Steave Chiron, la vie depuis sa guérite
Fragments de FranceGardien d’un immeuble de bureaux à Nogent-sur-Marne, dans l’est de la région parisienne, ce gaillard amateur de sports de combat qui appréciait les heures supplémentaires défiscalisées de Nicolas Sarkozy regrette le peu de considération portée à son métier.
Il fait corps avec les « invisibles ». Comme ces femmes de ménage qui ont échangé quelques mots en portugais avant de lui céder la place ce matin de septembre. Comme toutes ces professions qui travaillent dans l’ombre à rendre la vie des autres plus facile. Invisible, Steave Chiron ? Difficile de le rater avec ses mensurations de pilier de rugby (1 m 90 pour 130 kg) et son crâne rasé. Et pourtant, le vigile de l’immeuble L’Amiral, à Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), est de ceux que l’on ne regarde pas au quotidien, ou si peu.
Les quelque 250 personnes qui passent chaque jour la porte de l’immeuble de bureaux ne connaissent pas, dans leur grande majorité, les tâches effectuées par celui qu’une étiquette désigne comme « gardien » sur la boîte aux lettres. Employé de la société RMS Gardiennage, Steave Chiron veille sur la sécurité de l’immeuble et de ses habitants, à leur insu la plupart du temps.
Il est 8 heures du matin quand l’homme âgé de 44 ans entame une ronde dans cet immeuble moderne qu’il arpente depuis dix ans. Les néons du parking sculptent sa carrure massive, tandis qu’il s’avance entre les rangées de voitures. Ses pas sont étouffés par ses Nike immaculées, il oppose son costume noir dépareillé à une porte, qui résonne dans le silence bétonné. Une autre porte, des escaliers de secours. A mi-parcours, là-haut, la terrasse de l’immeuble offre une vue imprenable vers l’est, la gare de Nogent-le-Perreux, le soleil levant, l’autoroute.
8 h 30, retour au pied de l’immeuble. Dans le hall du 1-5 rue Jean-Monnet, son bureau d’accueil, plaqué dans un recoin, a été équipé il y a quelques mois d’un Hygiaphone. Tant qu’il y aura le Covid-19, il fera les cent pas sur le trottoir. Le coronavirus a fauché une de ses tantes, qui souffrait déjà d’un cancer. Lui s’est fait vacciner en juin, « surtout pour [sa] femme et [ses] quatre enfants ».
Récalcitrants au protocole sanitaire
Les personnes qui hésitent devant la porte d’entrée sont aussitôt guidées par le vigile. « Pôle emploi, c’est au troisième étage. » 9 heures : il franchit le seuil de l’entreprise d’imprimerie du bâtiment, Concept Paradise France. L’un de ses gérants, Stéphane dit « Stesso », est devenu son instructeur de taekwondo, sport qu’il pratique en plus du jujitsu et du MMA « en cage » : « Steave travaille en sécu, il est habitué à observer, il anticipe ce que va faire l’adversaire. » Ici, « l’ennemi » peut être un sans-abri entré en catimini au sous-sol : « Il y a deux-trois mois, un mec a menacé de me poignarder. Il dormait, je l’ai réveillé, je lui ai dit “tu pars d’ici”, ça l’a énervé, il a sorti son couteau et puis c’était des insultes gratuites. » Steave voudrait porter une petite gazeuse, mais son statut l’interdit. Une bombe lacrymogène, « ça tue personne, on n’a rien pour se défendre ».
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