« Uber cherche à faire émerger un droit du travail qui soit compatible avec son modèle économique fragile »
Pertes & profits. « Syndiquez-vous ! », avait déclaré Joe Biden, le 1er mars, dans un message vidéo adressé aux salariés de l’entrepôt Amazon de Bessemer, dans l’Alabama. Il n’a pas été entendu ce jour-là, les employés ont clairement voté contre la syndicalisation, mais son message semble avoir traversé l’Atlantique. Uber, autre cible des défenseurs des travailleurs, a annoncé, mercredi 26 mai, avoir passé un accord avec un grand syndicat généraliste britannique, le GMB. Ce dernier pourra désormais conduire des négociations collectives avec l’entreprise de transport sur des sujets comme le niveau de vie, les congés payés, les retraites…
Cet accord historique avec une organisation importante intervient après une décision majeure de la Cour suprême britannique, le 19 février. Cette dernière a accordé aux chauffeurs travaillant sur la plate-forme américaine un statut hybride de « travailleur », pas vraiment salarié, comme le demandaient les syndicats, mais avec des droits s’en approchant, notamment en ce qui concerne salaire et couverture sociale.
Face à la pression des gouvernements et des syndicats, Uber, comme toutes les entreprises de transport et de livraison, cherche à faire émerger un droit du travail qui soit compatible avec son modèle économique fragile. Celui-ci repose en effet entièrement sur la capacité à mobiliser des travailleurs à la demande et à ne les payer qu’à la tâche. Un siècle après l’invention du salariat, qui a scellé le pacte fordiste de l’aventure industrielle du XXe siècle, l’économie numérique du XXIe siècle tente de renouer avec le statut des tâcherons du XIXe, payés à la tâche et sans sécurité de l’emploi ni sociale.
Les entreprises bricolent des statuts particuliers
Deliveroo, Uber, Just Eat Takeaway se sont progressivement heurtés à la résistance politique, en Europe, mais aussi aux Etats-Unis. Les entreprises bricolent des statuts particuliers en fonction des obstacles qu’elles rencontrent, et chaque pays aménage le droit à sa manière. En Allemagne, les chauffeurs et les coursiers doivent être employés par des sociétés qui négocient des contrats avec les plates-formes. En France, Just Eat Takeaway a annoncé le recrutement de 4 500 CDI. Des réflexions sont en cours en Italie ou en Espagne pour considérer chauffeurs et livreurs comme des employés redevables d’un salaire minimum et d’une couverture sociale digne de ce nom.
Cette avancée désordonnée qui parcourt l’Europe, mais aussi les Etats-Unis, illustre à sa manière le début d’un changement des rapports de force entre les travailleurs et leurs employeurs. Joe Biden n’est pas le seul à vouloir cajoler sa classe moyenne, déboussolée par trente ans de libéralisation du travail et par une économie numérique qui doit désormais apprendre à s’insérer dans la réalité sociale et politique.