Archive dans janvier 2023

« Avec ChatGPT et l’irruption de l’intelligence artificielle, la question de la raréfaction du travail et de l’avenir des retraites est relancée »

L’a-t-on assez répété ! La dureté et le sens même du travail sont les grands absents du débat sur les retraites, l’angle mort de la réforme du gouvernement repoussant l’âge légal de départ de 62 ans à 64 ans. Rejeté par les syndicats, encore unis dans la rue mardi 31 janvier, ce report brutal de deux ans traduit bien la volonté du président de la République, Emmanuel Macron, de voir les Français « travailler davantage », le mot d’ordre du second quinquennat ; mais il contredit la triste expérience d’hommes et de femmes vivant une fin de carrière entre chômage et aides sociales, loin de l’emploi.

Société salariale et Etat-providence sont indissolublement liés depuis près d’un siècle. Le financement des retraites repose sur une économie où le travail est central et abondant. Echafauder des scénarios de rupture n’entre pas dans les missions du Conseil d’orientation des retraites : ses dernières projections, publiées en septembre 2022, s’appuient sur des hypothèses de taux de chômage que la France a connus ces cinquante dernières années, excluant tout décrochage structurel de l’emploi à l’horizon 2050-2070. Et si ce socle venait à être miné par une raréfaction du travail sous l’effet des dernières avancées technologiques ?

La question est relancée par l’irruption récente et fracassante de l’intelligence artificielle (IA) dans la vie quotidienne. Dans Un monde sans travail (Flammarion, 432 pages, 24 euros), l’économiste Daniel Susskind, professeur à Oxford, explore les retombées potentielles sur l’emploi de ces vertigineux outils, désormais dotés de facultés cognitives, de talents créatifs et parfois même de réactions émotionnelles, sans être pour autant des copies du système neuronal du cerveau humain.

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Le spectre des machines tueuses d’emplois réapparaît régulièrement depuis le mouvement des luddites anglais, au début du XIXe siècle, briseurs de métiers à tisser par peur de perdre leur gagne-pain d’artisans. En 1930, au début de la Grande Dépression, l’économiste John Maynard Keynes analysait déjà le « chômage technologique ». Il le considérait alors comme un mal nécessaire entre deux bouleversements du système productif, tout en prédisant que les gains de productivité permis par les avancées techniques conduiraient un siècle plus tard à un « âge des loisirs et de l’abondance », où l’on ne travaillerait plus que quinze heures par semaine.

« Chômage technologique »

La vieille rengaine malthusienne que voilà !, s’époumonent encore aujourd’hui les opposants à cette vision utopique, confortés par trois cents ans d’histoire économique. Depuis le XVIIIe siècle, chaque progrès (machine à vapeur, électricité, informatique…) s’est traduit par la création de nouveaux secteurs pourvoyeurs d’emplois. Ils ont entraîné une division par deux de la durée du travail dans les pays industrialisés. Le nombre d’actifs n’a pourtant pas cessé de grossir, y compris dans les pays les plus productifs. « Rien ne garantit que cela se reproduira dans les décennies qui nous attendent », avance Susskind.

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Représentants des salariés et dirigeants ne partagent pas la même conception du dialogue social

Manifestation intersyndicale contre le projet de réforme des retraites entre la place de la République et la place de la Nation, le 19 janvier, à Paris.

En cette période de profonde transformation du monde du travail, « comment se porte le dialogue social en France ? » Alors qu’ont resurgi les conflits sur les augmentations de salaire et que les syndicats appellent à une deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, mardi 31 janvier, c’est la question posée par le cabinet d’expertise Syndex, spécialisé dans le conseil aux représentants des salariés.

Réalisée en partenariat avec l’IFOP, l’enquête a été menée à l’automne 2022 auprès de 917 représentants du personnel, 1 308 salariés et 410 chefs d’entreprises et DRH, dans des entreprises de 50 à plus de 5 000 salariés.

Les réponses, publiées lundi 30 janvier dans le 5e baromètre du dialogue social, montrent un vrai décalage de perception sur la qualité du dialogue social des deux côtés de la table des négociations : quand chefs d’entreprises et DRH l’estiment de bonne tenue (le notant 7,8/10), les salariés et leurs représentants lui donnent tout juste la moyenne (lui attribuant respectivement 5,7/10 et 5/10).

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Cinq ans après la fusion des trois instances représentatives du personnel (délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) en une seule, le comité social et économique (CSE), les représentants du personnel soulignent toujours le manque de moyens face à une charge de travail alourdie. « Ils nous ont enlevé des moyens, 30 heures pour trente-six sites, c’est compliqué. [Pour] le changement de mutuelle, il faut se mettre dans le dossier à fond, on n’a pas d’heures prévues en plus », constate l’élu d’une très grande entreprise de la logistique, cité par l’étude.

Face à l’inflation, la question du pouvoir d’achat et des rémunérations a retrouvé une place centrale pour les élus

Ce manque de moyens est, pour eux, un frein dans la communication avec les salariés, qu’ils estiment trop « descendante », avec une difficulté soulignée de trouver le temps d’aller « sur le terrain ». Or la « proximité avec les salariés » est justement, pour 70 % d’entre eux, l’élément qui contribue le plus à la qualité du dialogue social. Quand pour les dirigeants, celle-ci réside d’abord dans le « respect de la législation » (pour 74 % d’entre eux).

Seul un dirigeant sur cinq considère par ailleurs qu’il faudrait renforcer le poids des avis du CSE, quand c’est au contraire la priorité de quatre représentants du personnel sur cinq.

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Si tous continuent de faire des conditions de travail et des risques psychosociaux la mission prioritaire du CSE, la question du pouvoir d’achat et des rémunérations a, face à l’inflation, retrouvé une place centrale pour les élus : 81 % en font une priorité des sujets à traiter en CSE, contre 45 % seulement des dirigeants.

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Philips annonce la suppression de 6 000 emplois après le rappel de respirateurs

Le groupe néerlandais Philips a annoncé, lundi 30 janvier, la suppression d’ici 2025 de 6 000 emplois, après des pertes liées à un rappel d’appareils respiratoires pour l’apnée du sommeil défectueux qui le plombe depuis des mois.

Cette nouvelle réduction d’effectif, « difficile mais nécessaire », s’ajoute à la suppression de 5 % de ses effectifs, soit 4 000 emplois, annoncée par le groupe en octobre, a précisé le PDG de Philips, Roy Jakobs.

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La moitié des suppressions d’emplois seront effectuées cette année, a précisé la société néerlandaise de technologie de la santé, ajoutant que l’autre moitié sera réalisée d’ici 2025. L’entreprise fait face aux retombées du rappel de millions de ventilateurs utilisés pour traiter l’apnée du sommeil, à cause de soupçons de toxicité de la mousse utilisée dans ces appareils. Ce rappel a fait chuter de 70 % sa valeur boursière.

La réduction des effectifs devrait permettre de dégager une marge d’Ebita (earnings before interest, taxes, depreciation, and amortization, en français « bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements ») d’environ 10-14 % (« low teens ») d’ici 2025, et d’environ 15-19 % (« mid to high teens ») au-delà, avec une croissance à un chiffre des ventes à périmètre comparable, a souligné Philips.

Le Monde avec AFP et Reuters

L’argot de bureau : le « pitch », quand la forme touche le fond

« Notre idée de start-up est simple, c’est la Wonderbox de la danse exotique pour les mères célibataires. Nous avons déjà remporté le concours Inno’startup de Choisy-le-Roi avec ce projet. » Cette présentation de start-up fictive nous vient de « Pitch French Tech », un formidable outil qui génère automatiquement des présentations d’entreprises alambiquées, ou « pitchs ». Bien orchestré, un « pitch » peut-être la quintessence, l’étape ultime du discours officiel parfois « charabiesque » de l’entreprise.

Dans une économie de l’attention où les ingénieurs de Google situent notre capacité de concentration au niveau de celle d’un poisson rouge (environ neuf secondes), le pitch est une présentation très courte qui a pour objectif de susciter l’intérêt de celui qui l’écoute. C’est un topo, un résumé qui va droit au but, certes, mais en sachant manier le verbe. Comme disait le poète Nicolas Boileau (1636-1711), « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. » (Chant I, L’Art poétique).

En start-up, le pitch, entre cinq et dix minutes, présente donc le projet à des investisseurs. L’« elevator pitch » – ou « argumentaire éclair », ou « discours d’ascenseur », car on doit convaincre dans le temps d’un trajet en ascenseur – n’a même plus le temps d’être joli, puisqu’il dure moins d’une minute. Ainsi, il se contentera de comporter tous les éléments suivants : à quel problème l’entreprise répond (avec un chiffre concret pour décrire ce problème), quels sont la solution, le produit, la taille du marché, le business model, les concurrents et les projections financières.

En ressources humaines, il est fréquent que l’on demande à un candidat à l’embauche de « pitcher » son parcours, quand on lui demande de se présenter : on attend de lui qu’il raconte une histoire rythmée, et non son CV que l’on connaît déjà, en cinq minutes. Il enjolivera par exemple certaines anecdotes surgies de son passé, y appliquera un vernis sur ses rêves d’enfant ou une citation arrogante – comme celle que vous avez pu trouver deux paragraphes plus haut.

Dans le milieu du cinéma

On retrouve aussi ce terme dans le milieu du cinéma : comme dans le monde de l’entreprise, le résumé d’un film en trois lignes peut sceller son destin, ou rappeler au scénariste qu’il est encore temps de faire demi-tour, devant la non-originalité ou le côté sans queue ni tête du résultat. A ce sujet, n’hésitez pas à consulter l’excellent « générateur de film avec Christian Clavier », qui génère des scénarios fictifs de comédies françaises.

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Dominique Méda : « Rendre le travail soutenable est un préalable indispensable à toute réforme des retraites »

La puissance des réactions suscitées par la réforme des retraites ne s’explique pas seulement par la brutalité des mesures annoncées. Cette séquence jette soudainement une lumière crue sur une situation restée jusqu’alors relativement taboue : l’ampleur de la crise du travail en France. En effet, alors que de nombreux responsables politiques appellent à vénérer la « valeur travail », les Français sont à la peine. Le travail est devenu pour un grand nombre d’entre eux insupportable et même, au sens propre du terme, insoutenable.

Cette situation est pourtant depuis longtemps bien documentée, à la fois par les remarquables séries des enquêtes « Conditions de travail » menées en France par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, et, en Europe, par Eurofound, ainsi que par les travaux des chercheurs en sciences humaines et sociales. S’y intéresser de près aurait sans doute permis au gouvernement de comprendre qu’allonger le temps passé au travail avant d’améliorer les conditions d’exercice du travail ne pouvait être vécu que comme une véritable provocation.

Selon la vague 2016 de l’enquête sur les conditions de travail exploitée par l’économiste Thomas Coutrot, le travail contribue au bien-être psychologique pour un tiers des personnes interrogées, mais au mal-être pour plus de la moitié d’entre elles. Quant à la toute dernière vague de l’enquête d’Eurofound, passée en 2021 auprès de plus de 70 000 Européens de 36 pays, elle révèle d’autant plus la situation très préoccupante des conditions de travail en France qu’elle s’appuie sur des comparaisons européennes – celles-là même que les gouvernements aiment en général convoquer pour justifier une réduction des droits ou des protections existants.

Violence et discriminations

Selon cette enquête, les problèmes de santé touchent une proportion importante de la main-d’œuvre européenne. Des douleurs aux membres supérieurs sont ainsi signalées par 57 % des travailleurs, suivies de maux de dos (54 %), de maux de tête (51 %) et d’anxiété (30 %). L’épuisement physique est signalé par 23 % des personnes interrogées, les maladies chroniques par 20 % et l’épuisement physique et émotionnel combiné par 13 %. Près d’un quart des travailleurs en Europe sont exposés au risque de dépression.

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Mais la France occupe dans ce paysage une position particulière : elle apparaît très mal placée et même en queue de peloton dans de nombreuses catégories, notamment les contraintes dans le travail. Pour plus de 43 % des Français, leur emploi implique toujours ou souvent de déplacer des charges lourdes (contre moins de 30 % aux Pays-Bas et 35 % en Europe). Pour plus de 57 % il implique des positions douloureuses ou fatigantes, contre 43 % en Allemagne et 50 % en Europe. Ces résultats récurrents rendent d’autant plus incompréhensible la décision prise par le gouvernement d’Emmanuel Macron en 2017 de supprimer quatre des dix critères de pénibilité – dont le port de charges lourdes et les postures pénibles – au motif que le seuil d’exposition serait inquantifiable.

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Enedis : cinq militants CGT condamnés à des amendes avec sursis pour des dégradations lors d’un conflit social

Ils avaient comparu vendredi 20 janvier devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour avoir, en février 2022, dégonflé les pneus et dérobé les plaques d’immatriculation de trente-neuf véhicules garés sur le parking du site Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), dans le cadre d’un conflit pour les augmentations de salaire.

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Cinq militants de la CGT, dont quatre salariés d’Enedis, ont été condamnés, vendredi 27 janvier, à une peine de 150 euros d’amende avec sursis pour la dégradation, requalifiée en « légère » des véhicules, et à 500 euros d’amende avec sursis pour s’être introduits sur le site et avoir dérobé les plaques « en réunion ».

Une peine plus clémente que celle requise à l’audience, de deux mois de prison avec sursis. Un certain soulagement a ainsi accueilli l’annonce du jugement vendredi. « Les juges ont parfaitement retenu le caractère revendicatif inscrit dans une lutte pour l’augmentation des salaires. Même s’il y a condamnation au bout, elle est extrêmement légère au regard du montage du dossier initial qu’avaient prévu les directions », s’est félicitée la CGT 93 dans un communiqué sur les réseaux sociaux.

Une action « symbolique »

Les cinq hommes, âgés de 25 à 39 ans, tous techniciens, élus au comité social et économique (CSE) ou permanents syndicaux, avaient en effet reconnu les faits à l’audience tout en expliquant qu’il s’agissait là d’une action « symbolique » dans un contexte où ils ne se sentaient pas entendus par leur direction. « Quand on fait tout dans les règles, on ne voit aucun retour sur nos revendications », avait souligné l’un d’eux.

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« Cette décision est la preuve que lorsqu’on peut expliquer à un tribunal la réalité de ce que vivent les salariés on est écouté », s’est félicité, vendredi, leur avocat, Me Jérôme Borzakian. Lequel avait longuement détaillé à l’audience le malaise de ces salariés face au sentiment de disparition de l’esprit du service public dans le secteur de l’énergie.

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La Cité de l’architecture en grève depuis près d’un mois

Piquet de grève devant la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, le 26 janvier.

Sur le parvis du Palais de Chaillot, impossible de les manquer : en grève depuis près d’un mois, des agents de sécurité stationnent devant l’entrée, distribuant des tracts à des touristes étrangers un peu surpris. Vendredi 27 janvier marquait le 27e jour de grève ininterrompue de vingt-quatre des trente-huit agents de sécurité de la Cité de l’architecture et du patrimoine (CAPA), dans le 16e arrondissement de Paris. Soutenus par la CFTC et diverses entités de la CGT, les salariés protestent contre une dégradation de leurs conditions de travail.

Ce musée, ouvert en 2007 et accueillant chaque année des centaines de milliers de visiteurs, emploie cent vingt salariés mais externalise un certain nombre de ses fonctions-clés : le nettoyage, l’accueil, la médiation, et surtout les agents de sécurité et de sûreté. Tous les trois ou quatre ans, un appel d’offres remet en jeu le marché public pour chacune de ces missions. Depuis le 1er janvier, c’est l’entreprise Korporate qui s’occupe de la sécurité, en remplacement de Mondial Protection. Sur les cinquante-neuf agents salariés de Mondial Protection, trente-huit ont fait le choix de rester à la CAPA, tandis que les autres ont suivi leur ancien employeur sur d’autres sites.

Mais les conditions de cette passation ont entraîné un préavis de grève avant même le début du contrat : en recevant leurs plannings le 26 décembre – avec cinq jours de retard –, les salariés ont découvert un certain nombre de changements. Les rythmes de travail notamment ont été bouleversés. « J’ai dit que je voulais être à 100 % de jour, on m’a mis 100 % de nuit car j’ai fait quelques dépannages de nuit l’an dernier. J’étais d’accord pour discuter mais on me l’a imposé, s’indigne Hamid Messaoudi, agent en grève. Des gens normalement à l’accueil se retrouvent au musée, alors qu’ils n’en ont pas l’habitude. Ce n’est pas le même métier. Il faut l’accord de l’agent normalement, sinon on devient des polyvalents à notre insu. »

Tentatives d’intimidation

D’autres salariés indiquent une amplitude horaire élargie, ce qui entraîne notamment la suppression des paniers-repas, ou le fait de travailler plus de jours par mois car les vacations sont plus courtes.

Aucune revendication salariale n’est en jeu : les grévistes souhaitent principalement leur maintien sur un site auquel ils sont attachés, avec leurs précédentes conditions de travail. Certains pointent des tentatives d’intimidation de leur nouvel employeur. Ils le soupçonnent de vouloir les faire travailler sur d’autres sites, en ne leur proposant que peu d’heures à la CAPA, ou de les pousser à la démission.

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Transition écologique : « L’industrie ne peut pas se contenter de verdir le monde d’hier, elle doit aussi contribuer à l’invention du monde de demain »

Face à l’urgence des défis écologiques, que peuvent et que doivent faire les industriels ? D’abord, intensifier les efforts d’« éco-efficacité », c’est-à-dire la recherche de méthodes permettant de produire plus et mieux avec moins : moins de matières, d’énergie, de capital, mais aussi moins d’émissions de gaz à effet de serre, de pollutions, d’effets destructeurs sur le vivant.

La tâche est immense. Elle exige, dans certains cas, de véritables ruptures technologiques, comme pour la décarbonation des grands matériaux de base (acier et ciment notamment), qui représentent une part considérable des émissions. Mais on notera que cette tâche est au fond dans la droite ligne de ce que les industriels font et savent faire depuis toujours ; à cette (énorme) différence près qu’il s’agit maintenant d’intégrer dans le calcul d’efficacité toutes sortes d’effets qui étaient traditionnellement rejetés hors du périmètre de ce calcul, et d’agir sur un cycle complet allant des matières premières au recyclage des produits finis.

L’enjeu est de pivoter vers des modèles circulaires en lieu et place des modèles linéaires anciens. Ce défi, loin d’être purement technique, implique de nouveaux critères de mesure des performances, la connaissance fine des flux et de nouvelles formes de coopération entre firmes. C’est un nouveau paysage industriel qu’il s’agit de construire, bien au-delà du seul verdissement des procédés de production.

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Les avancées sur ce front sont déjà substantielles, et les marges de progrès, encore très importantes. Malheureusement, il y a un diable dans la boîte, qui s’appelle « l’effet rebond » : les progrès réalisés au niveau micro de l’offre sont mangés, souvent dépassés, au niveau macro de la demande. Le transport aérien est considérablement plus efficace qu’il y a trente ans, mais la demande a explosé, et l’impact global s’est aggravé. Le besoin d’énergie et de matière pour produire une unité d’éclairage (un lumen) a chuté de manière vertigineuse depuis un siècle. Résultat : on voit nos villes depuis l’espace, le gain a été totalement absorbé par l’augmentation de la consommation. Aucun secteur n’échappe à ce processus. On peut retourner le problème dans tous les sens : si l’on n’agit pas sur la demande en même temps que sur l’offre, la poursuite de l’efficacité revient à courir sur un tapis roulant qui va en marche arrière.

Un cran plus loin

Il n’y a donc pas d’autre choix que de passer par la case sobriété. En précisant tout de suite que celle-ci ne peut pas se limiter à nos consommations individuelles : elle implique surtout de repenser nos modes collectifs d’organisation du temps et de l’espace, et les gaspillages structurels qui en résultent. L’exemple type en est, bien sûr, la dispersion de notre habitat dans de petits lotissements, qui rendent d’innombrables ménages prisonniers de l’automobile. Se dessine ainsi un partage des rôles : l’efficacité technique pour les entreprises ; la sobriété, et les choix de valeur sous-jacents, pour les citoyens-consommateurs et la puissance publique.

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Immigration : le patronat divisé au sujet du titre de séjour métiers en tension

« Il y a longtemps qu’on attend une politique qui s’empare de la question ! » Pascal Mousset est restaurateur. A la tête de plusieurs brasseries chics parisiennes, il estime qu’« entre un tiers et la moitié de [ses] collaborateurs sont étrangers. Et vous ne trouvez pas de plongeurs français. Ils sont maliens, bangladais, pakistanais… »

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Alors, quand le gouvernement a annoncé, en novembre, vouloir faciliter la régularisation des travailleurs sans papiers en créant un titre de séjour métiers en tension, à l’occasion de la loi « immigration » qui sera présentée en conseil des ministres mercredi 1er février, M. Mousset, également président du Groupement national des indépendants hôtellerie-restauration d’Ile-de-France, s’est dit « extrêmement concerné ». Il affirme avoir soupé de l’« hypocrisie totale » sur le sujet et des « procédures administratives kafkaïennes » pour qu’un salarié obtienne un titre de séjour. « On souhaite faire tourner nos boîtes, c’est tout, martèle-t-il. Et sans ces personnes, nos entreprises ne fonctionnent plus, pas plus que nos hôpitaux, nos maisons de retraite ou le bâtiment. »

« C’est parce qu’on avait des remontées de terrain avec des employeurs souhaitant régulariser leurs salariés qu’on a voulu agir de ce côté-là », assure Sacha Houlié, député (Renaissance) de la Vienne et président de la commission des lois. En 2022, près de 11 000 personnes ont été régularisées au titre de leur activité salariale. « Dans notre secteur [où 200 000 à 300 000 emplois seraient vacants], il y a un consensus sur le sujet », appuie M. Mousset. Le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, le chef cuisinier Thierry Marx, est, lui aussi, favorable à une simplification des régularisations : « Régulariser les gens, c’est un moyen de répondre aux difficultés des métiers en tension, c’est un moteur d’inclusion et de régulation. »

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Un « débat pollué politiquement »

Directeur général de la Fédération des particuliers employeurs (Fepem), Pierre-Olivier Ruchenstain est l’auteur d’un avis du Conseil économique social et environnemental, en janvier 2022, sur les métiers en tension. Un texte qui, en matière d’immigration, recommande seulement de développer les cours de français ou la reconnaissance des compétences. « On y a été doucement, explique M. Ruchenstain. Les branches professionnelles craignent une polarisation médiatique, car la question migratoire a été deux fois en finale de la présidentielle. » Au titre de la Fepem, il se dit « favorable à la régularisation des salariés ». « Un cinquième de nos salariés sont nés à l’étranger, justifie-t-il. C’est structurel et ça date des années 1960. »

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A Martigues, ces cadres de la CGT qui veulent « amplifier la lutte » et « ruiner » les puissants

Rassemblement de plusieurs organisations syndicales à l’appel de la CGT dans le cadre de la lutte contre la réforme des retraites, sur le site pétrochimique de Lavéra, à Martigues (Bouches-du-Rhône), le 26 janvier 2023.

Les immenses citernes de stockage de pétrole sont en arrière-plan. Les raffineries de Martigues et de Fos-sur-Mer tournent normalement. Mais pour combien de temps ? Les cadres de la CGT des Bouches-du-Rhône ont organisé un meeting devant l’un des ronds-points d’accès à la plate-forme pétrolière de Lavéra, à Martigues, jeudi 26 janvier, pour galvaniser leurs troupes et affirmer leur volonté de durcir le mouvement contre la réforme des retraites du gouvernement. Jusqu’à « bloquer l’économie », si nécessaire, en commençant par les sites critiques de l’économie française.

Après la large journée de mobilisation du 19 janvier et dans l’attente du prochain rendez-vous de la lutte contre la réforme, mardi 31 janvier, la grève a repris ce jeudi un peu partout en France, de façon sporadique, pour vingt-quatre à quarante-huit heures, dans les raffineries, mais aussi les ports et les centrales EDF.

A Lavéra, ils sont plusieurs centaines de militants CGT, la plupart dockers, salariés de l’énergie, de la chimie ou de la pétrochimie, serrés sous le froid et le soleil pour écouter les responsables de la confédération s’exprimer contre une réforme « injuste et injustifiée » et, plus largement, dans des discours très politiques, pour « refuser un modèle de société dont on ne veut pas ».

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« Je suis d’une génération qui n’a connu que les reculs sociaux. Aujourd’hui, il y a quelque chose qui est en train de se passer dans le pays », a affirmé, devant la foule, Renaud Henry, secrétaire général de la filière énergie dans les Bouches-du-Rhône. « On voit que le monde de la finance n’a plus aucune limite, plus aucune honte, a-t-il poursuivi. C’est un capital agressif, c’est un capital qui, si on ne l’arrête pas, nous prendra tout. On va les mettre à genoux parce que sans nous, ils ne sont rien. On est des millions, eux ils sont une poignée. Il faut ancrer la grève de partout. »

Partage des richesses

L’union départementale des Bouches-du-Rhône est réputée figurer parmi les plus revendicatives de la confédération. Le silence se fait quand le patron des dockers de Fos-sur-Mer, Christophe Claret, prend la parole : « Après le confinement, la restriction des libertés, on a eu droit à la guerre, à l’inflation, ce qui se traduit en France par les coups donnés par le gouvernement aux travailleurs et travailleuses du pays. » Les mots d’Elisabeth Borne évoquant la « justice sociale » sont sifflés lorsque s’exprime le chef des dockers : « Honte à vous ! La justice sociale, madame Borne, c’est la retraite à 60 ans avec trente-sept années et demie de cotisation. La justice sociale, c’est la retraite à 55 ans pour les métiers pénibles. La justice sociale, ce sont des services publics de qualité, notamment nos hôpitaux et nos écoles publiques. »

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