Ubériser sans précariser, l’insoluble équation

Ubériser sans précariser, l’insoluble équation

Une centaine de livreurs travaillant pour Uber Eats, Deliveroo ou Stuart manifestaient devant un McDonald’s à Bordeaux, le 31 octobre 2020, pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail.

Dans le quartier de la porte Saint-Denis, à Paris, fief des restaurants branchés de la capitale, plus personne ne fait plus attention à eux, même si leur sacoche est bien reconnaissable. A longueur de journée, ils squattent les stations de vélos en libre-service, le regard rivé sur l’écran de leur téléphone. Dans leur QG improvisé, ils guettent la prochaine notification susceptible de leur rapporter un peu d’argent.

Eux, ce sont les coursiers de Deliveroo, Glovo ou encore Uber Eats : des livreurs de moins de 30 ans, d’origine africaine pour la plupart. Devenus un symbole malgré eux, celui de l’ubérisation de l’économie, en référence à la plus célèbre des plates-formes, Uber. Le 3 décembre, les prud’hommes trancheront un énième conflit opposant la société Frichti à des coursiers demandant la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail. Alors que les affaires de ce type se multiplient devant les tribunaux, ces plates-formes sont devenues le symbole d’une remise en question du modèle social français.

« J’ai été quatre ans coursier chez Uber Eats et Deliveroo, raconte Jérémy Wick, membre du syndicat CGT des coursiers à vélo de Gironde. Au début, mes revenus n’étaient pas si mauvais, on avait même droit à un bonus de 150 euros si on faisait des livraisons en soirée. Il y a deux ans, je pouvais gagner 2 500 euros brut par mois. Puis les bonus ont été supprimés. Mes revenus sont tombés à environ 1 500 euros brut mensuels, ce à quoi il faut bien sûr enlever les charges, le matériel… C’est très fluctuant, en fonction des commandes que l’on arrive à obtenir. Il n’y a aucune stabilité. »

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Pas de patron, pas de paperasse, pas d’engagement : le travail comme un jeu vidéo avec la possibilité de gagner quelques centimes, en contrepartie d’activités aussi diverses que livrer un hamburger à vélo après avoir reçu une alerte ou cliquer sans relâche sur des liens ou des images depuis chez soi, pour le compte de sites Internet. Selon l’Insee, environ 200 000 travailleurs indépendants utilisaient une plate-forme numérique ou un autre intermédiaire pour rencontrer leur clientèle en 2017.

Entre cette année-là et 2019, le nombre de microentrepreneurs actifs sur ces plates-formes dans le seul secteur des transports a doublé, passant de 20 000 à 40 000, selon un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat de 2020. Une minorité qui n’est que « la partie visible de l’iceberg des difficultés que rencontrent les autoentrepreneurs », dénonce François Hurel, le président de l’Union des autoentrepreneurs. S’il peut se prévaloir d’une base de clientèle énorme grâce à la plate-forme, le travailleur qui lui est affilié ne bénéficie ni d’une rémunération mensuelle minimale ni de congés payés. Les notifications rythment son quotidien : « Le système le pousse à laisser son téléphone allumé en permanence, par peur de rater une course », se désole Brahim Ben Ali, secrétaire général de l’intersyndicale nationale des VTC.

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LJD

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