs représentants ressortir de l’audience la mine sombre. « Ce sera certainement une liquidation judiciaire pour le site de Bessé-sur-Braye », lâche Laurent Trudel, délégué CGT de l’usine concernée dans la Sarthe. « Le tribunal a laissé très peu de chance. Il estime que les prêts de l’acheteur ne sont pas assez garantis », déclare le délégué CGT.
Le 19 mars, les organisations syndicales (CGT, CFDT, CFE-CGC et FO) avaient malgré cela cosigné un avis portant un soutien unanime au spécialiste suédois du papier Lessebo Paper, adhérant « au projet industriel et commercial » qu’elles tranchaient « cohérent et pertinent ».
Le tribunal de commerce ne l’a pas expérimenté ainsi et a mis sa fin en délibéré jusqu’au mardi 26 mars. « L’audience ne s’est pas bien déroulé, réaffirme Thomas Hollande, avocat du cabinet LBBA, qui conseille les salariés. Lessebo Paper a reconnu que son offre ne pouvait pas être considérée par le tribunal car il n’était pas en aptitude d’affirmer la date à laquelle il pourrait disposer des fonds prêtés par les banques suédoises ».
Malgré cela, entre cette assistance et la précédente (6 mars), la somme jugée indispensable pour ce projet de reprise est passée de 65 millions d’euros à 50 millions, également partagée entre le repreneur et les pouvoirs publics (la Banque publique d’investissement et les Régions Pays de la Loire et Centre).
« Un coup de massue »
Lessebo Paper est le seul à avoir énoncé une offre pour les trois usines du papetier Arjowiggins, qui emploient 913 salariés en Sarthe et dans l’Aisne. Il prévoit de maintenir 413 salariés sur 568 à Bessé-sur-Braye (papier recyclé), 210 sur 270 chez les voisins de Saint-Mars-la-Brière (ouate de cellulose), et la totalité des 75 salariés de Greenfield (pâte à papier recyclée), à Château-Thierry (Aisne). Ces deux derniers sites font l’objet d’offres alternatives que le tribunal jugerait acceptables.
Si Lessebo Paper ne parvient pas à rapporter in extremis les garanties financières promises, seul le site de Bessé-sur-Braye serait évalué à une liquidation judiciaire. « On a demandé un ultime report de quinze jours, plaide encore Thomas Hollande, mais les mandataires et administrateurs judiciaires ont dit que c’était trop tard et ont demandé la liquidation d’Arjowiggins à Bessé-sur-Braye. C’est un coup de massue pour les représentants du personnel et leurs conseils. »
Christelle Morançais, présidente (LR) du conseil régional des Pays de la Loire et Sarthoise de naissance, veut encore croire que « rien n’est fait ». Elle a écourté la session du conseil régional pour se consacrer au dossier Arjowiggins, ce vendredi 22 mars. « Il faut à tout prix que le futur repreneur soutient des éléments nouveaux. C’est très urgent, c’est le seul moyen d’être pris en considération. Nous, Etat et Région, on a fait ce qu’il fallait pour l’accompagner. Bessé-sur-Braye, c’est là où il y a le plus de salariés et c’est le territoire le plus isolé. Le bassin d’emploi le plus proche est à 50 minutes en voiture. Vous imaginez le drame social ? », s’inquiète-t-elle.
« On a encore un très faible espoir »
« On a encore un très faible espoir, reprend Laurent Trudel. On est les seuls à faire du papier 100 % réorienté. En France, on consomme chacun 100 kg de papier par an et on ne recycle en moyenne qu’une feuille sur quatre. Il y a encore un potentiel énorme. Si l’usine ferme, il va devoir partir. Ce sera une vie qui change totalement et un village qui meurt. »
Une issue d’autant plus pénible que le précédent actionnaire (Sequana) est soupçonné par les salariés d’avoir ponctionné 12 à 15 millions d’euros dans les comptes de l’usine de Bessé-sur-Braye après la cessation de paiement, prononcée le 15 novembre 2018. Les représentants du personnel ont écrit au procureur de la République pour signaler cette pratique illégale. Leur avocat confirme : « On se réserve la possibilité d’escompter des actions judiciaires à ce sujet. »