L’emploi des jeunes dépendants du besoin de se loger

Les exemples de cherté des loyers près du lieu de travail, véritable frein à l’emploi, ne manquent pas. Témoignages de jeunes salariés contraints de résider dans un foyer à Roissy, Istres, ou Rodez.

Il n’y a peut-être qu’à traverser la rue pour trouver un emploi, mais pas une habitation. Cyrille Boyer, qui dirige, dans le 8e arrondissement, la permanence accueil des jeunes de l’hôtellerie, en sait quelque chose : « J’ai soixante places et dix fois plus de demandes, y compris d’employeurs, restaurants et hôtels de luxe prêts à payer le double du tarif pour réserver des chambres à leurs salariés », déclare-t-il, évoquant le cas d’un jeune homme venant chaque jour de Lille pour travailler à l’hôtel Royal Monceau. « Dans l’hôtellerie et la restauration, les journées sont longues, avec des coupures dont on ne sait que faire, surtout quand, dans un quartier comme les Champs-Elysées, le Coca est à 15 euros », témoigne-t-il.

L’habitation de jeunes travailleurs implanté sur la plate-forme de l’aéroport de Roissy ne manque pas non plus de solliciteurs à la location qui trouvent facilement un emploi, parfois qualifié, sur place, dans la sécurité, la maintenance des avions, l’accueil ou la zone hôtelière, mais pas de quoi se loger : « Il y aurait bien des possibilités de logement à Sarcelles, Goussainville, Villiers-le-Bel, mais pas de transports commodes vers Roissy », déplore Christophe Quenet, directeur de ce foyer et de l’association du logement des jeunes du Val-d’Oise.

Fortuné Aldegon a passé son bac pro puis son BTS en alternance avant d’être recruté par Air France Industries comme mécanicien, puis au bureau technique de la maintenance des avions. Avant de résider près de son travail, il a, pendant deux ans, fait des allers et retours entre son foyer familial, à Nemours, dans la Seine-et-Marne, et Roissy, soit une heure et demie aller et deux heures et demie retour : « J’ai tenu le coup parce que je veux devenir ingénieur dans l’aéronautique pour, peut-être, aller travailler à l’étranger, et heureusement que l’entreprise nous payait des indemnités kilométriques car j’avais mon véhicule à assurer », se souvient-il.

En zones rurales, offre de logements et transports sont rares

« Avoir une habitation, c’est, pour nous les jeunes, un rêve que nous n’arrivons pas à concrétiser tellement les exigences des bailleurs sont impossibles à satisfaire, explique Yasmine, 28 ans, hôtesse d’accueil à Marne-la-Vallée Village. Il faut gagner trois fois le loyer, être embauchée en contrat à durée indéterminée et avoir achevé la période d’essai ou, mieux, avoir déjà six mois ou un an d’ancienneté dans le travail… », déclare-t-elle. Elle a, dans un premier temps, été logée en foyer de jeunes travailleurs à Roissy, ce qui lui occasionnait trois heures journalières de transports, et, aujourd’hui, dans un autre foyer à Bussy-Saint-Georges (Seine-et-Marne), avec des temps de trajet plus prudentes mais moyennant 480 euros par mois pour vivre dans 20 mètres carrés.

De Sciences Po au ramassage d’épluchures

Clara Duchalet, 25 ans, fondatrice de la société Vépluche, à Boulogne-Billancourt(Hauts-de-Seine).
Clara Duchalet, 25 ans, fondatrice de la société Vépluche, à Boulogne-Billancourt(Hauts-de-Seine). 
L’assistance est accompagnée d’un bon coup de pédale. « Cocotte » n’est pas un gallinacé mais il est bien matinal. Il n’est pas encore 8 heures, ce mardi de janvier, et l’éclairage public illumine un ballet de flocons de neige qui virevoltent sur Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) quand Clara Duchalet, 25 ans, sort « Cocotte » du magasin qui fait aussi office de hangar-bureau-parking de sa jeune société, Vépluche.

« Cocotte » est un vélo triporteur à assistance électrique et le cœur de l’activité de Vépluche : collecter les épluchures des restaurants locaux pour les transformer en compost. Un compost qui servira à faire de nouveaux légumes qui seront distribués aux restaurateurs. La boucle est bouclée.

Projet de fin d’études

L’idée de Vépluche, c’est donc de concevoir les poubelles. Ce ce n’est pas exactement ce qu’imaginait Clara en poussant la porte de Sciences Po, rue Saint-Guillaume, à Paris (7 e). L’étudiante voulait alors, simplement, « changer le monde ». Son plan : enseigner dans cette grande école, « avoir une grille de lecture de la société » pour faire une carrière dans une grande organisation où elle aurait de « grandes responsabilités ». Dans sa ligne de mire, l’Organisation des nations unies, rien de moins.

« En seulement quatre mois, nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique. »

« “Tu voulais être diplomate”, m’a évoqué récemment ma grand-mère ! », déclare l’entrepreneuse. Mais, entre le moment où la native de Toulouse a gommé son accent du Sud-Ouest et celui où ses camarades de promotion ont passé le concours de conseiller cadre d’Orient, sa vision des choses à faire pour « changer le monde » s’est infléchie. Elle a, en amuse-bouche de sa future carrière, testé la grande entreprise lors d’un stage chez Airbus en tant que « storyteller ». « J’étais chargée d’écrire sur les succès de l’avionneur », explique-t-elle. Après quelques mois, elle éprouve le besoin de se confronter à un public et intègre l’Institut français, à Rome, où elle travaille à promouvoir la littérature française.

Simultanément, une autre voie s’esquisse. « A mon arrivée à Paris, à 18 ans, j’avais constaté qu’il n’y avait pas de tri des déchets alimentaires dans la capitale », déclare-t-elle. Une idée germe alors dans son esprit. Et, cette fois encore, l’école lui donne une clé : son projet de fin d’études de master en affaires européennes qu’elle décide d’orienter « business ». Clara et trois autres étudiantes imaginent un projet de collecte des déchets des lieux de restauration en vélo cargo. « En seulement quatre mois, nous avions été hyper loin. Nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique », se félicite-t-elle. Romain Slitine, maître de conférences en entrepreneuriat social à Sciences Po, remarque la qualité du projet. « L’enjeu, c’est de le rendre concret et de passer à l’action », témoigne-t-il. Vépluche existe sur le papier et les tableaux Excel… Il ne reste plus qu’à le lancer. Ou pas.

« Souvent, les femmes s’autocensurent »

« La peur, c’est comme une petite sœur. Sa petite voix, on la laisse à l’arrière de la voiture », s’amuse Clara. Mais parfois, elle vous couvre : « Est-ce que je veux autant de responsabilités ? Est-ce que je veux monter une boîte ? Est-ce que je peux seulement le faire ? Est-ce que je dois mettre une jupe ou un col roulé ? Comment cela va-t-il être interprété ? Souvent les femmes se freinent, s’autocensurent. Elles se posent tellement de questions… »

« On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris. Vous imaginez l’impact ? »

Son master en poche, la jeune femme essai d’entrer à HEC. Première claque, elle n’est pas admise. « De rage, j’intègre un programme, Women4Climate, un système de mentorat qui encourage l’action des femmes qui veulent lutter contre le changement climatique, chacune à sa manière. » Un réseau de décideuses dont la voix porte bien plus fort que la petite sœur abandonnée à l’arrière de l’auto. Boostée par ces femmes qui osent, Clara lance Vépluche en 2018.

« J’avais déjà aperçu les possibilités de l’entrepreneuriat social chez Phenix », une jeune société qui s’attache à donner une seconde vie aux produits usagés et travaille à rendre la consommation plus responsable et économe en ressources. « J’y ai découvert qu’on pouvait faire du business avec un impact social ou environnemental positif. Ça m’a aidée à ôter les œillères que j’avais pour le privé. En janvier 2018, je suis repartie de zéro pour monter mon entreprise. »

Avec le soutien d’un associé et l’aide de deux collaborateurs, « Cocotte », le vélo fourgon, déambule quotidiennement dans les rues de la ville à l’assaut des poubelles des restaurateurs. Le défi : convaincre, expliquer aux gérants et patrons de cuisine l’intérêt collectif d’un circuit court et circulaire. A Boulogne-Billancourt, les restaurants L’Atelier, La Terrasse Seguin, 750 g La Table figurent parmi les trente clients pionniers. Grégory, patron du Pré en bulles, avoue « approuver une démarche qui (…) permet de [se] sentir responsables ».

L’espoir de Vépluche, c’est une prise de conscience collective que ce qui peut être consommé et transformé à l’échelle locale doit l’être. « On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris, prévoit Clara. Vous imaginez l’impact ? » Sortir le diesel, voire le moteur à explosion de la grande ville et le modifier par des transports doux. Pourquoi pas ? « Allez, Cocotte ! »

Les nouveaux directeurs d’Ascoval saisissent l’aciérie nordiste

Usine d’Ascoval à Saint-Saulve, dans le Nord, 8 novembre 2018.
Usine d’Ascoval à Saint-Saulve, dans le Nord, 8 novembre 2018. Pascal Rossignol / REUTERS

Ils ont aussitôt les clés d’Ascoval. Le 1er février, le groupe Altifort est entré en possession de l’aciérie de Saint-Saulve (Nord), près de Valenciennes. Après quarante-deux années passées dans le giron de Vallourec, et un an d’administration judiciaire, l’usine tourne une nouvelle page de son histoire. Elle se voit difficile. D’ailleurs, les salariés, touchés par le chômage partiel, en conviennent. Jeudi 29 janvier, Bart Gruyaert, le coactionnaire d’Altifort, avait confié à Franceinfo qu’il faudrait attendre « un délai de douze à quinze mois » pour assurer la survie de ce site sidérurgique refait à neuf en 2014.

L’acquéreur, qui a promis d’investir 152 millions d’euros pour son développement, a fort à faire. Alors que l’usine procurait exclusivement Vallourec, et depuis deux ans Ascometal (Schmolz + Bickenbach), elle doit désormais trouver de nouveaux clients, car « ces deux donneurs d’ordre sont désormais des concurrents », confirme Cédric Orban, son directeur.

Précipitamment, trois commerciaux devraient rattraper l’aciérie afin de multiplier les démarches auprès de clients potentiels à travers l’Europe et le monde. Pour M. Gruyaert, il faudra en trouver au moins « 40 à 50 » pour affirmer le plan de charge de l’usine de 281 salariés, qui est dotée de près de 500 000 tonnes de capacité de fabrication d’acier. L’usine n’est pas dénuée d’atouts, selon son nouveau propriétaire : « Elle est la moins polluante du monde et la deuxième plus moderne d’Europe. »

Diminuer les coûts de production

Durant l’acquisition, « on a fait un budget pour 2019 avec une production de 200 000 tonnes et aujourd’hui, la majorité de ce tonnage est déjà engagée. On se situe sur le marché des aciers spéciaux, dans lequel il y a seulement 10 % d’importations hors d’Europe », déclare le cofondateur d’Altifort. « Nos aciers ronds ont des caractéristiques mécaniques supérieures aux aciers ordinaires pour des environnements hostiles comme le nucléaire, les essieux de TGV », garantis le chef d’entreprise. De manière générale, plus l’acier est spécial, plus il est susceptible d’être vendu à un prix élevé.

Alors que près de 200 devis et cotations ont été rédigés ces derniers mois, « tous souhaitent nous tester avant d’aller plus loin, explique M. Orban. Ils nous commandent typiquement une ou deux coulées de 200 tonnes. Ensuite, si cela correspond à la qualité attendue et au coût espéré, cela peut rapidement monter à plusieurs milliers de tonnes. » En plus des petites commandes, de 3 000 à 5 000 tonnes, M. Gruyaert espère attirer de gros clients pour plusieurs dizaines de milliers de tonnes par an, notamment dans le secteur pétrolier, mais le marché de l’acier spécial s’est tendu fin 2018.

Pour le sidérurgiste, l’urgence est de diminuer encore ses coûts de production. L’an dernier, le prix de revient d’une tonne d’acier a déjà fondu de 400 à 270 euros, alors que celui du marché se situe autour de 220 euros… « A terme, nous visons un coût de 185 euros la tonne, souligne Cédric Orban. Afin de l’atteindre, nous avons déjà engagé une multitude de petites actions, entre la renégociation de certains contrats et l’amélioration continue de nos processus de fabrication. »

Des pièces à forte valeur ajoutée

  1. Gruyaert entend pareillement mieux valoriser sa forge pour varier sa production avec des pièces à forte valeur ajoutée. Enfin, dans le même esprit, Altifort s’est engagé, lors de la reprise du site, à installer un train à fil. Les études de marché doivent être lancées dans les semaines à venir et les premières machines devraient arriver à l’horizon 2020-2021.

Assez rapidement, Altifort devrait pouvoir compter sur l’argent public promis par l’Etat (25 millions d’euros), la région (12 millions) et la communauté de communes du Valenciennois (12 millions). Jeudi, lors de la séance plénière du conseil régional des Hauts-de-France, les élus ont voté son prêt de 12 millions afin de financer le fonds de roulement de l’aciérie.

« Il faut aussitôt que les marchés soient au rendez-vous, commente la sénatrice UDI du Valenciennois, Valérie Létard. Et il faut aller vite dans la mise en œuvre et l’accompagnement pour un train à fil. » Très engagée dans ce dossier, l’élue rappelle qu’« aucun projet n’est sans risque, mais ce qui aurait été grave, c’est de croire qu’il n’y avait pas d’avenir industriel dans notre région. C’est un vrai beau projet ».

Dès la semaine prochaine, Mme Létard collaborera au démarrage d’une commission d’information sur la filière sidérurgique en France. « Les vingt-sept sénateurs de cette mission seront chargés, confie-t-elle au Monde, de faire un point sur la filière pour regarder les dossiers, anticiper et sécuriser la sidérurgie française. »

Le secteur de la construction est un moteur de l’emploi en Espagne

Construction d’un imeuble d’habiation à Barcelone, en novembre 2017.
Construction d’un imeuble d’habiation à Barcelone, en novembre 2017. ALBERT GEA / REUTERS

En 2018, 566 000 emplois nets ont été créés en Espagne en 2018(+ 3 %), dont 136 000 dans le secteur de la construction. Le taux de chômage redescend à 14,45 %, mais les emplois restent précaires.

Les forêts de grues sont revenues dans le paysage espagnol. Tout autour de Madrid, la vigueur du secteur de la construction saute aux yeux et se traduit aussi dans les chiffres de l’emploi. En 2018, 566 000 emplois net ont été créés en Espagne (+ 3 %), principalement dans le secteur des services (428 000), mais aussi dans la construction (136 000), selon l’institut national de statistique. Le taux de chômage est ainsi redescendu à 14,45 % des actifs, alors qu’il frôlait les 27 % en 2013.

La banlieue nord de Madrid, la plus cotée, ne compte plus les chantiers résidentiels, comme à Majadahonda, à 16 kilomètres de la capitale, où s’affaire José Luis Gutierrez. « Je coordonne la construction de cinquante pavillons par cent vingt ouvriers », montionne ce chef de chantier quinquagénaire, dans le bruit des bétonneuses et des camions. Alors que, derrière lui, d’autres grues travaillent à l’édification de pavillons individuels et d’immeubles, il assure avoir des difficultés pour recruter car, « durant dix ans, plus personne n’a appris les métiers, et nous manquons de personnel expérimenté ».

« Après une traversée du désert très difficile pour le secteur, cela fait maintenant trois ans que la construction récupère le terrain perdu, explique Daniel Cuervo, secrétaire général de l’Association des promoteurs et constructeurs d’Espagne. En 2018, près de 100 000 permis de construire ont été accordés, contre 50 000 en 2015. La demande interne est repartie, et les acheteurs internationaux représentent près de 20 % des transactions d’achat-vente. » Il témoigne que les constructeurs peinent à trouver des travailleurs qualifiés. « Beaucoup d’étrangers ont quitté le pays durant la crise, et les plus âgés de la main-d’œuvre locale sont partis à la retraite. Et, malheureusement, la construction n’est pas un secteur attractif pour les jeunes. Nous devons nous réinventer et introduire plus de technologie pour qu’elle le devienne… », déclare-t-il.

Les conditions de travail se sont dégradées

L’Espagne reste loin des niveaux d’activité de 2008, lorsque le pays vivait un boom économique appuyé par une bulle immobilière. Si près de 1,4 million de personnes travaillent maintenant dans le secteur de la construction, ce qui correspond à 8,7 % des emplois, ils étaient 3 millions en 2008. Surtout, les conditions de travail se sont dégradées, comme l’assure, Alejandro Beas, ouvrier sidérurgiste de 54 ans : « Avant la crise, pour neuf heures de travail par jour, je gagnais 1 800 euros mensuels. Aujourd’hui, pour dix heures, on me paie 1 300 euros. » Hassan, 39 ans, lui, se réjouit d’être embauché « depuis un an, sans pause », ce qui ne lui était pas arrivé ces huit dernières années.

« Le grand débat peut instruire un modèle de négociation sociale pionnier »

  Dans sa nouvelle version, le grand débat est adapté à une phase d’écoute. Il doit aller plus loin, avec de nouvelles discussions et l’émergence de nouveaux idéaux, estime le professeur Armand Hatchuel dans sa chronique.

Devant cette crise, les pouvoirs publics ont commencé un grand débat national. L’urgence imposait d’agir vite et de fixer aux organisateurs des règles simples d’animation des réunions et de restitution des propositions. Pour plusieurs citoyens, c’est une opportunité sans précédent de s’exprimer sur ce qu’ils subissent et ce qu’ils attendent. Ils témoignent d’ailleurs volontiers de leur satisfaction à partager publiquement leurs points de vue.

Malgré cela, l’histoire, déjà longue, de l’implication des citoyens dans la vie publique, comme de celle des travailleurs dans la gestion des entreprises, enseigne qu’un débat fructueux et constructif exige des méthodes adaptées aux objectifs fixés à cette participation. Pour recueillir des doléances et des revendications, la pratique ancienne des états généraux ou des « boîtes à idées » suffit. Mais il faut des enquêtes d’utilité publique précises pour évaluer les enjeux d’un nouvel équipement. Et s’il s’agit de choix technologiques complexes, les conférences de citoyens proposent à chacun de s’informer par l’audition d’experts avant de délibérer…

En 2012, l’entreprise Fives avait ainsi appelé un panel de citoyens représentatifs de la population française à réfléchir sur l’usine de demain. Un débat peut ainsi avoir pour but de s’écouter, de décider collectivement ou même d’inventer ensemble, comme l’ont tenté les expériences autogestionnaires, coopératives ou participatives. Dans chaque cas, ce sont des modalités de participation différentes auxquelles on doit appeler les citoyens.

Actuellement, le grand débat est surtout ajusté à une phase d’écoute. On privilégie la discussion entre citoyens et le recueil de propositions. L’argumentation des avis est souhaitée, mais elle peut rester sommaire. Les autorités les plus hautes de l’Etat s’engagent dans les discussions mais sans les trancher. A vrai dire, la valeur de la phase d’écoute actuelle tiendra aussi aux propositions émises et qui n’étaient pas encore exprimées dans la rue ! Car, tous ceux qui ont déjà exprimé des revendications précises seront enclins à attendre des réponses à celles-ci, quelle que soit l’issue du grand débat.

Un grand travail d’enquête et d’invention

Le gouvernement annonce une « synthèse » à partir de laquelle il va fixer ses choix. Mais il faudrait aussi apercevoir la manière dont cette synthèse peut faire intervenir les citoyens. Car, au-delà de mesures à prendre sans délai, comment penser que certaines des propositions n’exigeront pas une seconde phase de négociation collective ? C’est là que le grand débat peut initier un modèle de négociation sociale novateur qui impliquerait, aux côtés des acteurs traditionnels (syndicats, autorités…), des délégations de citoyens ayant collaboré aux « gilets jaunes » ou à la phase d’écoute.

La hausse des rémunérations est attendue à 1 % dans le monde et 0,5 % en France en 2019

« Avec des prévisions comprises entre 2 % et 5 %, les secteurs qui prévoient les plus fortes augmentations pour 2019 sont en France le BTP, l’immobilier,  l’énergie, la chimie et l’industrie automobile ; les plus prudents sont la distribution (1,5%), le tourisme (1,4 %). »
« Avec des prévisions comprises entre 2 % et 5 %, les secteurs qui prévoient les plus fortes augmentations pour 2019 sont en France le BTP, l’immobilier,  l’énergie, la chimie et l’industrie automobile ; les plus prudents sont la distribution (1,5%), le tourisme (1,4 %). » Spot / Photononstop

Les salariés devraient voir leur rétribution croître de 2 % en moyenne, estime le cabinet Korn Ferry. Mais cette augmentation sera rognée par la progression des prix à la consommation.

Vu que la question du pouvoir d’achat alimente la colère des « gilets jaunes », 2019 devrait apporter une légère embellie au niveau des salaires, selon le cabinet de conseil Korn Ferry. Se fondant sur les déclarations de plus de 25 000 organisations dans le monde, dont 385 entreprises françaises, le cabinet estime l’augmentation moyenne des salaires à 5,1 % au niveau mondial pour cette nouvelle année. Mais, en tenant compte de l’inflation, la hausse réelle des rémunérations serait seulement de 1 %.

En France, les salaires devraient augmenter de 2 % en moyenne. Là aussi, la progression des prix à la consommation freine ce coup de pouce. En retranchant l’inflation, estimée à 1,5 % pour 2019, Korn Ferry prédit que les Français devraient tout de même voir leur rémunération augmenter en moyenne de 0,5 %. « On est sur des paramètres économiques qui restent hypothétiques et qui dépendent de la maîtrise des prix de l’énergie, de l’alimentation… », Annonce Guillemette Gaullier, responsable du département rémunération de Korn Ferry.

Pas d’effet « gilets jaunes »

Le mouvement des « gilets jaunes » et ses conséquences sur la croissance ont-il eu des conséquences sur les prévisions des employeurs ? « Notre sondage a été effectué en septembre, prévient Guillemette Gaullier. Nous sommes en train de consulter à nouveau les entreprises, afin de savoir si elles sont restées sur les mêmes perspectives d’augmentation. Environ la moitié nous disent qu’elles sont restées sur les mêmes niveaux d’augmentation, voire plus élevés ; l’autre moitié a revu à la baisse ses perspectives. En ce moment, on ne regarde donc pas vraiment d’effet “gilets jaunes” ». La diminution des cotisations sociales et le prélèvement à la source n’ont pas non plus eu d’impact sur les prévisions des employeurs, affirme la responsable du département rémunération de Korn Ferry.

Le Medef réintègre la négociation sur l’assurance-chômage

Geoffroy Roux de Bézieux est le président du Medef depuis le 3 juillet 2018.
Geoffroy Roux de Bézieux est le président du Medef depuis le 3 juillet 2018. ERIC PIERMONT / AFP
Le Medef avait interrompu sa participation, navré par la « détermination » de Macron à mettre en place le « bonus-malus » sur les contrats courts.

Le Medef, qui avait claqué la porte lundi de la discussion sur l’assurance-chômage pour protester contre les déclarations d’Emmanuel Macron sur le « bonus-malus », va revenir à la table des discussions, a présenté jeudi 31 janvier son président Geoffroy Roux de Bézieux, dans une conversation au Parisien :

« Je vais proposer à nos instances – et je ne doute pas qu’elles acceptent – de revenir dans la négociation, même si elle est difficile. »

Les organisations patronales avaient arrêté lundi leur contribution à la négociation, fâchées par la « détermination » affichée par Emmanuel Macron, lors de sa rencontre jeudi avec des citoyens dans la Drôme, à mettre en place le « bonus-malus » sur les contrats courts réclamé par les syndicats pour lutter contre la précarité.

« Désinciter à la précarité des contrats »

Mais le premier ministre, Edouard Philippe, a assuré mercredi à l’Assemblée que c’était aux organisations patronales et syndicales de conduire la négociation, sans prononcer le mot « bonus-malus » honni par les organisations patronales :

« C’est à elles qu’il revient de définir les façons, les instruments, les moyens pour faire en sorte que notre système d’indemnisation du chômage puisse être à nouveau équilibré (…), favoriser le retour à l’emploi et, en tout état de cause, favoriser la pérennité des contrats et “désinciter” à la précarité des contrats. »

Le désaccord de lundi avait causé l’annulation d’une séance de négociations jeudi, au cours de laquelle le patronat devait présenter un texte global sur tous les points délicats, dont la lutte contre les contrats courts, la gouvernance du système et les règles d’indemnisation.

Lorsqu’une nouvelle séance sera programmée une autre fois, « nous allons faire des propositions alternatives [au bonus-malus] », a répété M. Roux de Bézieux. L’objectif est de conclure la négociation le 20 février. De sa part, le secrétaire général de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Jean-Eudes Du Mesnil, a déclaré que son organisation considérait « positivement les déclarations du premier ministre » et allait « très rapidement consulter ses instances pour décider » d’un retour aux négociations.

 

Hop ! Passe sous le drapeau d’Air France

Aéroport de Lille-Esquin en 2017.
Aéroport de Lille-Esquin en 2017. PHILIPPE HUGUEN / AFP
Le nouveau directeur général d’Air France a décidé de faire un changement dans les marques de la compagnie aérienne.

Ben Smith fait le ménage. Après l’annonce de la fin à bas coûts Joon, le directeur général d’Air France a décidé de faire passer la marque Hop !, spécialisée dans les vols court-courriers en France et dans quelques grandes villes d’Europe, sous le pavillon d’Air France. Une opération imitée sur le modèle de KLM. Aux Pays-Bas, les vols court-courriers sont ainsi assurés par KLM Cityhopper comme il est inscrit sur la carlingue des avions. M. Smith souhaite une simplification de l’offre au sein du groupe Air France-KLM,

Contrairement à Joon, dont Air France a décidé la réinsertion pure et simple des avions et des personnels dans le giron de sa maison-mère, Hop ! Ne peut être passée par pertes et profits pour des raisons juridiques. En effet, la marque est issue de la réunion de trois compagnies du groupe Air France : Brit Air, Airliner et Regional.

Source de désordre

Cette élimination de la marque Hop ! Confirme les propos prêtés à Ben Smith depuis sa nomination au poste de directeur général d’Air France-KLM en août 2018. Ce dernier n’avait pas fait mystère de son opposition à la multiplication des enseignes au sein de la compagnie franco néerlandaise. Selon lui, cette profusion pouvait être source de confusion notamment pour les passagers long-courriers du groupe. De plus Hop !, depuis sa création il y a six ans, n’avait jamais dissipé un malentendu. Celui d’être née avec une image de compagnie low cost tout en proposant des prix très élevés.

Le passage de Hop ! sous le drapeau d’Air France sera sans doute aussi l’occasion d’une réaménagement de la compagnie en proie à des difficultés financières récurrentes. Comme l’a indiqué La Tribune du 30 janvier, cette opération pourrait s’accompagner d’un recentrage de l’ex-Hop ! sur deux bases à Orly et Paris-Charles-de-Gaulle pour alimenter les deux hubs d’Air France. A cette occasion, Air France procéderait à une simplification de la flotte de sa filiale. Orly serait ainsi desservi uniquement par les CRJ100 de Bombardier tandis que les appareils Embraer seraient dirigés vers Roissy. In fine, le reliquat des activités de la défunte Hop !, particulièrement les lignes qui relient entre-elles des métropoles de province, pourrait passer sous pavillon de Transavia, la filiale à bas coûts d’Air France.

 

Les galères des jeunes diplômés en psychologie : « On savait que ça ne serait pas simple »

10 % des étudiants en psychologie montent une activité libérale dans les deux ou trois ans qui suivent leur diplôme.
10 % des étudiants en psychologie montent une activité libérale dans les deux ou trois ans qui suivent leur diplôme. AGE / Photononstop / AGE / Photononstop

Depuis près de quatre mois, Sophie, titulaire d’un master de psychologie du travail à l’université de Grenoble-Alpes, cherche un emploi : sans succès. Son diplôme devrait pourtant lui ouvrir des débouchés variés : ressources humaines, santé au travail, insertion professionnelle, orientation ou encore ergonomie. La jeune femme de 23 ans cherche « partout » mais les offres d’emploi, peu nombreuses, sont prises d’assaut très rapidement.

« Je savais que ça ne serait pas simple, mais ça commence à me peser », confie Sophie, qui est retournée vivre chez ses parents en Haute-Savoie, puis chez sa sœur aînée dans le Nord. Elle envisage à présent de trouver un poste alimentaire, dans la logistique, la garde d’enfant ou en tant que caissière, le temps de trouver un emploi de psychologue qui lui conviendrait.

Nombreux sont les jeunes diplômés en psychologie à connaître une insertion difficile. Seuls 63 % des diplômés en master occupent un emploi stable trente mois après la sortie de l’université, selon des chiffres de 2017 du ministère de l’enseignement supérieur. Beaucoup doivent s’accommoder, malgré leur niveau bac +5, d’un statut précaire.

« Cette situation est précaire »

Comme Julie, diplômée en juillet 2017, qui officie en tant qu’autoentrepreneuse. Cinq mois après être sortie de l’université de Caen, où elle a suivi sa deuxième année de master, la jeune femme avait pourtant trouvé un emploi à mi-temps dans une association d’orientation scolaire, intervenant dans les établissements privés de la région lyonnaise. Mais en septembre 2018, le centre dépose le bilan. Elle est licenciée. La jeune femme se heurte alors à une pénurie d’offres dans son secteur – la psychologie du développement de l’enfant et de l’adolescent – à Lyon, où elle souhaite rester.

Depuis, elle intervient en libéral dans plusieurs écoles. « Cette situation est précaire car ma paie dépend de la demande des écoles, explique-t-elle. Certains mois, je travaille très bien, d’autres très peu, voire pas du tout. » Elle gagne désormais entre 1 000 et 1 500 euros net par mois. Avec un tel salaire, impossible de louer son propre appartement dans une ville comme Lyon alors, comme Sophie, elle est retournée vivre chez ses parents.

Pour ces jeunes sortis d’un master de psychologie, le salaire brut annuel s’élève en moyenne à 25 000 euros par an, dix-huit mois après le diplôme, et à 26 500 euros, trente mois après le diplôme, indique le ministère de l’enseignement supérieur. « C’est très bas pour un emploi de cadre ou en profession libérale », observe Jacques Borgy, psychologue clinicien et secrétaire général du Syndicat national des psychologues.

Une activité libérale en hausse

Pour s’en sortir, Sophie envisage de trouver un cabinet au sein duquel se lancer en libéral. De plus en plus de jeunes diplômés en psychologie font ce choix. « On observe une augmentation de l’insertion en exercice libéral depuis un peu plus de cinq ans, note Jacques Borgy. Aujourd’hui, 10 % des étudiants montent une activité libérale dans les deux ou trois ans qui suivent leur diplôme. Il y a dix ans, ils étaient seulement une poignée. » Pour lui, la profession pâtit d’un climat général qui tend externaliser les compétences, avec des établissements qui préfèrent faire appel ponctuellement à des psychologues libéraux plutôt que les embaucher.

Par ailleurs, la part de temps partiels dans la profession atteint un tiers des emplois plus de deux ans après le diplôme. Sortie de l’université de Caen en 2017, Charline, 25 ans, jongle entre un emploi en CDI à mi-temps dans un centre de formation à distance petite enfance à Argentan (Orne) et un CDD à 20 % dans un autre centre à une heure de route du premier. « Cela demande une vraie organisation, et, dans l’un ou l’autre des centres, je rate un certain nombre d’événements ou de problèmes », explique-t-elle.

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« Les jeunes diplômés en psychologie gagnent aussi à se montrer mobiles. Un tiers d’entre eux doivent trouver un emploi en dehors de la région de leur université », ajoute Jacques Borgy. C’est le cas de Marjorie qui, diplômée d’un master de psychologie et justice à Lille, a préféré accepter une proposition d’embauche à Charleville-Mézières (Ardennes). Loin de sa Normandie natale, elle avoue se sentir très seule.

« Parfois je me dis que j’ai peut-être pris la mauvaise décision, mais je ne me voyais pas attendre des mois sans emploi. Au niveau financier, il fallait que je commence à travailler. »  Et même si son travail à la Protection judiciaire de la jeunesse la passionne, la jeune femme de 24 ans garde un œil, chaque semaine, sur les offres d’emploi en Normandie. Avec un constat, encore une fois : très peu d’offres. Et presque exclusivement pour des temps partiels.

Alice Raybaud

En Suède, Pôle emploi écarte 4 500 de ses salariés

Le premier ministre suédois, Stefan Lofven, au Parlement, à Stockholm, le 2& janvier.
Le premier ministre suédois, Stefan Lofven, au Parlement, à Stockholm, le 2& janvier. TT News Agency / REUTERS

L’agence suédoise pour l’emploi, Arbetsförmedlingen, va voir ses activités limitées au profit de sous-traitants privés.

Annoncé par la droite avant les législatives du 9 septembre dernier, la cure d’amincissement d’Arbetsförmedlingen, le Pôle emploi suédois, s’annonce sévère. Mercredi 30 janvier, son patron, Mikael Sjöberg, a fait savoir que 4 500 postes seraient retirés d’ici à la fin de l’année. Soit plus d’un tiers des 13 500 salariés. Ce plan de licenciements intervient à la suite d’une réduction drastique du budget d’Arbetsförmedlingen, destinée à être partiellement remplacée par des acteurs privés.

Ce service public a vu son apport de fonctionnement amputée de 386 millions de couronnes en 2019, et elle le sera de 800 millions additionnels en 2020. Par ailleurs, Arbetsförmedlingen perd 4,5 milliards de couronnes de financements destinés à divers programmes de retour à l’emploi.

La privatisation des services de l’aide à l’emploi a été établie par un accord signé début janvier entre les sociaux-démocrates, les Verts et deux partis de centre-droit. Cet accord a permis la reconduction du gouvernement minoritaire de centre-gauche de Stefan Löfven, avec le soutien au Parlement du centre et des libéraux qui l’ont conditionnée particulièrement à plusieurs réformes de dérégulation.

Des prestations décriées

Selon l’accord, le gouvernement se promet à « réformer en profondeur » Arbetsfömedligen d’ici à 2021 et à transférer la quasi-totalité de ses activités à des sociétés privées. Dès lors, M. Löfven, le premier ministre social-démocrate, élu le 18 janvier, a eu beau jeu de fustiger une réforme « dessinée sur une serviette en papier » par les conservateurs et chrétiens-démocrates.

Depuis plusieurs années déjà, les quatre partis de l’Alliance de centre-droit, composée des conservateurs, centristes, libéraux et chrétiens-démocrates, dans l’opposition depuis 2014, défendaient en faveur d’une réforme en profondeur de ce Pôle emploi. En cause : ses prestations décriées. En 2017, à peine un demandeur d’emploi sur dix a retrouvé un travail en passant par Arbestförmedligen. Dans 1,4 % des cas seulement, après l’aide d’un de ses agents.

Aussitôt, la plupart des recrutements ont lieu directement, via des contacts personnels, des sites Internet tels que LinkedIn, ou par le biais d’agences de placement. Arbetsförmedligen, pour sa part, sous-traite déjà certains de ses services à des acteurs privés, membres de l’organisation professionnelle Almega, qui pousse pour une privatisation du secteur et dont les arguments sont repris par la droite.