L’ère post-RSE a commencé

« Régulièrement accusés de « social-washing » ou de « green-washing », à tort ou à raison, les entrepreneurs engagés continuent d’avancer leurs pions au jour le jour, sans changer de cap. »
« Régulièrement accusés de « social-washing » ou de « green-washing », à tort ou à raison, les entrepreneurs engagés continuent d’avancer leurs pions au jour le jour, sans changer de cap. » Sven Hagolani/Flirt / Photononstop

« Carnet de bureau ». Le management va-t-il devoir changer de grille de lecture pour penser d’abord progrès social, intérêt général et défense des biens communs ? Le directeur général de la MAIF, Pascal Demurger en est convaincu : « La société commence aujourd’hui à demander et imposera demain aux entreprises qu’elles apportent la preuve de leur vertu dans leur activité même, tant à l’égard de leurs salariés que de leurs clients et de leur environnement », écrit-il dans son essai L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus (éditions de l’Aube, 246 pages, 17 euros).

Le Parlement des entrepreneurs d’avenir, réseau d’entreprises engagées créé en 2009, réunit les 22 et 23 janvier à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), quelque huit cents sociétés françaises qui ont l’ambition d’« humaniser le progrès » en intégrant les enjeux environnementaux et sociaux à tous les niveaux d’action de l’entreprise : de la stratégie jusqu’à la mission du manageur.

Mais les réponses qui furent les leurs par le passé, comme la responsabilité sociale et environnementale (RSE) ne suffiront plus à dédouaner les entreprises, précise M. Demurger. « On sort de dix ans de politique RSE, renchérit le président du Parlement des entrepreneurs d’avenir, Jacques Huybrechts. Aujourd’hui, le sujet c’est le post-RSE. Il s’agit de mettre l’économie au service de la planète, en se posant la question de ce qu’on mesure dans les progrès de l’entreprise, au regard des enjeux sociaux et environnementaux. Il faut orienter la finance vers ces enjeux ».

Un contexte favorable

Régulièrement accusés de « social-washing » ou de « green-washing », à tort ou à raison, les entrepreneurs engagés continuent d’avancer leurs pions au jour le jour, sans changer de cap. Depuis dix ans déjà, les « entrepreneurs d’avenir » associent rentabilité et responsabilité sociale. Mais aujourd’hui, le contexte leur est favorable : d’une part, ils font écho aux attentes des jeunes qui préfèrent travailler dans des entreprises aux forts engagements sociaux et environnementaux, à condition qu’ils soient sincères. Les jeunes ne se contentent plus de slogans ni de déclarations. Ils dénoncent les fausses promesses sur les réseaux sociaux et passent à la concurrence.

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« Cette question de l’attractivité de l’entreprise vaut, bien sûr, aussi à l’égard de ses clients », souligne Pascal Demurger, qui a fait de la MAIF la première grande entreprise à mission.

Fermeture de magasins, ventes en baisse… Le jean de Gap a le blues

Le magasin Gap de l’avenue des Champs-Elysées, à Paris, mardi 21 janvier.
Le magasin Gap de l’avenue des Champs-Elysées, à Paris, mardi 21 janvier. Gilles ROLLE/REA / Gilles ROLLE/REA

Au 36, avenue des Champs-Elysées, la messe est dite. Dans le magasin Gap que l’enseigne américaine exploite, depuis vingt ans, au bas de l’artère parisienne, la musique soul diffusée en sourdine résonne comme un requiem. Les vendeurs plient des centaines de jeans et de sweat-shirts aux prix bradés à moins 70 %. La chaîne n’en dit rien dans ses vitrines, mais la boutique fermera définitivement ses portes, samedi 25 janvier.

L’enseigne, qui, jusqu’à l’été 2019, exploitait vingt-huit pas de porte en France, multiplie, depuis, les fermetures de points de vente en Ile-de-France. Et, en dépit des 300 000 personnes qui, chaque jour, foulent les trottoirs des Champs-Elysées, elle a décidé de tirer un trait sur cette adresse prestigieuse. Elle ne lui procure plus que 9 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit moitié moins qu’en 2008. Pour l’heure, son emplacement n’a pas trouvé preneur.

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L’américain va « fermer 230 magasins [sur un total de 3 666], au cours des deux prochaines années », dans le monde, rappelle une porte-parole de la direction.

Confronté à une stabilité des ventes, à 16,6 milliards de dollars, soit 14,5 milliards d’euros, en 2018, et à une chute de sa marge opérationnelle à 8,2 %, le groupe, qui exploite les enseignes Gap, Old Navy et Banana Republic, prétend économiser 90 millions de dollars. Première visée : l’enseigne Gap, dont les ventes ont chuté de 5 % en 2018. Près de 250 des 850 employés dans l’Hexagone sont concernés. Aux Champs-Elysées, environ 90 personnes seront licenciées.

Ancien numéro un mondial

Rien ne laissait présager un destin aussi funeste. Le 2 juillet 1999, l’américain débarque au numéro 36 de l’avenue, sur 1 500 mètres carrés. « S’y installer était aussi important que d’ouvrir sur la VAvenue, à Manhattan », assure au Monde Ken Pilot, président de Gap à l’international à l’époque, aujourd’hui consultant et investisseur. Pour cette « fête », Bob Fisher, fils des fondateurs de l’enseigne née à San Francisco en 1969, a traversé l’Atlantique.

Près de 250 des 850 employés en France sont concernés par des fermetures de magasins

Mille invités empruntent un tapis rouge déroulé devant l’entrée. DJ Shazz remixe ses tubes de techno. Les flashs crépitent. Estelle Lefébure pose aux côtés de M. Pilot. Les membres du boys band français 2Be3 aussi.

A en croire Thierry Chevrier, agent immobilier, le petit monde du commerce tricolore se « presse » dans ce 35magasin français ouvert, après d’âpres négociations, à l’adresse qu’occupaient les tissus Rodin depuis 1953. Les vingt-six écrans géants, qui, en boucle, diffusent les spots de publicités de Gap, les épatent. Sa puissance de feu aussi.

Emmanuel Macron promet une baisse « significative » des impôts de production

Le président de la République, Emmanuel Macron, en visite à l’usine du groupe pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca, lundi 20 janvier.
Le président de la République, Emmanuel Macron, en visite à l’usine du groupe pharmaceutique anglo-suédois AstraZeneca, lundi 20 janvier. DENIS CHARLET / AFP

C’est un acronyme de trois lettres, ETI, et ces entreprises de taille intermédiaire mobilisent l’attention du gouvernement, après avoir été reléguées au second plan. Dans le cadre de la troisième édition de Choose France, une manifestation organisée pour y attirer les investisseurs anglo-saxons ou asiatiques, Emmanuel Macron met l’accent sur ces sociétés industrielles ou de services qui emploient 250 à 4 999 salariés et réalisent de 50 millions à 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.

Après avoir invité près de 200 dirigeants de multinationales (dont 150 étrangers) au château de Versailles, lundi 20 janvier, le président de la République devait recevoir à l’Elysée, mardi 21 janvier après-midi, quelque 500 dirigeants de PME en croissance et d’ETI, moins nombreuses (5 800) que les Mittelstand allemandes (12 500) ou leurs équivalents au Royaume-Uni (10 000) et en Italie (8 000).

Souvent innovantes (un quart des dépenses de recherche & développement), investies dans l’apprentissage, créatrices d’emplois (3,2 millions de salariés en 2015) et bien réparties dans l’Hexagone, ces entreprises ont un rôle essentiel, selon une récente étude de l’Institut Montaigne : « Elles structurent l’activité à l’échelle régionale et participent à l’intégration économique de l’ensemble des territoires. »

Réparer une forme d’injustice

M. Macron, qui veut réparer une forme d’injustice à leur encontre, a affirmé, devant leurs patrons, que les réformes menées depuis deux ans (assouplissement du code du travail, formation, réforme de l’ISF, suppression des seuils sociaux…) leur étaient destinées. Mais il veut aller plus loin, en améliorant leur accès aux compétences, en facilitant les transmissions de ces entreprises souvent familiales, en favorisant le passage des PME vers les ETI, en créant une « marque ETI », en multipliant les « clubs » où elles se rencontrent en région ou en les invitant davantage dans les voyages officiels à l’étranger.

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M. Macron s’est aussi engagé à assouplir la fiscalité, sur le modèle de la programmation de la réduction à 25 % de l’impôt sur les sociétés à la fin du quinquennat. Dans le cadre du « pacte productif », qu’il présentera prochainement pour permettre à la France d’atteindre le plein-emploi en 2025, il s’engagera sur une « baisse significative » des impôts de production : 75 milliards d’euros en 2019, qui pèsent sur les entreprises, soit trois fois plus qu’en Allemagne, mais qu’il faudra compenser à leurs principaux bénéficiaires, les collectivités locales.

Accès à l’enseignement supérieur : « Nous devons réinventer une méritocratie républicaine ambitieuse »

A l’heure de l’ouverture de Parcoursup, Jean-François Lhuissier, ancien vice-président de l’université du Havre, défend la nécessité « d’individualiser les parcours dans l’enseignement supérieur, de varier les contenus, le rythme de la progression et les modalités de formation » afin d’« atteindre l’excellence ».

« Le vieillissement et la mort en série des baby-boomeurs vont poser des questions vertigineuses »

Médecin spécialisée en cancérologie cutanée, qui a effectué toute sa carrière au CHU de Bordeaux, Michèle Delaunay a été députée PS de la Gironde de 2007 à 2012, puis ministre déléguée de François Hollande, chargée des personnes âgées et de l’autonomie, de 2012 à 2014. A 73 ans, elle vient de publier Le Fabuleux Destin des baby-boomers (Plon, 366 p., 20 €), un ouvrage très documenté et résolument positif dans lequel elle invite cette génération à abolir les barrières de l’âge et à faire la révolution de l’âge.

Michèle Delaunay en 2014.
Michèle Delaunay en 2014. Archives personnelles

D’abord, qui sont les baby-boomeurs ?

C’est la génération correspondant à la période où la natalité a été la plus forte en France, avec entre 800 000 et 900 000 bébés chaque année. Tout le monde s’accorde pour situer son début en 1946, année où le nombre de naissances avait bondi de 200 000 par rapport à l’année précédente. C’est moins clair pour la fin. L’historien Jean-François Sirinelli la fixe en 1969 ; j’ai pour ma part retenu 1973, année après laquelle les naissances ont chuté de façon importante.

Ce qui est remarquable, c’est que 20 millions des 24 millions de personnes qui ont vu le jour dans cette tranche 1946-1973 sont encore en vie. Jamais une génération n’avait perdu aussi peu de ses enfants. Pour autant, les baby-boomeurs, qui ont donc aujourd’hui entre 46 ans et 73 ans, ne constituent pas une génération homogène. Il y a clairement eu deux vagues. La première, dont je fais partie, celle des « oiseaux du matin », nés avant 1955, a été élevée avec la marque de la seconde guerre mondiale, et dans une culture paysanne. La seconde est celle des « oiseaux de midi », qui ont connu dès leur enfance la publicité et la société de consommation. Les derniers d’entre eux ont aussi été davantage confrontés au rétrécissement du marché du travail. Le sociologue Serge Guérin a inventé un mot pour qualifier les boomeurs de la dernière heure : les « quincados », des quinquagénaires qui vivent comme des adolescents.

Alors que le débat sur la réforme des retraites est particulièrement houleux en France, vous vous prononcez dans votre livre pour un allongement du temps d’activité et qualifiez la retraite « à jour fixe » d’injustice…

Bien sûr, il faut tenir compte de la pénibilité de certains métiers, mais aujourd’hui, avec les progrès médicaux et l’augmentation de la longévité, la vieillesse avec invalidité est globalement décalée de vingt ans. Dans bien des cas, imposer une retraite à un âge fixe n’a plus de sens. Beaucoup de boomeurs se sentent en forme et souhaitent continuer à travailler. Pour ma part, si j’avais exercé un métier où l’on me mette dehors à 60 ou à 62 ans, j’aurais saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le débat actuel porte sur l’âge légal et un âge pivot, mais, à l’inverse, si quelqu’un veut poursuivre son activité professionnelle au-delà de 65 ans, est-ce que sa retraite sera bonifiée ? Cette question n’est jamais posée.

« Le robot contre la mobilité sociale »

Tous les pays développés connaissent, depuis les années 1980, ce qu’on a appelé la polarisation des marchés du travail : l’emploi se concentre de plus en plus d’une part dans les activités où les niveaux d’éducation et de salaire sont élevés, d’autre part dans celles où les niveaux d’éducation et de salaire sont bas, le tout au détriment des emplois traditionnels intermédiaires.

En 1970 aux Etats-Unis, 31 % des emplois étaient peu qualifiés, 39 % intermédiaires, 30 % qualifiés. Cinquante ans plus tard, la part des emplois peu qualifiés est restée la même : 31 % ; mais seulement 23 % des emplois sont intermédiaires et 46 % sont qualifiés.

« L’évolution du marché du travail a eu peu d’effets sur les mieux éduqués, et des effets très négatifs pour les moins éduqués »

On peut affiner l’analyse en distinguant les salariés selon leur possession d’un diplôme d’enseignement supérieur. Parmi les personnes titulaires d’un diplôme universitaire, la part des emplois intermédiaires recule de 27 % en 1980 à 20 % aujourd’hui. Mais le phénomène est encore plus marqué pour les personnes sans diplôme universitaire, pour qui la part des emplois intermédiaires a chuté de 43 % à 29 %, alors que celle des emplois qualifiés a très peu augmenté, de 15 % à 17 %, et que celle des emplois peu qualifiés a bondi de 42 % à 54 %. La principale conclusion n’est donc pas tant la hausse des qualifications sur le marché de l’emploi que la perte de l’accès des moins qualifiés aux emplois intermédiaires.

Ces observations peuvent être étendues à la France où, en 1992, les emplois qualifiés représentaient 33 % de l’emploi total, les emplois intermédiaires 49 % et les emplois peu qualifiés 18 %. Les projections pour 2022 sont respectivement de 43 % (+10 points), 39 % (-10 points) et 18 % (stable).

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Le phénomène s’expliquerait par l’impact du déploiement des nouvelles technologies (« Work of the Past, Work of the Future », David Autor, American Economic Review Papers and Proceedings n°109, mai 2019). Celles-ci ont peu modifié le travail des diplômés de l’université, dont 57 % occupaient déjà en 1980 des emplois qualifiés et complexes ; c’est encore le cas de 61 % d’entre eux aujourd’hui. Mais elles ont fait disparaître les emplois intermédiaires détenus par les personnes au niveau d’éducation plus faible : ouvriers qualifiés de l’industrie, employés qualifiés des services financiers et des services aux entreprises… L’évolution du marché du travail a donc eu peu d’effets sur les mieux éduqués, et des effets très négatifs pour les moins éduqués.