Le risque « d’un bond en arrière pour l’éthique des affaires »

Le risque « d’un bond en arrière pour l’éthique des affaires »

Le texte, qui sera discuté en séance publique le 30 avril par l’Assemblée nationale, relatif à la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, aussi appelé legal privilege, constitue un double piège : pour les entreprises elles-mêmes et pour la démocratie économique.

La proposition de loi de Jean Terlier, député Renaissance du Tarn, qui n’a été adoptée qu’à une très faible majorité de quatre voix en commission des lois le 10 avril, dispose que les consultations que les juristes d’entreprise adressent à leur direction bénéficient de la confidentialité, qu’elles ne puissent être saisies par les autorités administratives et qu’elles restent leur secret face à ceux qui leur demanderaient des comptes devant le juge civil ou commercial.

Contrairement aux idées reçues, cette confidentialité n’est pas un enjeu d’attractivité économique. Les entreprises françaises ne sont pas moins attractives que leurs homologues européennes qui en bénéficient. En 2023, la France a été première en Europe en matière d’accueil des investissements étrangers, pour la quatrième année de suite, selon Business France.

Les entreprises françaises se croiront protégées

Elle ne permettra pas non plus de créer un rempart entre les entreprises françaises et les administrations étrangères.

Tout d’abord, le texte amendé prévoit qu’il ne pourra être opposé à l’administration européenne. C’est finalement heureux, puisque la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ne l’aurait pas accepté, le juriste d’entreprise n’ayant pas à ses yeux l’indépendance suffisante compte tenu de son lien de subordination, comme tout salarié, à l’égard de sa direction (arrêt Akzo Nobel Chemicals du 14 sept. 2010 – CJUE grande chambre – C-550/07 P).

La protection ne fonctionnera pas non plus pour les autres pays étrangers et notamment les Etats-Unis. L’arrêt Upjohn Co v. United States, rendu en 1981 par la Cour suprême des Etats-Unis (source : Justia), qui pose le principe de la reconnaissance du legal privilege entre le juriste et sa direction, ne peut s’appliquer que si son auteur est avocat. Or, la proposition de loi de M. Terlier de même que les travaux parlementaires fixent comme principe le refus de l’avocat en entreprise (in-house counsel en droit américain).

En conséquence, en cas de vote de ce texte le 30 avril, les entreprises françaises se croiront protégées, alors que, au premier contrôle de l’administration américaine, cette confidentialité leur sera refusée.

Le legal privilege serait aussi un bond en arrière pour l’éthique des affaires. Les entreprises françaises sont soumises à de nombreuses normes et il leur est maintenant de plus en plus demandé de contrôler elles-mêmes non seulement leur organisation afin qu’elle soit plus vertueuse, mais aussi celle de leurs sous-traitants et de leurs fournisseurs. C’est le règne de la « compliance » (contrôle de conformité), qui permet à l’Etat de leur faire supporter la généralisation du respect de ces règles.

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LJD

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