Un vaccin contre mauvais directeur

« Les subordonnés de dirigeants qui n’hésitent pas à les rendre responsable de fautes qu’ils n’ont pas commises, agissent ainsi de la même façon avec leurs employés quand ils sont manageurs. »
« Les subordonnés de dirigeants qui n’hésitent pas à les rendre responsable de fautes qu’ils n’ont pas commises, agissent ainsi de la même façon avec leurs employés quand ils sont manageurs. » Klaus Meinhardt/Ikon Images / Photononstop

Les employés de patrons rudes éprouvent plus d’avoir une crise cardiaque. Les déceptions étant que ceux qui combattent aux conduites fâcheux de leur hiérarchie s’en sortent souvent en se reprisant sur leurs propres subordonnés.

Les mauvais directeurs sont légion. Trente-sept pour cent des Américains ont affirmé avoir été l’objet de conduites violentes, des alarmes de la part de leur responsable, selon une étude, accomplie en 2007 auprès de 8 000 adultes. Avec pour suite une quantité d’erreurs accru en raison du stress, un augmentation des arrêts maladies, et bien sûr une insensibilité graduel pour leur travail.

Une étude du même type accomplie en Angleterre, auprès de 6 000 agents a démontré que les employés de patrons hypercritiques, lointains, ou au contraire trop interventionnistes risquaient davantage d’avoir une crise cardiaque souvent mortelle.

Diantre ! Cette situation n’est guère réjouissante. Mais elle se corse davantage lorsque l’on sait que ceux qui résistent à ces comportements fâcheux s’en sortent souvent en se vengeant sur leurs propres inférieurs, à l’instar des enfants de parents tourmenteurs qui imitent ce qu’ils ont subi sur leur descendance. Les subordonnés de dirigeants qui n’hésitent pas à s’approprier leurs idées, ou à les rendre responsable de fautes qu’ils n’ont pas commises, réalisent ainsi de la même façon avec leurs employés quand ils sont manageurs.

Ce fait de contagion est profond. Il se reflète sur au moins trois niveaux hiérarchiques, selon une œuvre d’examen amené par des experts en psychologie de plusieurs universités américaines et publié en 2012 dans Personnel Psychology. Les dégâts se propagent donc en cascade avec tous les effets délétères que l’on peut imaginer, auprès tant des individus intéressés que de leurs entreprises.

Soutenir son chef à distance

Fort avantageusement, il serait éventuel de se accoutumer contre ce fléau. Une équipe de cinq chercheurs en canalisation d’universités américaines, singapourienne, et anglaise ont cherché à savoir pourquoi et comment certains assistants de patrons abusifs parvenaient à ne pas être contaminés.

Après plusieurs pratiques, ils ont exécuté que les individus qui arrivaient à soutenir psychologiquement leur chef à distance, à ne pas s’identifier à lui, non seulement n’étaient pas atteints, mais se saisissaient de façon plus éthique auprès de leurs subordonnés, que leurs collègues qui n’avaient pas eu le malheur de soutenir des dirigeants maltraitants.

En d’autres termes, avoir eu un mauvais directeur les aurait rendus meilleurs. Une étude effectuée auprès de 500 salariés de diverses entreprises indiennes a certifié ces résultats. Avoir un mauvais boss augmente de 12 % les chances d’être habile de le tenir à distance, et donc d’être un meilleur manageur.

Des élites caduques en pleine préjudice

« Les écoles d’élite se sont mises à former une technocratie spécialiste des ratios et des algorithmes. La direction financière est devenue la voie royale pour accéder au gouvernement des grandes entreprises. »
« Les écoles d’élite se sont mises à former une technocratie spécialiste des ratios et des algorithmes. La direction financière est devenue la voie royale pour accéder au gouvernement des grandes entreprises. » NICHOLAS ROBERTS / AFP

Pierre-Yves Gomez

Professeur à l’école de management EM Lyon

Avec la fermentation digitale, de récentes élites devraient voir le jour pour mieux répondre aux inquiétudes des gouvernés, développe dans sa chronique le professeur à l’EM Lyon, Pierre-Yves Gomez.

Personne ne s’avère plus démentir qu’il y a une coupure entre la société réelle et « les élites ». On a tort, car un tel diagnostic confond ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui sont reconnus comme constituant « l’élite ». Comme le montre l’évolution, faire partie des lauréats (du latin elire), c’est être considéré parmi les meilleurs par ceux que l’on gouverne. En opposant qu’elle possède des capacités et des vertus jugées exemplaires, l’élite suscite la confiance. C’est en conséquence de cela que son pouvoir devient acceptable.

Ainsi en est-il de l’élite qui administre les entreprises. Durant le premier siècle du capitalisme (1800-1930), ce sont les entrepreneurs qui la composèrent comme l’a montré la thèse célèbre de Schumpeter (1883-1950) Capitalisme, socialisme et démocratie (1942). Leurs capacités à commander leurs passions pour réaliser un projet bénéfique à tous supposaient des compétences et des vertus qui octroyaient définitivement confiance dans le progrès technique et économique qu’ils promettaient de réaliser.

L’élite entrepreneuriale fut troublée dans les années 1930 par les experts en organisation. La production de masse sollicita de nouvelles compétences : planification méthodique, capacités à prévoir et à maîtriser les flux productifs dans le long terme. Elle appelait aussi de nouvelles vertus : la rigueur et le jugement pour créer la confiance dans le fonctionnement du système technique. James Burnham (1905-1987), dans L’Ere des organisateurs (1941), a prévu combien le second siècle du capitalisme industriel (de 1930 à nos jours) devait être celui des technocrates.

Dévalorisation des élites

Il fallait être ingénieur pour faire partie de cette élite car conduire l’édifice d’un pont ou la production d’une mine démontrait que l’on pouvait aussi bien conduire une organisation avec rigueur : universités et écoles « prestigieuses » en ont formé des générations tant pour la sphère publique que privée.

La financiarisation de l’économie à partir de 1980 a de nouveau changé la donne. Les entreprises ont été vues comme des espaces intelligents et fluides, intégrant des chaînes de valeur mondiales. Il importe d’arracher de l’information, de connecter des données pour limiter la valeur créée à chaque niveau de l’organisation, jusqu’au profit global. Ceux qui battent les outils et les contrôles financiers assurent aux « marchés » que le conséquence promis par l’entreprise sera accompli.

Refaire l’aménagement du travail

« La révolution des organisations. Pour une nouvelle architecture de l’entreprise », de Daniel Baroin et David Gateau. Pearson, 234 pages, 24,90 euros.
« La révolution des organisations. Pour une nouvelle architecture de l’entreprise », de Daniel Baroin et David Gateau. Pearson, 234 pages, 24,90 euros. DR

Les créateurs de « La Révolution des organisations » essayent d’investir en quoi les mutations liées à la vague technologique, à l’ascension en puissance des entreprises plate-forme, sont éventuellement porteuses d’augmentations et de changements organisationnels.

Lorsqu’il n’est pas source d’angoisse ou d’irritation, le sujet de la disposition ennuie. Il rappelle les archétypes des experts explorant à normaliser les postes de travail et les modes opératoires dans la perspective de toujours plus d’efficacité et de contrôle. Mais dans sa définition plus générique, entendue comme communauté de personnes plus que comme structure, l’organisation attire toute l’attention des gouvernants.

« Pour autant il est difficile de se satisfaire de stéréotypes appuyés sur l’organisation et de l’invasion des seules approches managériales. Un angle mort existe sur la manière dont les entreprises, dans un environnement de plus en plus instable, font modifier opérationnellement leur structure, leur mode de planification, leur processus de décision et comment cette évolution se confronte à la culture et aux pratiques managériales existantes », estiment Daniel Baroin et David Gateau.

Dans La Changement des organisations. Pour une récente architecture de l’entreprise (Pearson), l’ancien directeur de la disposition et de la formation du groupe Danone et le cofondateur de Datsit-Conseil esquissent les pistes pour « une nouvelle architecture de l’entreprise ». Les auteurs essayent de cerner en quoi les mutations liées à la vague technologique, à la montée en puissance des entreprises plate-forme, à l’aspiration des populations à travailler autrement, sont potentiellement porteuses, pour les entreprises, d’accélérations et de changements organisationnelles, que ce soit en termes d’automatisation des modèles opérationnels ou d’émergence de nouveaux modèles d’entreprises, arrangeant progrès humain et performance durable.

Les enjeux de demain

A partir des années 1990, l’administration client, le mode projet, l’évolution d’innovation et les fonctions support « business partner » ont symbolisé la modernité des configurations d’organisation. « Nous posons que le mode agile, la centricité des clients, l’innovation par les communautés et la réinvention des fonctions support constituent les nouvelles dynamiques organisationnelles et les ferments du changement de l’architecture des entreprises », notent les auteurs, qui se sont particulièrement captivés aux grandes entreprises du secteur privé.

Le livre pousse la réflexion un cran plus loin pour indiquer ce que serait une architecture organisationnelle adaptée aux enjeux de demain et offre un cadre opérationnel destiné aux manageurs. « Les incantations pour une entreprise plus agile, un leadership plus authentique ne adouciront pas comme seuls catalyseurs de la conversion. Les dirigeants d’entreprise, les gestionnaires n’échapperont pas à une réflexion en profondeur sur le design de leur organisation », assurent les auteurs, qui nomment à un manifeste pour une nouvelle architecture d’entreprise.

L’appel au travail de nuit s’augmente, aux dépens de la santé

Des sapeurs-pompiers de nuit, à Tours, en décembre 2018.
Des sapeurs-pompiers de nuit, à Tours, en décembre 2018. GUILLAUME SOUVANT / AFP

Vers les 16,3 % de la population active travaille la nuit,  alors qu’elle est qualifiée de « cancérogène probable » et qu’elle est affectée d’une « diminution des performances cognitives ».

Touchant 4,3 millions de personnes, le travail de nuit augmente. Leur chiffre a passé de 1 million entre 1990 et 2013, atteignant 16,3 % de la population active, alerte le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de Santé publique France diffusé le 12 mars. Le caractère « exceptionnel » d’appel au travail de nuit a beau être inscrit en toutes lettres dans le code du travail, la disposition est plutôt à la banalisation. Parmi les 4,3 millions de laborieux de nuit, le nombre des « habituels » a « plus que doublé » entre 1990 et 2013. Ils sont passés de 800 000 à 1,9 million, effaçant le léger recul du travail de nuit exceptionnel de 2,5 à 2,4 millions de salariés.

L’accroissement du travail de minuit à 5 heures, enregistrée par Santé publique France, est telle que l’institut en désigne à « la mise en place d’une veille sanitaire dans les groupes professionnels les plus exposés », en contribution du suivi médical individuel et régulier des travailleurs de nuit déjà prévu par la loi.

« Troubles de la santé psychique »

L’élévation du travail de nuit pourrait en effet à elle seule être « responsable des troubles du sommeil d’une très large partie de la population », assurent les six chercheurs de l’Inserm, de Santé publique France et de l’université Claude-Bernard-Lyon-I, auteurs du BEH. Ils en retracent les répercussions sur l’état de santé des travailleurs de nuit.

« Ces formes horaires de travail se conduisent chez les travailleurs affichés d’une désynchronisation des rythmes biologiques normaux, calés sur l’alternance jour-nuit, à l’origine des troubles du sommeil », expliquent les chercheurs. Et ce manque de sommeil provoque un déficit de l’immunité des travailleurs qui augmente le « risque d’accidents, de troubles métaboliques, de maladies cardiovasculaires ou de cancers ».

Le travail de nuit planté est ainsi versé de « cancérogène probable » par le Centre international d’étude sur le cancer. Enfin, les perturbations du rythme de travail liées aux horaires décalés sont aussi à l’origine de « diminution des performances cognitives » et de « troubles de la santé psychique ».

Le secteur le plus touché par le travail de nuit « habituel » est le tertiaire : le ­nombre de travailleurs de nuit habituels y a triplé entre 1990 et 2013, aboutissant 1,5 million de travailleurs nocturnes, arrivant de 3,4 % à 7 % de l’effectif total du ­secteur. Dans l’industrie, le nombre de ­travailleurs montrés (383 450 personnes) est moins important, mais la part de l’effectif a plus que doublé, de 5,3 % à 11,2 %, certifiant la tendance. Les métiers les plus affectés par le travail de nuit standardisé sont les infirmiers, les sages-femmes et les aides-soignants pour quelque 274 500 postes à eux trois, puis les conducteurs routiers et les livreurs (près de 140 000), les agents de ­sécurité, le personnel de l’armée, les policiers et les pompiers (212 762)

Caisse des dépôts : un modèle de démarrages pointe une centaine de personnes

Eric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignation, le 11 décembre 2018 sur le péron de l’Elysée.
Eric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignation, le 11 décembre 2018 sur le péron de l’Elysée. LUDOVIC MARIN / AFP

Un projet d’accord de séparation habituelle communautaire pourrait intéresser salariés et fonctionnaires de l’établissement public. Une première dans l’histoire de cette institution bicentenaire.

C’était une perspective de l’exécutif à l’égard de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) : « réduire les coûts de progression de l’ensemble du groupe, incluant notamment la maîtrise de la masse salariale ». Cette recommandation figurait en bonne place dans la feuille de route, envoyée par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, en décembre 2017, au nouveau patron de l’institution publique, Eric Lombard.

Un peu plus d’un an plus tard, les contestations sur un texte de rupture conventionnelle collective (RCC) au sein de l’établissement public de la Caisse des dépôts progressent précipitamment. Lundi 11 mars, les organisations syndicales de l’institution ont en effet reçu un projet d’accord précisant les conditions de ce plan de départs.

Sur la base du volontariat 

L’établissement public, qui utilise quelque 5 500 personnes, y prévoit le départ de 100 collaborateurs, au maximum, sur la base du volontariat. Ce nombre pourrait toutefois évoluer au cours de la négociation. Le document propose à ce stade de verser aux candidats au départ le montant cumulé des indemnités légale et habituelle, majoré de 10 %. Le dispositif sera ouvert aussi bien aux salariés qu’aux fonctionnaires de l’établissement, pour peu qu’ils aient cumulé dix années d’ancienneté et soient porteurs d’un projet professionnel.

Les contestations avec les organisations syndicales représentatives doivent se poursuivre au cours du premier semestre. Un dispositif de rupture conventionnelle collective devant obligatoirement donner lieu à un accord majoritaire, sa mise en place reste interrompue à la signature de trois organisations syndicales. Si la Caisse obtient leur feu vert, les départs devraient s’espacer entre la fin 2019 et le 31 décembre 2020.

Démarche inédite

La démarche s’avère naissante. La Caisse des dépôts, fondée en 1816, placée sous la protection spéciale du Parlement, peu habituée à restreindre son train de vie, va mettre en place son premier un plan de départs. En outre, « il s’agira du premier accord de rupture habituelle collective touchant des agents publics », indique-t-on à la Caisse.

« Il s’agit à la fois de mener une politique de bonne gestion, et d’accomplir la modification de la maison, poursuit ce porte-parole de la CDC. Il n’y aura pas de suppression sèche de postes : l’accord permet de les réaffecter, notamment sur le numérique ou la gestion d’actifs, et d’embaucher de nouveaux profils, ingénieurs ou spécialistes en investissements ».

Par le passé, la gestion interne de la résidence public a souvent laissé à désirer. La Cour des comptes a dénoncé en 2015 une « dérive choquante » de CDC Entreprises, filiale à 100 % du groupe, qui a distribué entre fin 2007 et fin 2010 des actions gratuites, offrant aux personnels intéressés « un effet d’aubaine difficilement justifiable ». Et en mars dernier, l’institution de la rue Cambon a durement critiqué les dépenses de mouvement de l’établissement, pointant des « irrégularités en matière de rémunération » et une hausse de 23 % des dépenses entre 2007 et 2015, due particulièrement à l’expansion de la masse salariale.

 

Il faut « concevoir un rétribution universel d’utilité sociale »

Pierre-Hervé Gautier, directeur de la Fondation Robert-Abdesselam, propose de revoir la hiérarchie et le mode de résolution des salaires, afin de valoriser des emplois à forte utilité sociale aujourd’hui rétribués à hauteur du smic.

La France vit depuis quatre mois une action social sans équivalent. Sous le label « gilets jaunes », un véritable nombre de Français expriment leur ras-le-bol face aux impôts, au manque de pouvoir d’achat, aux difficultés de trouver un emploi… A cet effet d’injustice, se joigne un manque de considération pour une très grande partie de citoyens, qui se sentent en dehors du système économique et social et sont dépourvus de moyen pour trouver des solutions. Se sentir seul, sans possibilité de se parler ou d’agir vous rend dépendant des autres, de l’Etat, et crée un sentiment de perte pouvant entraîner la révolte.

C’est d’une « révolution » de notre rapport au travail et à la rémunération dont nous avons besoin. Pour cela, il faut rectifier la hiérarchie et le mode de résolution des salaires en prenant en compte la notion d’utilité sociale et la valeur additionnée de l’activité, afin de répondre à cette question : à quoi mon travail sert-il au sein de l’entreprise et dans la société ? Au lieu de réfléchir sur ce que mon emploi coûte ou rapporte aux actionnaires privés ou publics.

L’utilité sociale d’un métier, d’une activité, d’une personne est celle qui participe à apporter un mieux-être aux autres ; qui favorise la diffusion des savoirs et des compétences ; qui assure la protection des Français des violences de la société ; ou encore progresse et préserve la santé…

Classer les métiers

A partir de cette notion, il faut modifier les grilles de salaires afin de concorder à ceux qui ne sont pas dans la vie active classique (salaire de l’économie sociale et solidaire), alors qu’ils accomplissent des tâches ou des emplois ayant une utilité sociale. De même, on pourrait apercevoir de passer du smic au revenu d’utilité sociale (RUS) et d’établir pour tous, après expérimentation, un revenu universel d’utilité sociale avec, en contrepartie, des devoirs ou actions sociales à honorer.

D’autres réformes peuvent être remarquées : telle qu’élargir à 25 % ou 30 % des salariés la possibilité de devenir actionnaires de leur entreprise, au lieu de 5 % actuellement ; ou encore d’intégrer dans les primes versées un critère de performance liée à l’utilité sociale, comme cela se fait pour la protection de l’environnement dans certaines entreprises.

Avant cette refonte, une première étape comporterait à définir une charte de l’utilité sociale, intégrant des critères objectifs de l’utilité sociale ainsi que l’encaissement par les citoyens de la valeur ajoutée des métiers ou activités.

Plus de 1 200 personnes chassent Renault Trucks devant la justice

Le bâtiment principal de l’entreprise Renault Trucks à Venissieux, près de Lyon, le 28 avril 2015.
Le bâtiment principal de l’entreprise Renault Trucks à Venissieux, près de Lyon, le 28 avril 2015. PHILIPPE DESMAZES / AFP
Des salariés et ex-salariés sollicitent la reconnaissance de leur « préjudice d’anxiété » après l’organisation « amiante » de l’usine de construction de camions de Vénissieux.

Le conseil de prud’hommes de Lyon observe, mardi 12 mars, les sollicites de 1 208 salariés et ex-salariés de Renault Trucks qui réclament la reconnaissance de leur « préjudice d’anxiété » après le classement « amiante » du site de construction de camions de Vénissieux (Rhône). L’audience – hors normes au vu du nombre de plaignants –, a été délocalisée dans une salle polyvalente de Rillieux-la-Pape, dans la banlieue lyonnaise.

Le site de Renault Trucks (ex-RVI), immédiatement filiale de Volvo, à Vénissieux, a été reconnu « site amiante » par arrêté publié au Journal officiel à l’automne 2016, permettant ainsi aux salariés en poste jusqu’en 1996 d’avoir droit au dispositif de retraite anticipée des travailleurs de l’amiante. Cette inscription intéresse la période allant de 1964 à 1996.

« A l’époque, personne n’était averti, on divisait l’amiante à la scie. Il n’y avait aucune souhait, on utilisait des soufflettes pour nettoyer les postes de travail », témoigne le président de l’Association prévenir et réparer (APER), Jean-Paul Carret. La « prise de conscience », dit-il, a eu lieu à la fin des années 1990, « après les premiers décès ». L’APER a dénombré au moins une « vingtaine » de morts liées à l’amiante depuis 2000 et une « quarantaine » de cas convenus comme maladies professionnelles.

Epée de Damoclès                                                                                                                                                                   

Actuellement, les plaignants, principalement des retraités et quelques salariés en fin de carrière, vivent « toujours avec une épée de Damoclès ». « Ça trotte dans les têtes à chaque fois qu’ils enseignent qu’un ancien collègue est mort », dit M. Carret, qui définit que ces 1 200 dossiers étaient « une première vague », « 200 autres doivent être examinés ultérieurement ».

Contacté par l’Agence France-Presse, Renault Trucks n’a pas souhaité faire de « commentaires sur les actions de justice en cours le concernant ». Le groupe a simplement ajouté que l’entreprise « n’avait jamais affiché ses salariés à des risques connus », garantissant que « plus aucun produit amianté » n’était utilisée « dans ses processus depuis le 1er janvier 1997 ».

Le protecteur des plaignants, Me Cédric de Romanet, réclame 15 000 euros pour chacun d’eux, attendu que « les études épidémiologiques montrent, inopportunément, que le temps d’exposition est sans effet » sur le risque de déployer une maladie liée à l’amiante.

Le secrétaire de l’APER, Patrick Gérard, a pour sa part regretté que, « sur le plan pénal, la bataille n’avance pas ». « Aujourd’hui, on sait faire condamner l’entreprise, mais on n’arrive pas à faire condamner les patrons, les donneurs d’ordre », a-t-il affirmé.

 

Une femme à la tête des concours d’entrée de l’ENA

Isabel Marey-Semper, ancienne de chez L’Oréal et PSA, va mener le recrutement de la glorieuse école. Un poste qui rentre traditionnellement à de hauts fonctionnaires.

Cela ne saute pas certainement aux yeux, mais c’est un petit changement. L’Ecole nationale d’administration (ENA), qui conduit aux grands corps de la haute fonction publique, a déterminé d’appeler pour 2019 Isabel Marey-Semper, 51 ans, comme présidente de jury des concours d’entrée. L’annonce a été faite le 8 mars, journée des droits des femmes. Jusque-là, rien d’étonnant. Entre 1991 et 2018, douze femmes ont été appelées à ce poste.

Sauf que Mme Marey-Semper ne coche aucune case du chemin habituel pour l’occuper : elle a fait toute sa carrière dans le secteur privé. Chez L’Oréal jusqu’en décembre 2017, où elle était membre du comité exécutif du groupe, directrice de la communication et des affaires publiques et directrice générale de la fondation, après être passée par PSA Peugeot Citroën ou encore Saint-Gobain. Quant à la partie académique de son CV : aucune trace d’un passage par l’ENA. Mme Marey-Semper est normalienne en biologie. Après une thèse en neuro-pharmacologie, elle a eu un MBA au Collège des ingénieurs.

 « Diversifier les concours »

Son profil est donc relativement inédit pour présider au recrutement de la prestigieuse école. Les présidents des jurys de concours de l’ENA sont traditionnellement de hauts fonctionnaires. Seuls certaines universitaires ont fait restriction ces trente dernières années – ainsi qu’un journaliste, en 2000. Cette nomination, du ressort du premier ministre et du ministère de l’action et des comptes publics, doit être diffusée au Journal officiel d’ici la fin du mois.

L’information, mise en ligne sur le site Acteurs publics, a fait résister sur les réseaux sociaux. Si la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, s’est réjouie, le 11 mars sur Twitter, d’un « nouveau pas en faveur de l’ouverture progressive des grands corps », certains internautes ont plutôt ri jaune.

L’information, mise en ligne sur le site Acteurs publics, a fait réagir sur les réseaux sociaux. Si la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, s’est ravie, le 11 mars sur Twitter, d’un « nouveau pas en préférence de l’ouverture progressive des grands corps », certains internautes ont plutôt ri jaune.

« L’ENA forme-t-elle encore pour le service public ? », s’est questionné un géographe. « Tant qu’on y est, faisons diriger les comités de sélection universitaires par des chefs d’entreprise ! », pouvait-on lire sur le compte de Frédéric Sawicki, professeur de science politique.

Une ironie qu’écarte d’un échec de main Patrick Gérard, directeur de l’ENA, chargé de proposer des noms pour cette fonction. « Nous avons une volonté très forte de diversifier les concours, explique-t-il. Choisir une personne issue de la société civile, du monde de l’entreprise, c’est aussi une réponse à une société française qui pense que l’ENA est une caste de hauts agents qui se reproduisent entre eux, je veux nier tout cela. » Un aspect qui va dans le même sens, pour lui, que l’accès cette année d’un quatrième concours de passage destiné aux docteurs.

La principale intéressée garantit elle aussi son « profil différent ».

« Oui, je n’ai pas fait l’ENA, mais j’ai une vision de scientifique et une habitude de conduite qui pourront être utiles dans le recrutement des futurs hauts fonctionnaires », réplique Isabel Marey-Semper.

« Quitte à faire de cette attribution un symbole, un autre aurait été plus innovateur, estime pour sa part l’énarque Christophe Strassel, chargé de la Prép’ENA à Sciences Po Lille. Dénommer un chercheur, pour présenter l’exigence de voir la recherche irriguer la formation de nos élites. »

 

A l’alliance locale de Saint-Girons, « la société est transformée abondamment dure »

A l'union locale de la CGT à Saint-Girons (Ariège), le 18 février.
A l’union locale de la CGT à Saint-Girons (Ariège), le 18 février. 

Dans la sous-préfecture de l’Ariège, la CGT arrange des constances procédurières pour supporter les salariés en pénurie.

C’est une femme au visage manifesté qui a poussé la porte de l’union locale CGT de Saint-Girons, sous-préfecture de l’Ariège, ce lundi de février. Cette salariée n’est pas syndiquée, mais elle ne savait pas vers qui se tourner. Dans sa boîte, une grosse PME, des syndicats, il n’y en a pas. Une de ses amies l’a persuadée de venir prendre conseil ici où, les lundis soir, une constance juridique ouverte à tous est organisée.

La dame veut ne pas donner son nom, ni même son prénom. Dans le Couserans, ce pays aux dix-huit vallées, tout le monde se connaît et son patron aurait rapidement l’identifier. La quinquagénaire l’accuse de vouloir se dégager d’elle et de lui augmenter sa charge de travail pour la pousser à la démission. Plus de vingt ans d’ancienneté et « pas une lettre » pour se plaindre d’elle, assure-t-elle. Depuis une dizaine de jours, elle est en arrêt maladie et elle a la boule au ventre à l’idée de retourner travailler. « Je suis morte, lâche-t-elle. Je n’ai pas la force de revenir. Je sais que je ne pourrai pas faire tout ce qu’ils me demandent. »

« Souffrance au travail »

Face à elle, Jean-Marie Munoz écoute. Ce militant CGT, retraité d’EDF, est un des bénévoles qui font tourner l’union locale (UL). Devant lui, un volumineux code du travail. Pas besoin de le défaire pour savoir que, sans preuve, la partie sera pénible. « Il y a de plus en plus de punition au travail, juge-t-il. Son cas n’est pas isolé : on a ça tous les lundis. Toutes les méthodes sont bonnes pour dégraisser, y compris déstabiliser les salariés. »

Jean-Marie Munoz est la mémoire vive des lieux. Le cégétiste a participé à sa création dans les années 1970. Une grande pièce au rez-de-chaussée d’une ancienne école que la mairie, qui paye également l’électricité et l’eau, met à disposition gracieusement. Une accommodement qui n’est pas écrit mais sans cesse renouvelé depuis. Situé à un petit kilomètre du centre-ville, le local et son panneau défraîchi pourraient approximativement circuler inaperçus pour celui qui ne connaît pas Saint-Girons. Mais ici on ne vient pas par hasard. La CGT est le dernier syndicat physiquement présent dans cette commune de 6 000 habitants qui couvre un bassin de vie bien plus large.

« On en arrive à faire le travail de l’Etat, déplore François Carbou, secrétaire général de l’UL. Même l’inspection du travail nous envoie des gens… »

L’Ariège compte cinq unions locales CGT. Celle de Saint-Girons, comme ses petites sœurs, garantis plusieurs missions : elle fédère une dizaine de syndicats cégétistes des environs, joue un rôle d’animation et de développement. Elle conseille pareillement les salariés en pénurie avec leur employeur, les aide à aménager un dossier, les assiste lors d’un entretien antérieur de licenciement, et peut les conduire jusqu’aux prud’hommes. « On en arrive à faire le travail de l’Etat, déplore François Carbou, secrétaire général de l’UL. Même l’inspection du travail nous envoie des gens… »

Les professions de la finance et du conseil, un monde dur pour les femmes

Mixtes au niveau junior, ces secteurs comptent de moins en moins de femmes en haut de la hiérarchie.
Mixtes au niveau junior, ces secteurs comptent de moins en moins de femmes en haut de la hiérarchie. Milena Boniek/PhotoAlto / Photononstop / Milena Boniek/PhotoAlto/Photononstop

Dans ces espaces, grimper dans la hiérarchie s’allie pour les femmes à un parcours du combattant. Ecoles de commerce et entreprises s’inclinent sur le sujet.

 « Je connais trois femmes qui ont abandonné le métier rien que depuis le début de l’année, et aucun homme. Et je ne crois pas que ce soit un hasard », changement Marie (les prénoms des femmes ont été changés à leur demande), 30 ans, salariée d’un fonds de capital-risque à Paris, lorsqu’on l’interroge sur le fait d’être une femme dans son secteur. Une chose est sûre : dans les métiers de la finance et du conseil, les effectifs sont aujourd’hui relativement mixtes au niveau junior, mais les femmes disparaissent à mesure que l’on monte dans la hiérarchie.

Comment expliquer ce phénomène ? Certes, évoluer dans ces secteurs très concurrentiels est difficile pour tous. Mais réussir en tant que femme demande un travail d’adaptation supplémentaire et coûteux, estime la sociologue Isabel Boni-Le Goff, enseignante-chercheuse à l’université de Lausanne, qui a étudié le secteur du conseil.

Dans ce métier où le relationnel tient une part importante, notamment avec le client, le « bon expert » est à la fois compétent et capable de construire une relation intime. « Face à cette double injonction, les consultantes doivent faire un effort spécifique pour que le cadre de l’interaction soit le plus maîtrisé possible, pour neutraliser le genre. Cela passe par l’apparence physique, vestimentaire, la manière dont elles parlent et se tiennent… Au bout de cinq ans de carrière, une succession de petites épreuves quotidiennes qui s’accumulent, un poison sur la durée », déclare-t-elle.

L’avantage informel des hommes

Dans la finance, être un homme est pareillement, a priori, un bon point pour être connu légitime. « Les compétences qui adaptent sont celles dites masculines, genrées, améliorées par les hommes et un milieu bourgeois : l’aptitude à manier les chiffres, le calcul, la vitesse d’exécution, la compétitivité, l’ardeur, l’ego, une grande confiance en soi. Je ne veux pas dire que seuls les hommes ont ces traits, mais ils sont socialement construits comme masculins, donc on va considérer que les femmes y sont moins bonnes », cite Valérie Boussard, professeure de sociologie à l’université Paris-Nanterre et auteure de recherches sur les rouages de cette filière.

Un autre type d’expériences est d’ordre organisationnel. Les professionnels de ces milieux doivent fréquemment être très disponibles, tard, et être mobiles géographiquement. Ces petits freins pour les femmes sont réels au moment de la maternité. « Mais aussi imaginés, car les femmes sont a priori pensées comme moins disponibles, même quand elles le sont », précise Valérie Broussard.