Bachelor versus programme grande école. Sur le campus de Lille de cette « business school », les étudiants conduisent des vies parallèles, selon la filière qu’ils ont choisie. Dans un climat de relative indifférence.
Pour s’immerger du « cas » du jour, une étude de la stratégie de marque d’Adidas, des étudiants de ce cours de marketing de deuxième année de bachelor ont chaussé des baskets dont les couleurs chatoyantes dépendent avec les murs immaculés de la salle de cours. « Dans quelle autre tendance s’inscrit la marque ? », demande la professeure, Sabine Ruaud. « Oui, le vintage moderne, la logotisation, c’est ça ! »
Il est presque midi sur le campus lillois de l’Edhec et, malgré l’heure du déjeuner qui arrive, l’interactivité du cours tient la trentaine d’étudiants en haleine. Des étudiants dynamiques, qui n’ont pas peur de prendre la parole.
Nous n’assistons pas à un cours de l’Edhec au sens classique du terme – dans ce cursus grande école en trois ans, qui délivre un diplôme de master et recrute parmi les meilleurs étudiants des classes préparatoires de France. Nous sommes dans un cours du Bachelor in Business Administration (BBA), un cursus postbac en quatre ans, bien moins sélectif à l’entrée et moins connu du grand public. « Quand je dis que je suis à l’Edhec, les gens pensent d’abord au master », révèle Sara, en deuxième année de ce bachelor.
Deux formations, deux publics, deux philosophies. Le bachelor captive, à l’instar de Sara, des étudiants éblouis par les cours professionnalisants et la possibilité d’accomplir très rapidement stages et séjours à l’étranger, quand le programme grande école (PGE) recrute des « très bons élèves » sélectionnés à travers un concours académique sanctionnant deux années de bachotage en prépa.
Une fourmilière
« Les étudiants de bachelor sont moins formatés que les élèves de la grande école. Ils n’arrivent pas avec la même culture, les mêmes attentes… On part plus facilement du concret pour expliquer la théorie », communique Sabine Ruaud. Comme les 172 professeurs et chercheurs continus de l’Edhec, elle enseigne aussi bien en « bachelor » qu’en « programme grande école ». A des élèves qui dispensent au quotidien les 43 000 mètres carrés de locaux pédagogiques de l’imposant campus lillois : salles de cours, cafétéria, salle de spectacle, incubateur, équipements sportifs… « Et pourtant, à part en sport ou dans certaines associations, on a très peu de contacts », garantissent en chœur Sara, Perrine, Joseph et Théo, tous élèves en deuxième année du bachelor.
Un matin de janvier, sur le parking de Promeo, à Compiègne (Oise). Ils sont une douzaine de jeunes gens à frapper des pieds pour faire circuler le sang. Il n’y a pas de pancarte, pas de slogan, et pas davantage de CRS. Face à eux, deux enseignants, un camion et quelques chariots élévateurs.
Savoir guider ce type d’engin et obtenir un certificat d’aptitude à la conduite et à la sécurité (CACES) est une des disciplines enseignées par ce centre de formation en alternance de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Ici, on répond aux besoins de l’industrie en matière de savoir-faire : usinage des pièces, chaudronnerie, maintenance de la chaîne de production… Sans oublier tous les métiers transversaux : comptabilité, vente, transports.
Déficit de compétences
Peu de crise chez les futurs titulaires d’un brevet de technicien supérieur (BTS) ou d’une licence pro du secteur. « Nous sommes à 93 % d’insertion en entreprise à l’issue de la formation », déclare Carole Marigault, directrice générale du centre compiégnois. Les diplômés de l’industrie n’ont même pas à « traverser la rue » pour décrocher un emploi, pour récupérer la formule lancée par Emmanuel Macron à un chômeur. « La métallurgie a 110 000 recrutements à faire par an, et ce chaque année jusqu’en 2025 », estime Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM.
En janvier, le chômage en France a connu une sensible décrue. Le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi sans chômage a baissé de 1,1 % au cours du dernier trimestre 2018. Il atteint tout de même le total de 3 676 000 individus. De plus en plus de projets d’embauche sont jugés « difficiles » par les entreprises, constate Pôle emploi. En 2018, 44,4 % des recrutements se font dans des secteurs dits « en tension », du fait particulièrement d’un déficit de compétences. Alors que les emplois sont là, les candidats qualifiés manquent.
Plusieurs secteurs ont été digérés par l’établissement public. Les métiers de la santé réclament des diplômés à bac + 2 ou bac + 3 dans les domaines de l’appareillage ou de la préparation médicale. Et dans les nouvelles technologies, les entreprises peinent à recruter des programmateurs, des techniciens de maintenance…
Réputation de précarité
Même chose pour l’hôtellerie et la restauration. « Il y a dans nos métiers plus de 100 000 emplois à pourvoir », constate Jean-Luc Michaud, président de l’Institut français du tourisme, un observatoire du secteur. Mais c’est bien dans la métallurgie que la tension est la plus forte : 67 % des recrutements y sont « difficiles », selon les employeurs cités par Pôle emploi.
Essentielle cause de la carence de candidatures pour ces formations et leurs métiers : « le déficit d’attractivité », pointe l’établissement public. Dans l’hôtellerie-restauration, les emplois souffrent ainsi d’une popularité de précarité, en raison de la saisonnalité, des horaires décalés et de la faible qualification. « C’est une vision totalement erronée des métiers d’accueil, tempête Jean-Luc Michaud. Par exemple, un réceptionniste doit être un expert dans la relation client, maîtriser plusieurs langues et connaître absolument l’usage des outils numériques. Il doit au moins être titulaire d’une licence pro.
Le tourisme, « c’est 7 % du PIB, deux fois plus que l’automobile, et pour des emplois non délocalisables », a répété Lionel Walker, délégué général de la Conférence des formations d’excellence au tourisme. C’est aussi 437 formations post bac disséminées sur l’ensemble du territoire. « Mais le secteur manque de visibilité, concède Lionel Walker. Au moment des choix d’orientation des lycéens, le tourisme subit une vision très éloignée de la réalité qu’ont les responsables d’orientation et les familles. »
Désaffection de l’alternance
L’image dévaluée de l’apprentissage en France est également un des facteurs de la désaffection des formations en alternance. Alors que des milliers de lycéens ont passé l’été 2018 aux portes des universités ou des classes préparatoires en espérant qu’une place se libère, « certains de nos BTS ne sont pas pleins », ajoute Carole Marigault. Pourtant, le taux d’employabilité dépasse les 90 % six mois après l’obtention du diplôme, et le coût de la formation est nul pour l’étudiant. Au printemps 2018, quinze places étaient libres au sein du BTS conception des processus de réalisation de produit, mais seulement 8 candidatures ont été posées et 5 retenues. Paradoxe : alors que le secteur peine à recruter des étudiants, le ministère de l’éducation nationale souligne pour sa part que « les bacheliers des filières professionnelles et technologiques sont trop souvent évincés des formations auxquelles ils sont nombreux à aspirer : les sections de technicien supérieur et les instituts universitaires de technologie ».
« Les filières des métiers de l’industrie sont peu éprouvées par les élèves de terminale, reconnaît également Marie-Hélène Garcia, responsable du pôle alternance et formation initiale chez Campus Veolia Seine et Nord. Malgré cela, un BTS métiers de l’eau ouvre à de belles carrières, d’importantes responsabilités et la possibilité de s’ouvrir à l’international. » L’industrie serait victime d’une image obsolète, « celle d’un travail à la chaîne, répétitif et polluant, loin de la réalité de la vie d’une usine moderne », poursuit Carole Marigault. Dans les faits les métiers de l’usinage ont profondément évolué, mais ils restent en tension. Les machines sont aujourd’hui de très haute technologie, conduites grâce à des tableaux de bord compliqués qui demandent une formation poussée.
Impression d’échec
Plus de dix ans après la crise, les fortes pertes d’emploi dans l’industrie n’ont pas été anticipées. « Alors que les carnets de commandes se remplissent, il y a urgence à restaurer l’attractivité et l’image des filières professionnelles dans le regard des lycéens », déclare Hubert Mongon. Carole Maringault abonde : « Nos difficultés de recrutement sont notamment liées à la régression du nombre de bacs pro dans nos filières. Ils ne constituent plus le vivier nécessaire pour remplir nos BTS. » Modifier le regard des enseignants du secondaire, des conseillers d’orientation et des familles est un grand enjeu pour toutes ces filières.
Pour doser le travail qu’il reste à accomplir, la parole des intéressés est révélatrice. Questionnés sur leur parcours, plusieurs bacheliers pro, aujourd’hui élèves d’un BTS en maintenance industrielle, admettent avoir souffert du mépris « des bacs généraux » quand ils ont rejoint la voie professionnelle. Quand Damien Kluck, ancien élève de première S, a été réorienté en filière pro, il dit qu’il s’est « perdu ». Un sentiment d’échec avant même d’initier l’apprentissage. « Les autres lycéens nous jugeaient. Mais nous, on apprend un métier, défend Baptiste Padieu. Les bacs pro sont l’objet de plein de préjugés, comme s’ils étaient inférieurs. Alors que nous apprenons simplement des choses différentes. »
Si l’on peut s’amuser du fait que le taux de chômage soit passé sous la barre des 9 % au quatrième trimestre 2018, ces chiffres nous appellent cependant à la prudence et à la modestie.
Le chômage en France est tombé, au quatrième trimestre 2018, à 8,8 % de la population active, une chute consistante de 0,3 point, selon les statistiques de l’Insee publiées jeudi 14 février. On ne sait quel sentiment doit l’emmener : la satisfaction de repasser sous la barre symbolique des 9 % ou bien le stress face au constat qu’il aura fallu une décennie pour retrouver le niveau d’avant la crise financière. La courbe du chômage a effectivement fini par s’inverser, mais la performance n’a rien d’un exploit : rappelons que le taux de chômage moyen de la zone euro, lui, est tombé sous les 8 %.
Même si les chiffres sont encourageants, et il convient de le souligner. D’abord, le taux de chômage des 15-24 ans, qui baisse clairement, à 18,8 %, soit six points de moins par rapport au pic de 2016. Autre bonne nouvelle : le taux d’emploi des 15-64 ans n’a pas été aussi élevé depuis 1980, avec 66,1 % de la population. Enfin, la précarité recule : le nombre de contrats à durée imprécise progresse, tandis que les personnes à temps complet n’ont jamais été aussi nombreuses depuis 2003.
Ces chiffres viennent réaffirmer la tendance molle qui est à l’œuvre ces derniers mois : une décrue lente et irrégulière, qui appelle prudence et modestie. Prudence, parce que les données sont fluctuantes. Fin 2017, on avait déjà cru à une diminution significative et prometteuse, qui avait été pratiquement effacée le trimestre suivant. Certes, les chiffres de la fin de 2018 constituent une heureuse surprise, alors qu’on nous promettait le pire entre le net ralentissement de la croissance et la crise des « gilets jaunes ». Mais il ne faut pas se réjouir trop vite.
D’abord, ce n’est qu’au dernier « acte » que l’on pourra estimer le coût réel des blocages et des abaissements auxquels on assiste samedi après samedi. Ensuite, il serait naïf de miser sur la conjoncture pour espérer la poursuite de la baisse du chômage. Un rapide coup d’œil sur la situation de nos principaux partenaires commerciaux nous remet les pieds sur terre. L’Italie est de nouveau entrée en récession, l’Allemagne y a échappé de peu, quant au Royaume-Uni, le ralentissement est déjà là, alors qu’on ne sait toujours pas comment le Brexit va évoluer.
Pénurie à recruter
Au-delà de quelques indicateurs encourageants, on prend surtout connaissance de la complexité de la situation. Comment, dans un pays où il y a près de 9 % de chômeurs, les entreprises peuvent-elles avoir autant de pénuries à recruter ? Par ailleurs, la fluctuation de la courbe de l’emploi aura toujours du mal à rendre compte des dégâts sociaux générés par des années de chômage de masse. Il ne faut pas imaginer qu’on va rétablir 1,4 million de personnes sans emploi depuis plus de deux ans simplement grâce à une plus grande flexibilité du travail et des carnets de commandes qui se remplissent. Le gouvernement l’a bien compris, en consacrant 15 milliards d’euros pour rehausser le niveau des compétences des personnes les plus éloignées de l’emploi. De là à affirmer que « personne n’est inemployable », c’est faire preuve de beaucoup d’optimisme.
Optimiste, Emmanuel Macron l’a été durant ledébut de son quinquennat il s’est fixé l’objectif de revenir à 7 % de chômage à la fin de son mandat. Le président de la République est encore dans les temps. Mais qui aurait dit que la France mettrait dix ans pour récupérer son niveau d’avant-crise ?
Les collaborateurs sociaux ont de nouveau constaté, jeudi, qu’ils étaient en dispute sur la façon de juguler le recours excessif aux contrats courts.
Ils ne peuvent pas trouver un arrangement mais se donnent encore une ultime chance pour y parvenir. Jeudi 14 février, à l’occasion d’une neuvième séance de négociations sur l’assurance-chômage, les partenaires sociaux ont, de nouveau, constaté qu’ils étaient en désaccord sur la façon de juguler le recours excessif aux contrats courts. L’exercice, engagé en novembre 2018, touche à sa fin. Les confédérations de salariés ont, en effet, sollicité de leurs interlocuteurs patronaux qu’ils proposent un système de type bonus-malus, dans lequel les cotisations sont majorées pour les entreprises dont la main-d’œuvre tourne fréquemment. Une telle option devra être mise sur la table avant la prochaine – et dernière – réunion programmée le 20 février, faute de quoi les représentants des centrales syndicales n’y collaboreront pas. Rejetée par les organisations d’employeurs jusqu’à présent, cette revendication risque fort de ne pas être satisfaite.
Le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P) ne sont pas venus les mains vides, jeudi. Pour la première fois depuis le début des tractations, ils ont exposé un projet d’accord qui, dans leur esprit, répond à la feuille de route donnée par Matignon aux partenaires sociaux, en septembre 2018. Dans ce « document de cadrage » émergent deux points saillants : il faut lutter contre la « permittence », c’est-à-dire la réembauche répétitive de salariés par une même société, et économiser de 3 à 3,9 milliards d’euros en trois ans dans le régime d’assurance-chômage.
Contre-propositions
C’est la première de ces thématiques – combattre la précarité, donc – qui a monopolisé les débats, jeudi. Hostile au bonus-malus, le patronat a affiché des contre-propositions dont beaucoup avaient déjà été évoquées lors d’une précédente séance de négociation, en janvier. Une nouvelle piste a cependant été ouverte jeudi. Elle concerne les CDD d’usage (CDDU), une forme d’emploi ultra-flexible. Pour contrôler ce dispositif, dont de nombreuses entreprises abusent en violant les textes, les organisations d’employeurs ont suggéré quelques changements : ils consisteraient, en particulier, à accorder une prime aux personnes ayant signé au moins quatre CDDU avec une société durant les six mois « qui précèdent la date » du recrutement.
« C’est faible, inconsistant », a déclaré Marylise Léon (CFDT) à l’issue de la rencontre. « Du grand n’importe quoi, pour ne pas dire du foutage de gueule », a renchéri Eric Courpotin (CFTC). Les syndicats sont, une fois de plus, montés au créneau pour défendre une idée qui leur est chère : le bonus-malus. Chaque organisation a son propre schéma, mais celui de Force ouvrière (FO) a été considéré avec un peu plus d’attention. Il envisage de moduler les cotisations en fonction du taux « de contrats à durée limitée » dans l’entreprise. Dans un tel système, seules 17 % des sociétés subiraient une hausse de leurs prélèvements, d’après FO, qui se prévaut d’une étude d’impact de l’Unedic.
Une évaluation mise en place par Sarkozy, abrogée par Hollande, remise en place par Macron, la défiscalisation des heures supplémentaires ne cesse de poser des problèmes dans son adoption au sein des entreprises entre employeurs et salariés.
Mesure-phare de Nicolas Sarkozy, abolie par François Hollande, la exonération des heures supplémentaires a été remise au goût du jour par le président Macron, qui a déclaré le 10 décembre 2018, que les heures additionnels seraient « versées sans impôts ni charges dès 2019 ». Encore faudrait-il qu’elles soient payées. Deux termes récentes de la Cour de cassation ont validé le paiement d’heures supplémentaires contestées par des employeurs qui indiquaient ne pas les avoir commandées.
Dans une affaire qui opposent monsieur Rémi Y., consultant informatique salarié à son ex-employeur, la société Softteam Cadextan (anciennement Sungard Consulting), la cour d’appel de Paris avait confirmé la décision du conseil de prud’hommes saisi par le salarié, en le déboutant de ses demandes de rappel d’heures supplémentaires sur un peu plus de quatre ans, de repos compensateur et de dommages et intérêts pour travail dissimulé (NB : le total des demandes avoisinait les 100 000 euros).
Monsieur Rémi Y. exposait que les horaires journaliers des clients de son employeur chez lesquels il intervenait représentaient une amplitude de dix heures (de 8 h 30 à 18 h 30) dont une heure de pause déjeuner, et qu’il accomplissait, de ce fait, deux heures supplémentaires par jour. Il avait déclaré, comme preuves, les ordres de mission, des preuves des horaires applicables chez les clients, un compte rendu de mission, des rapports d’activité́ mensuels, des comptes rendus d’activité mensuels, des décomptes d’heures supplémentaires, des courriers électroniques et des courriers qu’il avait adressés à l’employeur.
La sanction pour « travail dissimulé »
La société Softam Cadextan a riposté que le salarié avait exprimé sa première demande de rétribution d’heures supplémentaires deux mois avant son départ. Elle a estimé que ses éléments de preuve étaient sans valeur probante, car il s’agissait de comptes rendus et rapports non contresignés par le client ou des e-mails qu’il s’était envoyés à lui-même. Enfin, l’employeur avait exposé au salarié dans plusieurs écrits qu’il devait respecter la durée de travail de trente-cinq heures par semaine, les heures supplémentaires devant faire l’objet d’un accord antérieur avec le supérieur hiérarchique.
A la suite du conseil de prud’hommes, la cour d’appel de Paris a intégralement validé la thèse de l’employeur et débouté monsieur Rémi Y. : la mise en place des heures supplémentaires relevant du pouvoir de direction de l’employeur, le salarié n’avait pas à le placer devant le fait accompli.
Des chercheurs viennent de publier une étude évaluant pour la première fois la masse de ces laborieux précaires et invisibilités du numérique en France.
Le nombre de micro-travailleurs en France n’est pas secondaire : de 15 000 personnes pour les plus réglementaires à plus de 250 000 pour les moins actifs. Un groupe de chercheurs de Télécom ParisTech, du CNRS et de MSH Paris Saclay vient de diffuser une étude tentant de quantifier le nombre de ces travailleurs du clic, invisibilités et fragilisés, qui effectuent de petites tâches numériques rétribuées à la pièce.
« Souvent répétitives et peu qualifiées, consistent, par exemple, à assimiler ou nommer des objets sur des images, enregistrer des factures, traduire des morceaux de texte, changer des contenus (comme des vidéos), trier ou classer des photographies, répondre à des sondages en ligne », détaillent les chercheurs.
Clément le Ludec, Paola Tubaro et Antonio Casilli, les créateurs de cette enquête exécutée dans le cadre du projet DiPLab (cofinancé par la MSH Paris-Saclay, le syndicat Force ouvrière et le service du premier ministre France Stratégie) ont recensé courant 2018 :
Un groupe de 14 903 micro-travailleurs « très actifs », car présents sur des plates-formes de micro-travail au moins une fois par semaine ;
Un autre de 52 337 utilisateurs réguliers, plus sélectifs et présents au moins une fois par mois ;
Enfin, un troisième groupe de 266 126 travailleurs qu’ils évaluent occasionnels.
« Logiques de précarité et d’exclusion »
« Ces évaluations sont à traduire comme des ordres de grandeur. Dans la mesure où ils dépassent le nombre des contributeurs des plates-formes plus médiatisées telles Uber ou Deliveroo, ces chiffres élevés demandent l’attention autant des pouvoirs publics que des partenaires sociaux », précisent les auteurs. La reproduction de plates-formes qui sous-traitent ces micro-tâches et la popularité des solutions d’intelligence artificielle qui usent largement aux travailleurs du clic pour fonctionner – ce que rappelait par ailleurs Antonio Casilli dans son récent ouvrage En attendant les robots – ont poussé les chercheurs à essayer d’estimer le phénomène en France.
Pour y arriver, ils ont combiné trois méthodes : la prise en compte des chiffres affirmés par les plates-formes qui recrutent en France, placer des offres de tâche sur les plates-formes pour voir qui y répondait et, enfin, mesurer l’audience de ces plates-formes.
« Cette nouvelle forme de mise au travail des populations pousse à l’extrême les logiques de précarité et d’exclusion déjà constatées dans le cadre du vaste débat public et des contentieux légaux autour du statut des travailleurs “ubérisés”. Il nous paraît donc urgent de nous pencher sur ce phénomène émergent », déclarent-ils dans leur article.
L’industriel envisage la clôture de deux de ses quatre sucreries en France en 2020, ainsi qu’une vaste réaménagement pour faire face à la chute des cours mondiaux.
Saint-Louis Sucre a avisé, jeudi 14 février, la clôture de deux de ses quatre sucreries en France à partir de 2020, ainsi qu’une vaste réorganisation pour faire face à une baisse des cours du sucre, ce qui se traduirait par 130 suppressions d’emplois.
Les sites de Cagny (Calvados), Eppeville (Somme) et Marseille sont visés. L’usine de Cagny, qui emploie 85 salariés, cessera sa production de sucre au profit du stockage de sucre, mélasse et de la production d’alimentation animale à partir de mélasse, ce qui se traduirait par 77 suppressions d’emplois.
A Eppeville, 122 des 132 travailleurs seront réaffectés dans les deux usines de Roye (Somme), située à une vingtaine de kilomètres. Les dix autres effectueraient du stockage de sucre, sirop et mélasse et la déshydratation de pulpe. A Marseille, usine de conditionnement, les 58 employés seront ramenés à cinq pour un recentrage de l’activité sur la production de sucre liquide.
Écroulement des prix sans précédent
Ces fins ont été annoncées, jeudi, lors d’un comité central d’entreprise à Paris. « Ce projet répond à la nécessité de s’adapter à la nouvelle donne du marché du sucre : libéralisation du marché européen depuis octobre 2017 avec la suppression des quotas, surproduction à l’échelle mondiale et chute des prix sans précédent sur les marchés mondiaux et européens », a expliqué le groupe, filiale de l’Allemand Südzucker, dans un communiqué.
« Ce projet s’inscrit dans un contexte de pertes de la branche sucre du groupe Südzucker, l’amenant à devoir adapter ses capacités de production à la demande du marché européen », déclare-t-il. Südzucker a enregistré un déficit de 83 millions d’euros sur sa branche sucre au troisième trimestre de l’exercice 2018-2019.
« L’Europe avait un marché régulé, mais la suppression des quotas de sucre en 2017 a encouragé les industriels à augmenter leur production de 30 %, ce qui a inondé le marché et fait baisser les prix », a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) Loïc Touzé, délégué syndical central FO, déclarant que Saint-Louis Sucre accuse aujourd’hui un déficit de 70 millions d’euros.
Il révoque toutefois le « deux poids deux mesures » entre les usines allemandes de la maison mère et les usines françaises. « Südzucker vient d’annoncer qu’il arrêtait de produire 700 000 tonnes de sucre par an, mais c’est la France qui accumule l’essentiel des efforts avec 450 000 tonnes. L’actionnaire privilégie ses usines en Allemagne », regrette le syndicaliste, pour qui « d’autres solutions auraient été possibles sans fermeture d’usine ».
« Décision brutale »
Succursale depuis 2001 de Südzucker, premier sucrier européen, Saint-Louis Sucre emploie 770 employés en France et travaille avec 4 733 planteurs de betterave sucrière.
Dans un communiqué, le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a jugé cet issue « brutale » et appelé la préfète de la Somme à « réunir le plus rapidement possible toutes les parties prenantes » pour déterminer « si toutes les options ont été étudiées sérieusement » concernant le site d’Eppeville.
« S’il apparaît que des investissements pour maintenir la production à Eppeville sont nécessaires, les collectivités locales et, en premier lieu, la région Hauts-de-France seront prêtes à participer à cet effort financier », a-t-il mentionné.
Contrairement aux idées reçues, les professions multiples sont, aux USA, plus souvent le fait des travailleurs qualifiés que de ceux qui peinent à joindre les deux bouts, démontrent trois économistes.
Le département du travail américain a évalué que, en août 2017, 7,6 millions de travailleurs ont occupé plusieurs emplois, en hausse de 2 % par rapport aux 7,4 millions de juillet 2016. Ce chiffre marquait un retour à des sommets inégalés depuis vingt ans. Est-ce le signe d’un transmutation sur le marché du travail américain ? La preuve de l’insuffisance du revenu du travail, qui inciterait les travailleurs pauvres à occuper plus d’un emploi ? Ces affirmations sont souvent présentes dans le débat public.
Les données de l’enquête américaine sur la population (« Current Population Survey ») admettent d’examiner de plus près les caractéristiques de ces travailleurs occupant plusieurs emplois, leur identité et les types d’emploi qu’ils occupent (« Multiple jobhoders », Economic Research n° 32, 2018, Federal Reserve Bank of Saint-Louis).
Tout d’abord, occuper plusieurs emplois pourrait signifier qu’un seul emploi ne permet pas de joindre les deux bouts. Aux Etats-Unis, depuis 1994, au moins 50 % des personnes ayant eu plusieurs emplois ont réuni un emploi à temps plein et un emploi à temps partiel, 30 % deux emplois à temps partiel, environ 5 % deux emplois à temps plein.
Mais, au fil du temps, le rapport de personnes adoptant plusieurs emplois a diminué, passant de plus de 6 % au milieu des années 1990 à environ 5 % au milieu des années 2010. Cette baisse est similaire pour les hommes et les femmes – mais les femmes sont aujourd’hui plus susceptibles que les hommes d’occuper plusieurs emplois, alors que ce n’était pas le cas au début des années 1990. L’idée selon laquelle la baisse du revenu des travailleurs américains ces vingt dernières années les pousserait à être de plus en plus nombreux à faire plusieurs emplois est donc erronée.
Plusieurs hypothèses
Précisément, on peut penser que ce sont les travailleurs les moins qualifiés, et donc les moins bien payés, qui seraient les plus enclins à occuper plusieurs emplois. Or on observe au contraire que le pourcentage de travailleurs ayant plusieurs emplois augmente avec le niveau d’éducation. Plus de 8 % des travailleurs titulaires d’un diplôme supérieur servaient plusieurs emplois au cours des années 1990, un peu moins de 8 % parmi les diplômés ayant un niveau d’éducation intermédiaire, contre 6 % en moyenne.
Quatre experts de Sciences Po expliquent, comment le trumpisme, le Brexit et le mouvement des « gilets jaunes » sont le reflet de la défiance de travailleurs menacés par la robotisation
Les « gilets jaunes », si divers soient-ils, partagent un véritable nombre de traits communs, les fins de mois difficiles, le sentiment d’être pris en étau dans leur vie quotidienne et professionnelle, et une révolte contre les politiques en place. Même s’ils ont un travail, un logement, une voiture, ils sont à la merci du moindre imprévu et voient leur horizon de plus en plus bouché. Cette révolte contre les conditions de vie et d’emploi faites de plus en plus pénibles pour certains groupes sociaux n’est pas particulière à la France. Elle se retrouve derrière les ruptures politiques à l’œuvre dans la plupart des démocraties des pays développés : montée des partis extrémistes et antisystème dans la plupart des pays européens, Brexit en Grande-Bretagne, trumpisme aux Etats-Unis.
Qui sont ces groupes sociaux ? Le paradoxe déjà articulé à propos des « gilets jaunes » tient au fait que ce ne sont pas ceux qui sont les plus pauvres, les plus précaires qui protestent, mais plutôt ceux qui se sentent alarmés de le devenir.
Cela est à mettre en dépendance avec l’évolution générale du marché du travail, qui voit progressivement disparaître les emplois intermédiaires, ceux justement occupés par ceux qui se sentent menacés. Dans un article à paraître (« The losers of automation, a reservoir of votes for the radical right », Research and Politics, 2019), nous démontrons le lien fort qui existe entre la menace de la numérisation, la sensation d’insécurité économique et les comportements politiques qui en résultent.
Concentration du marché du travail
On a abondamment pensé que le progrès technologique avait surtout un impact sur les emplois les moins qualifiés. Cependant, depuis le début des années 1990, ce sont plutôt les emplois intermédiaires qui disparaissent (David Autor, Frank Levy et Richard Murnane, « The Skill Content of Recent Technological Change : An Empirical Exploration », The Quarterly Journal of Economics, novembre 2003). Les ordinateurs, les robots sont capables d’effectuer des tâches programmables. Dès lors, ils remplacent les tâches routinières qui caractérisent plus souvent les emplois intermédiaires, aussi bien dans les usines que dans les services. La robotisation a d’abord touché les emplois ouvriers des usines, ceux que pouvait facilement remplacer la machine. Sur les chaînes de montage, des robots surveillés par quelques ingénieurs en blouse blanche ont succédé aux ouvriers. Ces derniers représentaient 40 % de la population active française dans les années 1960, ils sont 20 % aujourd’hui, dont plus de 70 % travaillent dans le tertiaire (manutention, nettoyage, transports). Les ouvriers d’industrie nettement dits comptent pour moins de 10 % des actifs. Maintenant c’est le tour des emplois en col blanc aux qualifications intermédiaires d’être menacés par l’informatique et le développement de l’intelligence artificielle.
« Un rêve devenu impossible », une « exclusion » : au Maghreb, l’augmentation des frais d’inscription dans les universités françaises pour les étudiants non ressortissants de l’Union européenne (UE) suscite frustration et déception. Près d’un quart des plus de 300 000 étudiants étrangers en France est originaire d’Afrique du Nord.
Dans le centre-ville de Rabat, entre bâtiments administratifs et immeubles Art déco, une petite dizaine de jeunes se rassemblement devant une annexe de Campus France, l’organisme public chargé de la promotion à l’étranger de l’enseignement supérieur de l’Hexagone. Ils sont ici pour un « entretien de candidature », étape préalable à une demande de visa étudiant.
En plus des démarches souvent difficiles et coûteuses, ils devront composer avec la hausse des frais universitaires pour les étudiants étrangers extracommunautaires. Dès la rentrée 2019, ceux-ci devront s’acquitter de 2 770 euros par année en licence et de 3 770 euros en master et doctorat, contre 170 euros en licence, 243 euros en master et 380 euros en doctorat pour les Européens.
« On peut accepter une augmentation des frais, mais pas dans ces proportions. On est passé de rien à 2 800 euros par an, c’est trop ! », Mentionne Omar, 21 ans, l’un des jeunes présents. « La France est devenue une destination pour les étudiants riches. Si tu es pauvre ou issu de la classe moyenne, tu restes chez toi », accuse Salah, 22 ans, inscrit en gestion des entreprises dans une école privée à Rabat. Lui dit avoir abandonné à son projet de master en France : « Vu la hausse, je préfère aller là où les études sont gratuites. »
« Au Maroc aussi, il faut souvent payer »
Selon les dernières estimations de Campus France, en 2017, le Maroc était le premier pays d’origine des étudiants étrangers non européens dans l’Hexagone, avec 38 000 ressortissants. Depuis l’annonce de la réforme, une baisse de 15,5 % des demandes a été enregistrée pour le royaume. Reste que, dans ce pays où l’école publique est soulignée de tous les maux, une scolarité payante est devenue la norme dans les classes moyennes et aisées. « Au Maroc aussi, il faut souvent payer pour étudier », relève ainsi Khalil, 17 ans, qui fréquente un lycée privé à Kénitra, au nord de Rabat. Il trouve « normale » la hausse des frais universitaires en France « car les étudiants français paient les [impôts] chez eux, alors que nous, on ne paie rien, juste les frais de scolarité ».
Une quinzaine d’universités françaises ont fait savoir qu’elles utiliseraient toutes les possibilités réglementaires existantes pour permettre à ces étudiants de profiter du régime tarifaire actuel. Mais le nombre de candidats à une licence à la fac est en baisse de 10 % pour la rentrée prochaine sur l’ensemble des pays hors UE. En Algérie et en Tunisie, la chute est respectivement de 22,95 % et 16,18 %, selon des chiffres divulgués début février à Paris par Campus France. Dans ces deux pays aussi, la mesure éclaircie par le gouvernement français passe mal.
Hichem, matriculé en deuxième année de biologie à l’université de Bejaïa, à l’est d’Alger, affirme avoir dû abandonner son projet d’études dans l’Hexagone. « J’étais à un stade très avancé […] quand j’ai appris la nouvelle de l’augmentation des frais. J’ai tout annulé. C’est trop cher, c’est impossible pour moi. C’est une forme d’exclusion envers les étudiants étrangers », regrette-t-il. Etudiant au sein de la même université, Amer avait « préparé tout le dossier » et « pris des rendez-vous pour les entretiens », mais lui aussi a irrémédiablement « tout abandonné ».
La Tunisie, elle, s’estime triplement touché. Avant même l’explosion des frais universitaires en France, la dépréciation du dinar entraînait déjà un renchérissement important des études à l’étranger. Et les agitations sociales qui ont touché les lycées fragilisent les dossiers de certains candidats, qui n’ont aucun bulletin à présenter pour le premier trimestre. Représentant de Campus France à Tunis, Hosni Dakhlaoui confirme une baisse sensible des demandes par rapport à la même période l’an passé.
Rania, 20 ans, prépare son bac de lettres dans un lycée public. « J’ai toujours voulu étudier en France, c’est un rêve d’enfance, déclare-t-elle à l’AFP. Mais un rêve devenu impossible. Entre la hausse des frais et le dinar qui perd sa valeur, cela devient bien trop cher pour des gens comme moi. »
Le nombre de micro-travailleurs en France n’est pas secondaire : de 15 000 personnes pour les plus réglementaires à plus de 250 000 pour les moins actifs. Un groupe de chercheurs de Télécom ParisTech, du CNRS et de MSH Paris Saclay vient de diffuser une étude tentant de quantifier le nombre de ces travailleurs du clic, invisibilités et fragilisés, qui effectuent de petites tâches numériques rétribuées à la pièce.
« Souvent répétitives et peu qualifiées, consistent, par exemple, à assimiler ou nommer des objets sur des images, enregistrer des factures, traduire des morceaux de texte, changer des contenus (comme des vidéos), trier ou classer des photographies, répondre à des sondages en ligne », détaillent les chercheurs.
Clément le Ludec, Paola Tubaro et Antonio Casilli, les créateurs de cette enquête exécutée dans le cadre du projet DiPLab (cofinancé par la MSH Paris-Saclay, le syndicat Force ouvrière et le service du premier ministre France Stratégie) ont recensé courant 2018 :
Un groupe de 14 903 micro-travailleurs « très actifs », car présents sur des plates-formes de micro-travail au moins une fois par semaine ;
Un autre de 52 337 utilisateurs réguliers, plus sélectifs et présents au moins une fois par mois ;
Enfin, un troisième groupe de 266 126 travailleurs qu’ils évaluent occasionnels.
« Logiques de précarité et d’exclusion »
« Ces évaluations sont à traduire comme des ordres de grandeur. Dans la mesure où ils dépassent le nombre des contributeurs des plates-formes plus médiatisées telles Uber ou Deliveroo, ces chiffres élevés demandent l’attention autant des pouvoirs publics que des partenaires sociaux », précisent les auteurs. La reproduction de plates-formes qui sous-traitent ces micro-tâches et la popularité des solutions d’intelligence artificielle qui usent largement aux travailleurs du clic pour fonctionner – ce que rappelait par ailleurs Antonio Casilli dans son récent ouvrage En attendant les robots – ont poussé les chercheurs à essayer d’estimer le phénomène en France.
Pour y arriver, ils ont combiné trois méthodes : la prise en compte des chiffres affirmés par les plates-formes qui recrutent en France, placer des offres de tâche sur les plates-formes pour voir qui y répondait et, enfin, mesurer l’audience de ces plates-formes.
« Cette nouvelle forme de mise au travail des populations pousse à l’extrême les logiques de précarité et d’exclusion déjà constatées dans le cadre du vaste débat public et des contentieux légaux autour du statut des travailleurs “ubérisés”. Il nous paraît donc urgent de nous pencher sur ce phénomène émergent », déclarent-ils dans leur article.