L’acheteur d’Ascoval en pénurie
British Steel, le dernier acheteur désigné de l’aciérie de Saint-Saulve, a annoncé mardi 14 mai effectuer des discussions avec ses créditeurs et le gouvernement britannique afin de réussir un soutien financier d’urgence. Sinon, le sidérurgiste, qui emploie 5 000 salariés, dont 4 200 au Royaume-Uni, risque tout simplement de se mettre en faillite, convaincant peut-être sa toute nouvelle filiale.
« Le problème ne se situe pas au niveau de British Steel, qui gagne de l’argent, mais au niveau de la holding, explique Paul McBean, président des syndicalistes de British Steel. Il y a besoin de 75 à 100 millions de livres (86 à 115 millions d’euros) pour poursuivre les activités. »
La « holding » indique l’actionnaire principal, Greybull Capital, un fonds qui dépend aux frères Marc et Nathaniel Meyohas, qui ont acquis British Steel en 2016. « La situation est très sérieuse », ajoute M. McBean. Les négociations entre les créditeurs, les actionnaires, le gouvernement britannique et les syndicats poursuivaient mardi soir.
« L’incertitude du Brexit »
L’entreprise garantit malgré cela que ces problèmes sont sans impact sur la reprise d’Ascoval. « Les discussions n’ont pas d’impact sur la volonté du groupe de se porter repreneur de l’aciérie Ascoval de Saint-Saulve », déclare-t-elle dans un communiqué. En France, Bercy précise que « l’Etat, en accord avec la région Hauts-de-France et la métropole de Valenciennes, (…) portera sa part du financement dans les conditions négociées, afin de admettre l’effectivité de cette reprise dès (…) mercredi 15 mai ».
Les raisons des difficultés des rétributions actuelles de Greybull Capital ne sont pas connues. « Mais ça vient de l’incertitude du Brexit, explique M. McBean, installé à Scunthorpe, dans le nord de l’Angleterre, où se trouve la principale aciérie du groupe. On peut administrer la sortie de l’Union européenne, ou le fait de rester dans l’UE. Mais on est entre les deux, dans les limbes, et plus personne ne veut prendre la moindre décision d’investissement ou de financement. »
Suivant un proche du dossier côté français, l’affaire illustre la réalité du Brexit. L’aciériste nécessite avoir des sites en Europe pour échapper de payer les droits de douane en cas de Brexit. « La vérité, c’est que British Steel est confronté à une baisse de son carnet de commandes au Royaume-Uni du fait des incertitudes, et qu’il cherche à créer sur le continent, où ce serait moins cher », pense une autre source proche du dossier. « Jusqu’à présent, personne ne savait évaluer les conséquences du Brexit en matière économique et industrielle », déclare un observateur. Avec Ascoval, voilà la Grande-Bretagne face à un cas concret.
Un premier prêt d’urgence
Jusqu’où ira le britannique dans cette affaire ? « Ils ne peuvent pas s’admettre de perdre la maison mère et 5 000 emplois, estime un proche du dossier. Mais entre Nigel Farage [leader du parti du Brexit] et un gouvernement conservateur aux abois, c’est tendu. »
British Steel avait déjà vécu de sérieux problèmes le 1er mai. La société devait acquitter en urgence 120 millions de livres (138 millions d’euros) de permis d’émission de CO2 de l’UE, qu’elle aurait généralement obtenus gracieusement si le Brexit n’avait pas lieu. Le gouvernement britannique avait accepté de lui verser un prêt d’urgence pour payer cette somme.
British Steel s’était en effet retrouvé enfermé du système des droits d’émission de CO2, organisé par l’UE. Chaque année, le sidérurgiste reçoit un certain nombre de « droits à polluer », à titre gratuit, comme ses concurrents continentaux. Mais, depuis le 1er janvier, Bruxelles a décidé de ne plus permettre de nouveaux permis d’émission aux entreprises britanniques.
« En cas de “no deal”, l’UE craignait que les entreprises britanniques se recouvrent avec des permis dont elles ne connaîtraient plus besoin et dont elles inonderaient le marché », déclare Richard Warren, de UK Steel, l’organisation représentant la sidérurgie britannique. Pour British Steel, cette décision de Bruxelles a été une catastrophe. Il devait rembourser un déficit de 120 millions de livres de permis pour l’année 2018, et estimait utiliser son allocation de 2019 pour cela.
« Des milliers d’emplois britanniques sont en jeu »
La date butoir pour verser cette somme à l’UE était le 1er mai. Faute d’y arriver, il risquait une infraction de 500 millions de livres. Impossible pour une société fragile, qui ne réalise que 20 millions d’euros de résultat net pour un chiffre d’affaires de 1,6 milliard.
Dans l’urgence, le gouvernement britannique lui a octroyé le 1er mai un prêt temporaire, assujetti à un taux d’intérêt d’environ 8 %. Une fois que la question du Brexit sera résolue, et que British Steel aura touché de l’Union européenne ses crédits carbones, il les débitera et pourra alors rembourser le gouvernement.
« On connaissait ce problème des permis d’émission de CO2 et ce n’était pas une surprise, déclare M. McBean. En revanche, les nécessités de la holding étaient complètement inattendues. » Le syndicat GMB a appelé pour sa part le gouvernement à accorder au plus vite le prêt réclamé par British Steel. « Des milliers d’emplois britanniques sont en jeu, sans parler de l’avenir de notre industrie sidérurgique », a affirmé Ross Murdoch, responsable national du syndicat.
« Face à l’accroissement du trafic et à l’évolution du groupe, nous explorons des profils variés et des compétences spécifiques. »
Conducteur de train, aiguilleur, ingénieur, mécanicien de maintenance, électricien, agent commercial, forment autant de métiers recherchés par la SNCF. Diplômés ou non, les candidats avaient jusqu’à mardi soir pour découvrir ces postes, déposer un CV ou apercevoir des recruteurs. Au total, quelque 7 000 personnes s’étaient préinscrites sur Internet, s’assurant ainsi un job-dating, c’est-à-dire un entretien express et chronométré avec un embaucheur de la SNCF.
Recherche d’équilibre
Mais lorsqu’elle a voulu s’inscrire, Keysa, 20 ans, s’est vue objecter un refus, les préinscriptions étant complètes. Elle est donc venue au déchaussé, escortée de deux amies, elles aussi munies de leur CV, « parce qu’on sait jamais ». A l’instar des autres personnes consultées dans la longue file d’attente, la jeune femme témoigne d’un environnement professionnel moribond, où les postes sont rares et l’instabilité est de mise.
Titulaire d’un bac ES, Keysa, parvenue de Guadeloupe en métropole il y a un an, travaille dans la restauration six jours sur sept et complète son salaire avec des missions d’intérim. Actuellement, après avoir sollicité la fiche métier de la SNCF, elle se verrait bien agent de service en gare, « pour aider les gens et parce que je suis sociable ». « Ça passe ou ça casse », lance la jeune femme, résumant l’état d’esprit de plusieurs personnes se montrant à l’improviste devant l’entrée du Ground Control.
« C’est la dernière année pour postuler et avoir le statut »
Hocine, 26 ans, accumule les diplômes et recherche maintenant un emploi. Celui qui se décrit comme un digital native déclare que les métiers proposés ne correspondent pas vraiment à ce qu’il cherche, mais il tente « le coup de poker » : « La SNCF est une grosse boîte qui pourrait m’apporter des opportunités », décrit le jeune homme, venu de Creil (Oise) avec un ami. Ce dernier complète : « C’est aussi la dernière année pour postuler et avoir le statut. »
Jusqu’à l’âge de 30 ans, les personnes recrutées d’ici à la fin de l’année pourront en effet profiter du statut de cheminot, qui met à l’abri d’un licenciement économique. Les embauches sous ce statut s’arrêteront au 1er janvier 2020, avec la mise en œuvre de la réforme ferroviaire décidée l’an dernier, qui a donné lieu à un mouvement de grève naissant de trois mois.
Bastien, 20 ans, est venu de Brétigny-sur-Orge (Essonne) pour postuler à la SNCF.
Si la question du statut revient irrégulièrement dans les déclarations que nous avons recueillis, les postulants évoquent surtout des « avantages » secondaires, comme « l’aide au logement » ou encore « les tarifs de train avantageux ». Surtout, c’est l’image de « stabilité » et de « solidité » de l’entreprise qui semble motiver les candidats. Bastien n’a pas encore terminé ses études, qu’il prévoit déjà « le marché du travail compliqué » qui l’attend. L’élève en terminale technologique, venu de Bretigny-sur-Orge (Essonne), se dit « prêt à tout faire à la SNCF ».
« Le couac de la rétribution »
David, lui, a un projet professionnel plus achevé. Le quadragénaire venu d’un petit village du Loir-et-Cher espère réussir un entretien au poste de conducteur. Le candidat, qui conduit des trains « mais sur une petite ligne du groupe Keolis, connaît déjà les horaires décalés et le travail les jours fériés ». Désireux d’intégrer la SNCF depuis plusieurs années, il regarde que « le groupe offre plus de perspectives, une possibilité de se former tout au long de sa carrière, et un salaire plus important ».
David, 48 ans, est venu du Loire-et-Cher pour se présenter en tant que conducteur à la SNCF, lundi 13 mai.
La rémunération forme une motivation pour certains et un inconvénient pour d’autres. Nizar, 35 ans, qui vient de participer à un escape game avant son entretien express au poste de superviseur du réseau électrique ferroviaire, déclare la couleur : « Je ne veux pas travailler en dessous de 2 600 euros net par mois ». L’employé dans les télécommunications se dit lassé des postes de contractuels qu’il cumule depuis huit ans. Mais s’il souhaite « intégrer la fonction publique », il sait que le salaire sera moins juteux que dans le privé.
« Sur certains postes, nous avons une pénurie de candidatures »
Katia (le prénom a été changé à sa demande), chargée de recrutement à la SNCF, qui accomplit pendant deux jours des entretiens de job-dating, évoque certainement « le couac de la rémunération ». La trentenaire, qui a tenu « une quinzaine de dossiers intéressants » en quelques heures, évoque les prétentions salariales trop élevées de certains candidats, postulant à des « métiers en tension », comme la gestion des systèmes informatiques, où l’offre est supérieure à la sollicitation. « Sur certains postes, nous avons une pénurie de candidatures », reconnaît-t-elle, confirmant les fins des syndicalistes du groupe, présents à l’entrée du site.
Pour Fabien Villedieu, délégué syndical Sud-Rail, ce fait, inédit de la part de la SNCF, souligne « une difficulté à recruter ». « Avec la réforme du ferroviaire, impliquant notamment une remise en cause du statut de cheminot, la SNCF est confrontée à un manque d’attractivité », déclare le délégué syndical, définissant que le nombre de candidats est passé de 300 000 en 2017 à 200 000 en 2018.
Consulté sur ce point, le directeur des ressources humaines réaffirme que « pendant le conflit social, nous avons reçu moins de candidatures ». Et d’additionner : « Regardez le monde dehors qui vient chercher un métier qui a du sens ». Il est 18 heures, le lieu ferme dans quatre heures, plus personne n’attend dehors.