Les partons les plus puissants du capitalisme mondial ont découvert qu’ils n’étaient plus fiables à vouloir changer, à eux seuls, les règles du jeu. Ils seraient pris plus au sérieux s’ils soutenaient de leur poids une nouvelle définition légale de l’entreprise et de leurs devoirs, déclare le professeur en sciences de gestion Armand Hatchuel.
En pleine abattement estivale, le Business Roundtable (BRT), qui regroupe les PDG des plus grandes entreprises américaines, a effectué une déclaration qui a fait grand bruit. Car cette « Déclaration sur la mission d’une entreprise » prend le contre-pied de l’idée que l’entreprise est constituée pour le seul profit de ses actionnaires. Elle stipule que la mission importante d’une entreprise est d’apporter du profit, de façon égale, à ses clients, ses employés, ses fournisseurs, aux communautés et environnements où s’exerce son activité, et, de bénéficier bien évidemment… aux intérêts à long terme de ses actionnaires.
En mettant ces derniers au même rang que les autres parties prenantes, ces grands patrons savent qu’ils rejettent un credo longtemps asséné par une une grande partie du monde académique et juridique et par… eux-mêmes !
Or, cette déclaration vient trois mois après que la France a inscrit cette même vision dans la législation. Ainsi, la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) implique aux entreprises d’être gérées en considérant leurs enjeux sociaux et environnementaux (article 169) et accorde la possibilité de se doter d’une « raison d’être » ou de choisir la qualité de « société à mission » pour celles qui veulent préciser leurs engagements vis-à-vis de leurs parties prenantes (article 176). La France a-t-elle eu tort de prescrire par la loi, ce que la sagesse dicte in fine aux dirigeants ?
« Coup de pub »
Certainement pas, si l’on en juge par… le scepticisme poli que cette déclaration a suscité dans le monde entier ! Dans plusieurs réactions à ce texte, ce n’est pas la défense du primat de l’actionnaire ou l’accusation de « capitalisme collectiviste » qui dominent. La majorité donnent raison sur le fond aux patrons, mais émettent des doutes sur leur capacité à mettre en acte leur nouvelle résolution !
Les plus sévères dénoncent une « rhétorique vide » ou un simple « coup de pub ». Car l’entreprise actionnariale, qui s’est développée depuis les années 1990, n’est pas uniquement le résultat d’une doctrine économique fallacieuse et dangereuse qu’il suffirait de corriger. Celle-ci n’a pu entrer durablement dans les faits que parce que le droit des sociétés ne pouvait s’y opposer ! En outre, ce droit organise les pouvoirs et les prérogatives des actionnaires de telle façon qu’une minorité de financiers activistes peut imposer aux dirigeants les mieux établis le diktat de la valeur actionnariale : même un géant comme GEc en a aussi subi dernièrement la dure expérience.
Dans la 4e édition de son livre « Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail de 1830 à nos jours », Jacques Le Goff continu son enquête jusqu’aux dernières métamorphoses du droit du travail.
Chez Amazon, première entreprise du monde avec une capitalisation de 1 000 milliards de dollars et 560 000 salariés, hormis les magasiniers des entrepôts encore salariés, avant d’être échanger par des robots, tous les chauffeurs-livreurs sont des indépendants travaillant à la tâche. « Suspendus à leur smartphone, ils sont corvéables à merci et ne peuvent espérer, en échange de leurs services, que le prix de la course. Ce qui en fait l’image minuscule et parabolique d’une pratique en cours de diffusion, estimée la plus conforme à la liberté du citoyen au travail », déclare Jacques Le Goff.
Sous la modernité, une rémanence de l’archaïsme ? On retrouve actuellement le discours que tenaient fin XIXe-début XXe siècle les opposants à toute idée du droit spécifique du travail clairement dissocié du droit civil : « L’histoire comme le présent démontrent qu’une telle approche conduit à une subordination des prestataires de main-d’œuvre encore plus radicale, bien que masquée, que dans le cas des salariés », ajoute le professeur des universités dans son imposant ouvrage Du silence à la parole. Cette histoire du droit du travail des années 1930 à nos jours est initialement parue en 1985.
L’ultime édition, avec une préface de Laurent Berger et une postface de Philippe Waquet, la quatrième, compte trois chapitres inédits et aborde les grandes questions contemporaines : l’aspiration à pouvoir s’organiser par le télétravail, à préserver sa vie personnelle par la déconnexion, ou encore les risques psychosociaux face au flux des demandes. La démarche explicative du livre, qui souhaite présenter le droit du travail « sans excès de minutie, mais avec un minimum de rigueur et d’exhaustivité », est intégrée dans une démarche de type explicatif.
Les changements du droit du travail
Quelles alliance juridico-idéologiques relient des dispositifs parfois éloignés dans le temps ? A quel type de logique se rapporte tel ou tel texte ? « D’où l’évidence d’une option pluridisciplinaire, de regards croisés associant, outre le droit et l’histoire, la sociologie, la science politique, l’économie, l’histoire des idées. »
Le livre évoque plusieurs grandes périodes « correspondant chacune à une configuration singulière de l’imaginaire fondateur du droit ». La première période, des années 1830 aux années 1880, des débuts de la société industrielle jusqu’à l’heure de la stabilisation républicaine, est celle d’un « droit de la mise au travail industriel du monde rural selon une logique de pure fonctionnalité instrumentale, et en cela fort peu ressemblant à l’image que l’on s’en fera par la suite ».
Le distributeur d’articles de sport Decathlon, qui vient de s’offrir l’« Amazon du vélo », la start-up Alltricks, fait une entrée dans le top 5 du classement de la société suédoise Universum, publié le 11 septembre. Spécialisée dans la marque employeur, l’entreprise interroge, chaque année depuis 20 ans, les jeunes des grandes écoles d’ingénieur et de commerce sur leur employeur idéal.
Les étudiants s’expriment au printemps. Puis, depuis 2016, les jeunes cadres issus de ces mêmes écoles établissent leur palmarès à l’automne. La gradation des employeurs dans ce classement, souvent le produit du travail de communication des entreprises sur leur image, exprime aussi de nouvelles attentes des jeunes étudiants et des cadres. « Decathlon est un des cinq employeurs les mieux perçus concernant l’environnement de travail humain (« friendly »), le respect des salariés, la parité, l’esprit d’équipe et sur l’orientation client de l’entreprise. Ce dernier critère est plus important auprès des cadres qu’auprès des étudiants », déclare Aurélie Robertet, la directrice Universum France et Benelux.
Méthodologie : 11 511 jeunes cadres interrogés
Chaque année, la société suédoise Universumau consulte 1 300 000 étudiants d’une soixantaine de pays, dont quelque 40 000 en France. Au printemps 2019, 36 578 étudiants ont ainsi été interrogés.
Depuis 2016, Universum met ces résultats à l’avis de leurs aînés, qui ont déjà inséré le monde du travail, dans le but de mesurer l’évolution de l’image employeur à l’épreuve du terrain. Au total, 11 511 cadres sortis avec un niveau master des mêmes écoles d’ingénieurs ou de commerce que les étudiants consultés au printemps ont ainsi répondu à l’enquête, d’octobre 2018 à mai 2019.
Entre eux, 37 % sont issus d’écoles d’ingénieurs et 49 % d’écoles de commerce et de management, les autres ont des masters universitaires. Les jeunes cadres sont diplômés de 130 établissements. Leur expérience professionnelle moyenne est de sept ans pour les ingénieurs et de six ans pour les manageurs. Dans ce panel, un peu plus d’un ingénieur sur quatre (26 %) est une ingénieure et un peu plus d’un manageur sur deux (54 %) est une manageuse.
Les valeurs sûres
La composition du top 5 est très stable depuis des années. Elle reflète l’attraction solide des entreprises du luxe auprès des jeunes manageurs et de celles de l’aéronautique auprès des ingénieurs. LVMH, Google et L’Oréal Group sont les favoris des jeunes cadres d’école de commerce et de management, comme des étudiants des mêmes établissements. Les entreprises du luxe (LVMH, L’Oréal), continuellement au plus haut dans le classement, progressent encore cette année en nombre de voix. L’avionneur Airbus, Google et le groupe d’électronique Thales sont érigés en tête de classement par les jeunes ingénieurs, comme par les étudiants des mêmes écoles.
Les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) progressent particulièrement dans le palmarès des ingénieurs : Apple gagne 15 places (11e), Amazon 2 (14e), Microsoft 9 (16e). Et Google tient sa deuxième place. Facebook n’a jamais rejoint le classement car « il est trop peu recruteur en France », précise Aurélie Robertet.
Les petits nouveaux
Le palmarès est établi à partir d’un questionnaire semi-assisté, comprenant 130 noms d’entreprises soumis aux jeunes cadres, qui sont invités à désigner leur « top 5 employeurs ». Ils peuvent, en plus, citer spontanément d’autres noms, ce qui explique l’entrée de nouvelles sociétés dans le palmarès d’une année sur l’autre.
Les étudiants en école de commerce ont ainsi fait entrer le créateur Chanel et la plate-forme de covoiturage BlaBlaCar en 2016, et le distributeur numérique de musique Deezer en 2018. Cette année, les jeunes ingénieurs, à leur tour, ont élu Chanel, à la 23e place, ainsi que l’entreprise biopharmaceutique Sanofi (28e), le spécialiste du diagnostic in vitro Biomérieux (74e), le groupe sucrier Tereos (96e), la société de commerce électronique Vente privée (98e). Decathlon avait accédé au palmarès des étudiants d’écoles de commerce en 2010 et à celui des anciens élèves en 2016, avant d’atteindre leur top 5 en 2019.
Les choix divergents entre anciens élèves et étudiants
Les jeunes cadres interrogés par Universum ont de six à huit ans d’expérience sur le marché du travail. Leur palmarès valide certains critères prioritaires des étudiants pour sélectionner leur employeur et corrige quelques fantasmes de jeunesse. Sur les 40 critères proposés pour définir l’attractivité des embaucheurs, les défis à relever et le travail dans une bonne ambiance sont importants pour les cadres et les étudiants, mais les priorités des cadres sont le salaire d’entrée et l’équilibre vie privée-vie professionnelle.
Cette différence d’attendus explique que les entreprises de conseil en stratégie séduisent moins les cadres que les étudiants (l’équilibre vie privée-vie professionnelle n’est pas dans leurs 10 premiers critères). McKinsey & Company a ainsi perdu 4 places dans le classement des jeunes manageurs et The Boston Consulting Group, 5. « Dans les objectifs de carrière, la quête de sens et l’équilibre vie privée-vie professionnelle sont plus importants pour les cadres que pour les étudiants », commente Aurélie Robertet.
Les banques ne font pas non plus rêver les jeunes ingénieurs : BNP Paribas (56e) recule de 8 places, le groupe Crédit agricole (70e) perd 9 places, Goldman Sachs perd 20 places et la Banque de France, 24. En revanche, les entreprises de l’agroalimentaire, boudées par les étudiants, ont gagné en attractivité auprès des jeunes ingénieurs. Nestlé (21e) gagne ainsi 6 places et Danone (18e), trois.
Les laissés-pour-compte
Dans l’énergie, le désamour se poursuit entre les recrues des grandes écoles et les entreprises du secteur. Il est tiré vers le bas par Orano (ex-Areva), dont le changement de nom n’a pas amélioré la cote (89e). Les jeunes ingénieurs ont déclassé le groupe d’énergie nucléaire de 38 places ! Dans ce déclin général, le groupe pétro-gazierTotal fait exception à la règle et crée la surprise en intégrant le top 5 du palmarès des jeunes ingénieurs, en quatrième place juste derrière Thales. « Même si ce n’est qu’une petite partie de leur business, ils communiquent beaucoup sur les énergies renouvelables », avance Aurélie Robertet. La « raison d’être inspirante de l’entreprise », devenue en 2019 le deuxième critère des jeunes cadres pour choisir leur futur employeur, aura sans doute profité à Total.
Ils se sont mis d’accord pour des « rassemblements locaux » le 26 septembre, en attendant de fixer plus tard une « date de mobilisation nationale ».
Le plan de « refondation » exposé par Agnès Buzyn, la ministre de la santé, n’a pas persuadé. Le collectif Inter-Urgences, réuni le 10 septembre en assemblée générale, l’a jugé insuffisant et a voté la continuation du mouvement de grève entamé il y a près de six mois et touchant 250 services d’urgence à ce jour.
Journée de mobilisation
Les représentants des grévistes, rassemblés à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), ont voté à main levée une motion rappelant leurs rebendications et ont acté le principe de « rassemblements locaux » le 26 septembre, en attendant de fixer par la suite une « date de mobilisation nationale ». La « participation aux autres actions » a aussi été approuvée, sans appel clair à rejoindre la manifestation de la CGT mercredi à Paris.
Le collectif Inter-Urgences poursuit sa demande des « réouvertures de lits », des « recrutements à la hauteur des besoins » et une « augmentation de 300 euros net mensuels pour tous les hospitaliers ».
750 millions sur trois ans
Le plan présenté la veille par la ministre de la santé, doté de 750 millions d’euros sur trois ans, met plus l’accent sur l’orientation des patients pour limiter l’afflux aux urgences, avec un nouveau « service d’accès aux soins » pour réguler les appels aux secours et des « admissions directes » sans passage aux urgences pour les personnes âgées.
Depuis le début de 2019, 48 policiers ont mis fin à leurs jours et la vingtaine de syndicats représentant tous les corps de policiers réclament « l’amélioration de la qualité de vie au travail ».
L’ensemble des syndicats de police ont fait un appel, mardi 10 septembre, à une « marche nationale de la colère » le 2 octobre à Paris. Une mobilisation « historique » pour Fabien Vanhemelryck, du syndicat Alliance, à l’initiative de ce mouvement.
« Le dernier appel comme ça remonte à 2001. Et si on appelle toutes les organisations à se réunir dans la rue, c’est qu’il est grand temps de lancer le premier avertissement en haut lieu », a-t-il déclaré. « On sait que ce genre de choses, ça va, à un moment ou à un autre, dépasser le ministre. Donc, on vise la présidence », mentionne-t-il.
Depuis le début de 2019, 48 fonctionnaires de police ont mis fin à leurs jours et la vingtaine de syndicats représentant tous les corps de policiers proteste « l’amélioration de la qualité de vie au travail ». Depuis le 1er janvier, 12 gendarmes et 17 pompiers se sont également suicidés, selon la Place Beauvau. « Un collègue qui n’est pas bien dans sa vie personnelle, quand en plus il travaille dans des conditions déplorables, qu’il est confronté à la misère et la violence d’une partie de la société… vous pouvez passer malheureusement à l’acte », ajoute M. Vanhemelryck.
Selon le syndicaliste, les commissariats « manque[nt] de tout » : de moyens de protection, de véhicules… « Les agents ne se sentent pas toujours soutenus », mentionne-t-il. « Ils ne se sentent pas considérés, se sentent surexploités, jamais un remerciement… Ils se sentent considérés comme des pions, pas comme des fonctionnaires de police qui doivent rendre un service public digne de ce nom. »
Cinq revendications
L’intersyndicale met en avant cinq demandes, parmi lesquelles « une loi de programmation ambitieuse pour un service public de qualité », mais aussi « une véritable politique sociale pour les agents du ministère de l’intérieur », « une réponse pénale réelle, efficace et dissuasive » et « la défense de [leurs] retraites ».
Le 2 octobre, il s’agira de « se réunir tous ensemble pour arrêter les belles paroles et qu’on passe une bonne fois pour toutes aux actes », ajoute M. Vanhemelryck. « Le gouvernement sous-estime le pouvoir de nuisance que nous pouvons avoir si on commence à se mettre en colère. »
Le ministre de l’intérieur, a déclaré, lundi, la mise en place d’un nouveau numéro vert pour lutter contre la vague de suicides qui sévit dans les rangs policiers. Ce numéro unique d’appel permettra aux fonctionnaires de la police nationale d’avoir un accès « anonyme, confidentiel et gratuit, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 aux psychologues de la plate-forme », a souligné la Direction générale de la police nationale (DGPN). Géré par des prestataires externes, il est mis en œuvre dès ce lundi en complément de celui du service de soutien psychologique opérationnel de la police, mis en service fin juin.
Delphine Batho note le fait que Hugh Bailey a été conseiller en financement des exportations au cabinet de Macron lorsqu’une aide de 70 millions d’euros a été accordée à GE.
Le parquet de Paris a ouvert début septembre une enquête préliminaire pour « prise illégale d’intérêts » visant Hugh Bailey, le directeur général de General Electric France, a-t-on appris mardi de source judiciaire, confirmant une information de L’Obs. L’enquête, effectuée par l’Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales (OCLICCF), a été ouverte la semaine dernière.
Ex-conseiller d’Emmanuel Macron au ministère de l’économie, pour les affaires industrielles et le financement à l’export entre 2014 et 2016 – époque où le président de l république dirigé le rachat de la branche énergie d’Alstom par le géant américain General Electric en 2015 –, Hugh Bailey a été dénommé DG de GE France en avril. Il avait rejoint le groupe, en 2017, en tant que directeur des affaires publiques de GE France.
Signalement de Delphine Batho
L’ouverture de cette enquête fait suite à un demande de la députée (Génération écologie) Delphine Batho. Elle dénonçait la nomination de M. Bailey à la tête de General Electric (GE) France alors que M. Bailey avait eu à traiter des dossiers relatifs à cette entreprise quand il travaillait au ministère de l’économie.
Dans un courrier révélé par L’Obs, Mme Batho relevait qu’« une aide de 70,3 millions d’euros a été accordée à General Electric Energy Product, dont le siège est à Belfort (…) pour l’achat de quatre turbos alternateurs pour une centrale à cycle combinée à Bazian en Irak, au premier semestre 2016 ».
GE a déclaré son plan de suppression de 1044 postes en France, dont 800 à Belfort dans l’entité turbines à gaz, suscitant une vague d’indignation de la part des syndicats qui veulent que GE n’a pas respecté ses engagements envers l’Etat.
En rachetant, en 2015, le pôle énergie d’Alstom pour 9,7 milliards d’euros, le géant américain s’était engagé à conserver les emplois en France durant au moins trois ans.
Intégration sociale, indépendance, réalisation de soi ou simple occupation face à l’ennui : Thomas Schauder, professeur de philosophie, montre les multiples dimensions de ce qui est au cœur de nos vies.
Quelles sont les raisons qui nous poussent à travailler, et à choisir telle ou telle activité ? La « quête de sens » est-elle une illusion, un luxe ? Thomas Schauder, professeur de philosophie et chroniqueur pour Le MondeCampus, tente de répondre à cette question.
Notre époque est paradoxale. D’une part, le progrès technique bouleverse nos manières de travailler, au point que d’auteurs parlent d’une troisième révolution industrielle. Les machines ne se contentent plus de faire : elles pensent à notre place. Le phénomène de l’ubérisation a bouleversé l’organisation de la production, en annulant les intermédiaires. Google nous promet la voiture qui se conduira toute seule ; Amazon des livraisons par drone. D’un autre côté, un nombre croissant de personnes désirent un travail qui ait du sens.
Mais qu’est-ce que le travail ? Que peut-on en attendre ? Le travail a quatre fonctions. La première, c’est d’autoriser de gagner sa vie, de produire ou d’acheter les biens nécessaires. Il n’y a plus guère de sociétés de chasseurs-cueilleurs actuellement qui trouvent dans la nature les moyens de subsister. La plupart des peuples transforment cette nature pour la mettre au service des besoins humains – même si dans le cadre de notre économie capitaliste mondialisée, ce changement peut impliquer violence et irrespect.
« Que faites-vous dans la vie » ?
Nous en arrivons ainsi à la deuxième charge du travail : l’intégration sociale. Nous bénéficions du travail de nos ascendants et de nos contemporains, et nous œuvrons pour nos contemporains et nos descendants : le travail nous permet de payer notre dette à l’égard de la société.
De plus, le travail nous définit socialement, il indique qui nous sommes. Chaque métier a ses traditions et une image lui est accolée. D’ailleurs, quand nous rencontrons quelqu’un, la première question qu’on lui pose concerne son nom, et la deuxième son travail : « que faites-vous dans la vie » ? Au point, malheureusement, qu’on puisse se sentir stigmatisé soit parce qu’on fait un travail qui a « mauvaise réputation », soit parce qu’on n’a pas de travail.
Pour certaines personnes, celui qui ne fait rien n’est rien. Ainsi, il n’est pas seulement question de faire partie du corps social, mais d’y être situé. Autrement dit : notre travail fixe notre place dans une hiérarchie sociale. L’image a son importance : un médecin, un juge ou un chef d’entreprise sont globalement respectés, même lorsqu’ils ne gagnent pas beaucoup d’argent. Mais il est évident qu’à l’heure actuelle, où notre statut social est en grande partie déterminé par les biens qu’on possède (voiture, télévision, smartphone, etc.), le niveau de rémunération joue un rôle décisif : celui qui ne gagne rien n’est rien.
Pour certains théoriciens, ce sont là les deux seules fonctions du travail : réaliser notre nature animale (survie) et sociale. Si on s’en tient là, le travail apparaît comme un mal nécessaire. Pour les Grecs et les Latins, pour les aristocrates jusqu’à une période récente et même pour certains penseurs socialistes ou anarchistes, l’être humain digne de ce nom doit être oisif et le travail réservé à l’esclave, ou aux machines. Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, écrit ainsi à la fin de son célèbre pamphlet Le Droit à la paresse que : « la machine est le rédempteur de l’humanité. (…) Le Dieu qui lui donnera des loisirs et la liberté. »
« Fierté » et éthique personnelle
Mais tout le monde n’est pas d’accord sur ce point et d’aucuns pensent, au contraire, que c’est le travail qui confère à l’homme sa dignité. Le « libérer du travail » serait faire son malheur. Pour eux, le travail a une troisième fonction : la réalisation, l’accomplissement de soi. C’est souvent à cette dimension que se réfèrent ceux qui réclament un travail qui ait du sens, qui ne veulent pas seulement gagner de l’argent, mais être fiers d’eux, se sentir bien dans ce qu’ils font.
Cet accomplissement, on peut le ressentir dans des tâches très différentes : manger les légumes qu’on a fait soi-même pousser, soigner ou aider les autres, contempler l’objet qu’on a fabriqué ou réparé de ses mains… Le travail n’a ainsi pas seulement une dimension morale (ne pas travailler, ce serait mal, ce serait vivre aux crochets des autres, être un assisté, etc.), mais aussi une dimension éthique : ce que je fais engage mon rapport à moi-même, aux autres et au monde.
De ce point de vue, faire un travail inutile ou nuisible peut produire une véritable souffrance (bore out, brown out…). C’est ce qui arrive également à ceux à qui on ne donne pas les moyens de faire correctement leur métier, par exemple, les personnels hospitaliers en sous-effectif chronique ou les professeurs aux classes surchargées.
Travailler pour ne pas s’ennuyer ?
Enfin, on peut proposer une quatrième fonction qui expliquerait aussi pourquoi il nous semble évident qu’il faut travailler : c’est la peur de l’ennui. Pour beaucoup de gens (et sans doute encore plus aujourd’hui où le rapport à l’attente, à l’inactivité est devenu extrêmement problématique), s’ils ne travaillaient pas, ils ne sauraient pas quoi faire de leur journée.
Blaise Pascal avait déjà mis en lumière dans ses Pensées que « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Le travail nous sert de divertissement, c’est-à-dire nous permet de ne pas penser à notre condition d’êtres humains, faibles et mortels.
Mais si le travail sert à nous fuir, à nous oublier, comment expliquer qu’on lui accorde tant d’importance ? Est-ce que les souffrances qu’il engendre, les maladies professionnelles, les soucis du quotidien et les luttes pour le conserver en valent la peine ? Avons-nous raison de consacrer tant d’énergie à travailler ? Le travail devrait-il prendre moins de place dans nos vies ? Nous tenterons de répondre à toutes ces questions la prochaine fois.
Phil’ d’Actu, l’actualité au crible de la philosophie
Plusieurs offres de reprise ou marques d’intérêt ont été mis pour la compagnie aérienne en redressement judiciaire.
Malgré sa déconfiture, Aigle Azur, la deuxième compagnie aérienne française, mis en redressement judiciaire depuis une semaine, suscite un vif attrait. Ainsi, pas moins de quatorze offres de reprise ont été mis , le 9 septembre, sur le bureau de l’administratrice judiciaire. Toutefois, cette abondance d’acquéreurs potentiels ne signifie pas que l’horizon se dégage pour Aigle Azur et ses 1 150 travailleurs.
Au contraire, la majorité des offres ne sont que de simples marques d’intérêt, quand elles ne portent pas seulement sur certains actifs de la société. Trois offres semblent sortir du lot. Elles émanent d’Air France, du Groupe Dubreuil, propriétaire de la compagnie Air Caraïbes, et du fonds d’investissement américain Cyrus Capital Partners (CCP).
L’objectif d’Air France est de mettre la main sur l’essentiel de l’activité moyen-courrier d’Aigle Azur, surtout celle, historique, vers le Portugal, l’Algérie et le Liban
Les salariés et le nouveau secrétaire d’Etat chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, qui escomptaient une offre forte d’Air France, auraient été déçus. Selon nos informations, la compagnie nationale ne serait pas disposée à reprendre en l’état Aigle Azur. Elle préférerait attendre la liquidation de l’entreprise. L’objectif de la première compagnie française est de mettre la main sur l’essentiel de l’activité moyen-courrier d’Aigle Azur, surtout celle, historique, vers l’Algérie, le Portugal et le Liban. Son plan de reprise serait abondé à hauteur de 15 millions d’euros pour financer surtout un plan de sauvegarde de l’emploi.
En pratique, Air France pourrait proposer « des opportunités de recrutement aux salariés qui en feraient la demande ». D’après ce plan, la compagnie reprendrait uniquement près de la moitié des salariés d’Aigle Azur – 133 pilotes, 282 hôtesses et stewards (les personnels navigants commerciaux, PNC), ainsi que 100 personnels au sol. Toutefois, les pilotes comme les PNC devront d’abord passer la « sélection dédiée » d’entrée chez Air France.
En contrepartie de l’embauche de près de la moitié des personnels, la compagnie serait intéressée par l’intégralité des 10 000 « slots » (créneaux de décollage et d’atterrissage) détenus par Aigle Azur à Orly. Pour Air France, cette offre semble un ballon d’essai. « C’est une première offre », fait-on savoir au sein de l’entreprise. « Elle pourrait évoluer au regard de la situation d’Aigle Azur. »
La compagnie aérienne, accordé en redressement judiciaire, avait été contrainte de cesser tous ses vols le 6 septembre.
Aigle Azur a apporté, le 9 septembre, avoir reçu quatorze offres de reprise. Mais, celles-ci sont à affermir et « ne sont pas exécutables en l’état », a établi la compagnie aérienne à l’issue d’un comité d’entreprise (CE) extraordinaire entamé dans l’après-midi.
Dans le détail, ces manifestations d’intérêt concernent essentiellement des « actifs isolés », mais proposent également des « projets de reprise plus globaux », a détaillé Aigle Azur, mi en redressement judiciaire: « Ces offres de reprise de la société sont toutes à parfaire. »
« Leur sérieux industriel et leurs financements devront être confirmés dans les délais impartis », a établi la compagnie. Les membres du CE doivent se prononcer mercredi soir sur l’offre qui leur semble répondre le mieux aux intérêts de l’entreprise et de ses travailleurs.
Une offre d’Air France
« Avec les organes de la procédure, l’administrateur judiciaire va désormais tenter de mettre en état ces offres afin de parvenir à un plan de cession », d’après Aigle Azur. Le tribunal de commerce devra trancher sur l’avenir de la compagnie lors d’une audience lundi prochain.
Plus tôt lundi, Air France, qui avait été évoqué ces derniers jours comme repreneur potentiel, avait annoncé à l’Agence France-Presse avoir mi une offre, sans en donner la teneur. D’autres sociétés, comme le groupe Dubreuil, propriétaire majoritaire d’Air Caraïbes, ont aussi fait savoir avoir déposé une offre, sans en commander non plus les détails.
En redressement judiciaire et ayant dû cesser tous ses vols vendredi 6 septembre, Aigle Azur est dans une telle impasse financière qu’elle ne peut ni dédommager financièrement ses clients ni même assurer la réinsertion des voyageurs dont le vol de retour a été aboli. Avec ses onze avions, la compagnie a transporté 1,88 million de passagers en 2018.
Les syndicats dénoncent des primes « écœurantes et aberrantes », alors que le groupe d’habillement connaît une telle crise qu’il est passé fin août aux mains de ses créanciers.
La pilule a du mal à passer parmi les 10 000 salariés de Vivarte. Alors que le groupe d’habillement, dans l’impossibilité de rembourser sa dette de 300 millions d’euros, passe aux mains de ses créanciers, Le Parisien révèle, lundi 9 septembre, que des hauts cadres ont touché près d’un million d’euros de primes exceptionnelles en 2017 et en 2018, auxquelles se sont ajoutées des primes sur objectif de plus de deux millions d’euros.
« Dans le détail, pour 2017, une enveloppe de 523 826 euros de primes exceptionnelles a été répartie entre 31 personnes [de la filiale Vivarte Services, parmi lesquels des directeurs financiers, juridiques, DRH]. L’une [d’elles] a touché 150 000 euros,avance le quotidien. En 2018, c’est 425 879 euros que se sont partagés quatorze personnes [dont 100 000 euros pour l’une d’elles]. »
Des primes qui ont scandalisé les syndicats du groupe, propriétaire des enseignes La Halle et Caroll. « C’est amoral, écœurant et aberrant, même si ce n’est pas illégal », a réagi Jean-Louis Alfred, représentant CFDT. « En trois ans de direction de Patrick Puy, le nombre de filiales est passé de 19 à 3 fin décembre avec la cession de Cosmoparis, le groupe est aux mains des créanciers et les magasins La Halle sont en train de mourir faute de stratégie », ajoute-t-il.
Lundi matin sur Franceinfo, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, avait jugé le versement des primes « inacceptable, hors du temps ». « On est chez les dingues », soulignait-il. « C’est proprement scandaleux, a aussi dénoncé Karim Cheboub, secrétaire adjoint CGT au comité de groupe. On distribue de l’argent au moment où des filiales sont cédées et où des salariés perdent leur emploi. » Claire Vigouroux, coordinatrice groupe pour FO souligne qu’« au même moment on nous annonce qu’il n’y aura que 15 000 euros pour la formation professionnelle ».
Eviter le « débauchage »
De son côté, Vivarte reconnaît comprendre que « le montant des primes versées évoquées dans l’article du Parisien puisse surprendre » mais explique que ces primes récompensent « le talent et l’engagement dont nos cadres ont fait preuve pour mener à bien l’important plan de cessions » mis en œuvre depuis 2017. « Cette prime exceptionnelle correspond à un choix défensif de l’entreprise pour protéger certaines compétences indispensables et éviter qu’elles soient débauchées par des concurrents », s’était également justifié en mars Xavier Guéry, le directeur des ressources humaines, rapporte Le Parisien.
Selon le groupe, les primes exceptionnelles représentent 700 000 euros brut pour les années 2017 et 2018 et non un million (et comprennent des mesures d’accompagnement de plan social chez Vivarte Services). « Ce qui est trois fois moins que les primes annuelles sur objectif (2,1 millions d’euros), sur la même période, que nous versons à l’ensemble des salariés de Vivarte Services (100 personnes en 2018) de façon contractuelle », ajoute le groupe.
En trois ans, le groupe a connu une telle crise qu’il a été contraint de céder la plupart de ses enseignes, dont Chevignon, André, Naf Naf, Kookaï, Pataugas. Et la conjoncture n’est pas pour aider : en France, les ventes d’habillement ont reculé de 2,9 % sur les quatre premiers mois de 2019. En avril, leur chute a flirté avec les 8 % par rapport à avril 2018.