« Pour nous, ce sont les cent derniers mètres » : chez Whirlpool Amiens, cinq ans après, une friche, trois ouvriers et un DRH
ReportageSur le site de l’ancienne usine du groupe américain, trois élus continuent de suivre le reclassement des derniers ouvriers. Seuls dans une usine désaffectée avec un responsable des ressources humaines.
Lundi, filet de poulet au comté et au bacon. Mardi, crépinette de porc aux herbes. Mercredi, assiette barbecue. Le menu de la semaine est là, punaisé devant la cantine. Ce vendredi 17 décembre, les rangées de tables et de chaises en bois n’ont pas bougé, on dirait que le service vient de s’achever. Mais l’air est glacé, le chauffage ne fonctionne plus ni la lumière. Cela fait longtemps que plus personne ne vient déjeuner. Les centaines d’ouvriers qui fabriquaient des sèche-linge « made in France », sur ce site du nord-ouest d’Amiens, pour le groupe américain Whirlpool, ont tous quitté les lieux, à mesure que les repreneurs ont fait faillite, les uns après les autres.
Ici, le temps s’est arrêté. Dans les bureaux abandonnés, des graphiques dessinés au feutre sur un tableau racontent une histoire d’informatique, vestige possible d’une réunion avec des consultants de passage. Les portes vitrées de l’entrée sont bloquées en position entrouverte, laissant entrer le froid humide de l’hiver. Le carrelage du hall est en piteux état. Tout autour, des herbes envahissent et font craquer les chemins en pierre, au milieu desquels fuit parfois un chat ou un oiseau. Le parking est vide et silencieux. Celui-là même où s’est joué le second tour de l’élection présidentielle de 2017, a-t-on dit, lorsque Marine Le Pen et Emmanuel Macron s’y sont affrontés par caméras interposées, peu après que Whirlpool a annoncé délocaliser toute l’activité en Pologne.
Un tableau de fin du monde
Dans ce tableau de fin du monde, un bureau est allumé. Un seul, au premier étage. Une tache de lumière dans ce site de 17 hectares battu par les vents, où travaillaient près de 1 500 ouvriers il y a vingt ans. C’est le local où se retrouvent, chaque jour, les trois derniers salariés de Whirlpool, dans une odeur de café réchauffé. Trois délégués syndicaux, qui cohabitent avec un responsable des ressources humaines, à l’étage inférieur, chargé, depuis 2016, de fermer le site. Lui aussi, tout seul. Comme les trois élus, sa présence est obligatoire pour organiser le reclassement des derniers ouvriers. Il partira d’ici à quelques semaines. Ce jour-là, son bureau avec vue sur la friche est éteint. « Il vit à Paris », assure François Gorlia, délégué CGT, qui a grandi sur le site, son père en était le gardien. « Toi, ta maison, c’est ici, tu ne partiras jamais », lui dit en le taquinant Frédéric Chantrelle, son collègue de la CFDT.
Depuis que leur licenciement économique a été annulé par le tribunal administratif, en mars, les trois élus ont dû être réintégrés dans l’entreprise, qui n’a pourtant plus aucune activité à Amiens. Derniers rescapés de la tempête, ils continuent à venir quotidiennement sur ce site totalement déserté. La métropole d’Amiens, qui en a récupéré l’essentiel, les y a autorisés.
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