Rendez-vous de l’histoire de Blois : « La crise contemporaine et les perspectives écologiques accroissent les exigences de responsabilité des entreprises »

Tribune. L’histoire de la gouvernance des entreprises a bifurqué en 2008, quand la déflagration financière a marqué la fin de l’euphorie néolibérale qui conférait aux marchés une perspicacité infaillible sur les stratégies des sociétés. Non seulement cette infaillibilité était contredite par les faits, mais il apparut que les entreprises avaient été ravagées par des exigences de profits déconnectées de leurs capacités réelles.
Un nouveau chapitre s’est alors ouvert, même si sa rédaction est restée hésitante. La performance globale des entreprises a intégré leur « responsabilité sociale », c’est-à-dire l’impact géopolitique, sociétal et environnemental de leur activité. Les exigences de leur « mission » ont même été récemment opposées à leurs objectifs de profits. Même tâtonnants, les critères extra-financiers ont brisé le monopole exclusif du profit comme indicateur de la réussite économique.
Portées par la société civile et relayées par la puissance publique, ces revendications ont voulu atténuer la logique qui, depuis trois décennies, alignait les intérêts des dirigeants sur ceux des investisseurs. Car la gouvernance obéit aux rapports de force entre les pouvoirs qui la constituent.
Intervention de l’Etat
Dans les années 1990, les caisses de retraite et les fonds d’investissement avaient orienté massivement l’épargne des ménages vers la Bourse, notamment pour valoriser les futures pensions, bouleversant la relation entre les très grandes entreprises et les détenteurs de leur capital. Les actionnaires de long terme se sont mués en millions d’investisseurs, moins intéressés par le projet de l’entreprise que par un rendement assurant une bonne rémunération de l’épargne.
Conséquence : dès lors que les dirigeants garantissaient des niveaux de dividendes suffisamment élevés aux investisseurs, ils n’avaient plus de contre-pouvoir. Ils ont donc eu intérêt à réorganiser la production pour que soient réalisés les profits promis aux marchés. D’où la financiarisation des entreprises, l’obsession pour la « création de valeur pour l’actionnaire » (en fait, pour l’investisseur) et, comme signes de la puissance des « grands patrons », l’explosion de leurs rémunérations et leur starification à des niveaux inconnus jusque-là.
Ce régime de gouvernance n’était pas sans danger. En accordant un énorme pouvoir aux dirigeants dès lors qu’ils satisfont « les marchés », on peut mettre en péril l’épargne des ménages en cas d’erreur stratégique, d’escroquerie, de spéculation ou de faillite. Ce qui n’est pas rare : le groupe Maxwell s’effondre en 1991, Enron en 2001, Madoff en 2008, Theranos en 2018… et tant d’autres, engloutissant à chaque fois l’épargne placée en capital, malgré ou à cause de flamboyants dirigeants.
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