L’argot de bureau : l’« ikigaï », l’empire du sens au travail
C’est l’heure des bonnes résolutions pour Florian, qui sort tout juste d’un réveillon catastrophique. La mine de plus en plus déconfite au fil des heures, il a dû répondre aux traditionnelles questions des inconnus : « Tu fais quoi sinon toi, dans la vie ? – Euh… Je gère des projets data pour upgrader le marketing d’une start-up. – Non mais concrètement tu fais quoi, ça te plaît ? » Puis le trou noir : c’est décidé, Florian changera de vie en 2022. Rencontrée à la soirée, Victoria le guidera dans sa quête de soi : ex-success custom manager (son travail consistait en fait à relancer des clients par téléphone), elle a tout plaqué pour alterner en free-lance deux activités de professeure de yoga et de coach en ikigaï.
Ce mot japonais est l’objectif vers lequel chacun devrait tendre : il s’agit littéralement d’une vie (le verbe ikiru signifiant « vivre ») qui vaut la peine (gaï signifiant « raison, sens »). Trouver son ikigaï, c’est redessiner sa vie sur mesure pour avoir une raison de se lever le matin. Vaste projet.
Les origines du concept font l’objet de débats : il viendrait de l’île d’Okinawa, réputée pour ses villages de centenaires, pratiquant leurs nombreuses activités en communauté comme la danse ou la gestion de potagers. Après tout, « il faut cultiver notre jardin », disait le Candide de Voltaire.
L’ikigaï à la sauce professionnelle est une véritable méthode, dont les étapes varient au gré des livres de développement personnel. Pour mieux prendre de grandes décisions, il s’agit de se connaître : au commencement se trouve donc une introspection profonde. Ce cher Florian abandonnera toute certitude : « Qui suis-je ? Que suis-je ? Où vais-je ? » Il sera aussi invité par Victoria à demander l’avis sincère de ses proches, notamment de ses parents qui ne comprennent pas ce que fait leur fils dans sa start-up.
« Vocation avec du pognon »
La méthode démocratisée dans nombre d’entreprises est souvent représentée par un diagramme de Venn, fait de cercles qui s’entrecroisent. Si l’étape précédente a été réalisée avec succès, le salarié en quête de sens devrait pouvoir remplir d’idées les quatre cercles de base : ce qu’il aime faire, ce pour quoi il est doué, ce pour quoi il peut être payé, et ce dont le monde a besoin. A titre d’exemple, si, comme le François Pignon du Dîner de cons (film de Francis Veber, 1998), vous aimez faire des maquettes de monuments avec des allumettes, c’est un point de départ pour vous relancer dans le BTP (le monde n’a pas besoin de vos maquettes, et il est difficile d’espérer en tirer un revenu).
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