Pénibilité, substantif ô combien féminin, une thématique au cœur de la revue « Travail, genre et sociétés »
La revue des revues. Etude après étude, un constat a la vie dure : les conditions de travail des femmes et des hommes ne sont toujours pas égales. C’est sur ce sujet, trop souvent délaissé, que se penche le dernier numéro de la revue Travail, genre et sociétés, intitulé « Le genre des pénibilités au travail » (La Découverte, 250 p., 27 euros). « Que ce soit à un niveau global ou à profession égale, elles et ils ne sont pas confronté.es aux mêmes dangers et ne sont pas exposé.es aux mêmes risques et pénibilités », martèlent dès leur introduction la sociologue Delphine Serre et l’économiste Rachel Silvera.
A tous les niveaux, les femmes sont davantage affectées à des travaux répétitifs, isolés, avec une faible autonomie et un soutien limité de la hiérarchie et des collègues. A la racine du mal : des biais cognitifs et des représentations genrées, invisibilisant la détresse des femmes.
Pourtant, les conséquences en sont bien réelles. Et les chiffres alarmants, décryptent les chercheuses. Si l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail note une baisse salutaire de 27 % des accidents du travail chez les hommes entre 2001 et 2019, elle relève un bond de 41,6 % chez les femmes. Le manque de visibilité est particulièrement poussé dans certains secteurs, comme le soin ou l’aide aux personnes – les notions de vocation et de dévouement faisant obstacle à toute prise de conscience. Même constat au niveau juridique : la législation reste aveugle au genre. En témoigne, expliquent les chercheuses, la réforme des retraites de 2023, qui peine à prendre en compte la pénibilité des métiers féminisés.
Les enseignantes aussi touchées
S’appuyant essentiellement sur des enquêtes sociologiques, la revue analyse comment ces pénibilités différenciées se reflètent (ou non) dans différents dispositifs de prévention et de réparation, et dans l’aide syndicale. L’article de la chercheuse Julie Jarty, intitulé « Les pénibilités intimes du travail d’enseignante », ouvre le dossier central. Loin de sa réputation women friendly, le métier est peu attractif : les enseignantes sont confrontées à des perspectives de carrière plus faibles que les hommes, à un morcellement du temps mal pris en compte lorsqu’elles sont mères et, parfois, à des violences sexuelles.
Dans un second temps, la partie « Controverse » aborde les recompositions du secteur académique, au cours des vingt dernières années, autour d’une supposée « excellence scientifique », calquée sur le modèle anglo-saxon (quantification des publications, internationalisation…). Quelles conséquences pour les femmes ? S’il n’y a pas de consensus clair en la matière, la revue identifie pourtant un risque de renforcement des inégalités de genre. Le tout dans un milieu déjà gangrené par l’« effet Mathilda », mis en évidence par l’historienne Margaret Rossiter en 1993, c’est-à-dire l’invisibilisation et la minoration du travail des femmes dans les univers scientifiques.
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