« Paradoxalement, l’emploi industriel en France pourrait bénéficier de la robotisation »

Tribune. Les robots tuent des emplois, la mondialisation aussi. Qui des deux, dans cette course mondiale entre le progrès technique et l’ouverture des frontières, va le plus vite ? Il peut y avoir des effets triangulaires qui rendent le bilan emploi positif ici ou négatif là. Par exemple, l’emploi industriel en Europe, qui a tant souffert jusqu’ici, fera peut-être partie des gagnants ; ce pourrait être l’inverse pour la Chine et, plus grave, pour les pays en voie de développement qui démarrent juste leur industrialisation.
Deux arguments jouent en faveur d’un effet positif pour l’Europe, et pour la France en particulier : premièrement, le mal est déjà grandement fait, des centaines de milliers d’emplois industriels étant déjà partis en Asie ; deuxièmement, la robotisation au sens large rend moins pénalisant un coût du travail élevé en Europe, alors que le producteur profite à plein de la proximité géographique du marché pour améliorer la flexibilité de son offre.
Un bon exemple est l’industrie du vélo, encore récemment sous domination quasi-totale des pays asiatiques : Taïwan pour les cadres, Japon pour les pièces détachées structurantes, mais aussi Indonésie ou Thaïlande pour des pièces secondes comme les roues. Seules des entreprises très spécialisées dans les vélos haut de gamme pouvaient exister en Europe, tout en se fournissant très largement en Asie. Cela est en train de changer. On parle déjà d’unités de production de cadres au Portugal et bientôt en France.
L’importance du tissu industriel
Dans la métallurgie, on a l’exemple de Jacquemet, une PME de l’Ain spécialiste des fils métalliques industriels : elle a robotisé la logistique post-production, en formant son personnel à l’usage de ces instruments. Son chiffre d’affaires a explosé. L’opération n’est bien sûr pas toujours gagnante. Le blocage peut venir d’un tissu industriel qui s’est tellement appauvri que la relocalisation présente le même défi que la plantation d’une forêt sur un sol désertifié.
Ainsi, voulant relocaliser une partie de sa production de tablettes aux Etats-Unis, Apple s’est aperçu qu’une grande partie de l’écosystème des fournisseurs n’existait tout simplement plus dans le pays, y compris pour des pièces très banales. Il lui faut donc entreprendre un long processus de redescente de la chaîne industrielle, une opération généralement plus facile à accomplir lorsqu’on monte en gamme depuis des produits non sophistiqués vers des produits plus complexes.
D’autre part, la robotisation, même réussie, ne conduit pas toujours à une croissance de l’emploi industriel si on fait le calcul à un niveau agrégé. Ainsi, une étude détaillée sur un large échantillon d’entreprises espagnoles a montré que si les robots accroissent fortement la productivité et la rentabilité de l’entreprise, ils incitent en même temps à s’insérer davantage dans des chaînes de valeur internationales, ce qui amène l’entreprise à importer davantage de composants étrangers au détriment des emplois locaux (Katherine Stapleton et Michael Webb, « Why automation in Spanish firms did not cause reshoring », Vox Eu CEPR, 12 décembre 2020).
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