« La discussion de proximité doit-il avoir lieu dans les sociétés ? »

Trente ans après le « droit d’expression » sur le temps et le lieu de travail né avec la loi du 4 août 1982, les réseaux sociaux d’entreprise n’ont guère « libéré la parole », constate le juriste Jean-Emmanuel Ray dans sa chronique.

Publié aujourd’hui à 06h30 Temps de Lecture 2 min.

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« Chaque délégué syndical qui, en France, a le monopole de la négociation d’entreprise, doit s’être présenté aux élections professionnelles et avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés pour pouvoir être désigné par son syndicat. »
« Chaque délégué syndical qui, en France, a le monopole de la négociation d’entreprise, doit s’être présenté aux élections professionnelles et avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés pour pouvoir être désigné par son syndicat. » Philippe Turpin / Photononstop

Avis d’expert. L’éruption des « gilets jaunes » a constitué un apprentissage accéléré du droit des conflits collectifs. Le « tous contre » est fédérateur, surtout avec des revendications très diverses. Mais, pour trouver une issue, il faut ensuite sélectionner : les thèmes essentiels, puis des « représentants » jugés légitimes par leurs mandants. Et qui ne décrètent pas que ce sera « tout, ou rien ! », déni du principe même d’une négociation, donc d’un compromis.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Comité social et économique : refondation ou continuité ?

Mais comment les désigner ? L’effet « vu à la télé » a montré ses rudes limites et confirmé le judicieux choix fait par notre droit du travail le 20 août 2008 : la représentativité réelle d’un négociateur se mesure à partir du terrain. Chaque délégué syndical qui, en France, a le monopole de la négociation d’entreprise, doit s’être présenté aux élections professionnelles et avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés pour pouvoir être désigné par son syndicat, qui ensuite l’encadre dans sa mission. Son mandat à durée déterminée, car remis en cause tous les quatre ans, l’incite à coller aux problèmes quotidiens des salariés-électeurs : à moins de 10 %, il quittera la table des négociations.

Il restera des ronds-points « gilets jaunes » un fort besoin d’expression. Ce n’est pas surprenant : en 1980, 26 % d’une génération avait le baccalauréat, ils étaient 43 % en 1990 et 65 % aujourd’hui, omniprésents sur les réseaux sociaux. Le débat de proximité doit-il se tenir dans l’entreprise ? Depuis 1946, le droit du travail a multiplié les mécanismes de démocratie représentative et de démocratie directe depuis 2016. Ainsi en est-il du comité social (CSE) et économique.

Avis individuels et intérêt collectif

Composé de représentants élus, avec monopole des listes syndicales au premier tour, ce qui exclut à ce stade une liste spécifique « gilets jaunes », « le comité social et économique a pour mission d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts » (L. 2312-8). Et comme les délégués du personnel vont disparaître fin 2019, la création par accord collectif des « représentants de proximité » nés avec l’ordonnance du 22 septembre 2017 rencontre un légitime succès dans les établissements.

Depuis août 2016 se sont aussi multipliés les référendums, facilités par le vote électronique. Ici pour ratifier un accord en l’absence de délégué syndical, là en guise de session de rattrapage pour valider un accord signé par des syndicats représentant plus de 30 % mais moins de 50 % des électeurs, et permettant ainsi de contourner le principe de l’accord majoritaire (cf. n° spécial Droit social, mars 2019 : « La place des syndicats dans le nouveau modèle social »). Mais une somme d’avis individuels reflète-t-elle l’intérêt collectif ?

« Les Robots, mon emploi et moi » : bien calibrer l’évolution digitale

L’économiste et directeur de l’Institut Sapiens Erwann Tison offre une approche rationnelle et tranquillisée de l’influence du numérique sur le marché de l’emploi.

La première fois qu’une IA, à savoir Hal 9000 dans le film 2001, l’odyssée de l’espace, établit d’une grand impact narrative au cinéma, elle forme le rôle de le ravageur d’humains. C’est dire à quel point la technologie excite nos peurs et nourrit nos fantasmes les plus sombres.

Cette rivalité est amplement présente dans notre inconscient communautaire qu’il s’est invité lors de la dernière campagne présidentielle : Benoît Hamon a bâti l’adaptation de son programme sur la diminution du travail due au choc digital. « Dans un climat défaitiste et décliniste, peu de gens se posent la question de l’impact réel que pourrait avoir cette révolution numérique et des bénéfices que notre société pourrait en tirer », déclare Erwann Tison.

Dans Les Robots, mon emploi et moi (MA Editions), l’économiste et directeur de l’Institut Sapiens propose une approche « rationnelle et dépassionnée » de la mission du digital sur le marché du travail. La robotique va troubler bon nombre de procédés de production et de construction. Par la numérisation d’abord, qui a déjà infusé dans nos sociétés. AlphaGo, l’IA développée par Google, a battu deux années de suite les champions mondiaux du jeu de go.

Prévoir l’évolution des techniques

Par la démocratisation de l’imprimante 3D ultérieurement : quelle sera l’utilité des grandes enseignes dont la portée du stock est un avantage comparatif, lorsque chaque agent pourra imprimer chez lui une table ou une chaise ? Quelle sera l’utilité d’ouvriers de l’utilisation non qualifiés qui dirigent jusqu’à deux tonnes par jour en entassé, dont la tâche pourra être accomplie par un simple bras commandé à distance ?

De la magasinière d’usine au médecin en passant par l’avocat, le chauffeur de taxi ou encore le comptable, de nombreux artistes de notre économie seront affectés par le numérique. Les résultats de ce choc pourraient être très graves : si les études sur le nombre d’emplois détruits sont correctes, nous allons droit vers une éventuelle forte hausse du chômage.

Alors que la start-up lyonnaise Navya a largué le premier taxi robot autonome, « les syndicats de taxi en sont encore à demander d’arbitrer leur conflit avec les VTC pour cause de remise en cause de leur monopole. Une fois que les taxis autonomes circuleront, il sera inutile pour les chauffeurs humains de se pivoter vers l’Etat pour les aider. Il sera trop tard », déplore l’auteur, pour qui l’exemple du véhicule autonome est symptomatique de notre rapport à la révolution numérique : « Les futurs naufragés pensent pouvoir se décamper derrière la digue législative en espérant que la politique fera tout pour l’empêcher de céder. »

Les sociétés augmentent les manœuvres pour fidéliser les jeunes cadres

Les entreprises adoptent de plus en plus les codes de des millennials : visibilité sur les réseaux, création de nouveaux espaces de travail plus conviviaux, possibilité de travail à distance…
Les entreprises adoptent de plus en plus les codes de des millennials : visibilité sur les réseaux, création de nouveaux espaces de travail plus conviviaux, possibilité de travail à distance… Ted S. Warren/AP
« Ne pas perdre sa vie à la gagner. » Le slogan bourdonnait sur les barricades de Mai 68. Dans la ligne de mire des opposants, l’entreprise, ses règles et sa hiérarchie. Cinquante ans et de nombreuses crises plus tard, les soixante-huitards sont à la retraite. Et ce sont leurs petits-enfants, plus diplômés, qui modifient la progression de l’entreprise, sans violence ni pavés. Nés dans les années 1980, dans un monde devenu numérique, ils imposent leurs priorités : développement personnel, mobilité et autonomie. Fidéliser ces jeunes professionnels est transformé un enjeu majeur complexe pour les propriétaires.

D’autant qu’en ce début 2019, dans de nombreux secteurs, les voyants sont au vert pour les jeunes diplômés bac + 5. Plus de dix ans après la crise de 2008, les groupes recrutent à tour de bras. Et, de leur côté, les formations ne sont pas en modération de former autant de cerveaux qu’en demande le seul marché hexagonal. Selon le rapport 2018 de la Conférence des grandes écoles, les 201 établissements français habilités à délivrer le titre d’ingénieur diplôment chaque année 33 000 jeunes. Mais, depuis 2012, ce sont 40 000 nouveaux ingénieurs par an que réclame l’économie française. Dans ce domaine, le fossé qui sépare l’offre et la demande prend, année après année, l’allure d’un canyon.

Recrutements en hausse

Les jeunes ingénieurs ont bien le vent en poupe, mais ils ne sont pas les seuls. Selon le baromètre Edhec-Cadremploi de janvier 2019, qui mesure les perspectives de recrutement des jeunes diplômés, 95 % des entreprises vont embaucher au prochain semestre. « 64 % des entreprises auront besoin à la fois d’ingénieurs et de manageurs », et ce dans de nombreux secteurs d’activité : le commercial, le conseil, le numérique, l’audit, le contrôle de gestion, la finance, le juridique, les ressources humaines. Selon Cadremploi, qui recense 380 000 postes à pourvoir dans les prochains mois, 85 736 sont destinés aux seuls cadres. Un chiffre en hausse de 10 % par rapport à l’année dernière. Les jeunes diplômés connaissent « une situation professionnelle très propice, avec un taux d’emploi au plus haut », corrobore l’APEC.

Conséquence : la bonne santé du marché du travail des cadres donne des ailes, mais surtout aux plus jeunes. Si 49 % des 50 ans et plus envisagent un jour de démissionner, selon une étude réalisée par l’IFOP, en octobre 2018, ce pourcentage s’envole à 74 % pour les 18-34 ans. Partir pour trouver mieux, changer de cadre, rétablir ses connaissances, changées de rythme. « Ces jeunes professionnels cherchent en premier lieu à progresser leurs conditions d’emploi, mais aussi à intégrer un environnement de travail qui leur convienne davantage », constate l’APEC.

Les entreprises doivent donc ajuster leurs stratégies et leurs pratiques en gestion des ressources humaines. Alors que la génération X (les plus de 40 ans) envisageait ses carrières en fonction du collectif que représentait l’entreprise, « la génération Z [les dernières promotions de diplômés] a une attitude plus individualiste, et entend commander sa carrière selon ses besoins et ses intérêts », observe Mohamed Ikram Nasr, professeur en conduite organisationnel et management des ressources à l’EM Lyon Business School.

La transformation digitale est le moteur de cette évolution. Alors que leurs aînés se projetaient dans un domaine, « les jeunes diplômés ne cesse d’explorer le champ des possibles : par le biais des réseaux sociaux professionnels, ils ont accès à une variété impressionnante de profils, d’organismes et de postes. Avec leurs pairs, ils partagent un trait commun essentiel : le souci constant de soutenir et de progresser leur employabilité, non seulement au sein de leur structure actuelle, mais aussi, et surtout, vis-à-vis de l’extérieur », analyse Marie Scoazec, haut fonctionnaire, coauteure d’un mémoire sur l’impact de la transformation numérique sur les grands groupes français.

Cette impatience dans l’acquisition de nouvelles compétences, les spécialistes des ressources humaines les observent de plusieurs manières chez les jeunes cadres : la mobilité, l’interdisciplinarité, la volonté d’avoir une ascendant et le besoin d’instantanéité dans leurs relations avec le collectif.

Cadres globe-trotteurs

Enchaîner ses premières expériences professionnelles sur plusieurs continents n’est plus, comme cela pouvait l’être il y a vingt ou trente ans, de l’ordre de l’exceptionnel. « La mobilité géographique est une valeur qui monte », explique Mohamed Ikram Nasr. Ce qui pouvait apparaître comme un symptôme d’instabilité est devenu un syndrome réunissant des qualités requises aujourd’hui par l’entreprise, comme l’adaptabilité, l’agilité et le « savoir-être ».

« Pour nos étudiants, l’international n’est plus un enjeu, mais la norme. Le monde est à leur taille. Ils veulent avoir beaucoup et tout de suite. » Sophie Drouard, consultante carrière à HEC Paris.

Les établissements d’études supérieures travaillent à façonner ces futurs cadres globe-trotteurs. Les stages à l’étranger sont devenus des éléments incontournables des cursus des écoles d’ingénieurs et de management, de même que les séjours académiques hors de nos frontières. « Pour nos étudiants, l’international n’est plus un enjeu, mais la norme. Le monde est à leur taille. Ils veulent avoir beaucoup et tout de suite », observe Sophie Drouard, consultante carrière à HEC Paris.

Multiplier les expériences ne se résume pas, toutefois, pour cette génération, à prendre souvent l’avion et à jongler avec les employeurs. « Vivre plusieurs vies, enchaîner les expériences, c’est également changer de rôle et de compétences », souligne M. Ikram Nasr. « Cette génération Z est curieuse, elle a soif de découvertes », renchérit Delphine Renard, directrice des ressources humaines adjointe de Capgemini-France. La digitalisation transforme les métiers, l’industrie et les savoir-faire nécessaires sont en constante mutation. Les jeunes diplômés sont nés dans cet univers numérique, fluide et interconnecté, dont ils se nourrissent.

Stimuler en permanence les nouvelles recrues

Pour les maintenir dans l’entreprise, il est nécessaire de répondre à leurs attentes. « Il faut les alimenter en permanence, leur construire un parcours d’expériences et de compétences nouvelles, mettre à leur disposition de nouveaux contenus sous des formes innovantes », témoigne Mme Renard. Non seulement les jeunes n’ont aucun mal à se projeter dans le changement, mais ils l’exigent.

Individualistes, curieux et connectés, ces jeunes veulent pareillement être en mesure « d’observer l’impact de leur rôle », souligne Sophie Drouard. Une exigence parfois difficilement compatible avec la culture managériale des entreprises qui ont grandi lors du siècle dernier, voire du précédent. « La start-up technologique, qui représente un idéal de l’organisation du XXIe siècle, frappe par son antagonisme par rapport aux entreprises plus anciennes : le travail en équipe s’y substitue aux logiques hiérarchiques, le sens du travail y est mis en avant, les derniers outils disponibles y sont utilisés, les règles y évoluent en permanence », observe Marie Scoazec.

Pour rester ou redevenir séduisante aux yeux de leurs futurs cadres, les entreprises optent pour les codes de ces millennials. Elles se font connaître sur les réseaux, créent de nouveaux espaces de travail plus conviviaux, organisent des lieux d’échanges transversaux, facilitent les mobilités internes, ouvrent plus amplement les possibilités de travail à distance…

François Suquet, directeur des ressources humaines France du groupe STMicroelectronics, le reconnaît : « Il nous faut des modes de management plus libres en termes d’organisation du travail, plus souples. » Pour ces entreprises, le changement de leur mode de fonctionnement est une nécessité pour maintenir leur attractivité et mieux tirer parti de la mutation numérique de l’économie.

 

Un examen initié à Bobigny pour mise en péril de la vie d’autrui

Plusieurs ouvriers sans papiers occupent le siège d’une société de démolition, à Bobigny.

« Espèce d’enculé. Je vais te défoncer ta gueule. Tu vas mourir. Espèce de pute de Noir. » C’est avec ces mots, que Djibril (qui a souhaité conserver l’anonymat) a été réuni par son patron, à la tête de la société Pinault et Gapaix, il y a un an. Ce travailleur en destruction avait œuvré pour lui durant près de neuf ans, sur plusieurs chantiers en région parisienne. Mais Djibril et une plusieurs autres laborieux sans papiers ayant accompli des contrats de mission en intérim pour cette entreprise, entre 2012 et 2018, voyaient de se tourner vers la justice, après avoir saisi l’inspection du travail.

Celle-ci a depuis renseigné sur les conditions dans lesquelles ces hommes, originaires du Mali pour la plupart et du Sénégal, ont accompli pendant plusieurs années des travaux, particulièrement de désamiantage et de déplombage. Au terme de son enquête, fin février, l’inspection du travail a fait un signalement au procureur du tribunal de grande instance de (Seine-Saint-Denis) pour plusieurs infractions : mise en péril de la vie d’autrui et travail dissimulé. D’après nos informations, le parquet a aussitôt ouvert une enquête préalable, maintenant en cours.

C’est dans ce contexte que quinze travailleurs intérimaires et des militants de la CGT ont débuté, lundi 18 mars, l’occupation des locaux de Pinault et Gapaix à Bobigny. Ils ont œuvré entre deux et neuf ans pour la société, à raison de 300 à 1 300 heures par an. Ils réclament aujourd’hui que l’entreprise prenne en charge leur suivi médical et l’obtention de cartes de séjour en tant que victimes « de la traite des êtres humains », déclare Jean-Albert Guidou, du syndicat CGT à Bobigny.

Montrés à de l’amiante et à du plomb

D’après le courrier envoyé par les travailleurs intérimaires à la société de démolition dès le mois de mars 2018, ceux-ci disent ne pas avoir été informés des risques qu’ils encouraient. L’entreprise n’aurait pas suivi la loi sur les travaux exposant à l’amiante, en matière d’assistance, de protection, de formation spécifique ou de surveillance médicale. En outre, le code du travail interdit les travaux sur les matériaux isolants contenant de l’amiante aux laborieux temporaires.

Djibril, 34 ans, assure malgré cela être participé sur des chantiers tels que celui de la Bourse du commerce à Paris, entre 2016 et 2017, qui reçoit aujourd’hui une collection d’art contemporain de la collection Pinault.

Les jeunes cadres face au changement du lieu de travail

La dernière distribution géographique de l’emploi offre des occasions loin de la capitale. Mais les offres ne sont pas continuellement à la hauteur des attentes.

« C’est l’offre d’emploi qui a fait que je suis ­partie », évoque Sophie (le prénom a été changé), responsable dans la communication. A 29 ans, la jeune diplômée de Sciences Po Paris et du Celsa, en poste depuis quatre ans dans une entreprise industrielle parisienne, a eu envie d’innovation. « J’ai découvert une annonce pour un poste en communication, basé dans une usine. » Célibataire, elle tente l’aventure, même si « ce n’est pas une ­petite décision », et part à Rouen… pour un poste plus senior, avec un gain de ­salaire de 10 %. Et un coût de la vie bien moindre qu’à Paris.

Première coutume en Ile-de-France

Comme Sophie, de plusieurs jeunes cadres débutent leur vie professionnelle dans la capitale. Ainsi, 47 % des ­diplômés 2017 des écoles de commerce ou d’ingénieurs œuvrent dans la ­région francilienne, selon la dernière enquête de la Conférence des grandes écoles. Pour un premier emploi, la ­région attire aussi ceux qui ont étudié loin. Entre les ­diplômés de l’Ecole de ­management (EM) de Lyon, de 50 % à 70 % préfèrent une première expérience en Ile-de-France.

« Certains métiers sont davantage ­présents là-bas, par exemple dans le ­marketing, la grande consommation ou le luxe, analyse Françoise Dany, directrice des relations entreprises de l’école lyonnaise. L’inégalité des offres disponibles est spécialement attractive pour les jeunes en couple. » Selon les prévisions de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), 48 % des recrutements de cadres nécessiteraient avoir lieu en Ile-de-France en 2019. Deuxième destination pour les jeunes diplômés de l’EM Lyon : l’étranger. Ils sont moins de 20 % à démarrer dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, malgré 30 000 embauches espérées en 2019 par l’APEC.

Mais amplement se lassent, ou désillusionnent, ou espèrent autre chose. Ainsi, 84 % des cadres franciliens désirent quitter Paris, selon une enquête publiée à l’été 2018 par Cadremploi. D’après les chiffres de la Conférence des grandes écoles, trois ans après ­l’acquisition de leur diplôme, les jeunes ne sont plus que 41 % à œuvrer en Ile-de-France.

Des médecins salariés oppose les déserts médicaux

Le docteur Charles Dorsinville avec une patiente, au centre départemental de santé, le 15 mars 2019 à Sagy, en Saône-et-Loire.
Le docteur Charles Dorsinville avec une patiente, au centre départemental de santé, le 15 mars 2019 à Sagy, en Saône-et-Loire. 

Initier début 2018, le centre de santé départemental a déjà appelé 37 médecins et permis à 15 000 patients de rattraper un médecin traitant.

Denis Evrard est un maire chanceux. Plusieurs années après le départ à la retraite de son dernier médecin généraliste, sa ville de 2 000 habitants, à la périphérie de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), arrive enfin de récupérer un praticien. Grâce à une décision départementale originale pointant à lutter contre les déserts médicaux, Lux est devenue, le 11 mars, la douzième « antenne » du centre de santé de Saône-et-Loire. Avec ses 37 médecins salariés, ce mécanisme lancé début 2018 a d’ores et déjà permis à 15 000 personnes de reprendre un médecin traitant. Une réussite dans un département où le nombre de généralistes avait amoindri de 13,5 % entre 2007 et 2017.

Avec ses adjoints, l’élu divers gauche a installé ces derniers jours dans les boîtes aux lettres de tous ses administrés le mode d’emploi de la nouvelle antenne : un médecin présent quatre à cinq demi-journées par semaine, abordable seulement sur rendez-vous, mais avec des créneaux d’urgence disponibles le jour même, et sans dépassement d’honoraires. « Les généralistes des communes avoisinantes sont saturés, ils ne saisissent plus de nouveaux patients, explique M. Evrard. Et pour aller consulter à Chalon, quand on n’a pas de voiture, il faut adapter au moins quarante minutes en bus. Pour certaines personnes âgées, c’est très difficile. »

Pour cheminer, le mécanisme départemental prévoit une prise en charge des locaux et des charges (chauffage, ménage) par les municipalités. C’est un local municipal de 40 m2 établi par les agents municipaux dans une partie de la maison des associations, pour un peu plus de 15 000 euros, qui a fait l’affaire. « Etre obligé de payer avec les deniers publics pour avoir un médecin, ça m’a un peu chiffonné au départ, reconnaît M. Evrard, qui a été sollicité le jour de l’ouverture par des infirmières libérales venues lui solliciter la même aide… Mais c’était la moins mauvaise solution. On n’avait pas certainement le choix, c’était ça ou rien. »

Satisfaits de leurs conditions d’exercice

Le docteur Eric Lequain, 56 ans, qui garantit aussitôt les quatre à cinq demi-journées de consultation par semaine à Lux, est un médecin heureux. Il y a dix ans, il avait tiré un trait sur quinze années d’exercice en libéral à Mercurey, une autre commune du département, pour former un emploi salarié au centre de transfusion sanguine. « J’étais parti parce que je ne pouvais pas maîtriser mon temps de travail, dit-il. J’arrivais à 7 h 30 le matin, je repartais à 20 heures, avec un sandwich au milieu. Je faisais cinq à six patients par heure. Il ne fallait pas être trop malade pour venir me voir… » Grâce aux conditions présentées par le département, il dit avoir repris goût à l’exercice de son métier.

 

Retraites : La ministre des solidarités et de la santé rappelle une augmentation de la durée de travail

La ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le 12 mars 2019.
La ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le 12 mars 2019. LIONEL BONAVENTURE / AFP
Agnès Buzyn a précisé lors du « Grand Jury RTL-“Le Figaro”-LCI » qu’elle avait formulé une position personnelle.

La ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn a dit apercevoir dimanche de « offrir une augmentation de la durée de travail » lors des débats avec les collaborateurs sociaux « dans le cadre de la réforme générale » des retraites. « La question de l’âge de départ à la retraite est sans arrêt sur la table, à gauche comme à droite », a élevé, dimanche 17 mars, la ministre lors du « Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI ».

« Moi, j’entends ces débats. Le président de la République avait pris lors de sa campagne la promesse devant les Français de ne pas manipuler à l’âge de départ au retrait. Après, nous allons mener un changement des retraites pour rendre les retraites plus universelles, plus compréhensibles pour les Français et avoir un système qui poursuit notre système par répartition, peut-être que cela, ça sera en discussion avec les partenaires sociaux dans le cadre de la réforme générale », a-t-elle exposé.

Propos tenus à titre personnel

« Je n’y suis pas hostile », a continué la ministre, consultée sur l’enjeu de renvoyer l’âge de départ à la retraite. « Je suis médecin, je vois que la durée de vie augmente d’année en année, elle agrandi moins vite ces dernières années mais elle a amplement augmenté », a-t-elle fait valoir. « Est-ce que, alors que le nombre d’actifs réduit, nous allons pouvoir soutenir sur les actifs le poids des retraites qui vont accroitre en nombre et en durée ? Nous savons que cet équilibre-là va être de plus en plus difficile à tenir », a-t-elle estimé.

Comme on lui rapportait, en fin d’émission, les réflexes de surprises suscitées sur les réseaux sociaux par ses proclamations, la ministre a accentué qu’elle s’exprimait à titre personnel. « Je pense qu’un jour, un jour, nous serons obligés de travailler plus longtemps sinon notre système de retraite ne pourra pas tenir », a-t-elle précisé.

« Ce que j’ai dit, c’est que j’ai vu ces propositions affermir du grand débat. A partir du moment où les Français l’évoquent, c’est sur la table. A partir du moment où toutes les propositions qui sont amenées par le grand débat vont être étudiées, nous enseignerons celle-là comme les autres. Elle n’est pas [mise] sur la table actuellement par le gouvernement », a-t-elle retracé.

 

Etudiants étrangers : « “Bienvenue en France” », un cliché au nom de contre-vérité, ne doit pas être valorisé »

L’élévation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors Communauté européenne piétine nos valeurs et intimidation la francophonie, déclare l’académicienne Barbara Cassin.

En France, on se soigne et on enseigne gratuitement (ou presque) et très bien (ou presque), de toute façon plutôt mieux qu’ailleurs. Voilà de quoi les Gaulois sont content et fiers, qu’ils aient un gilet jaune, un col blanc, ou un stylo rouge. Notre similitude, nos valeurs sont là, partagées, concrètes.

Je veux ici, très solennellement résister. Je veux faire entendre notre voix à nous, responsables et praticiens de l’enseignement, de la recherche, de l’éducation, de la culture. Pour dire que « Bienvenue en France », une mesure au nom de contre-vérité, une infox qui ose s’exposer comme un plan gouvernemental d’attractivité des étudiants internationaux, ne doit pas être mis en œuvre. Ni eu égard à ce que nous sommes, ni eu égard à la sacro-sainte économie.

La clé de ce dispositif, que l’on veut obliger les présidents d’université à apposer, comporte à faire payer très cher – 16 fois plus cette année qu’en 2018 – les droits d’inscription de certains étudiants. Pour ceux qui arrivent de pays hors Communauté européenne, ces droits augmentent de 170 à 2 770 euros pour la licence, et de 243 à 3 770 euros pour le master.

Des fonctionnaires aux ordres

Conséquence, pour ne converser que francophonie : sur le même banc, on découvrira un Belge, un Suisse, un Canadien (il y a des accords qui en font des « Européens »), soit des « riches » qui acquitteront comme nos enfants. Et on découvrira – ou plutôt on ne trouvera plus ! – un Sénégalais, un Algérien, un Haïtien, qui nécessiteraient mais ne pourront pas payer les droits qui leur sont sollicités. Le fils brillant d’un de mes collègues de Dakar a eu bien tort de choisir la France. Il a déjà perdu un an (refus de visa à cause de l’engorgement du consulat), et va égarer actuellement une autre année de cursus avant de choisir le Canada ou la Chine. Sélectionner par l’argent a de temps à autre été une bonne idée. Sauf pour le paiement de l’impôt.

Les exclus sont visés : francophones d’Afrique, du Maghreb, intellectuellement formés mais sans fortune. Avec un discours effrayant qu’on ne peut pas ne pas lire en filigrane : pourquoi nos impôts à nous financeraient-ils les études de Noirs et d’Arabes ?

Outre les valeurs ainsi broyées, les présidents de nos universités soi-disant autonomes appelés comme des fonctionnaires aux ordres et demain, si cela poursuit, les étudiants dans la rue avec leurs professeurs, dont je serai, l’idée même de « Bienvenue en France » va contre toute politique sagace et économiquement efficient à moyen comme à long terme.

Proportion prud’homal : le débat rejaillit à Paris

C’est la foire de saisir au conseil de prud’hommes de Paris. Dans ce tribunal égalitaire, des juges du collège employeur attaquent une de leur paire, insérée à la CGT, de les avoir dénoncés, en captivant des libertés dans la formulation d’une fin sur laquelle ils avaient dégagé ensemble. Il s’agit d’une manœuvre déloyale, opposé aux règles, s’indigne un représentant du Medef. « On ne peut plus avoir confiance », poursuit-il, en inspirant que des mesures soient prises à l’égard de sa collègue.

Dans cet affrontement, il y a un équilibre emblématique des ordonnances de 2017 sur la réécriture du code du travail : le plafonnement des révisions prud’homales. Les écrits envisagent désormais une grille de dommages-intérêts à allouer aux salariés victimes d’une résiliation infondée – avec des montants minimaux et maximaux en fonction de l’ancienneté dans la société

Existant dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, cette modération était considérée par le patronat car elle rend plus prévisible les décisions prud’homales. Mais la gauche et plusieurs centrales syndicales – dont la CGT – la désapprouvent, au motif qu’elle ne permet pas, à leurs yeux, une juste rétractation du préjudice subi par le laborieux congédié.

Paiement d’une « indemnité adéquate »

Bien qu’il soit entré en service, le dispositif poursuit d’être contesté, sur le terrain judiciaire. Ainsi, lors de plusieurs assistances, des avocats de salariés ont fait valoir que l’échelle était contraire à deux textes : la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Charte sociale européenne. Celles-ci prévoient qu’une juridiction doit pouvoir ordonner le versement d’une « indemnité adéquate » ou toute autre forme de rétablissement « appropriée » en cas de licenciement infondé.

Depuis la mi-décembre 2018, six conseils de prud’hommes ont apprécié que cet argumentaire fût pertinent et qu’il fallait, de ce fait, permettre des dommages-intérêts supérieurs à ceux fixés dans les ordonnances Macron. Dans quelques cas, les juges se sont formulés dans ce sens, sans même y être conviés par le conseil du salarié, durant les débats au tribunal.

Jusqu’à maintenant, les prud’hommes de Paris étaient demeurés à l’écart de ce déplacement de rébellion. Mais mercredi 13 mars, les esprits ont débuté à s’échauffer, Après la notification, très récente, d’une affaire rendu, fin novembre 2018, par cette juridiction. Le terme est, de prime abord, surprenante : elle alloue à une salariée des dommages-intérêts dont le montant correspond à la grille adoptée en 2017 mais elle cite pareillement la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT.

Pourquoi faire référence à ces deux textes sans en déduire, comme dans les six autres conseils de prud’hommes, que le barème Macron doit être écarté ? Selon nos informations, il s’agit d’une initiative prise par la juge prud’homale CGT, qui présidait l’audience ce jour-là. Lors du délibéré, auquel elle a collaboré avec trois collègues (une pour le collège salarié, deux pour la partie patronale), un accord avait été aperçu sur le sens général de la décision et sur le niveau de l’indemnisation.

Quand elle a consigné, seule, le jugement, la présidente CGT a fait le choix de citer la Charte sociale européenne et la convention de l’OIT. Or, « les conseillers employeurs, présents lors de l’audience, disent que cela n’avait pas été abordé en délibéré », rapporte Jacques-Frédéric Sauvage, vice-président (Medef) des prud’hommes de Paris. L’affaire éveille un émoi important, du côté des juges patronaux : ils y voient la manifestation d’une « malhonnêteté intellectuelle », qui pourrait justifier des sanctions.

« Rappel général des bonnes pratiques »

Comment développer la démarche de la conseillère CGT ? Elle n’a pas souhaité s’exprimer. Il semble qu’elle ait voulu évoquer les deux conventions internationales, de manière à convoquer que le barème Macron peut être éloigné. Une geste militant, en somme, mais dont la pertinence juridique s’avère éventuelle.

Pour l’heure, les juges employeurs se sont bornés à affirmer, sans escompter la moindre procédure. « Nous attendons de savoir quelles mesures seront envisagées par les responsables du collège salarié, confie M. Sauvage. Pour moi, il y a une question de confiance mutuelle qui se pose. Il n’est plus possible de se fier à elle. »

De son côté, le président (CFDT) des prud’hommes de Paris, Etienne Colas, favorise temporiser : « Je ne peux pas me prononcer sur les faits, n’ayant pas une connaissance précise de ce qui s’est passé. Mais à cette étape, ils me semblent tenir du non-incident et ne me semblent pas graves. » Il a l’intention d’adresser à l’ensemble de ses pairs un « rappel général des bonnes pratiques, notamment en matière de déontologie et de loyauté ». « Ce que dénonce la partie patronale, aujourd’hui, s’est déjà produit, avec des collègues du collège employeur qui s’écartaient un peu de ce qui avait été avoué au moment du délibéré, relate-t-il. Il faut donc que chacun balaye devant sa porte. »

 

Loi Pacte : « Faire le défi de la réussite de l’entrepreneur instruit n’est plus supportable »

Pour que les sociétés continuent à acquitter les innovations qui représenteront notre monde meilleur, elles nécessitent être juridiquement défendues contre le court-termisme des actionnaires, plaide Blanche Segrestin, professeure de gestion.

La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) est maintenant en seconde lecture à l’Assemblée nationale, après son vote au Sénat. Elle prévoit, entre autres, une modification de la définition juridique de la « société ». Professeure de gestion à Mines ParisTech, Blanche Segrestin développe les imputations de ce changement pour les sociétés. Elle codirige, avec Armand Hatchuel, la chaire « Théorie de l’entreprise. Modèles de gouvernance et création collective » et a publié avec Kevin Levillain La Mission de l’entreprise responsable. Origines et normes de gestion (Presses des Mines, 2018).

Députés et sénateurs ne sont pas d’accord sur la récente formulation de l’article 1833 du code civil qui définit le statut de « société », selon lequel celle-ci doit être gérée « dans l’intérêt commun des associés ». L’article 61 de cette loi ajoute que « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Quel est la participation de ce débat d’apparence exclusivement juridique ?

La crise de 2008 a mis en certitude le fait que, depuis le début des années 1980, les entreprises ont vecu une « déformation » de leur gouvernance, conséquence de ce que les chercheurs appellent « l’industrialisation de l’actionnariat », qui a consolidé les grands investisseurs institutionnels et les a simulés de techniques professionnelles destinées à optimiser leurs bénéfices. La critique s’est faite à peu près unanime pour révoquer les effets négatifs de la focalisation des entreprises autour du cours de Bourse et du court terme sur l’emploi et l’environnement, mais aussi sur la constance des entreprises elles-mêmes.

Mais cette critique ne suffit pas : la difficulté est que le statut juridique présent de la société peut être contraire par des actionnaires activistes aux entreprises qui convoiteraient opter une conduite plus responsable en matière sociale ou environnementale aux dépens de la profitabilité immédiate. Actuellement, la capacité des entreprises à innover face aux défis sociaux et climatiques est un point critique : or cette capacité n’est pas protégée par le droit. Lorsque, au XIXe siècle, il s’agissait de mobiliser d’importants moyens de production pour offrir de nouveaux biens et services, c’était cohérent. Mais cette logique a dissimulé le fait que les entreprises ne sont pas seulement des producteurs ; elles ont investi le champ de la science, de l’innovation, elles changent le monde dans lequel nous vivons, et ont en cela une implication collective, celle d’investir dans des futurs désirables.