Dominique Méda : « Rendre le travail soutenable est un préalable indispensable à toute réforme des retraites »

Dominique Méda : « Rendre le travail soutenable est un préalable indispensable à toute réforme des retraites »

La puissance des réactions suscitées par la réforme des retraites ne s’explique pas seulement par la brutalité des mesures annoncées. Cette séquence jette soudainement une lumière crue sur une situation restée jusqu’alors relativement taboue : l’ampleur de la crise du travail en France. En effet, alors que de nombreux responsables politiques appellent à vénérer la « valeur travail », les Français sont à la peine. Le travail est devenu pour un grand nombre d’entre eux insupportable et même, au sens propre du terme, insoutenable.

Cette situation est pourtant depuis longtemps bien documentée, à la fois par les remarquables séries des enquêtes « Conditions de travail » menées en France par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, et, en Europe, par Eurofound, ainsi que par les travaux des chercheurs en sciences humaines et sociales. S’y intéresser de près aurait sans doute permis au gouvernement de comprendre qu’allonger le temps passé au travail avant d’améliorer les conditions d’exercice du travail ne pouvait être vécu que comme une véritable provocation.

Selon la vague 2016 de l’enquête sur les conditions de travail exploitée par l’économiste Thomas Coutrot, le travail contribue au bien-être psychologique pour un tiers des personnes interrogées, mais au mal-être pour plus de la moitié d’entre elles. Quant à la toute dernière vague de l’enquête d’Eurofound, passée en 2021 auprès de plus de 70 000 Européens de 36 pays, elle révèle d’autant plus la situation très préoccupante des conditions de travail en France qu’elle s’appuie sur des comparaisons européennes – celles-là même que les gouvernements aiment en général convoquer pour justifier une réduction des droits ou des protections existants.

Violence et discriminations

Selon cette enquête, les problèmes de santé touchent une proportion importante de la main-d’œuvre européenne. Des douleurs aux membres supérieurs sont ainsi signalées par 57 % des travailleurs, suivies de maux de dos (54 %), de maux de tête (51 %) et d’anxiété (30 %). L’épuisement physique est signalé par 23 % des personnes interrogées, les maladies chroniques par 20 % et l’épuisement physique et émotionnel combiné par 13 %. Près d’un quart des travailleurs en Europe sont exposés au risque de dépression.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Pénibilité au travail : la Cour des comptes critique la réforme sous le premier quinquennat Macron

Mais la France occupe dans ce paysage une position particulière : elle apparaît très mal placée et même en queue de peloton dans de nombreuses catégories, notamment les contraintes dans le travail. Pour plus de 43 % des Français, leur emploi implique toujours ou souvent de déplacer des charges lourdes (contre moins de 30 % aux Pays-Bas et 35 % en Europe). Pour plus de 57 % il implique des positions douloureuses ou fatigantes, contre 43 % en Allemagne et 50 % en Europe. Ces résultats récurrents rendent d’autant plus incompréhensible la décision prise par le gouvernement d’Emmanuel Macron en 2017 de supprimer quatre des dix critères de pénibilité – dont le port de charges lourdes et les postures pénibles – au motif que le seuil d’exposition serait inquantifiable.

Il vous reste 50.02% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Avatar
LJD

Les commentaires sont fermés.