Plongée dans les violences ordinaires en milieu académique
Dans les laboratoires de recherche, il est un mot qu’on ne s’attend pas forcément à trouver : « violence ». Le dernier numéro de la revue sociale, culturelle et politique Mouvements, daté du 15 mai, tente d’en démontrer, au contraire, l’omniprésence, par des témoignages mais aussi des enquêtes de terrain. L’ensemble, rédigé par des spécialistes (psychologues, sociologues…), est assez convaincant dès lors que le lecteur accepte une définition large du terme. Violence sexuelle, violence symbolique, violence des relations au travail, violence envers les animaux… sont autant de volets abordés dans cette publication, qui rattache ces constats aux transformations en cours dans l’enseignement supérieur et la recherche, marquées par la compétition, l’individualisme et un management gestionnaire.
Le volet le plus évident est celui des violences sexuelles et sexistes, dont on sait qu’elles n’épargnent pas le monde académique, comme toute organisation. Deux textes viennent rappeler la lente et difficile prise de conscience et des actions pour y mettre fin. Malgré de premières alertes dès 2002 dans le milieu universitaire, puis le mouvement Metoo, le déni et les résistances sont encore nombreux.
D’autres textes glissent ensuite vers les conditions de travail, les risques psychosociaux et les souffrances des personnels. Des auteurs montrent ainsi la pertinence de construire un observatoire sur ce sujet, afin de mêler action syndicale et méthode scientifique pour documenter les conséquences négatives des changements à l’œuvre, qui mettent les personnels sous pression, engendrent de la précarité ou tordent l’éthique même de la profession.
Un dernier texte enfonce le clou en s’inquiétant de ce que la mise en place de cellules consacrées aux risques psychosociaux n’aggrave, en réalité, la situation par une mise à l’écart des syndicats, une trop forte individualisation et une déresponsabilisation des directions.
Impératifs éthiques et de productivité
Plusieurs situations particulières illustrent concrètement ce que « violence » peut vouloir dire autour des paillasses. Il y a le récit d’une grève des employés de ménage, qui montre la violence cachée subie par ces prestataires. Ou celui d’employés d’animaleries qui se trouvent en tension entre des impératifs éthiques et de productivité ; sans compter la difficulté à saisir le sens de leur travail à cause de chercheurs peu enclins à expliquer les raisons du recours à ces animaux.
Des employés d’un éditeur académique témoignent de leur souffrance à gérer une surcharge de travail induite, a priori paradoxalement, par la numérisation de leur activité. Une nouvelle recrue décrit un stage de formation où elle se sent mal lorsqu’elle se rend compte que la priorité n’est pas ce qu’on dit mais comment on le dit. Elle s’avoue piégée par des dispositifs d’intégration « ludiques », loin de ses valeurs.
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