« L’histoire des entreprises enseigne que rien n’est plus faux qu’un supposé processus de sélection darwinienne »
Malgré leurs conséquences néfastes sur des pans entiers de la société (chômage, destruction de richesses, tensions politiques et sociales, drames individuels…), les crises auraient une dimension positive de « sélection naturelle » en mettant à l’épreuve la solidité des entreprises pour permettre aux « meilleures » de poursuivre leur développement. Autrement dit, la dynamique du capitalisme sélectionnerait les « plus aptes » et les mieux « adaptées », condamnant les « moins méritantes » à disparaître.
Charles Darwin, dont L’Origine des espèces a paru en 1859, serait ainsi mobilisé par l’analyse économique ou historique pour expliquer l’évolution des entreprises et des systèmes économiques. A la fin du XIXe siècle, alors que l’économie néoclassique s’affirme comme base conceptuelle du libéralisme, Darwin apparaît comme une base scientifique utile pour « naturaliser » les lois du marché et démontrer la supériorité du capitalisme sur d’autres formes d’organisation économique.
Il fournit enfin une explication et des valeurs pour justifier le comportement et les modes de pensée des décideurs économiques. La rivalité et la hiérarchie entre individus seraient « naturelles ». La moralité des sentiments, la limitation de la responsabilité individuelle, l’irrationalité des affects sont « naturellement » encadrées par la nécessaire lutte pour les ressources et les clients. Il y aurait donc continuité, voire identité, entre les mécanismes naturels et les phénomènes sociaux et économiques.
L’histoire des entreprises enseigne que rien n’est plus faux. Certes, la démographie des entreprises démontre que, en moyenne en France aujourd’hui, seules deux nouvelles entreprises sur cinq dépassent la cinquième année après leur création. Mais à l’inverse, mis à part quelques réussites extraordinaires et récentes (Apple, Microsoft, Tesla…), la plupart des grands groupes historiques survivent aux crises malgré des résultats économiques, technologiques ou financiers peu glorieux. Même pour certaines entreprises des nouvelles technologies (Amazon, etc.), les résultats se font attendre, et les marchés (ou les pouvoirs publics) acceptent ces pertes dans l’espoir d’un gain futur.
La pression des innovations
Pour la plupart des autres entreprises, la transition et la résilience face aux crises supposent de se transformer, ce qui peut être certes difficile. Lorsque les dirigeants ou les propriétaires acceptent de se remettre en cause, les adaptations nécessaires permettent de répondre aux nouveaux défis de l’environnement. Néanmoins, comme l’avait analysé l’historien américain des entreprises Alfred Chandler (1918-2007), ces périodes de transition peuvent être très longues, et supposent souvent un changement des dirigeants et des propriétaires, car ces derniers peuvent avoir du mal à prendre conscience des nouveaux défis et à établir un agenda stratégique et organisationnel.
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