Au sud-ouest de Paris est en train d’apparaître un pôle d’innovation de rang mondial. Des universités, des grandes écoles et des centres de R&D affluent sur le site Paris-Saclay, qui réunit déjà 15% de la recherche privée et publique française.
Ce n’est encore qu’un vaste chantier, une zone particulièrement agricole dominée d’une immense forêt de grues. Aux confins de l’Essonne et des Yvelines, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale, tout un pôle de recherche et d’innovation est en train de se construire à un rythme effréné : le cluster Paris-Saclay. L’Ecole polytechnique, CentraleSupélec, l’Institut de mathématique d’Orsay, l’Institut d’optique et l’Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae) y ont déjà installé dans des locaux flambant neufs. Ils ont rapidement été rejoints par Horiba (le géant japonais de l’optique et de l’instrumentation), par l’EDF Lab et ses 1.000 salariés et étudiants, par le centre de recherche de l’avionneur Safran et par Nokia.
Et ce n’est qu’un début. Normale sup Cachan, Télécom ParisTech, AgroParisTech et les départements de biochimie de l’université Paris-Sud sont attendus d’ici à 2021, ainsi que Total ou la R&D du groupe pharmaceutique Servier. C’est simple : en incluant les agglomérations de Versailles et de Saint-Quentin-en-Yvelines, qui font désormais partie du nouveau pôle, Paris-Saclay concentre déjà 15% de la recherche française, publique et privée. A terme, on devrait atteindre 20%.
- 1,7 million de mètres carrés aménagés, dont 560.000 déjà réalisés en mars 2018. 4.100 hectares de zone naturelle protégée, dont 2.500 de terres agricoles. 5,3 milliards d’eurosinvestis par l’Etat (construction de la ligne 18 comprise). 18.000 logements (dont 8.000 destinés aux étudiants).
Business et neurones
“L’idée d’une Silicon Valley à la française est né en 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en même temps que le Grand Paris et le projet de supermétro”, raconte Philippe Van de Maele, le directeur de l’Etablissement public d’aménagement Paris-Sacaly, qui pilote l’opération. L’objectif fixé à cet ingénieur, ancien président de l’Ademe et passé par chez Bouygues, est clair : assembler sur un seul territoire les fleurons de la recherche académique et privée française, afin de favoriser les échanges entre chercheurs, étudiants et entreprises, mais aussi de gagner en visibilité internationale. Le choix du plateau de Saclay s’est imposé naturellement : le CNRS s’y est installé après la Seconde Guerre mondiale, suivi par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et l’université Paris-Sud. Dès la création du projet, il a été prévu d’inscrire le site, desservi seulement par la nationale 118, dans le plan de la future ligne 18 du métro Grand Paris Express, qui devra le relier notamment à Orly et à Versailles.
“Le projet se décline en trois volets, détaille Philippe Van de Maele. Le volet académique, le volet économique et le volet urbain, lequel inclut la construction de logements, d’écoles et de commerces au coeur même du nouveau campus.” Premier à être lancé, le projet académique est ambitieux : il a comme objectif d’ouvrir une université de rang mondial, destinée à figurer dans le top 20 du célèbre classement des universités de Shanghai, donc bien mieux cotée que Sorbonne Université, l’entité née en janvier de la fusion de Pierre-et-Marie-Curie et de Paris IV… qui pointe aujourd’hui à la 36e place.
L’université Paris-Saclay, qui s’ouvrira officiellement le 1er janvier 2020, va réunir une vingtaine d’établissements (les universités de Paris-Sud, Evry et Versailles-Saint-Quentin, des grandes écoles, le CNRS, le CEA, l’Inra, l’Inria…) et va publier sous sa bannière toutes les thèses produites. Très imposant, son périmètre sera pourtant moins étendu que prévu : Polytechnique, rechignant au mariage et craignant les “lourdeurs” de ses partenaires universitaires, a en effet décidé de faire cavalier seul au sein d’un institut technique de type MIT, constitué avec l’Ensta (Ecole supérieure des techniques avancées), l’Ensae et Télécom SudParis.
Esprit lab
La création d’un pôle académique est un argument de taille pour encourager les entreprises à installer leurs équipes de R&D sur le plateau. Comme l’a fait EDF avec son EDF Lab. “La plupart de nos partenaires académiques – le CEA, Supélec, Polytechnique, Normale sup – se existent sur place, explique Jean-Paul Chabard, directeur scientifique de la R&D. Cela nous a semblé évident d’y déménager les 1.200 salariés de notre ancien centre de recherche de Clamart.” Adepte de l’innovation ouverte, l’électricien anime en effet depuis plusieurs années des laboratoires de recherche communs avec ces établissements, sur des thèmes aussi variés que les réseaux électriques intelligents ou les séismes. Il a aussi profité de son arrivée sur le plateau pour y ouvrir, avec Total et Air liquide, l’Institut photovoltaïque d’Ile-de-France, consacré à la recherche sur les énergies nouvelles. Afin de bénéficier de l’effet campus, EDF Lab joue la carte de l’interaction et prête volontiers son amphithéâtre de 550 places à ses partenaires ou à ses nouveaux voisins. Si l’énergie s’annonce comme une spécialité forte du futur pôle d’innovation, elle est loin d’être la seule.
L’intelligence artificielle devrait également s’y épanouir, avec la création d’un center for data science, consacré à développer les outils nécessaires à l’analyse du big data. Il se murmure aussi qu’IBM pourrait installer ici un centre de recherche européen sur le sujet. Le pôle s’installe en outre dans le secteur de la santé, capitalisant sur la présence dans le voisinage du centre de R&D de Danone, mais aussi sur l’arrivée en 2021 des équipes de recherche des laboratoires Servier. Attiré par l’installation imminente à Saclay de la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, Servier veut y regrouper ses trois centres de recherche français et annonce l’ouverture d’un incubateur qui mettra à la disposition des start-up une panoplie d’équipements destinés à la pharmacie.
En attendant les étudiants
Si les jeunes pousses ne sont pas encore légion sur le plateau, Philippe Van de Maele se dit bien décidé à les y attirer, avec l’ouverture, dans deux ans, d’un IPHE (incubateur, pépinière, hôtel d’entreprises). Il a mit en place, avec VivaTech, la première édition du Paris-Saclay Spring, qui a rassemblé 320 start-up et nombre de directeurs R&D en mai 2018.”Il faut que Paris-Saclay soit dans le logiciel des investisseurs et des business angels”, proclame-t-il. Les locataires de l’IPHE pourront en tout cas tester leur ingéniosité en s’efforçant d’améliorer la vie quotidienne sur le plateau, car elle relève plus aujourd’hui de la galère et de la débrouille que de la fluidité propre aux grands campus technologiques.
Alors que l’ouverture de la ligne 18 du métro était programmée en 2024, le gouvernement l’a retardé à 2027 pour le tronçon vers Orly et à 2030 vers Versailles ! Un mauvais coup porté à Paris-Saclay. “C’est à croire que l’Etat ne comprend pas son propre projet », glisse un observateur, amer, qui rappelle que 50.000 personnes gagneront le plateau tous les jours en 2020 et 70.000, à terme. Certaines entreprises ont déjà mis en place des navettes, comme celle que se partagent les salariés d’EDF, de l’Onera et du CEA, à partir de la porte d’Orléans, à Paris. L’autopartage a de beaux jours devant lui… ainsi que les embouteillages, déjà légendaires. Sans compter que ce gros raté pourrait aussi refroidir les ardeurs de certaines entreprises… et des habitants appelés à s’installer bientôt dans les 10.000 logements familiaux planifiés sur le site.
L’excellence sur un plateau
“Trop tard pour reculer, se rassure Philippe Van de Maele. Avec tous les projets en cours, la taille critique est dépassée.” Des entreprises et écoles commencent même à communiquer sous la marque Paris-Saclay. Plus anecdotique, mais indispensable à la vie d’un lieu qui veut favoriser l’échange et les interactions, l’ouverture de cafés et autres lieux de convivialité devrait bientôt réconforter les salariés déjà présents sur le site : à défaut d’un transport express, ils pourront siroter un expresso en se félicitant de figurer parmi les pionniers d’un pôle d’innovation destiné à faire partie des huit premiers du monde, selon le MIT. “Le prochain Google sera français et naîtra sur le plateau”, prédit Philippe Van de Maele. On ne demande qu’à le croire.