Qu’est-ce que le « partage de la valeur » en entreprise, que le gouvernement souhaite développer ?
La première ministre, Elisabeth Borne, a présenté, mercredi 26 avril, sa feuille de route pour les « cent jours » évoqués par le président de la République, Emmanuel Macron, pour tenter de tourner la page de la réforme des retraites. Concernant le pouvoir d’achat, la cheffe du gouvernement a notamment promis d’obtenir « une distribution plus juste des richesses produites par les entreprises ».
Afin d’atteindre cet objectif, un projet de loi transposant l’accord national interprofessionnel sur le « partage de la valeur » en entreprise, conclu en février entre les partenaires sociaux, sera présenté au Parlement « dans les trois mois », a annoncé Mme Borne. Intéressement et participation, quelle différence ? Que contient l’accord interprofessionnel ? Pourra-t-il être retranscrit tel quel dans la loi ? Le Monde fait le point.
A quoi cet accord va-t-il servir ?
L’accord interprofessionnel sur le « partage de la valeur au sein de l’entreprise » vise à améliorer et généraliser les dispositifs d’intéressement ou de participation pour les salariés, et ainsi améliorer leur rémunération dans un contexte de flambée des prix. L’accord a été validé par toutes les organisations patronales et syndicales, à l’exception de la Confédération générale du travail.
Les trois mois de discussions entre les organisations patronales et syndicales se sont structurés autour d’un « document d’orientation » transmis par le gouvernement. L’exécutif entend ainsi donner une suite à la loi « mesures d’urgence » pour le pouvoir d’achat, adoptée en août 2022, premier volet du paquet de dispositions pour faire face à l’inflation.
Intéressement et participation, quelle différence ?
L’intéressement et la participation sont des avantages variables, puisqu’ils dépendent des performances de l’entreprise. L’employé peut placer la somme sur un plan d’épargne salariale – plan d’épargne entreprise, plan d’épargne pour la retraite collectif, etc. – ou la récupérer. Dans ce cas, le montant de la prime est imposable au même titre que le salaire.
- L’intéressement est facultatif et peut être mis en place par toutes les entreprises. Ce dispositif, déterminé par accord d’entreprise, permet de verser à tous les salariés une prime proportionnelle aux résultats de l’entreprise.
- La participation est obligatoire dans les entreprises de cinquante salariés et plus. Elle peut également être adoptée dans les plus petites structures. Il s’agit d’un mécanisme de redistribution des bénéfices de l’entreprise aux salariés.
- La rémunération variable est liée à la performance collective de l’entreprise ou aux objectifs individuels du salarié. Elle fait l’objet d’une clause dans le contrat de travail. Elle peut inclure la prime d’intéressement mais aussi, par exemple, des primes ou des commissions, des avantages en nature (téléphone, véhicule de fonction, etc.) ; et enfin des stock-options ou distribution d’actions gratuites.
Que contient l’accord interprofessionnel ?
Cet accord contient trente-six articles et deux mesures principales.
- Pour les entreprises de onze à quarante-neuf personnes : elles seront obligées, à partir du 1er janvier 2025, d’instaurer au moins un mécanisme « légal de partage de la valeur » – participation, intéressement ou encore « prime de partage de la valeur » – si elles dégagent, durant trois années consécutives, un bénéfice significatif, au moins égal à 1 % de leur chiffre d’affaires. Les entreprises de moins de onze salariés « ont la possibilité » de partager les profits avec leurs salariés.
- Pour les entreprises d’au moins cinquante personnes : des discussions doivent avoir lieu de manière à « mieux prendre en compte les résultats exceptionnels » réalisés en France. Une mesure qui fait écho au débat sur la taxation des superprofits, relancé par les excédents records de TotalEnergies.
L’accord entre les partenaires sociaux repris dans la loi
Certains articles de l’accord nécessitent de modifier la loi pour être appliqués, notamment la mise en place de la participation dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Pour donner des gages aux partenaires sociaux, après l’épisode désastreux de la réforme des retraites, Mme Borne a promis, le 20 février, « la transcription fidèle et totale de cet accord dans la loi ».
« Tout détricotage » serait « un coup de poignard dans le dos des partenaires sociaux », avait mis en garde, le 19 février, Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Mouvement des entreprises de France. Le lendemain, Laurent Berger, alors secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail, avait martelé : « Il faut que l’accord soit respecté par le Parlement », sinon « ce serait un croche-pied à la démocratie sociale ». Une orientation confirmée par Mme Borne mercredi.
Les points qui pourraient coincer au moment de la retranscription dans la loi
L’engagement pris par la première ministre sera-t-il respecté ? Le rapport parlementaire de la mission d’information sur le partage de la valeur, porté par les députés Louis Margueritte (Renaissance) et Eva Sas (Europe Ecologie-Les Verts), a été rendu le 12 avril. Sans remettre en cause l’accord, les rapporteurs estiment nécessaire de le compléter.
Le rapport préconise d’avancer la date d’application prévue d’un an, au 1er janvier 2024. « Faire entrer en vigueur ce dispositif le 1er janvier 2025, en prenant en compte les données chiffrées, y compris de 2024, signifierait un premier versement dans le courant de l’année 2025, soit dans des délais insatisfaisants par rapport à l’urgence du pouvoir d’achat », écrivent les auteurs. En outre, les rapporteurs s’inquiètent de l’absence d’obligation de montant minimum à distribuer aux salariés. « Un chef d’entreprise pourrait ainsi satisfaire cette obligation en distribuant une PPV [prime de partage de la valeur] de 1 euro », soulignent-ils.
Les rapporteurs alertent aussi sur le fait que le nombre d’entreprises obligées de mettre en place un mécanisme de partage de la valeur « pourrait être relativement restreint ». Pour rappel, les sociétés de onze à quarante-neuf personnes devront l’instaurer si elles font, pendant trois ans consécutifs, un bénéfice au moins égal à 1 % de leur chiffre d’affaires. Or, selon des estimations du ministère du travail sur les données de 2020, « un maximum de 16 750 entreprises, sur les 130 000 entreprises comptant entre onze et cinquante salariés, pourraient être concernées (…), soit entre 180 000 et 840 000 salariés ».
Enfin, s’agissant des « résultats exceptionnels », concernant les entreprises d’au moins cinquante personnes, Mme Sas note que « la mise en œuvre des dispositifs » prévus par l’accord « reste très incertaine », dans la mesure où la définition des résultats exceptionnels sera soumise à l’appréciation de l’employeur.