Travail détaché : l’entreprise espagnole Terra Fecundis condamnée à payer plus de 80 millions d’euros aux organismes sociaux français

Travail détaché : l’entreprise espagnole Terra Fecundis condamnée à payer plus de 80 millions d’euros aux organismes sociaux français

La somme est spectaculaire. L’entreprise espagnole de travail temporaire Terra Fecundis, reconnue coupable de violation des règles européennes sur le travail détaché, a été condamnée, vendredi 10 juin, à verser plus de 80,3 millions d’euros aux organismes sociaux français.

Cette somme vient en « réparation du préjudice financier » provoqué par le non-paiement des cotisations et contributions sociales à l’organisme chargé de les collecter auprès des entreprises françaises, l’Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf), selon la décision judiciaire.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Fraude au travail détaché : Terra Fecundis et sept agriculteurs français condamnés

Pendant quatre ans, de 2012 à 2015, cette firme espagnole a envoyé plus de 26 000 ouvriers, originaires d’Amérique du Sud, d’Equateur pour la plupart, travailler dans des exploitations agricoles françaises situées dans le Gard, les Bouches-du-Rhône ou la Drôme.

Charges sociales payées en Espagne

En juillet 2021, Terra Fecundis avait déjà été reconnue coupable d’avoir détourné la procédure européenne du détachement qui permet aux entreprises de faire travailler du personnel à l’étranger, mais uniquement pour des missions limitées dans le temps.

Terra Fecundis a rémunéré ces travailleurs détachés au salaire minimal français mais en payant ses charges sociales en Espagne, où elles sont jusqu’à 40 % moins élevées, rendant cette main-d’œuvre vulnérable moins chère pour les agriculteurs français.

« Il s’agit du plus important dossier de fraude à la Sécurité sociale jamais jugé en France », avait rappelé l’avocat de l’Urssaf Provence-Alpes-Côte d’Azur, Me Jean-Victor Borel, lors du procès.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Travail détaché : retour sur une bataille de chiffres

Jugée coupable de dumping social par le tribunal de Marseille, l’entreprise officiellement basée à Murcie (sud de l’Espagne) et aujourd’hui rebaptisée Work for All, avait alors été condamnée à 500 000 euros d’amende. Quatre ans de prison avec sursis et 100 000 euros d’amende avait également été prononcés contre les trois dirigeants espagnols.

Vendredi, tous les trois ont été reconnus solidairement responsables des préjudices subis par les organismes sociaux parties civiles et devront donc personnellement participer au paiement des 80 millions d’euros.

« Victoire symbolique importante »

Le procès de Terra Fecundis avait mis en lumière les conditions de travail harassantes de ces travailleurs précaires peu enclins à se défendre. « C’est Germinal dans les exploitations agricoles avec Terra Fecundis, La Bête humaine est devenue une entreprise de travail temporaire », avait tancé le parquet en évoquant les romans d’Emile Zola.

L’accusation avait rappelé le fait que les travailleurs étaient « parfois hébergés dans des conditions où on ne pourrait même pas héberger des animaux » et qu’ils n’étaient pas payés à hauteur du travail effectué.

Des ouvrières affectées à l’emballage des fruits travaillaient notamment de 6 heures ou 7 heures le matin jusqu’à 21 heures ou 22 heures le soir, selon l’accusation. Des ramasseurs d’asperges avaient également témoigné travailler dans les champs jusqu’à 70 heures par semaine, dimanche compris, quand d’autres n’avaient bénéficié que d’un seul jour de congé pour une quarantaine de jours travaillés.

Lire notre décryptage : Six questions pour comprendre la directive européenne sur les travailleurs détachés

« Nous n’avons jamais eu de sanctions de la part de l’inspection du travail de Murcie », s’était défendu Juan José Lopez Pacheco, seul des trois dirigeants présent au procès l’année dernière, assurant que l’entreprise « régularisait les heures à la fin de la mission » du salarié détaché. Le responsable s’était, en outre, étonné de l’absence des exploitants agricoles français devant ce tribunal.

Les plus de 80 millions d’euros de réparation infligés à Terra Fecundis vendredi constituent « une victoire symbolique importante grâce à laquelle la voix des travailleurs a été entendue », a réagi l’avocat du syndicat CFDT, partie civile, Me Vincent Schneegans.

« C’est une décision très satisfaisante et en même temps frustrante, car les travailleurs agricoles qui n’osent pas agir par peur des représailles n’ont pas de réparation directe », a-t-il ajouté. Le syndicat a obtenu vendredi le versement de 30 000 euros en réparation d’un préjudice moral.

Le Monde avec AFP

Avatar
LJD

Les commentaires sont fermés.