Quand la rivalité vient de l’intérieur de l’entreprise
En conduisant une « double vie professionnelle », des salariés négligent la loyauté due à leur patron. Un phénomène qui concerne aussi bien la sphère publique que privée et qui prend de plus en plus d’ampleur.
Dans le monde de l’entreprise, certains ont fait de la « perruque » une grande spécialité. Point de postiches ici, mais la volonté de former une double vie professionnelle. Le terme indique alors l’utilisation de son temps de travail ou des outils de l’organisation pour accomplir des travaux qui ne coïncident pas à ceux pour lesquels on est payé. Ces collaborateurs adoptent en indépendant, et régulièrement en secret, une activité souvent similaire à celle exercée dans leur propre entreprise.
Un rapport de la Cour des comptes édité en février annonce cette pratique au sein du Mobilier national, citant en exemple le « cas emblématique » d’un agent exécutant à l’atelier de recherche et de création, chargé d’accomplir des meubles à la pointe de l’innovation. Problème : selon les « Pages jaunes », il exerce pareillement en libéral du lundi au samedi, de 9 heures à 21 heures 30. Une sanction disciplinaire a été formulée en 2015, particulièrement pour les perturbations qu’il provoquait dans l’atelier où il passait durant ses horaires de travail.
« Remède à l’ennui »
Dans la sphère officielle comme particulière, de telles conditions, peu fréquentes, ont toutefois pu prendre de l’ampleur ces dernières années, à la faveur du développement du régime d’autoentrepreneur. « Il rend plus facile la pluriactivité et, par extension, sa dissimulation », résume Stéphane Bellini, enseignant-chercheur à l’IAE de Poitiers. En créant en quelques minutes sa microentreprise, il devient possible de développer un complément de revenu, de préparer progressivement son départ de la société qui nous salarie, ou d’apercevoir un… « remède à l’ennui ».
« Parmi ceux qui développent une activité parallèle, il y a des cadres qui ont passé l’âge de 40 ans et sont sous-utilisés dans leur entreprise », développe un cadre du service RH d’un grand groupe. Formant dans son domaine d’expertise, le cumulard peut s’apercevoir en concurrence avec sa propre entreprise. Bertrand (le prénom a été modifié) a ainsi œuvré durant plusieurs années dans une agence de communication spécialisée dans l’industrie automobile.
Un client de son entreprise lui a offert d’animer des sessions de « média training » (entraînement à la communication dans les médias), alors même que ce type d’apports était proposé par son agence. « Je souhaitais partir et, même si je n’étais pas très à l’aise avec une telle pratique, j’ai déterminé de saisir toutes les opportunités qui m’étaient offertes. »
Opération mains propres dans le monde patronal. Le Medef a montré, lundi 25 mars, avoir envoyé une plainte au procureur de la République de Paris, « à la suite de suspicions de malversations » dans l’AGS. Cette structure associative, guidée par des organisations d’employeurs, assure le versement du salaire aux personnels d’entreprises en pénuries (redressement ou liquidation judiciaire). La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ainsi que l’AGS elle-même se sont associées à cette démarche, dont le parquet n’avait pas encore connaissance, mardi matin. Les faits pourraient relever de « l’abus de confiance et de la corruption active ou passive », d’après une déclaration du Medef.
Le pot aux roses a été aperçu grâce à un audit lancé peu après l’arrivée de nouvelles personnalités à la tête de l’AGS, en particulier celle de Houria Sandal-Aouimeur, nommée directrice générale du régime de garantie des salaires en septembre 2018. Réalisé par le cabinet EY, l’audit en question a révélé de « graves anomalies », selon le communiqué du Medef.
Une source patronale, précise qu’il s’agit de « petits arrangements entre amis », pour des montants de « plusieurs centaines de milliers d’euros », voire au-delà du million d’euros. Les sommes accusées auraient été perçues par une société de services et un cabinet d’avocats, pour des prestations dont la tangible est sujette à caution, assure cette même source.
Les investigations se poursuivent
Au sein de l’AGS, l’implication de plusieurs cadres ou ex-cadres pourrait être promise, dont celle de l’ancien directeur général de l’AGS, Thierry Météyé. Ce dernier ne nous a pas répondu. Les investigations d’EY se poursuivent et pourraient mettre au jour d’autres difficultés.
Simultanément, Mme Sandal-Aouimeur a établi plainte, dans un commissariat, après avoir été nouvellement victime de plusieurs gestes malveillants (lettres anonymes, actes de vandalisme contre son domicile), qui pourraient avoir un lien avec son entrée en fonction à l’AGS. Ce sont des « tentatives d’intimidation », déclare un haut gradé d’un mouvement patronal.
Financée par une contribution des employeurs, l’AGS a commencé à faire des avances sur rémunérations pour un montant un peu supérieur à 1,48 milliard d’euros, en 2018.