Management : la fin de « l’entreprise communautaire »

Management : la fin de « l’entreprise communautaire »

Depuis une dizaine d’années, on assiste, en France et dans nombre de pays occidentaux, à la fin d’un modèle de grande entreprise qui a dominé pendant des décennies le monde industriel et tertiaire, singulièrement durant la période des « trente glorieuses ».

Cette forme, que l’on peut qualifier de « communautaire », se réfère à certaines grandes organisations bureaucratiques caractérisées notamment par des carrières longues, souvent sécurisées, accompagnées d’avantages sociaux importants favorisant l’intégration durable de ses membres, sur fond d’une culture collective globalement partagée. L’expression « entreprise-providence » peut être également mobilisée pour la caractériser.

L’arrivée du capitalisme actionnarial

On peut trouver en partie les racines conceptuelles de ce modèle d’entreprise dans l’ouvrage du juriste Adolf Berle (1895-1971) et de l’économiste Gardiner Means (1896-1988) publié en 1932 aux Etats-Unis, The Modern Corporation and Private Property. Les auteurs y décrivent l’émancipation des dirigeants d’entreprise au détriment des actionnaires dispersés, amorçant ainsi la « révolution managériale » qui, en donnant aux manageurs le contrôle de l’organisation de la firme, impose de nouvelles formes de coordination d’un nombre croissant de salariés.

L’économiste John Kenneth Galbraith (1908-2006) prolongera et éclairera ce courant en développant dans son ouvrage majeur, The New Industrial State, publié en 1967 (Gallimard, 1968 pour la version française, rééd. 1989), le concept de « technostructure ».

Ce modèle a subi une première remise en cause importante et sévère à la fin des années 1970, avec l’arrivée du capitalisme actionnarial, modèle simplificateur théorisé par les « boys » de l’école de Chicago, autour de Milton Friedman (1912-2006), sur la base de ce qui deviendra un best-seller, publié dès 1962, et largement réédité en 1982 et 2002, Capitalism and Freedom (Flammarion, 2019, pour l’édition française).

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Cette approche sera approfondie par les universitaires Michael Jensen et William Meckling sous la forme de la « théorie de l’agence », dès 1976. Mais ce capitalisme actionnarial a surtout été adoubé et institutionnalisé par l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher (1925-2013) en Grande Bretagne (1979) et de Ronald Reagan (1911-2004) aux Etats-Unis (1981), sur fond de mondialisation de l’économie.

Individualisation poussée

Mais la véritable transformation se situe au milieu des années 2010, avec l’impératif alors incontournable de la « numérisation », véhiculé notamment par les puissants acteurs que sont les grands cabinets de conseil mondiaux.

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