« Les insultes et les pressions psychologiques (humiliations, dénigrements, menaces) sont les violences les plus fréquemment constatées, suivies par les atteintes à l’activité professionnelle. » Otto Dettmer/Ikon Images / Photononstop
Chronique « Carnet de bureau ». La Cour de cassation a confirmé le 23 octobre le licenciement pour faute grave d’un cadre d’Airbus qui, lors d’un programme de team building, voulait forcer un salarié à marcher pieds nus sur du verre brisé. Le salarié, après être sorti en larmes, a « été obligé de donner les raisons de son refus », précise l’arrêt. Il a décidé d’exercer son droit d’alerte, qui a abouti au licenciement du manageur.
Un rescapé du Bataclan, salarié de Publicis, est en arrêt maladie et en attente d’une décision le 21 janvier 2020. Il a saisi les prud’hommes, après un nouveau choc : sur son lieu de travail, il s’est retrouvé « nez à nez avec un terroriste de pacotille », dans une simulation d’attentat organisée par son employeur.
Marche forcée sur du verre pilé pour booster la motivation, kalachnikov dans le couloir pour tester la sécurité… la violence au travail est « un risque systémique », révèle l’Institut national d’études démographiques (INED, « Violences et rapports de genre », à paraître en mars 2020). Derrière les initiatives coupables des auteurs, l’organisation a sa part de responsabilité.
L’enquête de l’INED, menée auprès de 17 333 personnes (45,6 % d’hommes, 54,4 % de femmes) de 41,3 ans en moyenne, a recensé les violences sur le lieu de travail, leurs fréquences, leur gravité, les circonstances et les caractéristiques des victimes et des agresseurs(euses). Les salariés des affaires Airbus et Publicis pourront s’y reconnaître.
Insultes, pressions, violences
L’enjeu est d’importance. Au cours des douze mois précédant l’enquête, 20,1 % des femmes et 15,5 % des hommes ont été victimes d’au moins un fait de violence. Grosso modo, un salarié sur cinq aurait subi au moins une insulte ou des pressions psychologiques, une atteinte à son activité de travail, une violence physique ou sexuelle.
Les insultes et les pressions psychologiques (humiliations, dénigrements, menaces) sont les violences les plus fréquemment constatées, suivies par les atteintes à l’activité professionnelle : sabotage, mise à l’écart, injonction de tâches inutiles, d’horaires injustifiés, ou changement inapproprié de lieu de travail. Près de 80 % des victimes témoignent de violences multiples, confirmant le risque systémique.
« Pour les insultes et pressions psychologiques (…), les auteurs appartiennent avant tout à la hiérarchie », indique l’INED. Fournisseurs, public et clients sont davantage impliqués dans les violences physiques. Mais les subordonnés sont rarement mis en cause, « ce qui inscrit bien la violence au travail comme une forme d’expression et de maintien des rapports de force », analysent les deux chercheuses, la sociologue Sylvie Cromer et la psychologue Adeline Raymond. La surreprésentation parmi les victimes des plus jeunes (20-29 ans), des contrats précaires et des fonctionnaires établit le lien entre violence et subordination.
« De leur échange d’expériences émerge une diversification des modalités de dialogue social, liée à l’anticipation du changement, la taille de l’entreprise, la répartition des dossiers et la prise en charge (ou non) de la professionnalisation des représentants du personnel. » Ingram / Photononstop
Au 1er janvier 2020, toutes les entreprises d’au moins onze salariés sont tenues d’avoir organisé leur comité social et économique (CSE). La nouvelle instance représentative des salariés fusionne les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Les représentants des ressources humaines, réunis mardi 19 novembre à la Maison de l’Amérique latine pour les Rencontres RH (le rendez-vous « management » du Monde organisé en partenariat avec Leboncoin), ont majoritairement mis en place leur CSE. De leur échange d’expériences émerge une diversification des modalités de dialogue social, liée à l’anticipation du changement, la taille de l’entreprise, la répartition des dossiers et la prise en charge (ou non) de la professionnalisation des représentants du personnel.
Une première dichotomie est apparue dès l’ouverture des débats entre les très grandes entreprises et les autres pour organiser les élections. « Au premier tour, on n’arrive pas à avoir assez de candidats, on se retrouve dans certains collèges en manque de représentants », témoigne Laurence Breton Kueny, la DRH d’Afnor, qui vient de tenir son premier CSE le 15 novembre.
Séances de négociations rallongées
Au Théâtre Mogador, face au manque de permanents, « on a négocié une réduction du nombre de sièges et reproduit le mode de négociation précédent », explique Davone Fonteneau, la DRH. Dans les structures atomisées de l’intérim, c’est la caricature. A la tête de 27 000 équivalents temps plein (ETP) dans ses sociétés clientes, mais de 1 300 salariés permanents répartis dans 270 agences, Sébastien Guiragossian, DRH d’Adéquat, a bien organisé quelques élections, mais « le taux de participation a été de 3 % à 4 %, avec beaucoup de postes vacants ». Faute de candidat, l’entreprise est tenue d’établir un procès-verbal de carence. Ces trois entreprises ne se sont pas vraiment éloignées de l’existant.
AXA, SFR Business ou HSBC n’ont pas eu ce problème. « Dans les réunions, on fait salle comble à chaque fois. On n’a pas de problème de vocations », indique Didier Jauliac, DRH de SFR Business, qui a mis en place son CSE depuis juin. En revanche, les séances de négociations sont rallongées : « On a onze CSE par an, d’une journée, voire plus, à chaque fois. » Même conséquence pour l’assureur AXA.
Sodexo détenait le record du tour de table des DRH : « On a prévu des réunions de trois jours tous les mois, car nos sociétés, qui ont leur entité juridique propre et leur propre histoire, vont être réunies dans un CSE unique, et il sera le seul à pouvoir régler les très nombreux problèmes d’inaptitudes », explique la DRH, Emmanuelle Carrié. Ils étaient jusqu’alors réglés par les délégués du personnel.
Sur les objectifs du législateur, rappelés par l’économiste du travail Thomas Breda, « la simplification du mille-feuille des instances représentatives » a toutefois été saluée par la majorité des DRH présents, même si le gain en efficacité varie, selon les entreprises et leur secteur d’activité. C’est dans « la marge donnée aux entreprises pour négocier au plus près du terrain [le deuxième objectif] » que les modalités de négociation se diversifient.
Les entreprises ont eu le choix de réorganiser le dialogue social au niveau national et local, pour chaque établissement, et en fonction de la nature des négociations. « On a une dizaine d’établissements avec des représentants de proximité. Localement, ils sont nos capteurs pour les droits d’alerte », illustre Didier Jauliac. Dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés, le CSE peut être composé de plusieurs commissions de proximité comme la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ou la commission de l’égalité professionnelle, par exemple. « Certaines entreprises ont reproduit l’existant, d’autres pour être efficaces ont fait a minima et les dernières s’inscrivant dans une logique de rupture ont tout remis à plat », explique Thomas Breda.
Un an pour se préparer
AXA comme la Réunion des musées nationaux (RMN) affirment être repartis d’une page blanche. Ils ont pris au moins un an pour se préparer, ce qui leur a permis d’affiner l’attribution des dossiers. « Au début, on s’est un peu cherché sur les prérogatives de chacun, on a été très itératif, raconte Sibylle Quéré-Becker, directrice des relations sociales d’AXA. Puis on a formé les représentants pour fonctionner en deux parties : les sujets métiers attribués au CSE et les questions d’implantation et ceux anciennement à la charge des délégués du personnel aux commissions de proximité. »
A la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, « on a mis en place des représentants de proximité sur les 40 implantations pour avoir une représentation transversale. Le CSE est généraliste et les commissions plus techniques. Pour articuler CSE et CSSCT, l’agenda des réunions doit être bien cadencé », remarque la DRH Noëlle de La Loge. Une mauvaise articulation peut se faire aux dépens des prérogatives des CSSCT, remarque Thomas Breda.
Enfin, la mobilisation des manageurs locaux sort renforcée de ces réorganisations. L’objectif d’HSBC est de créer un circuit d’information le plus fluide possible. Le CSE unique compte 32 membres et 53 représentants de proximité font des points d’étape et se réunissent en commissions bisannuelles. L’idée étant que « tous les problèmes locaux soient réglés le plus en amont possible par les manageurs eux-mêmes », explique Philippe Saquet, le directeur des relations sociales d’HSBC.
Leur premier CSE devrait être mis en place le 5 décembre. Rémy Cointreau, qui a tenu sa première séance en avril, a même fait le pari « d’éliminer progressivement toutes les questions des ex-DP et qu’elles soient directement réglées par les manageurs de proximité. Il y a un effort de pédagogie à faire », précise le DRH, Marc-Henri Bernard. « Il y a eu très peu d’accord CSE innovants, conclut Thomas Breda. On assiste à un façonnement des représentants par les RH. Tout est au bon vouloir de l’employeur. » Le risque inhérent est que ce soit aux dépens de la représentation des salariés.
De gauche à droite: Jamie Dimon, président du conseil d’administration et PDG de JPMorgan Chase, Randall Stephenson, président du conseil d’administration et PDG de AT & T Inc., et Dennis Muilenburg, président du conseil d’administration et PDG de Boeing Company, participent à une entreprise table ronde sur le thème « » Innovation ambitieuse « qui maintient le leadership américain, lors du Sommet des PDG sur l’innovation, tenu le 6 décembre 2018 à Washington, DC MARK WILSON / AFP
Chronique. En août, la Business Roundtable, qui regroupe les PDG des plus grandes sociétés américaines, a mis à jour sa déclaration sur l’objet des sociétés. Il n’y a pas que les actionnaires qui comptent, disent-ils désormais ; leurs entreprises doivent s’engager envers toutes les parties prenantes – clients, employés, fournisseurs, communautés et environnement. Les actionnaires se retrouvent en dernière position sur cette nouvelle liste.
Cette annonce a suscité trois types de réactions. Certains commentateurs ont applaudi les chefs d’entreprise américains d’avoir enfin compris le message, mais ont critiqué l’absence de proposition concrète sur la manière dont les parties prenantes peuvent demander des comptes. D’autres, plus sceptiques, ont estimé que le texte différait peu des déclarations antérieures et que les dirigeants souhaitaient simplement rééquilibrer les intérêts des différentes parties prenantes autres que les actionnaires. Pour les plus critiques, enfin, la déclaration vise à réaffirmer le pouvoir discrétionnaire des PDG et conseils d’administration pour gérer comme ils l’entendent.
Pourquoi alors la Business Roundtable a-t-elle estimé nécessaire de dire quelque chose maintenant ? Tout d’abord, les actionnaires activistes compliquent la vie des dirigeants des plus grandes entreprises américaines. La déclaration est donc effectivement un plaidoyer en faveur d’une plus grande autonomie par rapport aux actionnaires. Les chefs d’entreprise américains sont en train de bâtir une coalition contre les investisseurs activistes, espérant que leurs employés, leurs clients et les militants des causes éthiques ou environnementales les soutiennent, en échange de la promesse de mieux les traiter.
Ensuite, les hommes et femmes politiques, tout comme l’opinion publique, soutiennent de moins en moins l’Amérique des entreprises. Les sénateurs Bernie Sanders et Elizabeth Warren, deux des principaux candidats à la nomination démocrate pour l’élection présidentielle de 2020, ont appelé de leurs vœux des changements majeurs dans la gestion des grandes entreprises. Mme Warren, par exemple, souhaite que les employés soient représentés dans les conseils d’administration (comme en Allemagne) et se déclare favorable à la dissolution des plus grandes entreprises américaines. De plus, bien que Donald Trump n’ait pas encore dirigé son populisme anti-élite contre les entreprises, il est imprévisible – et les représentants les plus puissants de l’élite privilégiée font partie du club des dirigeants de grandes compagnies.
Manifestation des personnels hospitaliers pour plus de moyens dans les hôpitaux publics, à Paris, le 14 novembre. NICOLAS PORTNOI / HANS LUCAS / AFP
Des conditions d’accueil « indignes », des « dysfonctionnements institutionnels graves, susceptibles de constituer un traitement inhumain et dégradant »… Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié, mardi 26 novembre, au Journal officiel, des recommandations en urgence relatives à l’hôpital psychiatrique du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen, à côté de Rouen.
« Nous avons trouvé des dysfonctionnements extrêmement graves dans chacun des critères étudiés », a déclaré au Monde Adeline Hazan, la contrôleuse générale, qui appelle à la mise en place rapide d’un projet médical d’établissement. « Il s’agit moins d’un problème de moyens que d’organisation du travail et de culture d’établissement », assure-t-elle.
Le constat est particulièrement sévère. Dans cet établissement où des soignants avaient mené en 2018 une grève de la faim pour dénoncer le manque d’effectifs et les conditions d’accueil des patients, le CGLPL alerte aussi bien sur les atteintes à la liberté d’aller et venir que sur les conditions d’hébergement, les pratiques d’isolement, l’information des patients en soins sans consentement et que sur la prise en charge de certains enfants hospitalisés. Des constats qui « s’accompagnent de manquements à la déontologie professionnelle et [qui] constituent des violations graves des droits fondamentaux des patients ».
Les unités sont en permanence suroccupées (101,3 % en moyenne en 2018), des lits de camp étant ajoutés dans les chambres simples ou doubles. « Il n’est pas rare qu’un lit soit installé dans un bureau ou dans le salon de visite des familles, ou qu’un patient soit maintenu en chambre d’isolement », note le CGLPL, pour qui « les conditions de vie sont particulièrement dégradées par la promiscuité, dans la chambre ou dans l’unité ».
« Dévoiement de l’isolement »
D’importantes atteintes à la liberté d’aller et venir – « injustifiables pour les patients en soins libres » – sont par ailleurs relevées. Sur vingt-trois unités, vingt et une sont complètement fermées. Ces restrictions limitent de fait les accès aux activités thérapeutiques ou occupationnelles conduites à l’extérieur des unités. « Dans ces conditions, l’ennui et le désœuvrement règnent, les conditions de vie quotidienne sont difficiles », relève le CGLPL. De janvier à octobre, soixante-dix-huit mesures de soins libres ont été transformées au cours du séjour en soins sans consentement. Ce nombre élevé est jugé « symptomatique de préoccupations et précautions sécuritaires ».
Pour le Père Noël, le mouvement social, qui sévit en Finlande, ne pouvait pas tomber plus mal. Habituellement, au mois de décembre, le vieux bonhomme, domicilié à Rovaniemi, dans le nord du pays, reçoit plus de 30 000 missives par jour, en provenance du monde entier. Mais voilà que, depuis le 11 novembre, les employés de la Poste finlandaise se sont mis en grève, bloquant lettres et paquets, à cette période précise où le trafic postal atteint des records.
Pis, la situation pourrait encore s’aggraver, puisque, depuis lundi 25 novembre, les syndicats des travailleurs du transport et de l’aviation ont, à leur tour, cessé le travail, par solidarité, tandis que plusieurs préavis de grève, déposés pour la mi-décembre, font craindre une généralisation de la mobilisation, qui pourrait paralyser le pays à quelques jours de Noël.
A l’origine du contentieux dans le secteur postal : le transfert, cet été, de 700 employés, chargés du tri et de la livraison des colis, vers un nouveau régime, géré par une convention collective beaucoup moins favorable que celle dont ils bénéficiaient jusqu’à présent. Ainsi, à partir de 2022, leurs salaires devraient baisser en moyenne de 30 %, contre un bonus, indexé sur leur productivité et la satisfaction des clients.
Le syndicat des travailleurs postaux et logistique (PAU) réclame l’annulation de ce transfert, ainsi qu’une hausse des salaires pour les 10 000 employés de Postii, une entreprise publique, gérée par l’Etat finlandais. Ce week-end, une nouvelle tentative de rapprochement entre les partenaires sociaux, engagée par la médiatrice, Vuokko Piekkala, a de nouveau échoué.
Plusieurs années de régime sec
En réaction, les salariés du secteur des transports et de l’aviation se sont, à leur tour, mis en grève, pour vingt-quatre heures. Lundi matin, seulement 25 % des bus fonctionnaient à Helsinki. Dans les ports du pays, les ferrys battant pavillon finlandais sont restés à quai, tandis que la compagnie aérienne Finnair annulait près de 300 vols.
De leur côté, le syndicat de l’industrie et celui des employés menacent de débrayer le 9 décembre, pour trois jours, s’ils n’obtenaient pas une hausse de salaires de plus de 2 % et la suspension de l’augmentation du temps de travail non rémunéré, décidée en 2016. Depuis mi-novembre, ils font déjà la grève des heures supplémentaires.
Ce mouvement social intervient après plusieurs années de régime sec, pour les salariés du privé, qui ont accepté de se serrer la ceinture, afin de relancer la compétitivité en berne du pays. La mobilisation pourrait être un test pour le premier ministre social-démocrate Antti Rinne, en poste depuis juin, alors même que la renégociation des accords collectifs va débuter en janvier dans le secteur public.
Après l’immolation par le feu d’un de leurs élèves, 47 enseignants de l’université Lyon-2 appellent, dans une tribune au « Monde », à agir pour mettre fin aux situations de précarité qui affectent la population étudiante.
Analyse. Dans l’industrie automobile, si les mauvaises décisions se payent cash, elles mettent du temps à produire leurs effets destructeurs. Salariés et actionnaires de Renault sont en train d’en prendre conscience. Un an après l’éclatement de l’affaire Carlos Ghosn, l’idée que son éviction de la présidence de l’alliance avec Nissan serait la cause de tous les maux du constructeur fait florès. La réalité est plus compliquée.
La mise à l’écart du charismatique patron, qui fait l’objet de graves accusations au Japon, a incontestablement déstabilisé l’entreprise. Mais au fil des semaines, on se rend compte que Carlos Ghosn n’était plus très concentré sur le pilotage opérationnel, tandis que le numéro deux nommé par ses soins, Thierry Bolloré, a accumulé de graves erreurs qui font entrer Renault dans une zone de turbulences. Pour le successeur de ce dernier, en cours de recrutement, la tâche est immense. Il devra relever trois principaux défis.
Un défi industriel d’abord. Le retard de six mois du lancement de la nouvelle Clio n’est qu’un symptôme d’importants dysfonctionnements. Le ticket d’entrée en termes d’investissements pour la production de ce modèle, qui a pourtant bénéficié d’importantes synergies avec Nissan, est supérieur à celui de la version précédente lancée en 2012. Le nouveau fourgon Master a connu les mêmes dérives de productivité. Par ailleurs, incident inédit depuis la mise en place d’un processus de contrôle de la qualité par l’ex-PDG de Renault, Raymond Lévy, au début des années 1990, les nouvelles Clio et Zoe ont été envoyées dans le réseau commercial, sur décision de Thierry Bolloré, alors même qu’elles n’avaient pas reçu le feu vert des responsables de la fabrication.
Inquiétudes à Flins
D’autres interrogations portent sur le plan produit. Il a été décidé de ne pas renouveler Twingo, Megane, Koleos, Scenic, Talisman et Espace. Dans le même temps, au regard du développement insuffisant de l’offre de véhicules électriques, Renault risque de souffrir dans un paysage concurrentiel qui va se durcir dans les deux prochaines années, notamment en raison de l’offensive lancée par Volkswagen. Tandis que l’usine de Douai va perdre trois modèles, on ne sait toujours pas comment celle de Flins va tourner à partir de 2022. Après le départ de la Clio, de la Micra et de Zoe, que va devenir ce site de 4 500 personnes ? Enfin les cafouillages sur l’adaptation de la gamme aux nouvelles homologations sur la consommation et les émissions polluantes des véhicules risquent de coûter cher.
« La question de la santé des chefs d’entreprise n’est bien souvent pas considérée comme un « vrai sujet ». « Elle pâtit d’un réel manque de considération », regrette une médecin du travail » Ingram / Photononstop
« Les dirigeants ? Mais par définition, ils sont en bonne santé ! » Le propos d’Erwan Deveze est résolument ironique. Manière, pour ce consultant en management, de souligner que la question de la santé des chefs d’entreprise n’est bien souvent pas considérée comme un « vrai sujet ». « Elle pâtit d’un réel manque de considération », regrette une médecin du travail.
Comme eux, des observateurs du monde de l’entreprise, dont de nombreux membres du corps médical, se sont penchés, mardi 19 novembre, sur la problématique de la santé des responsables d’entreprise, lors d’une conférence tenue à Paris. Organisée par la fédération régionale des services interprofessionnels de santé au travail (SIST) d’Ile-de-France, elle a été l’occasion pour les participants de déplorer le faible intérêt pour la question, véritable « zone d’ombre » de la santé au travail et, dans le même temps de tenter d’en dessiner les contours.
Un sujet rarement abordé, faisant l’objet de peu d’études… Et qui n’est pas suffisamment pris en compte par la réglementation, rappellent les professionnels de santé. « Les chefs d’entreprise, les autoentrepreneurs ne peuvent accéder pour leur propre santé, à la même offre de service que les salariés », précisait le rapport Lecocq sur la santé au travail, présenté en août 2018. « Les services de santé au travail n’effectuent pas de suivi de la santé des dirigeants s’ils ne sont pas salariés », déplore Céline Roux, déléguée générale de la fédération francilienne des SIST.
Difficulté pour les dirigeants à accepter de se pencher sur leur propre santé
Autre problématique : les chefs d’entreprise eux-mêmes accordent parfois une importance relative à leur propre santé. « Beaucoup de dirigeants salariés ne viennent pas aux visites médicales », poursuit Mme Roux. C’est souvent le manque de temps qui est invoqué. Mais derrière cette attitude peut transparaître toute la difficulté pour certains dirigeants à accepter de se pencher sur leur propre santé. « Ils ne s’autorisent pas forcément à prendre ce temps. Evoquer ses difficultés peut être perçu comme un signe de faiblesse », indique Mme Roux. « Il y a l’idée qu’il faut donner le change, ne pas perdre la face, même par rapport à soi-même, confirme Béatrice Gérard-Duprey, psychologue du travail en Ile-de-France. S’arrêter serait reconnaître sa fragilité et renverrait à de la vulnérabilité. »
Certains, toutefois, poussent la porte des cabinets. Et, parfois, craquent. « Des responsables n’ont plus de mot, seulement leurs larmes pour dire combien ils n’en peuvent plus », indique Mme Gérard-Duprey. Les origines de cette souffrance sont souvent les mêmes : « Ce sont essentiellement les conséquences d’un manque de dialogue, de paroles pour instruire les conflits liés au travail », poursuit la psychologue. Elle évoque également l’isolement, la solitude que peuvent connaître certains d’entre eux. D’autres facteurs peuvent s’additionner : surcharge mentale, stress, surcharge de travail, déficit de sommeil… « Dans les TPE, les dirigeants sont parfois des opérationnels le jour et des patrons s’occupant des obligations légales la nuit », résume Mme Roux.
Laurence Berland, ingénieur chez Google, a pris la parole lors de la manifestation du 22 novembre, à San Francisco, pour dénoncer les pratiques du géant américain. PARESH DAVE / REUTERS
La contestation prend de l’ampleur chez Google. Près de 200 employés ont manifesté, vendredi 22 novembre, devant les locaux de la compagnie à San Francisco pour demander la réintégration de deux salariés placés en congé administratif après avoir organisé des protestations contre les choix de la direction.
Un débrayage limité – Google emploie plus de 45 000 personnes dans la baie de San Francisco – mais hautement significatif : il y a encore deux ans, il aurait été impensable de voir un « Googler »parler publiquement des conditions de travail dans le temple de la tech, encore moins les critiquer. « Nous sommes là parce qu’il s’agit d’un combat pour l’avenir de la technologie, de nos emplois et de notre monde », a expliqué Stephanie Parker, membre de l’équipe « confiance et sécurité » à YouTube – filiale du géant américain –, et l’une des organisatrices du premier mouvement d’ampleur des employés de la firme, le « walk out » du 1er novembre 2018, contre le harcèlement sexuel et la discrimination.
Les deux employés suspendus début novembre, Rebecca Rivers et Laurence Berland, se sont exprimés publiquement lors de la manifestation. Dans l’assistance, en revanche, rares étaient ceux qui acceptaient d’être identifiés. Par peur des représailles. « Plus nous serons nombreux, plus nous serons en sécurité », avance un ingénieur porteur d’une pancarte « Save our culture » – le thème du rassemblement. « Le mieux serait d’avoir un syndicat, confie l’un des organisateurs. Mais nous n’en sommes pas encore là. »
Un « coup mortel » à la culture d’ouverture
Rebecca Rivers est ingénieure de logiciel dans la filiale de Boulder (Colorado). Il lui est reproché d’avoir consulté des documents internes, contrevenant à la nouvelle politique de circulation de l’information, annoncée en mai par Google pour faire échec aux fuites qui se sont multipliées depuis un an sur les projets controversés de la direction. Cette réglementation impose aux employés de demander à leur supérieur un accès aux documents qui ne les concernent pas directement et de justifier de leur « besoin » de le consulter.
« Notre travail pourrait être utilisé d’une manière à laquelle nous n’avons pas donné notre accord »
Pour les protestataires, il s’agit d’« un coup mortel » à la culture d’ouverture et de transparence, qui encourageait les employés à partager codes et projets, au nom de l’innovation et la créativité. « Notre travail pourrait être utilisé d’une manière à laquelle nous n’avons pas donné notre accord, dénonce l’ingénieure Zora Tung. Quand je suis entrée à Google, je savais que j’arrivais dans une compagnie qui faisait de l’argent avec les publicités – aussi problématique que ça puisse être. Mais pas avec les drones de guerre, la surveillance d’Etat, ou les expulsions d’immigrants. »