« Vaccinons tous les soignants ! »
Tribune. Les soignants de l’hôpital public, ces héros précédemment applaudis et médaillés, ne sauraient plus se protéger du virus et seraient dès lors responsables de sa transmission à la population ? C’est ce que certains donneurs de leçons épidémiologiques suggèrent publiquement, laissant croire que ces soignants de la première ligne auraient failli à leur mission, par exemple en tombant le masque pour s’abreuver dans les salles de pause.
Dans de nombreux hôpitaux, ces soignants réputés irresponsables, ainsi devenus positifs, auraient déserté, délaissant les patients et obligeant les directions et les maires à faire appel aux réservistes de la réserve sanitaire, en nombre insuffisant.
La perspective trop lointaine d’un vaccin pour tous a sans doute pu conduire à ce mode de stigmatisation de la part de certains de nos concitoyens, apeurés par la nouvelle vague d’un variant dont on ne sait pas encore grand-chose. C’est pourquoi le Collectif inter-hôpitaux, collectif de défense de l’hôpital public, a demandé dans un communiqué que tous les soignants proches des patients contaminés puissent bénéficier de la vaccination, réservée pour l’heure aux soignants de plus de 50 ans ou présentant des facteurs de risque.
Vaccinons tous les soignants ! Certains pays l’ont fait. Nos décideurs français n’ont pas jugé utile de s’engager dans une telle politique vaccinale, conduisant fatalement à ce que les hôpitaux ne puissent plus soigner correctement les patients par défaut de combattants. La direction de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a été dans le même sens, en rédigeant, au nom de l’éthique, une charte vaccinale interdisant la vaccination des soignants de moins de 50 ans sans facteurs de risque de développer une forme grave du Covid-19.
Morale abstraite
La priorisation de la vaccination reste une question difficile, soumise aux expertises scientifiques et au personnel politique soucieux de protéger au mieux la population compte tenu de l’insuffisance des doses vaccinales. Il n’en reste pas moins que refuser de reconnaître le travail vécu des soignants conduit à une forme de mésestime voire de mépris que les Légions d’honneur distribuées récemment ne peuvent cacher.
Si l’on juge – au nom de la défense des plus vulnérables – que la vaccination de tous les soignants n’est pas une priorité, alors les procès en irresponsabilité et les accusations d’abandon de poste ne peuvent se justifier et ressortent d’une morale abstraite, oublieuse des principes mêmes de la discussion supposant que chacun soit entendu.
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