« Les nouveaux open space et non attribués créent un déséquilibre émotionnelle et physiologique »

Un immeuble de bureaux à La Défense (Hauts-de-Seine), en novembre 2017.

Un immeuble de bureaux à La Défense (Hauts-de-Seine), en novembre 2017. CHRISTOPHE SIMON / AFP

Les nouvelles façons de penser les aménagements des espaces de bureaux n’échappent pas aux phénomènes de mode : flex office, desk sharing, fab lab et work cafés. Les principales entreprises du CAC 40 établissent de nouveaux sièges sociaux emblématiques, où murs végétaux et décorations soignées sont déployés avec faste et virtuosité par des architectes de renom pour tendre vers le happiness at work.

La dernière vogue du flex office propose ainsi une réappropriation des lieux par les employés en leur donnant le choix des espaces selon une logique par activité. En complément de ces nouvelles façons de penser l’espace, des dispositifs de télétravail ou de coworkingcomplètent souvent ce mouvement.

Une immersion au sein de plusieurs de ces nouveaux lieux durant près de dix ans, en tant qu’acteur et conseil, couplée à un regard d’ethnologue et aux résultats de la recherche académique sur ces sujets, publie une réalité sociale moins altruiste qu’espérée, dans la mesure où ces nouvelles formes d’aménagement enclenchent des ajustements organisationnels et psychologiques délicats.

Proximité symbolique

Côté employeur s’élabore un calcul simple, basé sur la croyance d’un plus grand rendement des salariés, d’une diminution des coûts immobiliers et d’une attractivité supposée auprès des jeunes grâce à des aménagements qui ressembleraient à ceux des campus universitaires américains.

Le discours sur le flex office peut être mis à mal par ce qui est perçu comme un double langage par les salariés, qui questionnent dès lors la sincérité de l’employeur : d’un côté « améliorer le bien-être des salariés », de l’autre accroître la rentabilité immobilière (en réduisant les surfaces) et la productivité (en rendant plus poreux les espaces professionnel et privé, en accroissant la charge de travail).

La démolition des bureaux et des statuts crée d’autre part de nouvelles tensions sociales. Le changement des espaces traditionnels vers le flex office requiert de s’adapter à un mode self-service. Pratiquement, cette modification se traduit par un abandon des bureaux cloisonnés et par la raréfaction des étages supérieurs dédiés aux directeurs qui, dans un « élan sacrificiel », doivent rejoindre la légion des salariés.

Cette approche se veut la symbolique d’un aplanissement des hiérarchies et la preuve tangible d’une démocratisation des organisations. Si cette démarche semble louable, force est de constater que cette agora où se mélangent chefs, cadres et employés facilite également le contrôle, l’hypercirculation des directives et de facto l’endoctrinement des personnels – du moins le perçoivent-ils comme tels. De leur côté, les directions s’exposent encore plus à la question de la légitimité de leur autorité. Et cette nouvelle promiscuité exacerbe plutôt qu’elle n’atténue la question de la disparité des rémunérations…

 

Les petits acteurs de l’intelligence artificielle

Antonio A. Casilli ne laisse pas par hasard son titre au maître de l’absurde Samuel Beckett. En attendant les robots, son nouveau œuvre, délivre une bonne leçon de lucidité. Il y soutient que le grand remplacement à venir, celui des hommes par les robots, n’est que pur fantasme. Avant que n’advienne un monde où l’homme sera caduc, il va falloir attendre un bon moment. Il faudra peut-être même en abandonner l’idée, au risque de moisir sur place. Car ce monde virtuel, où l’intelligence artificielle (IA) se serait substituée à l’intuition et aux savoir-faire humains, n’est que discours.

Bâti pour attirer les investisseurs et consommateurs (et sur ce point parfaitement efficace), il ne résiste pas longtemps à l’enquête sérieuse. Derrière chaque plate-forme numérique se cache, en effet, démontre le sociologue, une quantité de « travailleurs du clic » invisibilisés, délocalisés, précarisés. Les robots ne font pas disparaître le travail, ils le dissimulent et, ce faisant, le reconfigurent dans des formes toujours encore désirables. En réalité, loin de libérer l’homme de la besogne, ils la lui « tâcheronnisent ».

S’il y a une modification à l’œuvre aujourd’hui, explique-t-il, c’est « celui du travail des mains par le travail des doigts – à proprement parler le travail “digital” ». Or quoi de moins virtuel que ces cinq appendices que nous avons au bout de chaque bras ? C’est ainsi que la fameuse disparition du travail, qui fait couler tant d’encre, se résume en réalité, selon le sociologue, à sa « digitalisation ». Pour saisir toute la portée de cette déclaration, il faut avoir à l’esprit que toute machine fonctionnant prétendument par intelligence artificielle possède une composante de travail humain.

Les travailleurs du clic

Le livre entame du reste sur une petite fable, évidemment inspirée du réel, celle d’une start-up spécialisée en IA qui vend une solution de pointe permettant de présenter des produits de luxe à des clients aisés. L’entreprise dit deviner leur préférence « grâce à un procédé d’apprentissage automatique ». Or, il s’avère que, derrière ce discours attirant, ne se cache aucun algorithme, aucun ingénieur, mais une simple plate-forme qui achemine les demandes vers Madagascar où des personnes (en chair et en os) collectent sur Internet et les réseaux sociaux toutes les informations disponibles pour déterminer les préférences du client.

 

« Appliquer la notion de design au travail admet de changer le regard que l’on porte sur celui-ci »

Il est nécessaire de changer de regard sur le travail en le replaçant au cœur du processus de production pour réduire l’écart entre travail prescrit et travail réel et redonner de l’attractivité aux métiers de l’industrie.

« Le métier se perd », répétaient à l’envi les syndicalistes de Turbomeca, il y a une quinzaine d’années. Ce n’est que peu à peu que la gravité de ce phénomène et l’étendue du mal sont apparues. Aujourd’hui, le constat est largement partagé. Le travail est en crise, il est devenu invisible, ainsi que le signale Pierre YvesGomez dans Le Travail invisible (François Bourin, 2013)

Durant la première moitié du XXe siècle, le taylorisme s’est établi en France. Dans ce modèle organisationnel, le travail est déterminé par ceux qui savent : bureau des méthodes et encadrement de premier niveau, souvent sorti du rang. Il est bien adapté à une population au niveau d’éducation faible. « L’organisation scientifique du travail » permet des gains de productivité considérables. Mais petit à petit, une expertise individuelle du « métier » émerge dans l’atelier. On voit apparaître toute une série d’initiatives pour réduire l’écart entre travail prescrit et travail réel par l’amélioration continue. Parallèlement, l’entreprise gestionnaire fait son arrivage, avec ses tableaux de bord, son « reporting » et l’obsession du court terme. Le profil de l’encadrement de terrain change. Il connaît de moins en moins le métier, s’attache de moins en moins au travail. Et principalement, le travail continue à être conçu par des personnes qui ne le réalisent pas.

Changer la notion de client

Mettre en œuvre le concept de design au travail permet de changer de regard. Les définitions du design sont nombreuses, mais on y retrouve toujours associés le client, les usages, la conception, l’ergonomie, les interfaces et l’aspect visuel. Parler de design du travail déplace la notion de client. Le client du produit « travail » n’est pas le client final, mais celui qui réalise le travail. Cela implique que le seul objet de la conception ne peut pas être la satisfaction du client final (usages/coût/qualité/délai), et que ceux qui réalisent le produit soient aussi considérés comme clients du processus de conception.

En considérant l’utilisateur du travail comme un client, on change de regard sur la participation de l’opérateur qui cesse d’être une simple utilité concourant au processus productif. Un tel changement peut participer de façon très puissante à résoudre la crise des représentations du travail, comme l’explique Laurence Decréau, dans son livre Tempête sur les représentations  du travail (Presses des Mines, 2018)

 

Les casinos Partouche appellent deux anciens « grands flics »

Fabrice Paire, le président du directoire de Partouche, en janvier 2016, au siège du groupe dans le 17e arrondissement de Paris.

Fabrice Paire, le président du directoire de Partouche, en janvier 2016, au siège du groupe dans le 17e arrondissement de Paris. MARTIN BUREAU / AFP

 

Elle a fait la leçon à Françoise Sagan, réussi à arrêter le tueur en série Guy Georges, été la première femme à la tête des « stups », de la « mondaine », de la pénitence du banditisme, de la « crim’» puis du 36, quai des Orfèvres. Il a commandé les Renseignements généraux en Corse, et connaît très bien le milieu nationaliste et le grand banditisme. Avec Martine Monteil et Eric Battesti, ce sont deux acteurs de la police dont Partouche a annoncé le recrutement, mardi 8 janvier. Deux « grands flics » grâce auxquels le groupe de casinos espère améliorer ses relations, aujourd’hui critiques, avec le ministère de l’intérieur.

« Nous voulons entretenir des rapports fluides avec notre tutelle, et ces deux éminentes personnalités qui ont fait carrière au ministère nous accompagneront en ce sens, mentionne Fabrice Paire, le président du directoire de Partouche. Elles interviendront aussi sur les sujets de sûreté, de protection des personnes et des biens, de lutte contre la fraude et le blanchiment. » agissant comme consultants extérieurs, Martine Monteil et Eric Battesti seront directement reliés au numéro un de Partouche, comme conseillers du président.

Il n’est pas exceptionnel que d’anciens hommes forts de la police ou de la gendarmerie partis en retraite assez jeunes passent dans le privé. Ils peuvent poursuivre à y utiliser leurs compétences en matière de sécurité et leurs carnets d’adresses. Mais ils optent en général pour de grands groupes. C’est ainsi que Bernard Squarcini, l’ancien patron du renseignement intérieur, a travaillé pour LVMH, que Christian Flaesch, ex-chef du « 36 », est devenu l’homme-clé de la sécurité d’Accor, ou encore que Total a recruté le général Denis Favier, ancien directeur général de la gendarmerie.

Une attaque spectaculaire dans son casino de Cannes

Avec un chiffre d’affaires de 410 millions d’euros en 2018, le groupe de la famille Partouche ne lutte pas dans la même catégorie. « Mais notre activité est plus directement liée à celle du ministère, argumente M. Paire. Nous sommes en contact permanent avec l’intérieur. En un an, nous avons eu plus d’une dizaine de contrôles du service central des courses et jeux, ne serait-ce que pour renouveler nos autorisations. » Barrière, le principal rival de Partouche, a d’ailleurs fait lui aussi appel à un ancien de la PJ, Roland Gauze.

Partouche avait une nécessité particulière de « fluidifier » ses relations avec la Place Beauvau. En mars 2018, la police a effectué une descente spectaculaire dans son casino de Cannes (Alpes-Maritimes). Deux administrateurs du casino ont été mis en examen. En Bourse, l’action a sur le champ dévissé de 15 %, et depuis, elle a poursuivi sa baisse. Même si Partouche assure que l’affaire fera « pschitt », les investisseurs n’aiment pas le grabuge…

Assurance-chômage : les collaborateurs sociaux s’arrêtent sur la question du bonus-malus

 

Entamés depuis la première quinzaine de novembre 2018, les négociations sur l’assurance-chômage sont sur le point d’aborder un sujet hautement inflammable : la lutte contre la précarité. Dans un « document de cadrage », le premier ministre avait demandé aux partenaires sociaux de construire de « nouvelles règles », afin de « responsabiliser » les employeurs, spécialement, ceux qui recourent excessivement aux contrats courts. Ce thème occupera l’essentiel des discussions que le patronat et les syndicats doivent poursuivre, mercredi 9 janvier, en vue de bâtir un nouveau système d’indemnisation des demandeurs d’emploi.

La rencontre s’annonce difficile. Car les acteurs vont échanger sur une idée très clivante, défendue par Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle : le bonus-malus, qui consiste à moduler les cotisations des entreprises (autour d’un taux pivot par secteur) en fonction du nombre de fins de contrat donnant lieu à une inscription à Pôle emploi. Les sociétés où la main-d’œuvre tourne fréquemment paieront plus, tandis que celles qui créent des emplois stables seront moins mises à contribution.

Or, le patronat y est brutalement hostile. « Nous ne négocierons pas sur un tel dispositif », avait prévenu Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, dans un entretien au Journal du dimanche   du 4 novembre 2018. « La vision centraliste du gouvernement au travers de ce système n’est pas adaptée à l’économie de demain », avait-il ajouté. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (artisanat, commerce, professions libérales) ont, sans surprise, annoncé des positions similaires durant l’automne 2018.

Leur analyse a-t-elle évolué, depuis ? « Je ne les sens pas disposés à lâcher du lest, confie Michel Beaugas (FO). Ils sont même prêts à faire capoter les discussions, sur cette question. » « Le chef de file de la délégation patronale dans la négociation nous assure que toutes les thématiques peuvent être débattues, enchaîne Eric Courpotin (CFTC). Mais les leaders patronaux, eux, ne veulent pas entendre parler de bonus-malus. » Dès lors, il est difficile, à ce stade, d’envisager un geste d’ouverture de la part des organisations d’employeurs.

Des accords dans la sidérurgie et la distribution

Celles-ci ont l’intention, durant la rencontre de mercredi, de mettre en avant les mesures récemment adoptées dans plusieurs secteurs d’activité pour prolonger les périodes d’emploi et proposer de nouveaux droits aux travailleurs (par exemple en matière de formation continue). D’après Hubert Mongon (Medef), des accords allant dans ce sens ont été paraphés dans cinq branches, en 2018, notamment dans la métallurgie, la distribution et le secteur de la propreté. « Leur contenu est intéressant, car ils contribuent à mettre en place la flexisécurité à la française, avec plus de souplesse pour les entreprises et plus de garanties en faveur des salariés », explique M. Mongon.

S’agissant de la sidérurgie, les accords conclus prévoient – entre autres – de réduire les périodes de carence entre deux CDD ou deux missions d’intérim, c’est-à-dire la durée pendant laquelle une entreprise ne peut pas embaucher sur le même poste, sous l’un de ces statuts. Est également créé un contrat de chantier ou d’opération, qui lie l’employeur et le salarié pendant au moins six mois, pour la réalisation d’un projet bien précis. Ce dispositif a également été instauré par l’accord applicable au monde de la distribution. Dans cette même branche, le délai de carence entre deux CDD est supprimé et une expérimentation va être lancée afin de permettre « le remplacement de plusieurs absences par un même contrat à durée déterminée ».

Mais ces initiatives risquent de ne pas suffire, aux yeux des syndicats. « Pour le moment, le nombre d’accords est faible et leur teneur n’est pas tout à fait en phase avec la lettre de cadrage de Matignon, qui recommandait de favoriser l’emploi durable », estime Marylise Léon (CFDT). « Ils ne sont pas très ambitieux et ne vont pas assez loin », renchérit M. Beaugas. Dès lors, complète Mme Léon, « si le compte n’y est pas, on a intérêt à étudier une mesure comparable au bonus-malus pour combattre l’abus de contrats courts »« Si on ne parle pas du système de cotisations, je ne vois pas pourquoi il conviendrait de continuer la négociation », affirme M. Courpotin.

« Deux écoles »

Le dialogue pourrait donc tourner court, mercredi, entre des organisations de salariés, désireuses d’avancer sur la modulation des cotisations en fonction des pratiques des entreprises, et le patronat, opposé à une telle option. En cas d’échec des discussions, l’exécutif pourrait reprendre la main et mettre en œuvre le bonus-malus, s’il trouve que les accords de branche ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Une hypothèse dont la crédibilité est accentuée par le contexte social du moment, pour Jean-François Foucard (CFE-CGC).

Mais certains mettent en doute les intentions affichées : « Deux écoles coexistent au sein du gouvernement », observe Denis Gravouil (CGT). Marc Ferracci, le conseiller spécial de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, « est le plus résolu à faire le bonus-malus », relève-t-il. Mais d’autres, au sein de l’exécutif, ne font pas preuve du même enthousiasme, considérant qu’un tel mécanisme « contredit le discours sur la baisse des charges », selon M. Gravouil. La confrontation va donc avoir lieu entre partenaires sociaux mais, peut-être, aussi dans les arcanes du pouvoir en place.

 

L’intelligence artificielle bouscule les métiers de Nvidia

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Jensen Huang, patron et fondateur de Nvidia, au Consumer Electronics Show de Las Vegas (Nevada), le 6 janvier.
Jensen Huang, patron et fondateur de Nvidia, au Consumer Electronics Show de Las Vegas (Nevada), le 6 janvier. Bloomberg / Bloomberg via Getty Images

La puce n’est pas plus grande que le bout du pouce. A peine 7 cm2, mais 18,6 milliards de transistors intégrés. Et une puissance de calcul inégalée. « C’est le processeur graphique le plus puissant que nous ayons jamais conçu », s’enthousiasme Jay Puri, vice-président de Nvidia, chargé des opérations commerciales mondiales. Derrière le responsable, un PC fait tourner l’un des derniers jeux vidéo du moment dans des conditions optimales.

Fondée en 1993, Nvidia a acquis ses lettres de noblesse auprès des joueurs à la recherche des dernières prouesses technologiques. Mais, depuis quelques années, l’entreprise américaine a pris une nouvelle envergure. Ses processeurs graphiques (graphics processing unit, GPU) ont envahi les « data centers » (« centres de données »), où ils participent notamment à l’entraînement des algorithmes d’intelligence artificielle. Ils propulsent aussi les voitures sans conducteur et sont utilisés dans la robotique, la ville connectée ou l’imagerie médicale. La société est devenue l’un des acteurs incontournables du Consumer Electronics Show (CES), la grand-messe de l’électronique grand public qui se tient jusqu’au 11 janvier, à Las Vegas, dans le Nevada.

Pour mesurer les récents succès de Nvidia, il y a d’abord les comptes. Depuis 2016, le chiffre d’affaires a été multiplié par près de 2,5. Au cours de l’exercice en cours, qui se terminera fin janvier, il devrait ainsi dépasser les 12 milliards de dollars (10,5 milliards d’euros). Et ses profits se sont envolés dans des proportions encore plus grandes : autour de 4,5 milliards de dollars, contre seulement 660 millions il y a trois ans. En Bourse, son action est passée, dans le même intervalle, de 30 dollars à 136 dollars.

Lire aussi Nvidia présente les « RTX 2000 », sa nouvelle génération de cartes graphiques

Une visite du siège social situé à Santa Clara, au cœur de la Silicon Valley californienne, constitue un autre indicateur de la croissance de l’entreprise. A l’été 2017, elle a inauguré un nouveau bâtiment à l’allure futuriste, pour compléter des bureaux devenus beaucoup trop étroits. En forme de triangle, une des figures de base du graphisme informatique, ils s’étendent sur près de 50 000 m2 et accueillent 2 500 employés. Un deuxième immeuble, reprenant le même design, mais 50 % plus grand, doit ouvrir ses portes en 2022.

Anticipation de la fin de la loi de Moore

Derrière la réussite de Nvidia se cache son fondateur et patron, Jensen Huang. Veste en cuir et verbe haut, cet immigré taïwanais de 55 ans, arrivé aux Etats-Unis lorsqu’il était enfant, n’assure pas simplement le spectacle lorsqu’il monte sur scène pour présenter les dernières innovations. « Sa vision a été déterminante, explique Alan Priestley, analyste au sein du cabinet Gartner. Il veut résoudre des problèmes complexes et n’hésite pas à investir massivement pour y parvenir. »

Plus de 900 emplois risqués chez Arjowiggins

Dans le dossier Sequana, l’implication du gouvernement est indirecte, mais réelle. Bpifrance est en effet actionnaire de Sequana à hauteur de 15,4 % (et 17,2 % des droits de vote).
Dans le dossier Sequana, l’implication du gouvernement est indirecte, mais réelle. Bpifrance est en effet actionnaire de Sequana à hauteur de 15,4 % (et 17,2 % des droits de vote). PIERRE ANDRIEU / AFP

Le gouvernement n’en a pas fini avec les dossiers sociaux lourds. Le fondeur Ascoval à peine sauvé, fin 2018, il va devoir traiter celui de Sequana, avec la préservation de 906 emplois à la clé. Le papetier a, en effet, annoncé, lundi 7 janvier, que trois filiales françaises de son entité Arjowiggins vont faire une demande d’ouverture de procédure de sauvegarde et de placement en redressement judiciaire auprès du tribunal de commerce de Nanterre, qui, devrait l’examiner dès mardi 8 janvier, selon le groupe.

Ce sont les sites historiques de Bessé-sur-Braye (568 emplois) et Le Bourray (262 emplois) dans la Sarthe, créés au milieu du XIXsiècle, et l’usine de Greenfield (76 salariés), à Château-Thierry, dans l’Aisne, qui sont menacés de fermeture.

L’annonce n’est pas une surprise, a partir de l’échec, en décembre 2018, des négociations de reprise de deux entités (activités graphiques et papiers de création) d’Arjowiggins par un investisseur néerlandais, Fineska BV. Très détérioré, le contexte sectoriel a pesé sur les négociations ouvertes en juillet 2018.

« Une augmentation inédite et continue des coûts »

Sequana met en avant « une augmentation inédite et continue de ses coûts exogènes, en particulier de la pâte à papier, qui a atteint, ces derniers mois, son niveau historiquement le plus élevé », mais de même des prix de l’énergie, une composante importante du coût de revient de ses produits.

Sans manquer le contentieux qui l’oppose, depuis 2013, à British American Tobacco. Il a entraîné, selon Sequana, « une forte défiance de la part des partenaires du groupe », pesant négativement sur le besoin en fonds de roulement. Aux même temps, le secteur subit « une baisse structurelle des volumes en papiers d’impression et d’écriture ».

L’inculpation du gouvernement est indirecte, mais réelle. Bpifrance est en effet actionnaire de Sequana à hauteur de 15,4 % (et 17,2 % des droits de vote). Et il a déjà perdu de l’argent en venant en aide à Sequana. Or, le 3 janvier, l’association d’actionnaires minoritaires Asamis a annoncé le dépôt d’une plainte contre la banque publique auprès du Parquet national financier.

En cinq ans, une perte de 96 % de sa valeur

Elle le reproche de pratiquer « des taux d’intérêts ruineux » pour Sequana et met en cause le nantissement d’actifs du groupe en garanties des prêts de la banque. Asamis affirme que l’échec de la négociation avec Fineska BV entraîne « une forte hausse du taux d’intérêt de [Bpifrance] sur un prêt relais lié à cette cession », qui « passe à 14 % l’an sur 10 millions d’euros ».

Un Grand du secteur, avec 7 800 personnes dans 45 pays et un chiffre d’affaires de 2,8 milliards d’euros, le groupe est à la peine depuis dix ans dans un contexte de dématérialisation des échanges, l’obligeant à rechercher des projets toujours plus innovants.

Son PDG, Pascal Lebard, a été jusqu’à présent incapable de redresser solidement la barre, malgré plusieurs restructurations. Sequana avait nettoyé son bilan en 2017 et affiché un lourd dégât (115 millions d’euros) après la dépréciation de sa filiale Antalis et la cession d’activités déficitaires, notamment à l’étranger. En 2018, il a cédé ses papiers pour billets de banque. En cinq ans, il a perdu 96 % de sa valeur et pèse désormais moins de 14 millions en Bourse.

La crise des « gilets jaunes » fragilise-t-elle l’emploi

La ministre du travail, Muriel Pénicaud, quitte l'Elysée, le 10 décembre 2018, après une réunion avec le président de la République, les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique social et environnemental ainsi que les responsables syndicaux.
La ministre du travail, Muriel Pénicaud, quitte l’Elysée, le 10 décembre 2018, après une réunion avec le président de la République, les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique social et environnemental ainsi que les responsables syndicaux.

 La ministre du travail, Muriel Pénicaud, a déclaré dimanche 6 janvier avoir débloqué 32 millions d’euros pour garantir les salaires de quelque 58 000 personnes au chômage partiel du fait de la crise des « gilets jaunes » qui « fragilise l’emploi ».« Au 4 janvier, c’est 58 000 salariés qui sont touchés (…). J’ai débloqué l’argent nécessaire il y a quelques semaines. Aujourd’hui, on en est à 32 millions d’euros gagés », a-t-elle annoncé durant l’émission « BFM Politique ». « Dans 92 % des cas, ce sont des PME dans le commerce, la construction, l’artisanat, un peu dans l’industrie aussi », a-t-elle précisé. « Ce sont 4 millions d’heures de travail potentiellement perdues », a-t-elle chiffré. « C’est aussi un des effets de la violence. Cela fragilise l’emploi et nos petits commerces, cela m’inquiète beaucoup », a-t-elle ajouté.

Le chômage technique ou partiel, aussi appelé « activité partielle », permet d’abandonner ou de réduire temporairement l’activité des salariés tout en leur assurant un salaire financé par l’Etat ou l’Unedic. A propos de l’impact plus général sur l’économie, elle a estimé, sans citer de chiffres, que « l’effet indirect [était] monstrueux ». « On le voit sur les investissements étrangers, sur la confiance à investir… il y a déjà des effets négatifs », a-t-elle déclaré.

Moins 0,1 point de croissance

Lundi 10 décembre, Bruno Le Maire avait déclaré sur RTL que les troubles liés aux manifestations des « gilets jaunes » avaient fait perdre 0,1 point de croissance à la France sur le dernier trimestre de l’année 2018.

Une analyse quantitative à laquelle souscrit également la Banque de France, qui a annoncé, à la suite du ministre des finances, diviser par deux le taux de croissance du PIB français qu’elle envisage pour le quatrième trimestre, le faisant passer de 0,4 % à 0,2 %. « L’activité des services décélère sous l’effet du mouvement [des « gilets jaunes »]. Les transports, la restauration et la réparation automobile régressent », ainsi que l’hôtellerie, enregistre notamment la banque centrale française sur la base d’une enquête de conjoncture. Les autres services, et notamment les services aux entreprises, « restent dynamiques ».

Rien à voir avec Mai 68

Cette perte de croissance n’est très pas similaire avec les épisodes de Mai 68 ou de novembre-décembre 1995. Durant ces deux mouvements sociaux, l’économie française avait été confrontée à des « blocages de production », quand, maintenant, les blocages concernent davantage la distribution, soulignait Denis Ferrand, directeur général de l’institut privé Rexecode,

Ce dernier rappelle qu’en 1968 la croissance s’était effondrée de 5,3 % au deuxième trimestre, pour rebondir brutalement de 8 % au troisième. En 1995, c’est entre 0,2 et 0,3 point de PIB qui s’était évaporé en fin d’année. Pour Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Ostrum Asset Management, la configuration actuelle ressemble plus aux événements de 2010, avec les mobilisations contre la réforme des retraites durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Ilham Kadri, l’ex-stagiaire marocaine nommée à la tête de Solvay

La nouvelle PDG de Solvay, Ilham Kadri, le 15 novembre 2018, à Paris.

La nouvelle PDG de Solvay, Ilham Kadri, le 15 novembre 2018, à Paris. VINCENT ISORE / IP3 / MAXPPP

Une jeune Marocaine frappe à la porte de l’immense usine Solvay de Tavaux (Jura) en 1989. Ilham Kadri vient chercher un stage. Elle a 20 ans. « Une fille discrète mais sympa, avec un très beau visage et une forme de solidité, d’assurance », décrit un ancien camarade. Elle est venue trois ans plus tôt de Casablanca, juste après le bac, pour faire une prépa scientifique à Besançon, et enchaîné avec une licence à Mulhouse. Durant son stage, elle est chargée d’analyser l’eau de la petite rivière dans laquelle l’usine envoie ses effluents. C’est là, dit l’histoire, que le virus de la chimie la saisit.

Trente ans plus tard, Ilham Kadri se prépare à revenir à Tavaux, mais dans un tout autre rôle. Oubliée la stagiaire un peu ignorée ; bienvenue à la « présidente du comité exécutif ». Officiellement entrée chez Solvay mardi 1er janvier, elle va prendre la tête du vénérable groupe chimique le 1er mars, après avoir effectué un tour des grands sites.

En octobre, quand sa nomination a été prononcée, certains salariés sont tombés à la renverse. Cela faisait des mois qu’ils attendaient le nom du successeur de Jean-Pierre Clamadieu, en partance pour Engie. « A la cafétéria, on pensait que ce serait un quinquagénaire, un des membres du comité exécutif comme le Français Pascal Juéry », raconte une cadre. Surprise : aux candidats internes, le comité des nominations préfère une inconnue de 49 ans, née au Maroc et dénichée aux Etats-Unis par le chasseur de têtes Egon Zehnder. « Sept ans après la fusion Solvay-Rhodia, cela évite de nommer un ancien d’une des deux maisons, c’est plus neutre », analyse un syndicaliste.

« Ce qui a fait la différence, c’est son style de management, sa capacité à transformer l’entreprise, sa personnalité », déclare l’Espagnole Amparo Moraleda, l’une des membres du comité des nominations de Solvay

Ilham Kadri est l’une des premières femmes nommées au sommet d’un grand groupe belge, après Dominique Leroy (Belgacom-Proximus). Et la première dirigeante d’origine africaine pour une société de grande taille en Europe. Une décision brave pour une maison aussi classique, toujours contrôlée, cent cinquante-cinq ans après sa création, par les descendants des frères Solvay : les Solvay, les Janssen, les Thibaut de Maisières, les Coppens d’Eeckenbrugge, etc.

Comment l’ancienne stagiaire marocaine a-t-elle été adoubée par cette aristocratie ? De quelle manière a-t-elle brisé le double plafond de verre qui bloque la plupart des femmes et des Maghrébins ? « Tous les candidats avaient les compétences techniques nécessaires, et le fait qu’elle soit une femme n’a pas joué, ajoute l’Espagnole Amparo Moraleda, l’une des membres du comité des nominations. Ce qui a fait la différence, c’est son style de management, sa capacité à transformer l’entreprise, sa personnalité. »